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Débat

Quel avenir pour l'Inspection du travail ?

Débat | publié le : 01.02.2005 |

Gérard Larcher prépare, après consultation des organisations syndicales et patronales, une réforme de l'Inspection du travail, encore traumatisée par le meurtre de deux de ses agents en septembre 2004. Comment doit évoluer la fonction, son organisation et ses missions ? Les réponses de trois membres de ce corps, dont le directeur de l'Intefp qui a remis le mois dernier un rapport proposant au ministre des pistes de réforme.

« Son caractère généraliste est un atout pour promouvoir un travail de qualité. »

JEAN BESSIÈRE Directeur de l'Institut national du travail, de l'emploi et de la formation professionnelle.

L'Inspection du travail française est née au XIXe siècle, comme contribution indispensable à l'effectivité du droit du travail, conçu à cette période, et comme principale réponse aux constats du docteur Villermé sur l'état de santé des travailleurs les plus fragiles.

Tout au long du XXe siècle, ses missions et ses champs d'investigation se sont élargis, au sein d'un système qui se réfère aux normes internationales, tout en se distinguant par leurs modes d'intervention, identifiés sous le terme de généraliste (compétences sur le milieu du travail, les conditions de travail, les relations du travail, l'emploi et la formation professionnelle), et dans une pluralité de fonctions : contrôle, autorité décisionnaire, conseil, conciliation, réponse à la demande individuelle de renseignement ou d'intervention.

Forte de son histoire et de ses principes, l'Inspection du travail est cependant confrontée à l'évolution de l'économie, de l'organisation des entreprises et de la production, de la place du travail et du chômage dans la société. Elle subit, en outre, la fragilisation du droit du travail, dans son contenu, mais surtout dans son image. Il en résulte une situation de malaise qui affecte la majorité des agents, le drame de Saussignac, en septembre 2004, ayant servi de catalyseur à l'expression d'une crise préexistante qui appelle des réponses diverses : légitimation de l'action, définition d'une politique publique centrée sur la mission de contrôle, organisation du travail prenant en compte les difficultés d'exercice des missions, aménagement de la gestion des ressources humaines.

Ces réponses ne pourront être construites, avec les agents, qu'à partir d'une réaffirmation de l'utilité sociale de l'Inspection du travail. Plusieurs éléments d'actualité paraissent devoir faciliter cette réaffirmation. D'abord, l'enjeu majeur, défini dans la stratégie européenne de l'emploi, de la progression des taux d'activité. Au-delà des objectifs de baisse du taux de chômage, il s'agit de promouvoir un « travail de qualité » impliquant une approche globale de l'organisation de la production, pour laquelle le caractère de généraliste de l'Inspection du travail à la française est un atout dans un contexte qui n'est pas marqué par une progression du sentiment de bien-être au travail. Ensuite, les problématiques de santé au travail, qui imposent la conception et la mise en œuvre d'une politique articulant la gestion de la connaissance, l'optimisation de la complémentarité des interventions de tous les acteurs et une plus grande efficience des contrôles. Sur ce champ, l'évolution de la nature des responsabilités incombant aux employeurs, notamment en matière d'évaluation des risques, se conjugue avec la nécessité de positionner la santé au travail comme un sujet à part entière sans être étranger aux concepts de santé publique et environnementale.

Puis la prédilection, tant affirmée, de la négociation collective et du dialogue social, qui suppose comme indispensable préalable reconnaissance du fait syndical et respect de ses prérogatives. Et enfin la variété de la demande sociale, voire sociétale, toujours plus pressante sur de multiples sujets à dimension collective, comme la lutte contre le travail illégal, l'accompagnement de restructurations, ou plus individuelle, à l'exemple du harcèlement moral, de la discrimination ou de l'égalité professionnelle.

« Il faut associer les inspecteurs du travail à la refondation de leur légitimité. »

VINCENT TIANO Directeur adjoint du travail, auteur d'une thèse de sociologie sur les inspecteurs du travail.

L'Inspection du travail vit une crise de légitimité dont la manifestation la plus extrême est l'assassinat de deux agents de contrôle en septembre 2004.

Cette crise se combine à un sentiment d'abandon qui résulte notamment de la faiblesse tant des effectifs que des sanctions des infractions au Code du travail.

Depuis toujours les inspecteurs sont dans un « mal-être » issu de l'expérience amère du décalage entre le droit du travail et la réalité des rapports sociaux.

S'y ajoute, depuis quelques années, la descente du piédestal, comme pour les enseignants, les magistrats…

Les salariés et employeurs ne se satisfont plus de l'invocation de la loi et demandent à l'Inspection de se justifier.

La multiplication des acteurs accroît la nécessité d'une coordination qui ne parvient pas à se réaliser.

En effet, les inspecteurs sont fortement attachés à leur autonomie, plus individuelle que collective. Ils parviennent difficilement à distinguer d'autres catégories d'acteurs que les « assujettis » (employeurs…) et les « bénéficiaires » (salariés et représentants du personnel).

La faiblesse des partenaires sociaux, les cloisonnements institutionnels et le cynisme de certains employeurs confortent l'Inspection dans cette attitude « surplombante ».

Dans ce contexte – et sous le double aiguillon de la mise en cause de la responsabilité de l'État dans le drame de l'amiante et dans la réforme budgétaire –, le ministère du Travail tente d'obtenir une plus grande efficacité de l'Inspection à partir d'un nouveau management fondé sur le travail par objectifs. Un double écueil guette cette entreprise. Une réforme descendante et technocratique ferait l'impasse sur le sens donné à l'organisation et à l'action de l'Inspection. Or le dynamisme et l'efficacité de l'Inspection reposent largement sur l'engagement moral des inspecteurs et contrôleurs.

Leur haut niveau de qualification et leur nécessaire autonomie dans les décisions rendent indispensable de les associer aux modalités du changement de leur organisation et à la définition de leur mission qui, bien évidemment, ne se réduit ni à l'indépendance ni à l'application de la loi. Les agents doivent être associés à la définition de la politique du travail qui leur est assignée.

Le second écueil est de s'en remettre, pour le changement, aux seules ressources internes de l'Inspection qui, depuis au moins vingt ans, a fait la preuve de son incapacité à convertir les expériences innovantes en règles collectives.

La dissolution de l'association Villermé en 2002, qui exprimait le courant innovateur pionnier de l'Inspection, en atteste. Il est nécessaire de concevoir et de mettre en place des cadres contraignants de coopération entre l'Inspection et la société civile.

Confortée par un signal fort de l'État en faveur de ses corps de contrôle, c'est donc sous le double aiguillon d'un nouveau management participatif et d'une ouverture sur l'extérieur que l'Inspection du travail sera à même de refonder sa légitimité.

« L'Inspection doit devenir un service public de proximité répondant à la demande sociale. »

SYLVIE CATALA Inspectrice du travail et présidente de l'association L. 611-10.

Depuis le début des années 2000, l'Inspection du travail fait l'objet d'un vif regain d'intérêt : quatre rapports y ont été consacrés en trois ans. Cette période est notamment marquée par le retour de la question des conditions de travail, avec l'émergence des questions de santé au travail comme celles de l'amiante, des cancers professionnels ou encore des troubles musculo-squelettiques. Conséquence : le contrôle retrouve en partie ses lettres de noblesse, en tout cas dans ce domaine, et nous nous en félicitons. Mais il faut tirer toutes les conséquences de cet ancrage dans une logique de contrôle. En 2002, seulement 2,5 % des infractions constatées ont été relevées par procès-verbal.

Dans des domaines aussi essentiels que la santé et la sécurité au travail, ce pourcentage tombe à 1,2. Même si l'Inspection du travail n'a jamais été très répressive et si le simple rappel à la loi suffit parfois à obtenir une application effective du droit, il n'en demeure pas moins que la question se pose sérieusement de l'efficacité d'un corps de contrôle qui ne se fâche que deux fois sur cent.

À l'heure où le ministère du Travail veut inscrire l'action de ses services dans une logique d'efficacité, de résultats et d'objectifs, force est de constater que l'action répressive est la grande absente de la politique qu'il tente de mettre en œuvre. Or la légitimité de l'Inspection du travail et la lisibilité de son action résident dans sa capacité à faire respecter la loi en utilisant tous les moyens mis à sa disposition, et en premier lieu ses moyens coercitifs.

Mais légitimer cette action de contrôle, y compris dans sa dimension répressive, ne suffira pas à rendre l'Inspection du travail plus efficace si la question de ses effectifs n'est pas sérieusement revue.

Depuis 1987, le nombre d'établissements assujettis a augmenté de 27,4 %, celui des salariés occupés par ces établissements de 21,56 %. Durant la même période, les effectifs des sections d'inspection du travail ont diminué de 5,2 %. Certes, cette diminution touche en premier lieu les personnels administratifs affectés aux sections d'inspection, mais la conséquence en a été une surcharge des agents de contrôle en tâches administratives et donc une moindre présence en entreprise. La volonté actuelle de mettre en œuvre une politique du travail est incompatible avec la situation des effectifs de l'Inspection.

Il faut également que celle-ci conserve cette capacité de réaction, d'adaptation au quotidien, qu'elle a acquise en se vivant comme un service public de proximité. Vouloir encadrer son action dans des programmes bâtis autour d'objectifs et de résultats conduira à rigidifier son action, à l'éloigner de la demande sociale et à affaiblir la lisibilité de son action et sa crédibilité, tant auprès des salariés et de leurs représentants que des employeurs. Au final, l'Inspection du travail n'a pas besoin d'être réformée de fond en comble. Il s'agit, pour l'essentiel, d'en faire un corps suffisamment nombreux pour qu'il puisse s'abstraire de l'urgence et mener plus souvent et dans de meilleures conditions des actions de fond ; de l'animer d'une volonté ferme, de faire appliquer la réglementation, y compris et jusque dans sa dimension répressive et, enfin, de la concevoir comme un service public de proximité qui doit pouvoir continuer à répondre à la demande sociale.