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Repères

Moins d'opacité et d'élitisme

Repères | publié le : 01.11.1999 | Denis Boissard

La révélation du montant des stock-options attribuées à Philippe Jaffré lors de son départ de la présidence d'Elf (un pactole de 100 à 200 millions de plus-value potentielle) n'en finit pas de faire des vagues. L'émotion de l'opinion publique est légitime. Il y a quelque indécence à voir cette sorte de carotte virtuelle conçue pour permettre aux jeunes entreprises innovantes d'attirer des collaborateurs de talent auxquels elles ne peuvent au départ proposer que des salaires modiques, des horaires à rallonge et un avenir professionnel aléatoire, se transformer en moyen d'enrichir grassement et sans le moindre risque une petite caste de dirigeants de grands groupes confirmés, leur portefeuille d'actions à prix préférentiels surfant sur le boom des marchés boursiers.

Stigmatisant l'« obscurantisme » hexagonal, certains bons esprits font valoir que les patrons français sont encore loin d'être, dans ce domaine, aussi gourmands que leurs homologues américains. Certes. Mais le capitalisme anglo-saxon, et son cortège d'inégalités, doit-il forcément devenir le mètre étalon de nos pratiques managériales ? Outre-Atlantique, la vogue des stock-options a profondément élargi l'éventail des salaires.

Selon une récente étude de l'Institute for policy studies à Washington, le PDG américain percevait au début des années 80 une rémunération 40 fois plus élevée que celle du salarié moyen. L'écart est aujourd'hui colossal, le premier touchant un revenu… plus de 400 fois supérieur à celui du second.

L'autre aspect choquant dans le mécanisme des stock-options – telles que les pratiquent les grands groupes français cotés – est leur captation par une poignée de privilégiés, dont l'entreprise estime, en quelque sorte, qu'ils sont les seuls à pouvoir contribuer à la création de valeur pour l'actionnaire. À l'heure où les dirigeants d'entreprise se gargarisent, au moins dans le discours, de l'importance qu'ils attachent au capital humain, le message implicite qu'ils lancent paradoxalement à la grande masse de leurs collaborateurs est que leur contribution est considérée comme négligeable pour la bonne marche de l'entreprise. Ou du moins pas suffisamment importante pour leur permettre d'accéder à la forme motivante de rémunération dont bénéficient les heureux élus qui les dirigent.

Dernier inconvénient et non des moindres : la détention d'un confortable portefeuille de stock-options peut inciter le cadre dirigeant à effectuer, au nom des intérêts bien compris de ses actionnaires et des siens propres, des arbitrages qui seront plus favorables à l'envolée à court terme du cours de Bourse (et donc à la plus-value qu'il espère réaliser) qu'à la stratégie industrielle à moyen et long terme de l'entreprise. Une décision de fusion-acquisition, un programme de rachat d'actions, la résistance à une OPE, ou l'annonce d'une charrette particulièrement destructrice d'emplois sont autant de façons « astucieuses » de doper momentanément le cours d'un titre.

L'affaire Jaffré a suscité un joli cafouillage dans les rangs socialistes. Refusant d'avaliser une réaction à chaud par un amendement de circonstance, le gouvernement a sagement renvoyé le traitement du dossier à la vaste réforme de l'épargne salariale qu'il entend faire adopter l'an prochain (voir sur ce point l'interview de Dominique Strauss-Kahn, p. 32). Quels principes faudrait-il mettre en œuvre ? Tout d'abord la transparence. Difficile d'adopter les avantages du capitalisme anglo-saxon, tout en refusant les règles de fonctionnement qui le régulent. Or, à l'inverse des pratiques en vigueur dans les sociétés américaines et britanniques, l'opacité est aujourd'hui de mise dans l'attribution nominative des stock-options et leur montant au sein des entreprises françaises. Leurs dirigeants défendent mordicus l'adage « pour vivre heureux, vivons cachés ». En assurant une forme de contrôle social sur le système, la divulgation des sommes distribuées et de leurs bénéficiaires serait vraisemblablement la meilleure façon de lutter contre ses excès.

Autre piste à explorer : la généralisation des stock-options ou d'un dispositif similaire d'actionnariat des salariés. Dans une économie où l'actionnaire est roi, dans une période de vaches maigres pour les salaires et de vaches grasses pour les revenus boursiers, il est peut-être temps de revoir les frontières entre capital et travail, quitte à hérisser le poil des ultimes tenants d'un marxisme pur et dur. Tout d'abord parce qu'il n'y a aucune raison pour que les salariés ne bénéficient pas peu ou prou de la valeur ajoutée qu'ils ont contribuée à créer. Ensuite parce que leur participation au capital de l'entreprise est sans doute la meilleure façon de peser sur les arbitrages en matière d'investissement et d'emploi. Là encore, la France a du chemin à faire. Dans l'Hexagone, les salariés détiennent en moyenne à peine 3 % du capital des sociétés cotées, contre 15 % pour leurs homologues américains.

Auteur

  • Denis Boissard