logo Info-Social RH
Se connecter
Newsletter

Vie des entreprises

Salarié, va donc chez Midas, et pas chez Speedy !

Vie des entreprises | MATCH | publié le : 01.11.1999 | Éric Béal

Pour le client, rien ne distingue Midas de Speedy. Mais, sur le plan social, les deux concurrents n'ont pas la même gestion des primes, des heures supplémentaires, ni la même conception du droit syndical. Au hit-parade de la gestion des ressources humaines, Midas arrive largement en tête.

Les frères ennemis de la réparation automobile ! Difficile de baptiser autrement Speedy et Midas, qui ont débarqué à la même époque sur le marché français. Né aux États-Unis, Midas arrive en France en 1976 en proposant aux automobilistes de changer immédiatement leur pot d'échappement, à toute heure du jour. Sur un concept identique importé du Canada, Speedy s'installe à son tour en 1978. Le succès de cette formule sans rendez-vous et l'élargissement des services offerts par les deux marques à l'ensemble des opérations d'entretien sont largement à l'origine de l'hécatombe des garagistes indépendants.

Loin de faire front commun. Speedy et Midas se livrent une belle bataille, à coups de campagnes publicitaires, d'offres alléchantes et d'ouvertures de centres. Longtemps leader en France, Midas s'est fait doubler par son challenger, qui a racheté Plein Pot et Virage, et compte aujourd'hui 375 points de réparation. Contre 330 pour Midas, qui a choisi principalement de se développer sous forme de franchises. L'enseigne ne possède en propre qu'un petit tiers de ses implantations et n'hésite pas à revendre ses company shops à des franchisé lorsque l'occasion se présente. Pour Jean-Pierre Dassieu, P-DG de Midas, « le franchisé est un indépendant qui met toute son énergie à atteindre ses objectifs ». Tandis que Gilles Chauveau, P-DG du réseau rouge et bleu de Speedy, reste attaché à la croissance interne. Speedy ne compte que 80 franchisés en France et l'enseigne conserve les meilleurs emplacements commerciaux sous son contrôle direct.

Un DRH est un perturbateur

Cette différence de stratégie n'est pas sans conséquence sur les effectifs. Fin 1998, Speedy comptait 1 386 salariés, alors que son concurrent n'employait que 648 personnes. Juridiquement, les 1 800 salariés des centres Midas franchisés ne font pas partie de l'entreprise. Paradoxalement, Speedy gère un personnel trois fois plus nombreux que son concurrent sans direction des ressources humaines, alors que la fonction existe depuis sept ans chez Midas. « Un DRH est souvent un perturbateur qui s'oppose aux décisions prises par les cadres opérationnels. Nous sommes organisés en petites structures autonomes. Un responsable des ressources humaines au niveau national mettrait la pagaille. Les chefs de centre, les directeurs de région et les directeurs d'exploitation prennent les décisions nécessaires. Je valide après coup », explique Gilles Chauveau. Fidèle à cette logique, le P-DG de Speedy a confié à José Garcia, son directeur d'exploitation France, la responsabilité de superviser la gestion du personnel et le recrutement.

À l'opposé, Midas s'est efforcé de construire une politique de gestion des ressources humaines. « Pendant les premières années, la gestion du personnel a été plutôt paternaliste et improvisée », concède Jean-Pierre Dassieu, le P-DG. À ses débuts, Midas connaît une croissance modérée, qui ne crée pas de gros besoins de recrutement ni de formation. L'éparpillement des centres de réparation pousse, par ailleurs, à une décentralisation de la gestion des ressources humaines. « Lorsque nous avons atteint une quarantaine de company shops, le nombre de salariés est devenu plus important et les difficultés ont commencé », souligne le P-DG de Midas. Entrés très jeunes dans l'entreprise, les salariés ont demandé par la suite à bénéficier d'un CE, du 1 % patronal et des prestations sociales « habituelles ». Parallèlement, la gamme de services proposés par Midas s'enrichit, rendant nécessaire la mise en place d'un mode de management et de formation plus élaboré.

Nommée responsable des ressources humaines en 1992, Béatrice Benassy est partie de zéro. « Je me suis d'abord attelée à l'organisation du travail administratif. Nous n'avions aucun papier en règle et une connaissance très approximative des caractéristiques de notre main-d'œuvre. » Ces tâches de première urgence ont été suivies d'une réflexion sur la grille des salaires et la progression des carrières. Midas a créé trois niveaux chez les monteurs permettant de récompenser l'expérience des plus anciens. Depuis trois ans, chaque employé bénéficie d'une évaluation annuelle réalisée par son supérieur hiérarchique et le niveau n + 1. Le système est encore en rodage mais des fiches d'évaluation ont été créées pour rationaliser le plus possible cette procédure. Selon la DRH, la création d'une « filière des métiers », sorte de grille des statuts, des compétences et des salaires, devrait ensuite donner des perspectives à tous les salariés de Midas. Annoncée depuis plus d'un an, la filière des métiers n'a toujours pas été présentée aux représentants du personnel. « Nous demandons l'établissement d'une grille des salaires depuis deux ans, explique Tania Lanquetin, élue FO au CE. Nous ne l'avons toujours pas obtenue, ni de négociation annuelle globale sur les salaires. Elles sont pourtant prévues par la loi. » Côté Speedy, la grille de compétences des mécaniciens comporte huit échelons, dont le dernier n'est accessible qu'au prix d'une formation interne. Là non plus, les augmentations salariales ne sont pas négociées.

Stress permanent

Du continent américain, ces garages de la nouvelle génération n'ont pas seulement repris le savoir-faire, mais également la culture du service : dans ce métier, le client est roi. Arrivé sans prévenir, il ne doit pas attendre. Pneus, pot d'échappement ou plaquettes de frein doivent être changés en respectant le forfait horaire et budgétaire promis. « Le stress est permanent, explique un employé de Midas. En moyenne, pour chaque prestation, nous disposons de deux fois moins de temps que les employés d'un garage classique. Généralement, le client surveille les opérations dans notre dos. Certains se croient même obligés de chronométrer le temps de réparation. » Principale conséquence, les horaires des employés sont bousculés en fonction du plan de charge journalier.

À Speedy comme à Midas, les déjeuners retardés et les journées de dix heures ou plus ne sont pas rares. Cette pression permanente est mal supportée par le personnel. Les deux réseaux déplorent un turnover important. La direction de Midas avoue 124 départs en 1998 et celle de Speedy 123. Mais, chez ce dernier, ces démissions se sont accompagnées de 127 licenciements, sans motif économique, que le P-DG justifie par la « mauvaise volonté » de salariés du réseau Virage, spécialisés dans la vente de matériel autoradio. Un certain nombre d'entre eux n'auraient pas accepté de se reconvertir en monteurs.

Pour motiver leurs troupes, les deux enseignes utilisent un système de bonification des salaires en fonction des résultats. À commencer par les chefs de centre et les directeurs régionaux qui bénéficient d'une prime calculée sur leur chiffre d'affaires. Très appréciées du personnel dans la mesure où les salaires bruts sont calculés au plus juste, les primes liées à l'activité commerciale créent cependant d'importants écarts de revenus. Suivant la région et l'activité du centre, la rémunération globale d'un monteur pourra varier de 2 000 à 3 000, voire 4 000 francs pour une tâche identique. Chez Speedy, les monteurs bonifient leur salaire d'une prime de 5 à 25 francs, en fonction de la pièce installée sur le véhicule du client. La grande liberté de management donnée aux chefs de centre permet à certains d'organiser un partage équitable de l'ensemble des primes. Mais le plus souvent, la concurrence est rude entre les membres d'une équipe pour effectuer les réparations les plus rémunératrices. Le système des primes ne fait pas l'unanimité chez les représentants syndicaux. « Les monteurs cumulent les heures supplémentaires pour augmenter leur salaire grâce aux primes. Ils ne se rendent pas compte que c'est un marché de dupes. Le résultat financier est loin de couvrir les heures effectuées », estime l'un d'entre eux. Le système de primes est identique chez Midas, mais son fonctionnement est beaucoup plus transparent. La prime sur l'activité personnelle est invariable (1,7 % sur le prix de chaque pièce montée) et les salariés bénéficient également d'une prime d'objectif en fonction de la performance de leur centre. Depuis quelques mois un accord d'intéressement au résultat global de l'entreprise vient compléter ce dispositif.

En dépit des apparences, les salariés de Midas ne sont pas tous contents de leur sort. Avec quarante ans d'expérience dans le métier et trois ans d'ancienneté dans l'entreprise, Michel Dupont, délégué du personnel CFDT, perçoit un salaire brut de 5 800 francs, correspondant au salaire de départ dans l'entreprise (contre 7 200 francs pour Speedy). Grâce aux primes, il parvient à dépasser le smic. « Quels que soient l'expérience ou le diplôme du candidat, le salaire proposé correspond à celui d'un aide-mécanicien. Sauf pour ceux qui ont la chance d'être embauchés dans un centre possédant une station-service. Dans ce cas, le salaire d'embauche atteint 6 400 francs brut. » D'où sa détermination au moment d'aborder les discussions sur la réduction du temps de travail. « Je veux que le salaire fixe soit équivalent au smic horaire. Et je suis déterminé à obtenir le paiement des heures supplémentaires entre 35 et 39 heures. »

Blocage sur les heures sup

Chez Speedy, les heures supplémentaires sont un sujet de contentieux. « Au moment de signer le contrat, on est averti oralement que les heures supplémentaires ne seront ni payées ni récupérées », indique un délégué du personnel. Ce que réfute la direction. « Ceux qui les ont réclamées ont été envoyés d'un centre à un autre, reconnaît un chef de centre de la région parisienne. Grâce à la clause de mobilité du contrat de travail, la direction peut demander à un employé de partir à l'autre bout du département. Beaucoup ont craqué et démissionné, avec ou sans dédommagement. » Car, en matière de flexibilité, les deux réseaux n'utilisent pas les mêmes méthodes.

Les centres Speedy comptent 3,5 employés en moyenne contre 5 pour ceux de Midas. Ces derniers respectent depuis peu les 39 heures hebdomadaires. Chez Speedy, en revanche, il ne s'agit que d'un horaire officiel… « J'ai dénombré au moins 80 centres tenus par trois personnes. Un chef, son adjoint et un mécanicien. Avec 64 heures ouvrables par semaine, comment voulez-vous ne pas multiplier les heures supplémentaires ? Quand un membre de l'équipe s'absente pour maladie ou congés, cela devient carrément insupportable », s'emporte un responsable de centre Speedy, qui dénonce une « tricherie permanente » sur les heures supplémentaires : « Au-delà de 39 heures effectuées dans la semaine, le nom d'un salarié n'apparaît plus dans l'effectif présent. Le chef de centre doit le signaler en repos. Mais cela n'empêche pas la personne de travailler. Un inspecteur du travail astucieux pourrait s'en rendre compte dans la mesure où les primes sont individualisées. Certains jours, les gens « en repos » continuent d'accumuler les primes sur les pièces montées dans l'atelier. »

Dans ces conditions, inutile de dire que le dialogue social est en souffrance dans le réseau Speedy. Permanent à la Fédération CFDT de la métallurgie, Joël Bienassis dénonce des pressions sur les syndicalistes. « Récemment, l'unique représentant de FO a été menacé par son directeur régional d'une suppression de sa prime s'il se rendait à la réunion du CE… Depuis que 50 % des représentants syndicaux élus au comité d'entreprise sont syndiqués CFDT ou FO, les choses se sont encore gâtées. » Au cas où une affaire de ce type viendrait à se reproduire, Jean Vesseron, délégué CFDT, et Joël Bienassis ont averti Gilles Chauveau, le P-DG de Speedy, que la Fédération CFDT de la métallurgie porterait plainte pour discrimination syndicale. En réponse, Gilles Chauveau leur a annoncé l'embauche prochaine d'un DRH… Sans garantie sur les changements éventuels apportés à sa politique de ressources humaines. « La gestion des ressources humaines, affirme un employé, se résume à une formule brutale : bosse et tais-toi. Ou bien : fiche le camp si tu n'es pas content. Les relations sont tellement mauvaises que, l'an dernier, la direction n'a même pas fêté les vingt ans de présence de l'enseigne en France. Le nombre de participants aux célébrations aurait été ridicule. »

Changements d'actionnaire

L'ambiance est plus sereine chez Midas. Les représentants FO, CGT et CFDT comme les non-syndiqués font état de bons rapports avec la direction. Si certains syndiqués évoquent des souvenirs désagréables, ils mettent cela sur le compte de managers plutôt musclés. « Il y a quelques années, j'ai connu les vexations et les provocations de mon chef de région et de mon chef de centre, explique José Ruiz, délégué du personnel CGT à Marseille. Cela ne s'est arrangé qu'avec leur départ. Depuis, les problèmes signalés à la DRH sont toujours rapidement réglés. » Un avis partagé par Tania Lanquetin, de FO. « La direction a mis un certain temps à accepter de fournir des informations sur les résultats financiers, les comptes sociaux ou simplement les conditions de travail. Et encore plus pour répondre à nos questions. Mais aujourd'hui, le contact est plutôt bon avec la DRH et le P-DG. Les pratiques évoluent petit à petit… »

En dépit de ces profondes différences de management et de culture sociale, les salariés des deux réseaux se rejoignent sur un point : beaucoup d'entre eux préfèrent travailler pour un franchisé que pour la maison mère. « Le salaire est plus élevé, explique José Ruiz, dont le centre Midas vient d'être acheté par un franchisé. Et l'ambiance est généralement meilleure. » L'explication tient à la difficulté de trouver des employés dynamiques et bien formés. « Lorsque le franchisé a constitué une équipe qui fonctionne bien, son intérêt est de la garder. Elle conditionne ses résultats financiers tout autant que l'image du réseau. » Quant aux avantages que peuvent procurer des groupes de la taille de Speedy et de Midas, ils sont encore minces. « Ils se résument au sapin de Noël pour les enfants et à quelques propositions de voyage. Je ne perds pas grand-chose en intégrant l'équipe d'un franchisé », indique José Ruiz. À Speedy, où le fonctionnement du CE est bloqué depuis l'élection des représentants CFDT et FO, le budget a été ramené à la portion congrue par la direction, et les services offerts aux salariés réduits d'autant.

Reste qu'un élément nouveau pourrait modifier la donne dans les deux enseignes. Racheté une première fois par Kwik Fit, une entreprise britannique, Speedy est passé dans le giron de Ford au début de l'année. Quelques mois auparavant, Midas Europe était tombé dans l'escarcelle de Fiat, par l'entremise de sa filiale Magneti Marelli. Les représentants des salariés de Speedy espèrent que ce changement d'actionnaire aura des conséquences significatives sur la politique sociale de l'entreprise. Quant aux délégués du personnel de Midas, ils espèrent une accélération du processus en cours. Mais les uns et les autres ne se font pas beaucoup d'illusions. Dans un secteur aussi concurrentiel que la réparation rapide, la recherche de la rentabilité l'emporte sur toute autre considération à caractère social.

Franchise ou maison mère

Salariés des centres en propre ou en franchise ne sont pas logés à la même enseigne.

Comme le Canada Dry, l'entreprise du franchisé porte le nom de Speedy ou de Midas, offre des services et des produits identiques, mais elle est juridiquement indépendante de la maison mère. Pour ses employés, la différence est primordiale. Ils sont rémunérés par une PME, généralement sans CE ni aucun des avantages sociaux d'une entreprise plus importante. Ils n'ont pas non plus le loisir de choisir un délégué du personnel, car rares sont les franchises de plus de 10 salariés. Chez Speedy et Midas, les employés d'un franchisé côtoient les salariés de la maison mère lorsqu'ils suivent une formation. Les deux réseaux ont en effet créé une école pour former leurs employés et ceux de leurs franchisés à la mécanique comme à l'accueil du client ou à l'utilisation du système informatique. Il y a quelques années, Midas a même créé une école de management pour unifier les pratiques au sein du réseau. Sur le plan social, le réseau propose également à ses franchisés d'adhérer à sa mutuelle pour faire bénéficier leurs employés des mêmes avantages. Reste qu'un franchiseur ne s'aventure jamais à se mêler de la gestion du personnel de son franchisé. En cas de désaccord avec ce dernier, il risquerait d'être obligé d'annuler le contrat de franchise et d'intégrer le franchisé et son équipe dans ses effectifs.

Les 35 heures, c'est encore loin

À Midas comme à Speedy, la réduction du temps de travail est un sacré cactus. Aucun des deux réseaux n'a encore entamé de véritable discussion avec les représentants du personnel. Prudente, la direction de Midas attend le vote de la seconde loi pour faire des propositions aux partenaires sociaux. Le réseau a déjà fait un premier pas en supprimant le recours systématique aux heures supplémentaires, mais Jean-Pierre Dassieu souligne que les 35 heures créent un problème difficile à résoudre pour la réparation rapide. « L'effectif moyen de nos centres est de cinq personnes, chef de centre et adjoint compris. L'aménagement des horaires bloque vite sur les contraintes du service à la clientèle. » Du côté de Speedy, les réticences sont beaucoup plus fortes. La fermeture des petits centres non rentables a même été évoquée devant les représentants du personnel. Gilles Chauveau indique que « des tests ont déjà été réalisés sur quelques centres ». Dans son esprit, l'équation est simple : si le centre a une bonne profitabilité, l'entreprise embauchera pour compléter l'équipe. Sinon, ce sera la fermeture.

Auteur

  • Éric Béal