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Le bloc-notes

De l'écart entre le discours et les actes

Le bloc-notes | publié le : 01.03.2005 | Bernard Brunhes

Petite musique

Je me souviens d'un dîner chez un commissaire européen, à Bruxelles. Ma voisine était une jeune chargée de mission auprès du président de la Commission. Nous avons parlé économie et politique. Sa voix était gentiment et professionnellement technocratique. À la fin du repas, elle se lève et chante a capella la partition de Suzanne à la première scène des Noces de Figaro tandis qu'un Figaro lui donne la réplique. Miraculeusement, en un instant, une incroyable mue se produit. La voix devient divine, un ange est entré dans la pièce, je ne reconnais plus ma voisine.

Je me souviens des nombreuses entrevues que j'ai eues à Matignon avec Henri Krasucki, alors secrétaire général de la CGT. On commençait par une discussion classique entre conseiller du prince et responsable syndical. Puis, à un certain moment, en un instant, ses yeux changeaient de couleur, le verbe se faisait vigoureux, rigoureux, et l'aimable discussion se muait en conviction assenée et acérée. L'homme avait changé en un instant.

Je ne me souviens pas avoir vu récemment nos responsables syndicaux ou patronaux, ou même politiques, sortir du discours convenu ou tactique pour, tout à coup, devenir les hérauts d'une cause, les prophètes, les divas qui entraînent le peuple. Faut-il s'en féliciter (ils se rapprochent du peuple…) ou s'en inquiéter (les brebis n'ont plus de pasteur) ?

Bernard Thibault aux avant-postes

On le savait habile dans la conduite d'une organisation dont les membres hésitent encore entre un syndicalisme de contestation, héritier de la lutte des classes, et un syndicalisme de concertation et de négociation, mais cette fois Bernard Thibault est sorti du bois, en mettant son poids dans l'expression de l'indépendance du syndicat par rapport au politique à l'occasion du vote de la Constitution européenne. Pour le moment, il a perdu. Mais mieux vaut pour la CGT une crise qui clarifie qu'une valse-hésitation un peu molle.

Pour avoir, sur d'autres fronts, couru des risques en affichant des convictions et en les mettant courageusement en pratique, le patron de la CFDT s'est lui aussi affirmé. On n'en est pas encore à la grande musique, mais au moins on sort des ambiguïtés.

La réforme par le leurre

Il y a une méthode Raffarin, au moins dans le domaine social. Le chef de l'État promet une grande réforme de l'assurance maladie et de la politique de santé. Ce ne sera qu'un plan Sécu de plus, aussi modeste dans son contenu qu'immodeste dans sa communication.

Avec tambour et trompette, un grand plan de cohésion sociale a été annoncé. Ce sera un patchwork de mesures d'où a disparu le souffle initial. Les 35 heures agitent les milieux politiques. On parle beaucoup puis on fait le minimum – dans une certaine indifférence des acteurs de terrain. Le Financial Times (12 février) pensait d'ailleurs que la réforme Aubry mourrait de mort naturelle sans qu'il soit besoin de faire intervenir des spadassins.

Pendant que les parlementaires, les ministres et les médias s'agitent sur ces montagnes qui accouchent de souris, on réforme dans la discrétion. La loi organique relative aux lois de finances (Lolf), votée à l'unanimité sous Jospin et mise en œuvre sous Raffarin, va très profondément modifier la gestion de l'État et la conduite des politiques. C'est dans le silence que se joue cette excellente réforme ignorée du public.

Une autre révolution silencieuse est en cours : le logement social. Une loi d'août 2003 transforme de fond en comble le secteur en conduisant à une concentration des organismes HLM. À l'inverse, les aides seront décentralisées. La nouvelle Agence nationale de la rénovation urbaine concentre des crédits importants sur un nombre limité de sites particulièrement sinistrés tandis que la réhabilitation ailleurs est réduite à la portion congrue.

Les coûts de construction et de gestion s'aggravent du fait de nouvelles contraintes réglementaires, au demeurant justifiées. En deux à trois ans, le paysage des HLM sera profondément transformé. Seuls les spécialistes s'en rendent compte.

Pendant qu'on brandit épées et boucliers sur les 35 heures, le ministre délégué aux Relations du travail, beaucoup plus discrètement, tente de faire évoluer le jeu des acteurs. En confiant par exemple à des « groupes de réécriture » à l'intitulé modeste le soin de réformer le Code du travail. Mais, chut ! peut-être ne peut-on réformer que dans le silence, loin des partis et des médias. La démocratie n'en sortira pas renforcée mais, au moins, on avance.

Auteur

  • Bernard Brunhes