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Débat

Faut-il à nouveau durcir la législation sur les plans sociaux ?

Débat | publié le : 01.11.1999 |

La polémique créée par les 7 500 suppressions d'emplois chez Michelin a conduit Lionel Jospin à annoncer trois mesures : le guichet des préretraites du FNE sera fermé aux entreprises en bonne santé ; un accord de RTT devra être négocié préalablement à tout plan social ; un dispositif de bonus-malus pourrait pénaliser les entreprises qui abusent des plans sociaux. Que penser de ce tour de vis ? La réponse de trois experts.

" Pas d'interventionnisme de l'État dans ce qui doit relever de la négociation collective "

ALAIN SAURET Avocat-conseil en droit social chez J. Barthélémy et Associés.

Jusqu'où doit-on contrôler les licenciements économiques dans une économie de marché unanimement admise ? Il peut sembler singulier qu'une telle interrogation soit encore pertinente – quinze ans après la suppression de l'autorisation administrative de licenciement. Dans un temps où les juges contrôlent le motif, sa réalité, sa portée, la pertinence et la proportionnalité du plan social, alors qu'une procédure particulièrement minutieuse confère aux partenaires sociaux le pouvoir de dire « non », que peut-on encore imaginer pour durcir les plans sociaux ? N'est-ce pas oublier un peu vite que le plan social n'est pas nécessairement une machine de guerre contre les salariés mais le moyen de réduire les conséquences sociales néfastes des licenciements par les mesures d'accompagnement qu'il implique.

Mais la véritable préoccupation du moment n'est pas là. La nouveauté réside dans la « découverte » qu'une entreprise peut à la fois faire des profits et procéder à des licenciements. Faut-il se borner à dénoncer le « scandale de l'horreur économique » ou faut-il rechercher les points de convergence nécessaires entre une logique économique incontournable et la logique sociale souhaitable ? Dans la recherche de cette logique sociale, la tentation est forte d'administrer l'économie. Si l'on en croit de récentes déclarations du Premier ministre, il s'agit là d'un risque que les pouvoirs publics n'entendent pas assumer. On ne peut qu'approuver cette orientation. Si appliquer une législation du travail protectrice des intérêts légitimes des salariés est du devoir de l'État, la marche de l'entreprise relève davantage de la négociation entre le chef d'entreprise et les partenaires sociaux. Les récentes mesures proposées en vue de durcir les plans sociaux conduisent pourtant à se demander si on n'assiste pas à un retour de l'interventionnisme de l'État dans ce qui est du domaine de la négociation collective. L'exemple en est fourni par le fait que la négociation d'un accord sur la réduction du temps de travail serait désormais obligatoire pour élaborer un plan social. Si l'expérience montre qu'il ne s'agit pas d'une nouveauté (depuis la loi Robien, la plupart des plans sociaux comportent une dose de réduction du temps de travail), il est malsain de confondre ce qui relève logiquement d'un accord collectif et ce qui sera désormais imposé par l'État. Il avait été dit que l'évolution souhaitable et naturelle du plan social résiderait dans la transformation d'une décision unilatérale en un accord avec les partenaires sociaux. C'est effectivement une voie opportune. On peut se demander, en revanche, s'il est opportun de faire peser sur le chef d'entreprise des contraintes, d'ordre réglementaire, qui obèrent au départ toute négociation.

Il existera alors moins de possibilités d'orienter le plan social vers un accord. Et cela conduira en retour vers une décision unilatérale, a priori suspecte pour les partenaires sociaux. Une telle orientation n'est guère souhaitable si l'on entend parvenir à des plans sociaux dont les modalités seraient suffisamment négociées et acceptées par les partenaires sociaux pour ne pas se transformer en mois ou en années de procédure. Ce n'est pas en agissant ainsi que l'on réconciliera logique économique et logique sociale.

« Il faut inciter à s'interroger sur les fondements de la décision de réduction des effectifs. »

RACHEL BEAUJOLIN Consultante et chercheuse en gestion, auteur des « Vertiges de l'emploi : l'entreprise face aux réductions d'effectifs », Grasset- « Le Monde », 1999.

La décision de réduction des effectifs fonctionne comme une machine de gestion : elle se propage à l'identique dans de nombreuses entreprises ; une fois enclenchée, elle devient irréversible ; les effets qu'elle provoque sur l'équilibre général du système sont ignorés. Les obstacles à sa mise en œuvre sont finalement toujours déjoués. À tel point que cette décision s'est peu à peu standardisée, s'imposant dans bien des cas comme une solution instantanée face à une exigence d'amélioration ou de restauration de la rentabilité à court terme d'une entreprise. Elle est ainsi l'expression d'une logique financière qui consiste à agir sur l'emploi comme variable d'ajustement pour réduire les coûts, et ce, à un coût considéré comme acceptable. Cette mécanique ne tient pas compte des effets qu'elle produit sur les hommes et sur les organisations. Les effets à moyen terme de cette décision ne sont pas évalués et la machine tourne en roue libre : elle n'intègre à aucun moment du raisonnement ses coûts induits pour l'entreprise et pour la cité.

Face à l'emballement des systèmes de gestion, la régulation sociale de cette décision se réduit à un aménagement des licenciements. Le plan social concentre toutes les attentions mais, dans les faits, il ne revient qu'à négocier les modalités d'accompagnement d'une décision déjà entérinée. À ce titre, le dispositif de préretraite comporte l'avantage d'assurer un fort consensus social et la paix qui l'accompagne, quel qu'en soit le prix à payer pour la société. Si les freins ont lâché et même s'ils coûtent très cher, c'est parce qu'ils ne sont actionnés qu'une fois la machine lancée à toute vitesse ; c'est aussi parce que le débat sur les critères de la prise de décision en matière de réduction des effectifs est à chaque fois évincé, laissant cette décision livrée à elle-même dans sa banalisation.

Or c'est cette banalisation d'une décision douloureuse pour tous qui devient intolérable. La régulation sociale se concentre sur l'aval de la décision. Pour tenter d'enrayer cette course à l'allégement, il lui faut se centrer sur l'amont. Il s'agirait alors bien plus d'inciter à l'interrogation des fondements de la décision de réduction des effectifs. Que signifierait par exemple non pas de taxer des « abus », mais de subordonner toute subvention à une mise en débat des critères de la performance de l'entreprise, voire à l'élaboration d'alternatives aux seules réductions d'effectifs comme gage de saine gestion ?

Cela permettrait dans un premier temps de mieux cerner la notion d'« abus » en la matière. Puis on se donnerait les moyens de faire émerger une réflexion sur les effets à moyen terme des décisions prises ; une anticipation des entreprises portant davantage sur les compétences à déployer que sur les effectifs à maîtriser ; une prise en compte dans les calculs de performance des coûts induits de décisions de court terme ; une introduction dans le raisonnement du coût des externalités négatives produites par les destructions d'emplois. Ce sont là des nécessités pour repenser la régulation sociale en matière d'emploi.

« Un encadrement légal s'impose, l'opinion l'exige. Mais il faut des lois simples et cohérentes. »

GÉRARD LYON-CAEN Professeur émérite à l'université Paris I.

Dans un régime de liberté économique, ni le gouvernement, ni son administration n'ont à intervenir dans les décisions des chefs d'entreprise. L'autorisation administrative de licencier était une hérésie inefficace. Mais la loi doit poser des règles claires que les tribunaux (de plus en plus fréquemment saisis) ont pour mission de faire respecter, y compris en annulant telle ou telle clause d'un accord collectif (1) ou tel licenciement.

La loi a défini le régime du licenciement économique. Les juges contrôlent strictement la réalité et le sérieux de la cause à l'origine du licenciement et écartent par exemple le simple désir de réduire les coûts salariaux ou la volonté de majorer les profits.

La loi pouvait être encore amendée en vue d'éviter, comme l'a souhaité le Premier ministre, des abus. Ainsi les superdividendes (15 % du capital investi), mis en corrélation avec des licenciements collectifs en vue de comprimer la masse salariale, constituent le contraire d'une justification du licenciement ; plutôt un enrichissement indu. Un encadrement légal s'impose, l'opinion l'exige. On peut imaginer soit de « présumer sans cause réelle et sérieuse les licenciements effectués alors que l'entreprise annonce des distributions de dividendes », soit de mettre en place un procédé faisant varier le montant de la cotisation d'assurance chômage en fonction de l'intensité du risque. Après tout, l'entreprise doit rembourser les indemnités de chômage aux Assedic en cas d'absence de cause réelle et sérieuse (C. trav., art. L. 122-14-4, al. 2) ; et c'est ainsi que se finance toute entreprise d'assurance. Certes la mise en œuvre appartiendra aux gestionnaires de l'Unedic. Mais le législateur dit déjà clairement (C. trav., art. L. 351-3-4) : « L'allocation d'assurance est financée par des contributions… assises sur les rémunérations. » Il lui suffira d'ajouter : « Ces contributions sont nécessairement proportionnelles à l'intensité du risque. » Le principe est également parfaitement applicable en cas d'usage systématique de contrats à durée déterminée ou de missions d'intérim. Inutile, donc, de parler de bonus-malus.

La contradiction du libéralisme est de s'accommoder des aides de l'État. Celles-ci seraient à revoir entièrement, leur régularité étant au surplus toujours douteuse. Les aides aux licenciements collectifs (aux plans sociaux) devraient, au moins dans un premier temps, être réservées aux entreprises défaillantes. Le FNE (Fonds national de l'emploi, créé en 1963) a été détourné de ses objectifs d'origine.

Quant à l'idée de subordonner la validité d'un plan social à la conclusion préalable d'un accord sur les 35 heures, il m'apparaît que c'est déjà ce qu'exige la loi (C. trav., art. L. 321-4-1). Tout plan social doit prévoir « des mesures de réduction et d'aménagement de la durée du travail ». Il est, sinon, annulable par le juge et les licenciements subséquents annulés. Que souhaiter de plus ?

Conclusion : il faut des lois simples et cohérentes. Sans elles, pas de marché digne de ce nom, mais une foire… d'empoigne.

(1) Annulation récente par les tribunaux de grande instance de clauses relatives à la rémunération forfaitaire des cadres ou a l'imputation du temps de formation sur le temps de repos.

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