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Vie des entreprises

Courchevel et Les Arcs font course égale sur le social

Vie des entreprises | MATCH | publié le : 01.02.2005 | Stéphane Béchaux

Salaires supérieurs à la moyenne, contrats renouvelés d'année en année, avalanche de primes… À Courchevel et aux Arcs, les jobs saisonniers s'arrachent. Généralement confiés aux gens du cru. Mais la S3V et la SMA, les deux sociétés gestionnaires des remontées, commencent à mettre en place une GRH plus fine, à base d'individualisation et d'intéressement aux bénéfices.

Cette année encore, la neige a joué avec les nerfs des responsables des Arcs et de Courchevel. Mi-décembre, à trois jours de l'ouverture théorique des pistes, les pentes étaient encore désespérément vertes dans les deux stations de la Tarentaise, qui culminent pourtant à 3 000 mètres d'altitude. L'or blanc est finalement tombé en quantité à la veille des vacances de Noël. « On n'est pas passé très loin du chômage technique. Mais tous les ans c'est pareil », constate Jean-Yves Salle, directeur général de la Société Les Montagnes de l'Arc (SMA), qui exploite le domaine skiable des Arcs depuis la création de la station, en 1968. Un « ouf ! » de soulagement poussé, aussi, par Claude Faure, président du directoire de la Société des Trois Vallées (S3V), gestionnaire des pistes de Courchevel et Méribel-Mottaret.

Pour les saisonniers des deux entreprises – soit les trois quarts des troupes –, l'arrivée des premiers flocons a sifflé la fin des jobs dans la vallée, le plus souvent dans le BTP. Et le retour à un « emploi de même nature » que celui occupé l'an dernier, comme le stipule la convention collective qui, depuis trois ans, impose aux stations de reconduire les contrats saisonniers d'une année à l'autre. Une garantie d'emploi dont le personnel des Trois Vallées bénéficie depuis plus de vingt ans. Chaque mois de septembre, ses 505 saisonniers reçoivent à leur domicile leur contrat de travail, d'une durée de cent vingt-quatre jours minimum, avec une fourchette de dates d'embauche en fonction de l'enneigement. Une signature, en retour, conclut l'affaire. Aux Arcs, c'est l'inverse : c'est aux 343 saisonniers de faire savoir à la SMA, avant le 15 septembre, leur volonté de retravailler. La direction leur retourne alors un contrat d'une durée minimale de cent vingt-six jours.

700 candidatures pour 12 postes

Des procédures opposées, qui aboutissent au même résultat : dans les deux PME, les défections sont très rares, et l'ancienneté moyenne très élevée. « Il y a une très forte demande pour venir travailler à la S3V. Car l'hiver, l'activité économique s'arrête, en particulier dans le BTP », constate Philippe Zbitak, le délégué cédétiste de Courchevel. Même chose aux Arcs. « Les saisonniers réguliers cherchent tous à rentrer à la SMA. Les salaires horaires y sont nettement moins minables que dans les restaurants ou les commerces et la sécurité de l'emploi est garantie », explique Éric Silberstein, pisteur-secouriste arrivé en 1985 comme employé aux caisses. Cette année, la filiale de la Compagnie des Alpes a reçu pas moins de 700 lettres de candidature, pour 12 postes à pourvoir. À Courchevel, la sélection a été moins drastique. Sur les 210 CV parvenus sur le bureau du secrétaire général, Frédéric Bois, une quarantaine ont donné lieu à embauche.

Ces recrutements à la S3V profitent surtout aux candidats du cru. Une tradition vieille comme la maison, fondée en 1946 par le département de la Savoie qui en est toujours le principal actionnaire. « À compétences égales, on embauche local. Dans nos métiers, l'adaptation au milieu montagnard est un véritable atout. Et c'est en cohérence avec les attentes de nos clients, qui veulent de l'authenticité », justifie Frédéric Bois. Sur les fiches de recrutement, l'« aptitude au travail en milieu montagnard » figure donc toujours en tête des compétences « techniques » requises, loin devant les « connaissances particulières » en électricité ou en mécanique. Une politique de discrimination positive qui a le soutien du principal syndicat de l'entreprise, l'OCB, les Ouvriers du canton de Bozel, créé en 1991 par des dissidents de la CFDT.

Aux Arcs, pas de favoritisme. Officiellement tout du moins. « Les appareils de remontées mécaniques sont de plus en plus techniques. On cherche donc des jeunes avec un BTS ou un bac pro qui parlent aussi une langue étrangère », explique Martine Loszach, la DRH. Reste qu'embaucher des salariés de la vallée simplifie considérablement les problèmes de logement, particulièrement aigus dans la Tarentaise (voir encadré, page 44). Pour preuve, le trombinoscope des 445 salariés fait toujours la part belle aux noms à consonance savoyarde. Ce que la SMA pourrait se voir reprocher si Abdel Chedly va au bout de sa démarche. Recruté en CDD de remplacement l'hiver dernier, ce jeune Toulousain d'origine maghrébine a appris le 2 décembre la non-reconduction de son contrat, malgré les appréciations positives de sa hiérarchie. Il envisage désormais de porter l'affaire devant les tribunaux pour discrimination raciale.

Perchman pour commencer

Pour les quelques jeunes recrues qui décrochent le précieux sésame, le parcours professionnel est très balisé. Aux Arcs comme à Courchevel, on commence au bas de l'échelle, dans l'une des deux grandes filières d'emploi : les remontées mécaniques et les pistes. La première, qui concentre l'essentiel des troupes, n'exige aucun diplôme d'entrée. Les débutants y font leurs premières armes comme perchmen aux téléskis ou comme vigies chargées de surveiller l'arrivée des télésièges. Les évolutions se font ensuite à l'ancienneté, vers des appareils plus sophistiqués : télésièges à pince fixe, puis débrayables, télécabines… Les qualifications, acquises pour l'essentiel sur le tas, font l'objet d'une validation par le Syndicat national des téléphériques de France, qui délivre des attestations après examen écrit. Sauf que les carrières sont vite bloquées, les postes d'encadrement restant des denrées rares. « À l'exploitation, on est plus de 400. Autant dire qu'il n'y a pas de place de chef pour tout le monde, souligne Laurent Volvet, le délégué syndical de l'OCB. En plus, les critères de promotion sont de moins en moins clairs. »

Des rivalités tenaces

Plus élitistes, les métiers des pistes nécessitent, eux, un diplôme : le brevet d'État de pisteur-secouriste premier degré. Une formation de cent soixante heures, accessible aux titulaires de l'attestation de formation aux premiers secours (ex-brevet national de secourisme) ayant réussi deux épreuves techniques à ski. Après deux ans d'activité, les pisteurs peuvent passer leur deuxième degré, moyennant cent vingt heures de formation supplémentaires à l'École nationale de ski et d'alpinisme de Chamonix.

Puis se spécialiser comme artificiers, maîtres chien d'avalanche, observateurs nivométéorologistes ou conducteurs de chenillette. « Sur les pistes, on a une certaine cote. Les gens nous confondent un peu avec les moniteurs de l'ESF, alors qu'on est des larbins des neiges », confie l'un d'entre eux. Car leur activité principale consiste moins à redescendre les blessés en traîneau – aux Arcs, un pisteur réalise, en moyenne, une intervention par semaine – qu'à sécuriser le domaine skiable à l'aide de jalons, filets et autres panneaux signalétiques.

Dans l'ensemble des stations du massif alpin, les rivalités entre pisteurs et conducteurs de remontées mécaniques sont tenaces. En la matière, Courchevel et Les Arcs ne font pas exception. « Les pisteurs sont libres de leurs mouvements, pas les agents des remontées mécaniques. Si vous êtes à l'embarquement, vous pouvez passer la journée à l'ombre, alors qu'autour de vous tout le monde skie au soleil.

Ça peut être très frustrant », explique Éric Silberstein. Aux Arcs, les dissensions se retrouvent jusque dans les urnes : les pisteurs votent pour la CGT, les agents d'exploitation pour FO. Et pourtant, la direction fait de gros efforts pour combler le fossé. « On a revalorisé financièrement les métiers des remontées mécaniques.

Et on incite le personnel à se préoccuper davantage de la satisfaction des clients, pas seulement à jouer les gardes-barrières », confie Jean-Yves Salle. Des messages qui ne sont pas encore passés. À la SMA comme à la S3V, impossible de trouver un pisteur candidat aux remontées mécaniques. Sauf à y être contraint, en fin de carrière, par des genoux ou des lombaires qui crient grâce !

En matière de rémunération brute de base, pourtant, les écarts entre les deux filières ne sont guère significatifs. Tant à Courchevel qu'aux Arcs, qui affichent des politiques salariales identiques, très supérieures aux minima conventionnels. Aux Arcs, un pisteur premier degré démarre à 1 384 euros brut, contre 1 396 euros pour un conducteur de télésiège fixe. Une caissière débute à 1 419 euros, et un conducteur de dameuse à 1 355 euros. Des montants qui, à quelques euros près, égalent ceux des Trois Vallées. Idem pour l'ancienneté, qui, dans les deux massifs, représente 1 % par année d'ancienneté, plafonnée au bout de vingt ans de maison.

À ces rémunérations de base viennent s'ajouter des cascades de primes, nettement réévaluées par rapport aux minima de branche. Primes de langue, de benne, de déclenchement d'avalanche, de transport, d'équipement, d'incommodité, de panier, de sauvetage, de travail en hauteur, de dénivellation, de fin de saison, de contrôle, de caisse… Leur cumul peut atteindre plusieurs centaines d'euros par mois, en particulier pour les pisteurs. Au final, le salaire mensuel moyen descend très rarement au-dessous de 1 500 euros brut. « Dans l'absolu, c'est un montant correct. Mais la vie est si chère dans la Tarentaise qu'il manque 700 euros par mois pour vivre correctement. Et la société préfère les investir ailleurs, pour acheter des stations », dénonce un délégué du personnel des Arcs.

Des résultats florissants

Les résultats financiers de la filiale de la Compagnie des Alpes et de sa rivale des Trois Vallées sont, en effet, florissants. Toutes deux dégagent des taux de rentabilité annuels supérieurs à 10 % et réinvestissent entre 20 et 25 % de leur chiffre d'affaires dans de nouveaux équipements. Une santé de fer dont profitent aussi les salariés des deux entreprises. En particulier ceux de Courchevel qui, l'an dernier, se sont partagé 920 000 euros au titre de l'intéressement et de la participation. Soit aux alentours de 1 000 euros par saisonnier. Sans compter les quelque 100 000 euros d'abondement (à 300 %) octroyés par la direction aux salariés qui placent leur intéressement sur le FCPE des Trois Vallées, investis en parts de l'entreprise. « La transformation de l'entreprise en société anonyme, en 2000, a été difficile. On a voulu d'emblée permettre au personnel de se constituer une épargne pour entrer au capital », justifie Frédéric Bois. Aujourd'hui, l'actionnariat salarié pèse près de 4 %. Et le personnel dispose d'un siège au conseil de surveillance.

Des enquêtes de satisfaction

La filiale de la Compagnie des Alpes, elle, s'avère un peu moins généreuse. Mais plus innovante : son accord d'intéressement intègre les résultats obtenus lors des enquêtes annuelles de satisfaction des clients. « Chaque année, on fait remplir sur les télésièges 4 000 questionnaires. Pour l'intéressement, on ne prend en compte que les items qui concernent directement le personnel, comme la qualité de l'accueil », précise Jean-Yves Salle. L'an dernier, intéressement et participation ont rapporté 800 euros aux saisonniers. Une première étape avant l'introduction d'une part de rémunération variable individualisée. Encore tabou, le sujet oblige la direction à marcher sur des œufs. « Pour l'instant, elle s'en tient à des entretiens d'activité. Un outil très formel, car les agents de maîtrise n'ont pas le temps de faire passer sérieusement tous les gars pendant l'hiver, juge Yves Boeri, délégué syndical FO. Mais si la direction met en place de vrais entretiens d'évaluation, avec une rémunération sur objectifs individuels, on sera très vigilant sur les critères pour éviter les notes de gueule. »

À Courchevel, l'expérience a été tentée. Sans grand succès. Au début des années 90, un premier système de primes individuelles, fonction de l'assiduité du personnel, a fait long feu. Rebelote au milieu des années 90, avec l'instauration des « POP ». Des primes d'objectifs de progrès destinées à récompenser les équipes bien notées par des clients mystères sur des critères précis : tenir le siège au client, veiller à la propreté des abords des appareils, etc. « C'était très lourd à mettre en place, et source de discussions. On s'est rendu compte qu'on n'avait pas besoin de ça pour progresser et on les a intégrées aux salaires », indique Frédéric Bois. Un peu échaudée, la S3V attend désormais la conclusion des négociations de branche sur l'évolution des classifications pour remettre le couvert sur le sujet.

Des projets qui en disent long sur les profondes mutations en cours dans les deux stations. Hier gérées sur un mode familial, avec des procédures peu formalisées, les deux sociétés sont devenues de véritables entreprises de loisirs, rendant des comptes à leurs actionnaires. « De la certification ISO 9001 aux procédures de sécurité, on croule sous les fiches. Et on y perd un peu notre latin », constate Laurent Volvet. Dans la Tarentaise, la professionnalisation est bel et bien en marche…

Très chers logements

Pour les saisonniers des Arcs et de Courchevel, le logement constitue un véritable casse-tête. Car l'immobilier savoyard n'a pas grand-chose à envier à celui de Paris.

Aux Arcs, la moindre piaule coûte 300 euros mensuels. Et impossible de dénicher un F3 à moins du double. À l'achat, le mètre carré peut atteindre 6 000 euros aux Arcs et 4 500 euros à Bourg-Saint-Maurice. Et dans la très chic Courchevel, c'est encore pire…

Des prix exorbitants qui devraient inciter la Société Les Montagnes de l'Arc et la Société des Trois Vallées à se préoccuper du logement de leurs salariés. Or il n'en est presque rien. La SMA, en particulier, ne dispose que d'une poignée d'appartements aux Arcs 2000, réservés aux pisteurs et conducteurs de dameuse qui, en cas de fortes chutes de neige, doivent pouvoir ouvrir le domaine skiable sans attendre l'arrivée du chasse-neige.

Et ce alors même que l'entreprise, en qualité d'aménageur, dispose encore de 50 000 mètres carrés de droits à construire sur les 100 000 dont elle disposait à l'origine.

« On préfère les mettre sur le marché. Ça permet d'augmenter le nombre potentiel de clients pour nos remontées mécaniques », explique Jean-Yves Salle, le directeur général de la SMA.

Un argument de plus qui plaide en faveur du recrutement de candidats du cru, déjà logés. Quitte à leur octroyer une prime de logement mensuelle de 37 euros (56 euros pour les foyers de quatre personnes et plus). À Courchevel, la S3V s'inquiète aussi du trop grand nombre de « lits froids » qui, propriété de riches étrangers, ne sont occupés que quelques semaines chaque hiver, réduisant d'autant sa clientèle potentielle.

Mais elle fait un peu mieux que sa rivale des Arcs. Outre son parc d'une quinzaine de logements, qu'elle réserve en dépannage à ses nouvelles recrues, la S3V distribue des primes de logement deux fois plus élevées. Et, surtout, elle a mis sur pied un système de ramassage par navette de ses employés depuis les principales communes du canton. Un bon moyen pour libérer des logements en station, désengorger les parkings et s'assurer de l'exactitude des troupes !

Auteur

  • Stéphane Béchaux