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Débat

Faut-il réécrire, et comment, le Code du travail ?

Débat | publié le : 01.03.2005 |

Promis, le Code du travail, dont les travaux de réécriture ont été lancés en février, sera remis à plat pour le centenaire du ministère du Travail, en juin 2006. Objectif : rendre plus lisible et accessible un code qui n'a pas été révisé depuis 1973. Peut-on se contenter d'un simple lifting ? Les réponses de Michel de Virville, auteur d'un rapport visant à rendre le Code du travail « plus efficace », et de deux professeurs de droit du travail.

« La recodification pourrait toucher au fond du droit dans les limites tracées par le juge constitutionnel. »

MICHEL DE VIRVILLE Secrétaire général de Renault

Il faut une recodification du Code du travail. Le droit du travail protège le salarié placé dans une situation de subordination juridique, garantissant le respect de ses droits individuels et collectifs fixés par la loi et la négociation collective, et contribue aussi à une organisation efficace de l'activité économique des entreprises, en donnant à l'employeur un pouvoir de direction clair et sans ambiguïté lui permettant d'encadrer et d'orienter l'activité des salariés. Il est donc source d'emploi.

Car le droit du travail est un droit de masse et un droit de la vie quotidienne dont les dispositions concernent des millions de salariés et appréhendent des situations extrêmement diverses.

Chaque novation, chaque modification de ce droit doit, pour produire son plein effet, être connue et comprise par ce très grand nombre d'acteurs dont il appelle à modifier les comportements.

Ainsi, la cohérence et la simplicité du droit du travail nécessitent un effort collectif vigilant et opiniâtre, qui fait cruellement défaut. De l'aveu de tous les acteurs – salariés, entreprises, partenaires sociaux, administration, juge –, le droit du travail est aujourd'hui perçu comme difficilement compréhensible et donc difficilement applicable.

Cette évolution tient sans doute à l'inflation de la production normative, due, d'abord, au législateur. Elle s'explique également par l'instabilité de ses normes, fréquemment remises en cause ou réécrites, avant même d'avoir été complètement intégrées par les acteurs.

Enfin, le contenu même des règles s'avère souvent inadapté à la réalité du monde du travail. Procédant de la retouche plutôt que de la réécriture des dispositions qu'ils entendent modifier, les textes de loi sont, depuis plusieurs décennies, plutôt hermétiques. Cela présente deux inconvénients majeurs. La connaissance du droit et l'appropriation des dispositions nouvelles par ceux qui sont censés s'y conformer deviennent très ardues et des oublis ou des incohérences apparaissent qui seront plus tard générateurs d'insécurité juridique. Il est fréquent, en effet, que subsistent dans le Code du travail, après l'entrée en vigueur d'une loi nouvelle, des dispositions anciennes qui ne sont pas en parfaite cohérence avec les nouvelles. Une troisième recodification, trente-deux ans après celle de 1973, semble donc parfaitement justifiée.

Comment recodifier ? Cette opération peut être menée à bien par voie d'ordonnance, dans le cadre tracé par la jurisprudence la plus récente du Conseil constitutionnel. Il est, en effet, désormais admis qu'une recodification par voie d'ordonnance puisse ne pas se faire strictement à droit constant et aller jusqu'à, comme le dit le Conseil constitutionnel, « adapter la législation à l'évolution des circonstances de droit et de fait, à abroger des dispositions désuètes et, le cas échéant, à modifier celles dont la pratique aurait révélé le caractère inadéquat », à condition que ces modifications ne privent pas de garanties légales les exigences constitutionnelles.

Autrement dit, le gouvernement peut non seulement apporter des corrections de pure forme, mais aussi supprimer les dispositions devenues illégales ou obsolètes au regard de la hiérarchie des normes et, notamment, du droit communautaire, et toucher, sur des points mineurs, au fond du droit, dans les limites tracées par le Conseil constitutionnel.

« Restons-en aux principes généraux et laissons aux juges le pouvoir de faire évoluer le droit. »

PHILIPPE LANGLOIS Professeur émérite à l'université Paris X-Nanterre, avocat associé, Flichy & Associés

Il est assez vain d'envisager une refonte complète du Code du travail. L'expérience de la Commission de réforme du Code civil, dont les délibérations se sont prolongées pendant de nombreuses années pour se solder par un échec, est éclairante à cet égard.

Les civilistes en ont tiré des leçons utiles et on pourrait s'inspirer de l'évolution du Code civil qui combine, d'une part, les réformes ponctuelles qui s'exposent aux mêmes critiques que les réformes que connaît le Code du travail et, d'autre part, les réformes d'ensemble précédées d'un long travail de préparation conduisant à la rénovation complète de pans entiers du Code, comme la récente réforme du divorce, celles des régimes matrimoniaux ou de l'autorité parentale.

L'analogie ne peut cependant être complète, les mœurs évoluant moins vite que les relations professionnelles, les civilistes disposant plus que les travaillistes du temps nécessaire pour élaborer des réformes approfondies.

Aussi, plus que vers des réformes par pans entiers, il faut sans doute s'orienter vers une voie moyenne qui consisterait à exiger que, lorsque le législateur modifie des textes, il revoie l'ensemble de la matière dans laquelle s'insère cette évolution pour la mettre en accord avec la réforme. Au lieu d'accumuler des textes souvent contradictoires sur les licenciements pour motifs économiques, pourquoi ne pas complètement réviser les articles L 321-1 et suivants afin de proposer une législation cohérente ?

Le législateur devrait aussi discipliner son intervention, en rester plus souvent au stade des principes, et ne pas entrer dans des détails qu'il ne maîtrise pas toujours, alors que l'interprétation judiciaire peut adapter ces principes à la réalité sociale. L'exemple caricatural est fourni par l'article L 432-1, qui régit la consultation du comité d'entreprise sur les questions intéressant l'organisation, la gestion et la marche générale de l'entreprise. Ce concept a donné lieu à des interprétations judiciaires qui ont conforté les compétences économiques concrètes du comité d'entreprise.

Ont suivi, au fil des réformes, plus de quatorze alinéas, tous plus indigestes les uns que les autres, et dont certains sont d'une qualité plus que douteuse.

Restons-en aux principes généraux et laissons aux juges le pouvoir de faire évoluer le droit, sauf lorsque des évolutions s'imposent. Il ne faut donc pas rechercher par quoi doit commencer la réforme du Code du travail, tant les matières à rénover sont nombreuses.

Il faudrait, en revanche, qu'une réflexion plus approfondie précède chaque réforme et que soient prohibés les amendements purement ponctuels indépendants de cette dernière, comme l'article 38 de la loi du 4 mai 2004, codifié à l'article L 132-5-1, qui va rendre incohérente la détermination de la convention applicable à une entreprise, alors que la jurisprudence avait dégagé des règles stables et opérationnelles.

La collaboration, comme pour les réformes du Code civil, d'experts qualifiés dans l'élaboration de projets de réforme d'ensemble paraît enfin indispensable.

« Dans ce projet de recodification, il y a sans doute l'espoir que le contenant revu remodèle le contenu. »

ANTOINE LYON-CAEN Professeur à l'université Paris X-Nanterre

Que le Parlement, saisi sans relâche par le gouvernement de textes incertains, confie à ce même gouvernement le soin de réécrire son œuvre, voilà qui en dit long sur nos institutions.

En tout cas, ce n'est pas un exemple de transparence, car dans ce jeu de mistigri entre institutions, on finit par ne plus voir à qui sont imputables les malfaçons, les obscurités, les oublis, bref, tout ce qui est avancé comme justification de l'exercice annoncé par la loi, dite de simplification, du 9 décembre 2004, et lancé, le 16 février dernier, par le ministre délégué aux Relations du travail, Gérard Larcher.

L'exercice doit-il, dès lors, être pris au sérieux ? À coup sûr si l'on considère la qualité de ceux qui y sont conviés et le souhait du ministre de faire don du futur nouveau Code du travail à son ministère lors de la célébration de son prochain centenaire. Et pourtant, le doute s'installe aussi vite que la procédure. Car, de quoi s'agit-il ?

De réécrire le Code du travail à droit constant ? De revoir son plan ? D'harmoniser son vocabulaire ? De regrouper les dispositions qui méritent de l'être ? La Commission supérieure de la codification a toutes les qualités pour entreprendre pareil travail, surtout si elle bénéficie des lumières d'un groupe de « juslaboristes » éminents, sensibles à l'art de l'écriture juridique.

Mais, si le projet est de mise en ordre, pourquoi, comme l'a suggéré le ministre, envisager une codification de la jurisprudence, ambition d'une tout autre ampleur et d'une difficulté redoutable, à supposer qu'elle puisse aisément se prévaloir de l'habilitation conférée par la loi ?

Et, pourquoi avoir solennellement associé à la révision d'une compilation des représentants de tous les partenaires sociaux ? S'agit-il, avec eux, d'imaginer les fondations d'un nouveau Code du travail ? De procéder à l'improbable simplification de l'actuel ? Bref, de reprendre le travail là où l'a laissé la commission animée par Michel de Virville ? Dans ce cas, est-il bon de poursuivre l'aventure sous couvert de (re)codification à droit constant ?

Et espère-t-on sincèrement que les partenaires sociaux ont la capacité collective de faire œuvre commune de simplicité ? En fin de compte, il y a, sans doute, deux projets en un.

D'abord, un projet de (re)codification, dans le sens technique du terme, qui consiste à revoir une architecture, c'est-à-dire, avant tout, un plan de classement, mais aussi des formulations.

D'un autre côté, un espoir suffisamment timide pour être à peine perceptible, que dans cet « atelier d'ateliers » et autour de lui, les efforts de style amorcent de nouveaux récits, qu'un contenant revu remodèle le contenu, que des consensus, plus ou moins explicites, se forment sur des révisions substantielles.

Laissons le second projet, qui n'est peut-être qu'une illusion, et espérons que les exigences d'une (re)codification seront vite comprises. L'entreprise impose une discipline, au gouvernement et au Parlement en particulier, qui auront l'occasion de montrer leur sens de la discipline dès la discussion prochaine du projet de loi sur la sauvegarde des entreprises.