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Politique sociale

L'ex-refondateur du Medef s'est mué en piètre lobbyiste

Politique sociale | ANALYSE | publié le : 01.02.2005 | Jean-Paul Coulange

Fini la refondation sociale. La droite au pouvoir, le Medef est retombé dans un vieux travers, celui d'un groupe de pression qui attend tout de la loi et ne négocie plus grand-chose. Un positionnement qui prend à contre-pied les syndicats réformistes, hérisse l'opinion et braque le gouvernement plus qu'il ne le convainc. Une leçon à méditer pour l'après-Seillière.

Entre BDA et CBI, le Medef cherche sa voie. Il ne s'agit pas pour l'organisation patronale présidée, pour un an encore, par Ernest-Antoine Seillière de changer à nouveau de sigle, six ans après la métamorphose du défunt CNPF en Mouvement des entreprises de France. Mais bien d'une réflexion de fond sur son devenir. Car le patronat français donne le sentiment de balance rentre deux stratégies. Celle d'un puissant groupe de pression auprès des pouvoirs publics, à l'instar de son homologue britannique, la Confederation of British Industry (CBI), ou celle d'un acteur à part entière de la démocratie sociale s'employant à faire vivre une politique contractuelle dynamique avec les organisations syndicales, à l'image de la Bundesvereinigung der Deutschen Arbeitgeberverbände (BDA), l'organisation patronale allemande.

Tout semble indiquer que le Medef s'est recroquevillé sur un rôle de lobbying. D'abord, le bras de fer engagé en 2004 entre le leader de l'organisation patronale et le gouvernement, même si le ton d'Ernest-Antoine Seillière, d'une violence inouïe à l'égard de Jean-Pierre Raffarin, s'est radouci en fin d'année dernière. Mais surtout l'assèchement de la négociation collective, au niveau interprofessionnel, pratiquement au point mort depuis l'accouchement de l'accord sur la formation, en septembre 2003, paraphé par les cinq confédérations syndicales.

Fini les grands chantiers

On est loin de l'euphorie contractuelle qui avait prévalu au début du mandat d'Ernest-Antoine Seillière. Une période exceptionnellement faste pour la négociation collective. Avec la refondation sociale portée par Denis Kessler, l'ancien président de la Fédération française des sociétés d'assurances, l'organisation patronale avait proposé aux syndicats d'ouvrir sur les années 2000 et 2001 pas moins de huit chantiers, des retraites complémentaires à la santé au travail, en passant par l'assurance chômage ou l'égalité professionnelle entre hommes et femmes. Pour ne laisser, finalement, sur le côté de la route que deux thèmes de négociation, l'assurance maladie, repris à son compte par l'État, et la place et le rôle de l'encadrement, dont les syndicats, hormis la CFE-CGC, ne voulaient pas entendre parler.

« Nous avons conclu deux accords avec les cinq confédérations, ce qui est historique, et plusieurs accords à quatre, dont celui sur les retraites complémentaires, qui était probablement le plus dur », se félicite Jacques Creyssel, directeur délégué du Medef. On pourra gloser longtemps sur un accord unanime comme celui sur l'égalité professionnelle entre les hommes et les femmes, conclu en avril 2004. Un sujet consensuel mais sur lequel il a fallu que le chef de l'État menace les partenaires sociaux de légiférer ! Fin observateur des relations sociales, Raymond Soubie doute du caractère spontané de la refondation sociale, « découverte par Denis Kessler lors de la renégociation de la convention Unedic », en 2000, lorsque le numéro deux du Medef a mesuré l'intérêt pour le patronat de rallier les syndicats à sa cause afin de faire plier l'État, ou plutôt le gouvernement Jospin.

Pour beaucoup de leaders syndicaux, s'il a changé de discours et de visage au cours de cette courte période de l'histoire sociale, le patronat n'a pas modifié sa nature profonde. « La parenthèse de la refondation sociale, qui était un moyen de combattre le gouvernement, est refermée et le patronat est revenu à sa tendance originelle, celle d'un organe de lobbying. La négociation sociale lui a toujours été imposée, en 1936, en 1945, en 1968… », estime Jean-Christophe Le Duigou, responsable des affaires économiques à la CGT. Côté CFDT, Jean-Marie Toulisse pense, lui aussi, que « la refondation est terminée depuis 2002 ».

Autrement dit depuis la fin de l'alternance provoquée par la défaite de la gaucheaux élections législatives. Une analyse partagée par Guy Groux, du Cevipof. Ce dernier situe d'ailleurs l'accord sur la formation professionnelle de 2003 « hors refondation sociale », puisque la négociation ouverte pendant cette période proprement dite, et menée par Francis Mer côté Medef, s'est soldée par un échec.

Autre sortie de route spectaculaire, celle du marathon sur les restructurations, entamé en mars 2003 et interrompu par jet de l'éponge du Medef en septembre 2004, après une dizaine de séances de négociation. Version du siège de l'organisation patronale, avenue Bosquet : « Au départ, on ne voulait pas de ce thème, puis on a avancé de façon à aboutir, au minimum, à un constat d'échec positif, sachant que de toute manière l'État devait reprendre la main avant la fin de la période de suspension de la loi de modernisation sociale. Nous étions quasiment parvenus à un accord quand est survenu l'affaire des intermittents et des recalculés, qui a déstabilisé la CFDT. Il devenait dès lors impossible d'obtenir la signature d'une majorité des cinq confédérations représentatives. » Condition imposée par la « position commune » de juillet 2001, l'accord sur les voies et moyens de la négociation collective paraphé par le patronat et quatre syndicats : la CFDT, la CFTC, FO et la CFE-CGC…

De la refondation sociale, on dressera un bilan forcément controversé selon que l'on se place du point de vue patronal ou syndical. Mais force est de constater que les thèmes de discussion sont aujourd'hui réduits à la portion congrue. En dehors de la nécessaire renégociation de la convention d'assurance chômage, qui interviendra en fin d'année, deux chantiers sont ouverts, en ce début d'année, sur les seniors et la pénibilité. Mais ils sont à ranger, au moins pour le second, au rayon des « figures imposées ». La négociation sur la pénibilité est en effet prévue par la loi d'août 2003 sur les retraites. Celle sur les seniors est une vieille promesse de Seillière aux syndicats.

Plus guère de grain à moudre

Autant dire que le Medef n'offre guère de grain à moudre à ses interlocuteurs syndicaux. « Nous sommes dans une phase de régression qui nous ramène très loin en arrière, avant que la CFDT ne reprenne le flambeau de Force ouvrière, au cœur de la négociation collective », estime Raymond Soubie, le président d'Altedia. « La refondation est victime de son succès, plaide Jacques Creyssel. On ne va pas rouvrir tout de suite les dossiers qui ont donné lieu à des accords. » Pourtant, pour qui voudrait entretenir la flamme du dialogue social, les sujets de négociation ne manquent pas. Jean-Christophe Le Duigou en voit trois : « les grilles de qualification car l'écrasante majorité des branches ont deux, trois, voire quatre niveaux de rémunération au-dessous du smic ; une vraie négociation sur le partage entre vie professionnelle et vie privée ; une troisième sur la sécurisation des parcours professionnels ». En observateur avisé, Hubert Landier renchérit en proposant de négocier « une sécurité sociale professionnelle ». Jean-Luc Cazettes, le numéro un de la CFE-CGC, y ajoute « les délocalisations et… l'encadrement ».

L'argument en béton du patronat pour ne pas rouvrir en grand les vannes du dialogue interprofessionnel, c'est l'état de faiblesse des syndicats. « Ils sont très en arrière de la main », estime-t-on Avenue Bosquet. Si elle persiste et signe dans sa voie réformiste, la CFDT – qui panse ses plaies – a manifestement choisi d'y regarder à deux fois avant de conclure. À FO, Jean-Claude Mailly hésite encore à réintégrer le cercle de la politique contractuelle, comme à l'époque d'André Bergeron. Reste la CGT qui, face à la crise actuelle du dialogue social, « est la seule qui pourrait changer l'ordre des choses », selon Guy Groux. Mais le syndicat de Bernard Thibault « n'est pas du tout aidé par le patronat », estime le consultant Hubert Landier, faisant allusionaux « prises de position radicales » de l'organisation patronale à la suite de la publication du rapport de Virville sur la réforme du droit du travail. « On ne retrouve pas chez les dirigeants actuels du Medef la compréhension politique d'un Pierre Guillen ou d'un Émile Bourcier, qui étaient même capables de travailler avec le Parti des travailleurs », ajoute le directeur de Management social.

Chère négociation d'entreprise

Résolument optimiste, Jean-Marie Toulisse, de la CFDT, parie sur la poursuite des négociations interprofessionnelles, de façon « dépolitisée », « sans qu'elles soient reliées par un concept comme celui de la refondation sociale ». Il observe que « le courant paritaire », c'est-à-dire en clair l'UIMM et sa sphère d'influence, « est loin d'être inactif ». En témoigne, selon lui, le retour du patronat dans les caisses d'assurance maladie, son arrivée au CTIP ou encore le soin porté par le Medef au choix de la future caisse de retraite des personnels d'EDF. Pourtant, au sommet de l'organisation, Ernest-Antoine Seillière affiche clairement sa préférence pour une décentralisation de la négociation vers l'entreprise. Une conviction proclamée dès son élection en 1998 et qu'il rappelait encore le 18 janvier dernier, lors de sa dernière assemblée générale à la tête du Medef, en affirmant « voir poindre une nouvelle refondation sociale » au travers de la « négociation d'entreprise qui va se généraliser et devenir le socle de l'édifice social ».

Bref, la refondation sociale n'aura été qu'une parenthèse. A fortiori depuis le départ de Denis Kessler, parti du Medef pour prendre la présidence de la Scor à l'automne 2002. Après avoir nommé trois négociateurs en chef pour les derniers chantiers de négociation interprofessionnelle, le patron des patrons n'a d'ailleurs eu de cesse d'obtenir l'intervention du législateur – honnie du temps du gouvernement Jospin – pour revenir sur les deux principaux textes combattus par le Medef : les 35 heures et la loi de modernisation sociale. Avec l'appui, au Palais-Bourbon, de « la cinquième colonne », comme la surnomme un fin connaisseur du microcosme, c'est-à-dire des députés libéraux, comme Hervé Novelli ou Hervé Mariton, chargés de faire passer les amendements d'inspiration patronale.

Un lobbying guère payé de retour

Un revirement tactique à l'efficacité douteuse. D'une part parce que son discours jusqu'au-boutiste a contribué à détériorer l'image de l'entreprise auprès des Français. D'autre part parce qu'il a mis en porte-à-faux et donc fragilisé ceux de ses interlocuteurs syndicaux qui ont participé à ce renouveau de la démocratie sociale. Enfin parce que ce lobbying intensif n'a guère été payé de retour. À commencer par la réforme du licenciement économique. « Le projet initial du gouvernement reprenait la totalité de nos concessions aux syndicats pendant les négociations sur les restructurations, notamment la convention de reclassement personnalisé, et la moitié seulement de nos demandes. Il avait été précédé de trois mois de discussions. » Or, au grand dam du Medef, le gouvernement a, pour ménager les syndicats, revu sa copie. « Le jeu social se joue à trois, pas à deux contre un », observe Jean-Christophe Le Duigou. Par la suite, « aucun des amendements proposés par le Medef n'est passé » lors des débats au Parlement, note Raymond Soubie. Ce qui consacre, selon lui, l'échec de la stratégie patronale. « Si Ernest-Antoine Seillière avait voulu obtenir des résultats, il aurait dû s'y prendre autrement », ajoute l'ancien conseiller social de Raymond Barre et de Jacques Chirac.

Ulcéré par ce qu'il considère comme des reculades successives du gouvernement sur l'harmonisation des smics, les allégements de charges promis aux entreprises ou bien encore sur la définition du licenciement économique, Ernest-Antoine Seillière a d'abord fait parler la poudre. Avant de mettre de l'eau dans son vin et de présenter in fine comme une grande victoire les maigres assouplissements promis sur les 35 heures. Incontestablement, l'organisation patronale a donc besoin de redéfinir sa stratégie en matière sociale. À la fois dans ses relations avec les syndicats, mais également avec l'État. Car le Medef, à l'heure actuelle, « c'est un peu le bateau ivre », lâche Hubert Landier. Ce sera la tâche prioritaire du successeur d'Ernest-Antoine Seillière.

On cherche un président

Il reste moins de six mois au Medef pour trouver un successeur à Ernest-Antoine Seillière puisque ce dernier s'est mis en tête de régler la question avant l'été. Ce ne sera pas de trop car aucune personnalité n'émerge aujourd'hui.

L'hypothèse d'un grand patron français a pris du plomb dans l'aile avec le refus de Bertrand Collomb, déjà président de l'Afep, d'occuper le poste. Nouveau président de Medef international, Louis Schweitzer (Renault), ancien directeur de cabinet de Laurent Fabius, est trop marqué… à gauche. Michel Pébereau, président de BNP Paribas, présente l'inconvénient d'être un banquier, une profession qui n'est guère en cour chez les patrons de PME.

D'autres poids lourds du CAC 40 manquent de disponibilité pour se consacrer à l'organisation patronale.

« Un président du Medef doit aller mouiller sa chemise devant les petits patrons de Romorantin », rappelle un dirigeant patronal. Très investi au Medef et sollicité par certains, Xavier Fontanet, le patron d'Essilor, a décliné par manque de temps. « Il faut un candidat de plus de 60 ans », explique-t-on dans une grande fédération professionnelle.

Ce qui semble aussi exclure Laurence Parisot, présidente de l'Ifop et d'Optimum, une PME spécialisée dans la fabrication de portes de placards, comme un petit reportage l'a rappelé avec insistance lors de la dernière assemblée du Medef. Ernest-Antoine Seillière l'a rapidement promue au sein de l'appareil patronal mais l'échéance de 2006 arrive un peu vite. Longtemps intéressé par le fauteuil de Seillière, Denis Gautier-Sauvagnac, numéro deux de l'UIMM, affirme ne pas être candidat.

Guillaume Sarkozy, patron d'une PME du textile, président de fédération (l'Union des industries textiles) et négociateur apprécié des syndicats, le serait bien volontiers, mais sa parenté avec le président de l'UMP lui barre la route. Alors certains responsables patronaux se prennent à rêver, comme à l'UIMM, d'un nouveau Yvon Gattaz, ce petit patron qui tint tête à François Mitterrand et contribua à redorer l'image de l'entreprise. Il reste à trouver la perle rare.

Auteur

  • Jean-Paul Coulange