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Vie des entreprises

Olivier Marembaud soigne la sécurité des conducteurs de Keolis

Vie des entreprises | METHODE | publié le : 01.02.2005 | Isabelle Moreau

Des collectivités locales intraitables lors des appels d'offres, une conflictualité importante, une insécurité élevée… la gestion du groupe de transports urbains Keolis n'est pas une sinécure. Priorité d'Olivier Marembaud, outre la protection de ses roulants : offrir de vraies perspectives de carrière.

Champagne ! Après Lille, Lyon et Nîmes, la ville de Cahors a reconduit, au début du mois de janvier, son contrat avec Keolis, premier opérateur de transport public de voyageurs en France. Né en 2001 de la fusion de Cariane et de Via GTI, le groupe vient d'être racheté en septembre 2004, via un LBO (leverage buy out), par la société d'investissement 3i qui détient désormais 52,5 % du capital. La SNCF, à travers sa holding SNCF Participations, conserve 44,5 % du capital et les cadres de Keolis deviennent actionnaires à hauteur de 3 %. Pour son P-DG, Olivier Marembaud, une ère nouvelle s'ouvre, avec, à l'horizon 2008, la perspective d'une introduction en Bourse.

Présent dans huit pays d'Europe et au Canada, Keolis est la tête de pont d'un réseau d'environ 200 filiales employant 23 000 salariés en France, dont plus de 20 000 conducteurs. Délégataire de service public, il est tenu, pour remporter ou renouveler les contrats avec les collectivités locales, d'offrir la meilleure qualité de service au meilleur coût. Mais, entreprise de main-d'œuvre, il doit aussi tenir compte des attentes de ses conducteurs, dont les conditions de travail sont parfois difficiles, et composer avec des syndicats qui n'hésitent pas à recourir à la grève pour faire entendre leurs revendications. La tâche n'est donc pas de tout repos pour Olivier Marembaud.

1 JOUER LA CARTE SOCIALE AUPRÈS DES COLLECTIVITÉS

De justesse. En conservant au finish fin 2004 le contrat de Lyon, premier réseau de transport urbain en province (avec 4 300 salariés, dont 2 700 conducteurs), Keolis garde sa place de leader sur le marché du transport devant Connex (filiale de Veolia Environnement) et Transdev (filiale de la Caisse des dépôts). Mais le feuilleton, qui s'est déroulé sur fond de bataille politique et de pressions syndicales, a failli mal finir. Son principal concurrent, la RATP, associée à Transdev, bénéficiait du soutien d'élus de l'agglomération lyonnaise, dirigée par la majorité, qui auraient vu d'un bon œil l'arrivée sur leurs terres de l'entreprise dirigée par l'ancienne ministre UDF Anne-Marie Idrac. Tandis que le sénateur maire PS de Lyon, Gérard Collomb, ne cachait pas sa préférence pour l'opérateur en place. De leur côté, les organisations syndicales ajoutaient de l'huile sur le feu, affichant clairement leur défiance à l'égard de Keolis et, surtout, de sa direction lyonnaise. L'une des conditions sine qua non de la reconduction du contrat a d'ailleurs été le départ de l'équipe dirigeante. Autant dire que le nouveau patron de la Société lyonnaise de transports en commun (SLTC), Jean-Pierre Farandou, ancien directeur régional de la SNCF à Lyon, est attendu au tournant.

Si les critères sociaux ont été aussi déterminants dans l'issue de cet appel d'offres, c'est que la SLTC a connu une très forte conflictualité au cours des dernières années. En 2002, l'agglomération lyonnaise a notamment été totalement paralysée par un conflit dans le réseau de bus, tramway et métro. « C'est bel et bien la politique du groupe qui est responsable de cet état de fait », écrivait la CGT, majoritaire à la SLTC, en décembre 2004 dans son journal d'entreprise en guise d'avertissement pour la future direction. Un conflit salarial qui a laissé des traces, y compris dans les comptes de l'entreprise, puisque, selon Serge Bellard, délégué syndical CFE-CGC, « Keolis perdait environ 150 000 euros par jour de grève ». Pas facile de gérer les conflits pour les entreprises délégataires de transports face à des syndicats durs et à des élus en première ligne devant la colère des usagers.

« L'autorité organisatrice nous demande généralement de ne pas lâcher devant les syndicats durant les premières semaines, puis, comme cela devient intenable, elle nous presse de donner suite aux revendications », raconte un cadre de l'entreprise. C'est pourquoi le dispositif d'alarme sociale qui existe à la RATP avait séduit certains élus locaux. Mais il aurait coûté la modique somme de 3 millions d'euros par an, selon un proche du dossier.

Il reste qu'investir dans le social s'avère payant. Comme dans l'agglomération de Nîmes, où le volet social était clairement énoncé dans l'appel d'offres remporté, mi-décembre 2004, par la Société des transports en commun nîmois (STCN), filiale de Keolis. « Le cahier des charges était très précis, reconnaît Jean-Luc Louis, chef de projet au secteur transport de Nîmes Métropole. Il comportait des garde-fous pour maintenir la sécurité et le contrat social. Le personnel avait beaucoup souffert et il aurait été impensable de revenir en arrière. »

« Depuis que la sécurité est revenue, on connaît une stabilité sociale importante. Certes, tout cela a un coût, mais il n'y a plus eu de grève depuis 2002 », souligne Vivian Mayor, maire adjoint de Marguerittes, commune de l'agglomération nîmoise.

2 GARANTIR LA SÉCURITÉ DES CONDUCTEURS

Sur le chapitre de l'insécurité, Jean-Louis, 59 ans passés, conducteur en préretraite progressive, est intarissable. Il faut dire que dans les années 90 les contrôleurs ne venaient même plus dans la ZUP nord de Nîmes, un quartier où les conducteurs étaient victimes de multiples agressions, caillassages et insultes en tout genre. « On m'a même agressé au cutter », poursuit Jean-Louis. Une époque aujourd'hui révolue. « C'est même un plaisir de venir travailler », affirme Mahmoud, 36 ans, salarié de la STCN depuis deux ans.

Mais, avec une séquestration des dirigeants de la STCN en 1998, cinq semaines de grève en 1999 et un taux d'absentéisme de 20 % chez les conducteurs pendant cette période, Nîmes revient de très loin. « Il a fallu qu'on touche le fond pour que l'on puisse se mettre autour d'une table », reconnaît Monique Desch, DRH de la STCN. Le préfet de l'époque, Michel Gaudin, père de la police de proximité, et l'ancien patron de la STCN, Jean-Bernard Prim, vont prendre le dossier à bras-le-corps. « Le directeur est allé sur le terrain et a entraîné tout le monde derrière lui », raconte Pierre Fouert, délégué syndical SUD. « J'ai pu constater qu'il y avait une véritable souffrance au travail », confirme Jean-Bernard Prim. Épaulé par l'État et la ville, il décide de faire de la lutte contre l'insécurité un projet d'entreprise, en y associant les syndicats qui acceptent de participer à des assises du transport en octobre 1999.

Soutenue par la préfecture, la ville, la police et les syndicats, la STCN met les bouchées doubles : le réseau nîmois de transport diffuse un guide des pratiques des conducteurs, assure un suivi des bus par GPS, équipe ses véhicules d'un boîtier à touches permettant de signaler une infraction en fonction de sa gravité, crée des équipes d'intervention mixtes (conducteur, agent de maîtrise et vérificateurs) dotées de voitures équipées d'un écran relié au PC, recrute une vingtaine de personnes pour la sécurité et 15 agents d'ambiance…

Mis en place en septembre 2000, le projet a des effets immédiats : l'absentéisme chute de 14 % à 6,5 % en quelques semaines tandis que le nombre d'usagers progresse de 50 %. Aujourd'hui, Nîmes est incontestablement la vitrine du groupe en matière de lutte contre l'insécurité. Et on ne compte plus les responsables de filiale qui ont fait le déplacement dans le Gard. Transpole, la filiale lilloise (2 000 salariés dont 700 conducteurs), a délégué sur place des représentants de la direction et des syndicats pour écouter la direction nîmoise et les syndicats de la STCN exposer d'une même voix leur démarche.

À Lille, « le métro automatique, ouvert, sans ligne de compostage et sans véritable contrôle, était devenu un univers déshumanisé favorisant les problèmes d'insécurité et de violence en 2001-2002. Ce qui a eu ensuite des répercussions sur le réseau de bus », explique Frédéric Mazeaud, directeur général adjoint de Transpole. Neuf mois auront été nécessaires pour élaborer un diagnostic partagé avec des groupes d'échange accompagnés par un cabinet de conseil avant qu'un projet, baptisé Abord, soit lancé en janvier 2004.

Finalement, on retrouve la recette nîmoise déclinée à la saucelilloise : fusion des équipes de contrôle et de médiation, création de 32 postes de travail axés sur la sécurité, campagne de communication pour inciter le public à monter par l'avant des véhicules, élaboration d'un guide des pratiques des conducteurs… Là aussi, la méthode s'avère concluante, même s'il reste du chemin à faire en installant le « barriérage » dans le métro et en incitant les conducteurs à réclamer davantage les titres de transport.

3 AJUSTER LA GRH AU PLUS PRÈS DU TERRAIN

Dans le groupe Keolis, chaque filiale est maîtresse chez elle. « Chaque entreprise a son histoire et ses rapports de force. Si l'on met de côté la RATP, c'est vrai que Nîmes représente un îlot d'acquis sociaux par rapport à la profession », se félicite William Domenech, délégué syndical CGT. Et par rapport à nombre d'autres filiales, en raison du dialogue social décentralisé en vigueur dans le groupe. Les 35 heures en sont le parfait reflet. « Il y a eu un accord-cadre et chaque filiale a ensuite fait ce qu'elle a voulu », précise Charles Morit, permanent à la FGTE-CFDT et détaché des Courriers mosellans. « Chez Cariane Atlantique, par exemple, l'accord sur les 35 heures a favorisé le temps complet, ce qui est assez rare dans le transport interurbain où le temps partiel est très développé. Cela nous a permis defidéliser le personnel », explique Isabelle Jochaud, déléguée syndicale CFDT. Transpole, à Lille, a adopté la semaine de travail de 38 heures, avec 17,7 jours de RTT.

Qu'il s'agisse de temps de travail ou de salaires, toutes les négociations sont menées au sein des instances représentatives du personnel de chaque filiale puisqu'il n'existe pas de comité de groupe. Une réflexion est en revanche en cours pour mettre en place un comité central européen informel, indique Éric Asselin, le DRH groupe. Une instance de coordination qui aurait vocation à donner des informations d'ordre économique aux salariés des filiales françaises et étrangères. Responsable de l'interKeolis (qui réunit les délégués cédétistes des filiales), Charles Morit milite pour la création d'une telle instance mais souhaite aussi que le groupe propose une mutuelle et un régime de prévoyance communs afin de lisser les disparités entre filiales.

Seules les politiques de recrutement et de formation sont déclinées au niveau du groupe, tout comme la gestion des cadres. Les deux tiers des actions de formation sont consacrées à la formation initiale, et notamment à l'obtention du permis D, du titre professionnel de conducteur urbain de voyageur, ou d'agent commercial de conduite en transport urbain de voyageurs. Si le groupe mise beaucoup sur la formation initiale en intégrant des jeunes dans l'entreprise, notamment par le biais des contrats en alternance, il dispense aussi de la formation continue de type comportementale, par exemple sur la prévention des conflits, pour les conducteurs. Ceci sans oublier « les formations aux métiers techniques ou axées sur la gestion commerciale, la gestion des conflits », ajoute Didier Ozanne, responsable de formation à Transpole.

Cible privilégiée du groupe depuis l'entrée de 3i dans le capital de Keolis, les cadres supérieurs peuvent devenir actionnaires de l'entreprise. Ce cercle restreint d'une centaine de personnes pourrait à terme s'élargir. Le groupe réfléchit en effet à une extension du dispositif sous forme d'un fonds commun de placement pour les cadres opérationnels salariés de Keolis, sur la base du volontariat. Des cadres qui bénéficient d'une charte de mobilité qui leur permet tous les trois à quatre ans de tourner dans le réseau. Ils peuvent aussi profiter d'opportunités à l'international, où le groupe se développe de plus en plus.

4 COMPOSER AVEC DEUX CONVENTIONS COLLECTIVES

Conducteur de bus à Transport Armor Express (TAE, 320 salariés) depuis dix-huit ans, Christian Guillimin travaille dans le transport interurbain. Il achemine notamment les ouvriers de l'usine PSA de Rennes. À ce titre, il relève de la convention collective des transports de voyageurs, beaucoup moins avantageuse que celle des transports urbains. Des écarts de traitement qui s'expliquent par des différences sensibles de conditions de travail. « Dans l'urbain, les conducteurs conduisent, par nature, en ville. Ils sont stressés, ils ont des plages horaires beaucoup plus larges et rencontrent davantage de problèmes d'insécurité. Dans l'interurbain, c'est essentiellement du ramassage scolaire. Il y a beaucoup de temps partiel, c'est moins dur », précise Guy Vermeesch, secrétaire du Syndicat national des transports urbains SNTU-CFDT.

Il reste que les conducteurs de l'interurbain lorgnent en permanence les avantages de leurs collègues de l'urbain. « De nombreux salariés de TAE veulent entrer à la Société des transports urbains de Rennes (Stur) car les salaires y sont supérieurs d'environ 300 euros. Jusqu'à présent, il y avait une règle tacite : ne pas embaucher de personnel de l'interurbain car ce serait déshabiller Pierre pour habiller Paul. Mais, aujourd'hui, la société manque de bras et les candidatures affluent de l'interurbain », indique Christian Guillimin, délégué syndical FO chez TAE.

La modicité du salaire est la principale raison invoquée par ceux qui veulent quitter l'entreprise. À 49 ans, Christian Guillimin gagne, dans le transport interurbain, 1 145 euros net sur treize mois. À titre de comparaison, William Domenech, conducteur dans l'urbain à Nîmes, gagne 1 830 euros net sur treize mois. Mais le plus difficile à admettre pour Christian, c'est qu'il lui arrive de travailler en zone urbaine. « Dès qu'il y a un service de week-end à assurer, la Stur préfère nous le sous-traiter », explique-t-il, car la direction craint, selon lui, la réaction d'une CGT très puissante. « Il y a certes des problèmes de recoupement avec l'urbain, mais c'est marginal par rapport à l'ensemble », estime pour sa part le P-DG de Keolis, Olivier Marembaud, qui précise que la branche n'est pas dans une logique d'unification des conventions collectives.

« S'il reste encore 20 % de différence, l'écart se resserre », ajoute Monique Desch, la DRH de la STCN, à Nîmes. Depuis la signature de l'accord voyageurs d'avril 2002, appliqué sur le terrain depuis septembre 2004, la situation s'est en effet améliorée. « Même si c'est encore insuffisant, cet accord, qui a notamment instauré un treizième mois, constitue une avancée énorme par rapport à la convention collective qui n'a pas évolué depuis 1997 », reconnaît Charles Morit, de la CFDT, le seul syndicat à avoir signé le texte. « Depuis avril 2002, nous avons globalement obtenu une augmentation des traitements et salaires de 18 % », se félicite Patrick Blaise, secrétaire général adjoint de l'union fédérale CFDT Route, qui l'a négociée.

Et de rappeler que si la balance penche en faveur de l'urbain sur les salaires, ce n'est pas vrai pour les retraites. Les conducteurs de l'interurbain peuvent en effet bénéficier d'un contrat de fin d'activité à 55 ans (sous certaines conditions), ce que réclamaient massivement les conducteurs de l'urbain, qui partent à 60 ans. Mais les mouvements de grève déclenchés sur l'ensemble du réseau il y a deux ans n'ont pas été couronnés de succès.

5 OFFRIR DES PERSPECTIVES D'ÉVOLUTION DE CARRIÈRE

Sauf en région parisienne, où la concurrence de la RATP et de ses avantages sociaux se fait durement sentir, Keolis n'a pas trop de mal pour recruter des conducteurs. Aux yeux de jeunes peu qualifiés, le métier paraît en effet un débouché plus séduisant que les jobs en plein air du bâtiment ou que les horaires décalés de la restauration. Houcine, 27 ans, vérificateur chez Tice (Transports intercommunaux centre Essonne), suit avec dix autres stagiaires âgésde18 à 27 ans une formation « Amis » (agents médiation-information-service) au centre Keolis de la région parisienne. Cette formation en alternance de quatre cent cinquante-cinq heures est, pour beaucoup, une étape pour devenir conducteur. Il leur faudra alors passer le permis D et suivre la formation initiale minimum obligatoire (Fimo).

C'est après que les choses se gâtent. « On a de plus en plus de mal à former des conducteurs en formation continue car il y a des problèmes de turnover », explique Corinne El Fassy, directrice adjointe du CFR de la région parisienne. Les conducteurs sont en effet de plus en plus nombreux à quitter le métier. « À la longue, le poste de conducteur entraîne une certaine lassitude », reconnaît Pascal Jacquesson, directeur de la STCN. Or les possibilités d'évolution professionnelle sontréduites. Ainsi, à Lyon par exemple, on compte 2 500 conducteurs pour… 300 agents de maîtrise. « Il n'existe aucun déroulement de carrière », confirme Guy Vermeesch, négociateur CFDT au niveau de la branche (UTP). Résultat, dans un métier où la seule évolution est souvent liée à l'ancienneté, la motivation va déclinant.

À Nîmes, les partenaires sociaux se sont déjà emparés du sujet : « Nous voulons définir des conditions d'évolution claires et partagées autour de l'idée d'un parcours obligatoire à suivre pour devenir agent de maîtrise », explique Monique Desch, la DRH. « Cela pourrait se faire selon un triptyque ancienneté, formation et dossier de l'agent », complète Serge Lantin, de la CGT, qui se veut optimiste en raison de la démarche engagée à la STCN sur les fins de carrière mais non encore formalisée. « Nous avons développé la polyvalence, qui concerne 20 % de l'effectif », explique Pascal Jacquesson. Les conducteurs peuvent être ainsi amenés à travailler dans les navettes périurbaines, plus calmes, à réaliser des enquêtes de qualité, des vérifications, etc.

De quoi alimenter les réflexions du groupe de travail sur le vieillissement des salariés coordonné par la DRH groupe. « Nous avons une pyramide des âges en dos de chameau, avec une population importante de conducteurs âgés de 53-55 ans, recrutés peu après le choc pétrolier, et des jeunes embauchés dans les années 90 comme agents d'ambiance », explique Éric Asselin, le DRH groupe. Autant dire que la DRH de Keolis voit arriver avec inquiétude la suppression des préretraites progressives (PRP) programmée pour la fin de l'année. Car offrir une seconde carrière aux très nombreux conducteurs vieillissants relève un peu de la quadrature du cercle.

Entretien avec Olivier Marembaud :
« La perspective d'une loi sur le service minimum est un bon aiguillon, mais je privilégie la négociation »

Bus, tramways et métros n'ont aucun secret pour Olivier Marembaud. Depuis bientôt quatre ans, cet ingénieur de 52 ans, diplômé des Mines de Nancy, dirige Keolis, premier opérateur privé de transport de voyageurs en France.

Auparavant, ce géant de près de 2 mètres a fait quasiment toute sa carrière à la SNCF. Il fut notamment DRH de Paris Nord, l'un des plus gros établissements de l'entreprise et l'un des plus durs sur le plan social. Il a également été directeur de cabinet de Loïk Le Floch-Prigent, ex-président de la SNCF, puis de son successeur, Louis Gallois, de 1996 à 1997, avant d'effectuer un bref passage à la tête de Frantour. Depuis 2003, il est vice-président de l'Union des transports publics et impulse, à ce titre, les négociations de la branche.

Keolis compte quelque 200 filiales. Peut-on insuffler une culture homogène dans un groupe aussi éclaté ?

Keolis est né en 2001 de la fusion de GTI et de Cariane, deux entreprises où existait une culture de gestion déléguée de service public et de réseau. Historiquement, le siège intervenait peu dans les questions industrielles. Il y avait une culture très transverse. Cela s'est poursuivi chez Keolis, où l'échange de bonnes pratiques est courant, notamment lorsqu'il y a un appel d'offres. Mais aujourd'hui, certains sujets de back office comme la gestion des roulements des conducteurs, la maintenance ou la politique d'achats relèvent en revanche d'une politique de groupe. C'est également vrai en matière de recrutement, de formation et de gestion des cadres. Le dialogue social est, en revanche, décentralisé et relève des filiales.

Il n'existe pas de comité de groupe chez Keolis. Je dois reconnaître que si la culture du groupe est forte dans l'encadrement, elle l'est beaucoup moins chez les conducteurs.

Lorsque vous remportez un appel d'offres, vous avez l'obligation de conserver le personnel en place. Est-ce une contrainte ?

De mon point de vue, c'est plutôt une opportunité, car la gestion des ruptures n'est pas simple dans les entreprises. Comme cela concerne essentiellement les conducteurs, cela permet d'associer ce qui est, au fond, la vie et l'histoire de l'entreprise avec de nouvelles règles de management, de nouveaux principes et un nouvel encadrement.

Quelle évolution de carrière proposez-vous à vos conducteurs après vingt ou trente ans de conduite ?

Nous devons trouver des perspectives d'évolution du métier, car la fonction de base d'une entreprise comme la nôtre est la conduite. Il n'y a pas de solution miracle qui consisterait à créer d'autres activités. L'idée est d'offrir aux conducteurs des prérogatives plus larges, comme le contrôle ou le tutorat.

Le vieillissement du personnel de conduite vous préoccupe-t-il ?

La réforme des retraites nous pose des problèmes difficiles à résoudre. Grâce aux différents dispositifs de départ en retraite anticipé, comme le PRP, les conducteurs avaient en effet une perspective de départ autour de 57 ans, ce qui ne sera plus le cas. Ce thème fera, tout comme celui de la pénibilité du travail, l'objet de négociations de branche qui s'annoncent d'ores et déjà délicates.

Avez-vous des difficultés de recrutement ?

Nous en connaissons essentiellement en région parisienne où nous subissons la concurrence de la RATP, qui propose des salaires plus élevés que les nôtres. La profession de conducteur souffre d'un déficit d'image. Reconnue par le passé, elle s'est dévalorisée au fil du temps. C'est pourquoi nous envisageons une campagne de communication pour revaloriser le métier.

Vos conducteurs sont confrontés à des problèmes d'insécurité, comment les résolvez-vous ?

Après avoir connu une période très dure dans les années 90, nous sommes aujourd'hui sur un palier. Mais la situation reste fragile. En interne, nous avons mené avec succès des plans d'action liés à la sécurité très importants, lesquels représentent jusqu'à 5 % du chiffre d'affaires dans certaines filiales. Ils consistent à privilégier la prévention grâce à la présence d'agents de médiation dans les bus, l'installation de boîtiers qui permettent au conducteur de signaler les incidents en fonction de leur gravité pour bénéficier d'une intervention graduée, une bonne connexion avec la police, une formation des conducteurs et la lutte contre la fraude. La doctrine de Keolis est de pacifier. Nous refusons ainsi d'avoir, comme la RATP, des équipes de sûreté internes.

Votre branche est aussi célèbre pour ses conflits du travail à répétition…

Dans notre métier, le syndicalisme est présent et le conflit très lisible. Du fait de la multiplicité des sites, il y a des annonces de grève assez fréquentes. Mais, lorsqu'on regarde le nombre de jours de grève par salarié par an, on constate qu'il est extrêmement bas, à hauteur de 0,1 jour. À Lyon, les traminots ont ainsi fait grève une heure par jour pendant trois mois en 2003. Même si le reste de l'entreprise est resté calme, ce conflit a eu un fort retentissement médiatique.

Avez-vous engagé une réflexion sur la prévention des conflits ?

Il y a une négociation de branche sur ce thème, ce qui me paraît être la bonne méthode. Les discussions portent sur deux aspects : la prévention du conflit et la prévisibilité du trafic. S'agissant du premier volet, l'idée consiste à bien faire fonctionner les instances, à prendre des engagements forts du côté des entreprises et à mettre en place une sorte de droit d'alerte qui permettrait aux parties d'engager un dialogue, clôturé par un relevé de conclusions public, connu de tous, y compris des usagers. Cela mettrait chacun des acteurs devant ses responsabilités. Le volet sur la prévisibilité du trafic est en revanche plus compliqué à négocier car il renvoie aux modalités d'organisation de la grève. Nous souhaitons avoir une capacité d'action contre les piquets de grève qui entravent la liberté du travail et pouvoir assurer un service garanti.

Souhaitez-vous une législation sur le service minimum dans les transports publics ?

Je suis partisan de la négociation parce que c'est comme cela que l'on fait évoluer les choses dans l'entreprise. Mais la perspective d'une loi, au cas où nous n'arriverions pas à nous mettre d'accord, est un bon aiguillon…

Que pensez-vous de la loi Fillon imposant un accord majoritaire ?

J'y suis favorable car il est souhaitable que les deux acteurs, que sont les entreprises et les syndicats, soient sur un pied d'égalité dans les responsabilités qu'ils prennent. En outre, je constate une forte évolution du syndicalisme avec une volonté des organisations, y compris la CGT, de s'asseoir autour de la table.

Êtes-vous favorable à l'assouplissement des 35 heures envisagé par le gouvernement ?

Les aménagements proposés répondent bien à la variété des aspirations des salariés. Chacun pourra effectuer son arbitrage personnel entre le temps et l'argent. Et, dans ce domaine, les souhaits des salariés ne sont pas identiques. Les cadres n'ont par exemple pas les mêmes priorités que les conducteurs. De surcroît, il faut tenir compte des différentes phases de la vie. Donner de la souplesse me paraît donc positif. Et si la possibilité nous en est ouverte, nous l'utiliserons très certainement.

Propos recueillis par Denis Boissard, Jean-Paul Coulange et Isabelle Moreau

Auteur

  • Isabelle Moreau