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Repères

Mieux vaut négocier que légiférer

Repères | publié le : 01.02.2005 | Denis Boissard

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Mieux vaut négocier que légiférer

Crédit photo Denis Boissard

On a vécu, à la mi-janvier, une sorte de rentrée sociale à retardement, la première mobilisation significative depuis un an et demi depuis le conflit du printemps 2003 contre la réforme des retraites. Selon un rituel bien établi, cheminots, enseignants, fonctionnaires, postiers, électriciens-gaziers… ont fait grève ou défilé à Paris et dans les grandes villes de province. Une semaine d'action dont tous les acteurs sortent rassurés, les syndicats sur leur capacité à mobiliser leurs traditionnels bastions du secteur public, le gouvernement sur le risque d'un embrasement que le caractère fourre-tout du mouvement et l'absence de revendication fédératrice ne laissaient de toute façon guère augurer.

Que donnera le second round du 5 février sur les 35 heures ? La météorologie sociale est un exercice périlleux, mais on peut pronostiquer que les syndicats auront du mal à faire embrayer les salariés du privé. Avoir fixé cette journée d'action un samedi est un premier aveu de faiblesse : les centrales ne croient guère en leur capacité à provoquer des arrêts de travail en dehors de la sphère publique. Avoir élargi ses mots d'ordre aux salaires, au droit du travail et à l'emploi en est un second : le gouvernement a manœuvré habilement sur les 35 heures et son discours « travailler plus pour gagner plus » risque de rencontrer un écho favorable chez de nombreux salariés du privé dont le pouvoir d'achat stagne ou n'augmente que faiblement. Il y a donc fort à parier que, comme d'habitude, le gros des troupes viendra du public.

Deux lectures peuvent être données de ce différentiel de conflictualité entre les deux secteurs. L'une, un tantinet simpliste, oppose des agents publics combatifs parce que moins perméables aux sirènes de la mondialisation libérale à des salariés du privé apathiques parce que résignés (le nombre de jours de grève par personne y est en chute libre depuis plusieurs années). Une autre lecture est possible. Si le secteur public est en proie à des éruptions périodiques de mauvaise humeur, c'est que la grève sert de soupape aux frustrations accumulées par ses agents faute d'un dialogue social et d'un management dignes de ce nom. État employeur et syndicats du public continuent à pratiquer un jeu de rôle stérile. L'un avance masqué, cherche à réformer sans le dire, sans dévoiler clairement ses intentions ni dégager de perspectives mobilisatrices, alimentant toutes les craintes. Les autres font semblant de croire qu'en dépit des niveaux très élevés du déficit budgétaire, de la dette publique et des prélèvements obligatoires ils peuvent gagner sur tous les tableaux : salaires, effectifs et statu quo.

À l'inverse, si le privé offre une image plus pacifiée, c'est peut-être parce que, au moins dans les moyennes et grandes entreprises, les relations sociales y sont devenues plus matures, un peu plus transparentes, que la plupart des firmes ont développé – même imparfaitement – des outils et pratiques de management au plus près du terrain, que la culture de la concertation et de la négociation commence à s'imposer. Dès lors, le conflit devient l'arme ultime qu'on ne dégaine que lorsque son emploi est menacé ou que ses conditions de travail se dégradent trop profondément.

Une leçon positive peut être tirée de cette semaine d'action : l'accord conclu fin octobre 2004 sur la prévention des conflits entre la SNCF et six syndicats, dont la CGT, commence à porter ses fruits. Du moins ses dispositions sur la prévisibilité du service en cas de grève. Grâce aux informations fournies par les syndicats, la direction a pu établir un programme de circulation suffisamment à l'avance, le communiquer en temps utile aux usagers, avec la garantie que les trains annoncés allaient rouler sans accroc. Résultat : les gares n'ont, sauf exceptions, pas connu la pagaille habituelle. C'est un début. Il faut maintenant espérer que les mesures visant à systématiser un dialogue social en amont du conflit permettront de diminuer significativement les grèves de cheminots. Le pari n'a rien d'impossible. À la RATP, le dispositif similaire d'« alarme sociale » négocié en 1996 a bien fonctionné : le nombre de jours de grève par agent a chuté de 0,62 à 0,26 jour entre 1990 et 2002, et celui des préavis de grève a dégringolé de près de 800 à moins de 200.

Faut-il, dès lors, comme le réclame Nicolas Sarkozy, une loi imposant un service minimum dans les transports ? Ce serait mettre inutilement le feu aux poudres. Mieux vaut chercher à instaurer des relations pacifiées par voie d'accords, même imparfaits, légitimés par la signature des syndicats majoritaires dans l'entreprise ou dans la branche (une négociation est en cours dans les transports urbains de province), et qui seront donc peu ou prou respectés, qu'imposer un dispositif législatif dont on peut prendre à l'avance le pari de l'inaffectivité. Dans ce domaine, encore plus que dans d'autres, il est illusoire de penser que l'on peut, comme dirait Michel Crozier, réformer la société par décret.

Auteur

  • Denis Boissard