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Ne dites plus concierge mais gardien

Vie des entreprises | REPORTAGE | publié le : 01.01.2005 | Isabelle Moreau

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Ne dites plus concierge mais gardien

Crédit photo Isabelle Moreau

Si, dans l'habitat privé, le métier de concierge semble figé dans le temps, les gardiens employés par les bailleurs sociaux bénéficient depuis quelques années d'une meilleure reconnaissance, avec compléments de salaire, représentation et formation. Grâce à la VAE, le CAP de gardien commence à sortir de la confidentialité.

120 euros, c'est le montant des étrennes qu'Anne et Michel vont donner cette année à leur gardienne. Soit, grosso modo, 10 % de la valeur locative de leur appartement, situé dans le 11e arrondissement de Paris. Une tradition qui permettra à Sidalia de toucher l'équivalent d'un quatorzième mois de salaire. Depuis 1968, les étrennes ne sont plus la seule source de revenu des gardiens, qui étaient jusqu'alors logés à titre gratuit dans les copropriétés. C'est un complément de salaire, tandis que la loge est considérée comme un avantage en nature déduit du salaire mensuel du gardien. C'est d'ailleurs l'élément attractif du métier. Fatima le confirme. Quand on lui a proposé de s'occuper d'un petit immeuble du 14e arrondissement de Paris, la jeune femme a immédiatement abandonné son activité de garde d'enfants à domicile. Car, dans la capitale, les places sont chères. Portugaise, comme plus de 50 % des gardiens du secteur privé, Fatima a certes profité du bouche-à-oreille, mais elle a dû verser un dessous-de-table de près de 3 000 euros pour emporter le morceau. Une somme importante qu'elle a dû emprunter et qu'elle entend rembourser petit à petit… grâce notamment aux étrennes.

Ces petites enveloppes données de la main à la main, les gardiens d'immeuble des offices publics d'aménagement et de construction (Opac) et autres HLM n'en voient pas la couleur. Ils sont fonctionnaires ou assimilés. Car les gardiens d'immeuble « font tous le même métier, mais ils n'ont ni la même convention collective ni les mêmes employeurs », explique Philippe Dolci, permanent du Syndicat national indépendant des gardiens d'immeubles et concierges (Snigic).

La profession est en effet si disparate et si éclatée qu'il est même difficile d'en connaître précisément les effectifs. Au total, on avance le chiffre de près de 200 000 personnes, parmi lesquelles 90 000 gardiens privés, dont 25 000 à Paris. Un chiffre qui se stabilise, le recours à des sociétés prestataires extérieures ne faisant plus recette auprès des syndics et copropriétaires. Depuis douze ans, Maria, une Portugaise de 42 ans, habite ainsi dans un 35 mètres carrés avec son fils de 19 ans et vaque à ses activités quotidiennes : monter le courrier aux appartements des trois cages d'escalier de l'immeuble (dont une sans ascenseur), faire le ménage, changer les ampoules, sortir les poubelles, nettoyer la cour et répondre aux demandes de toutes sortes des habitants de l'immeuble… « Pas le temps de chômer », explique-t-elle. Maria perçoit 600 euros net par mois et avoue effectuer des travaux de ménage, de repassage ou de garde d'enfants au noir pour arrondir ses fins de mois. Une activité physique et répétitive qui génère parfois des dépressions nerveuses ou des problèmes d'alcoolisme, mais surtout des « lombalgies ou des TMS liés à certaines tâches, comme la sortie des grandes poubelles. Mais c'est difficile à quantifier car il y a peu d'arrêts maladie et personne n'ose se plaindre, de crainte de perdre son emploi », explique Marie Bluzet, consultante chez Créatis et chargée, pour le compte de syndics, d'évaluer les risques professionnels courus par leurs gardiens. « L'emploi est certes difficile mais les concierges en retirent une certaine fierté », poursuit-elle.

Un gardien pour 100 logements

Salariée du syndicat des copropriétaires de son immeuble, Maria relève de la convention collective nationale des concierges, gardiens et employés d'immeubles qui fait la distinction entre ceux qui effectuent un nombre d'heures déterminé et ceux qui sont employés pour des tâches précises, appréciées en unités de valeur (UV). Sachant qu'un temps complet correspond à 10 000 UV, la surveillance de la chaufferie compte par exemple pour 100 UV si le chauffage est urbain, le nettoyage de l'ascenseur pour 60 UV, la distribution du courrier dans les boîtes aux lettres pour 12 UV, ou 30 s'il est monté dans les étages.

« Jusqu'en novembre 2000, explique Claudine Ducastel, directrice du développement des ressources humaines de l'Opac de Paris, les gardiens de l'Opac étaient payés, comme les gardiens privés, au nombre d'UV Aujourd'hui, c'est fini. Les salaires de nos gardiens, qui débutent à 1 150 euros, hors logement, dépendent d'une grille spécifique. » Quant aux gardiens territoriaux d'immeuble, agents de catégorie C, ils relèvent de la fonction publique territoriale.

Si la profession de gardien privé semble quelque peu figée dans le temps, celle de gardien d'immeuble de bailleurs sociaux connaît un début de professionnalisation. Notamment depuis qu'un décret initié par Marie-Noëlle Lienemann, alors secrétaire d'État au Logement, rend obligatoire la présence d'un gardien pour 100 logements dans les Opac et les HLM. Un ratio qui est encore loin d'être partout respecté. Quelques bailleurs, comme l'Opac de Paris, l'appliquent depuis longtemps, mais d'autres traînent les pieds. « Certains offices publics de HLM font des calculs acrobatiques pour ne pas embaucher et comptabilisent des agents d'ambiance ou des jardiniers comme gardiens », précise Gérard Aigroz, administrateur CFDT chez Nantes Habitat, l'office public de HLM de la ville. D'autres ont du mal à embaucher, en particulier dans les quartiers sensibles. « Le gardien se retrouve en première ligne quand il y a des problèmes », rappelle Jean-Pierre Etxeberri, délégué CFDT à l'office public des HLM de Bayonne, qui reconnaît cependant que le métier évolue. « Les gardiens consacrent désormais 70 % de leur temps au nettoyage et 30 % au relationnel. » Sans oublier les tâches administratives, comme les demandes de devis ou les états des lieux.

Des tags sur les murs

Cette évolution du métier mais aussi les nombreux avantages que procure le fait de travailler pour un grand bailleur (représentation du personnel, compléments de rémunération, formation, gestion des conflits…) ont incité Patrick, 36 ans, un ancien gardien privé, à rejoindre il y a quatre ans l'Opac de Paris. Aujourd'hui, il gère 96 logements square Nouveau-Belleville, dans le 20e arrondissement de Paris. Et même s'il doit composer au quotidien avec des voitures fracturées, des tags sur les murs et des bagarres qui lui ont valu un séjour à l'hôpital l'an dernier, il ne regrette pas son choix. Il a notamment obtenu son CAP de gardien, en novembre 2003, via la validation des acquis de l'expérience (VAE). Comme Roger, 30 ans. Cet ancien salarié de l'Opac de Paris qui a décidé il y a dix-huit mois de poser ses valises dans l'Aube, où sa conjointe avait trouvé un emploi, est aujourd'hui à l'essai dans un ensemble de 110 logements. Si son futur employeur « ne connaissait pas l'existence du CAP de gardien », reconnaît Roger, cela a tout de même été un plus dans son recrutement.

Dans le monde du gardiennage, où aucun diplôme ni expérience particulière ne sont requis, ce CAP est une petite révolution. Et s'il restait encore confidentiel depuis sa création en 1994, ce diplôme reconnu par l'Éducation nationale a gagné en notoriété grâce à la VAE. « C'est très valorisant pour les gardiens. Car la démarche est difficile. Il faut remplir un dossier et suivre la formation », explique Claudine Ducastel, directrice du développement RH de l'Opac de Paris, qui milite pour la création d'un bac professionnel. S'il voit le jour, les concierges, cerbères et autres bignoles céderont définitivement la place aux gardiens…

Auteur

  • Isabelle Moreau