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Politique sociale

Les retraites british plombées par les fonds de pension

Politique sociale | REPORTAGE | publié le : 01.01.2005 | Jérôme Rasetti

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Les retraites british plombées par les fonds de pension

Crédit photo Jérôme Rasetti

Faillites d'entreprise et crise boursière aidant, beaucoup de fonds de pension ne parviennent plus à honorer leurs engagements. Dans un système très largement fondé sur la capitalisation, les Britanniques voient donc s'évanouir leurs espoirs d'une retraite confortable. Le dossier devrait peser lourdement dans les législatives du printemps prochain.

Keith et Patricia rêvaient de créer leur petite entreprise d'aménagement intérieur. Andrew et Allison évoquaient déjà le beau voyage qu'ils feraient pour fêter l'événement. Dave, lui, voulait simplement gâter ses petits-enfants. Mais tous, aujourd'hui, déchantent : la retraite confortable qu'ils pensaient s'être préparée en cotisant tout au long de leur carrière à un fonds de pension s'est réduite comme peau de chagrin… crise boursière oblige. À tel point qu'ils doivent, à 60 ans, penser à restreindre leur train de vie et à travailler au-delà de 65 ans, l'âge légal de la retraite en Grande-Bretagne.

Comme quelque 65 000 salariés et retraités dont le fonds de pension a fait faillite, Keith et Patricia, Andrew et Allison, Dave se sentent lâchés par les gouvernements successifs qui leur ont promis monts et merveilles. Ce dimanche de décembre, ils ont rallié Southoe, un village situé à une heure de route au nord de Londres. Tous les deux mois, leur association, dénommée Pensions Theft (littéralement : vol de retraite), tient une réunion publique. Au menu des discussions : le succès de la manifestation de retraités organisée en novembre dernier en plein cœur de Londres, les procédures en cours pour obtenir des compensations, la plainte déposée contre le gouvernement…

« On nous a grugés et menti en nous promettant des investissements sans risques et, aujourd'hui, nos gouvernants se désintéressent complètement de nous », résume Andrew Parr, l'un des fondateurs de cette association née en 2002 qui revendique 1 000 adhérents représentant plus de 150 entreprises dont les fonds de pension ont été déclarés en faillite ou ne peuvent plus honorer leurs engagements.

En Grande-Bretagne, la retraite est d'abord une affaire de libre choix. Le système repose pour l'essentiel sur l'épargne des salariés et les contributions des entreprises. Tout citoyen britannique qui a cotisé pendant quarante ans (une carrière masculine « normale » étant de quarante-quatre ans) reçoit une pension de base de l'État qui représente environ 15 % du salaire moyen (90 livres, ou 130 euros par semaine). S'y ajoute la pension d'État additionnelle, une retraite complémentaire proportionnelle au salaire. Le state earnings related pension scheme (Serps) a versé pendant longtemps 25 % du salaire moyen des 20 meilleures années. Mais les gouvernements conservateurs comme travaillistes ont favorisé, par le biais de la fiscalité, les retraites « professionnelles » et autres fonds de pension.

Lorsqu'il a été recruté en 1972 par Allied Steel and Wire, une entreprise de recyclage de produits métalliques, Phil Healy n'a pas eu le choix. Cet ouvrier devenu cadre par la promotion interne a dû cotiser au régime de retraite d'ASW à hauteur de 5 % de son salaire mensuel, l'entreprise versant en complément 10 à 15 % du salaire dans le fonds de pension. « Le système de retraite maison était plutôt généreux, c'est d'ailleurs pour cela que je suis resté dans cette boîte », reconnaît Phil, aujourd'hui âgé de 60 ans. Selon les projections réalisées en 2001 par ASW, il aurait dû recevoir une pension annuelle de 30 000 euros. « Aujourd'hui, avoue Phil, si je parviens à toucher 40 % de cette somme quand je partirai à la retraite, je serais heureux. »

Une chute de 45 % des valeurs

Les raisons de cette bérézina ? ASW a fait faillite en 2002, ce qui a entraîné la fermeture du fonds de pension de l'entreprise. Cette année-là, l'occupationnal pensions scheme était sérieusement dans le rouge en raison de la dégringolade boursière qui, entre 2001 et 2003, s'est traduite par une chute de 45 % en moyenne des valeurs. « Nous n'avons pas réagi assez vite en vendant nos actions pour acheter des obligations », reconnaît Phil, qui s'est intéressé à la Bourse lorsqu'il est devenu l'un des trois représentants des salariés au sein du conseil d'administration du fonds de pension d'ASW. À ce poste, Phil était chargé avec deux membres de la direction de faire fructifier les contributions de ses collègues.

Les déboires de Phil Healy ne se sont pas arrêtés là. Cet épargnant modèle avait également placé près de 40 000 euros dans un régime de retraite par capitalisation, géré par Equitable Life. En raison de la déroute des marchés boursiers, la compagnie d'assurances a dû renoncer à garantir, dans les années 90, les rendements promis. « J'avais mis tous mes œufs dans le même panier », regrette Phil Healy. Symbolisée par la chute d'Equitable Life, la descente aux enfers des fonds de pension britanniques a encore été illustrée, avant les fêtes, par la faillite du fonds de l'équipementier britannique T and N, qui concerne la bagatelle de 40 000 personnes, salariés ou retraités.

Or non seulement la Grande-Bretagne a réduit depuis les années 70 de façon drastique sa contribution publique aux régimes de retraite, mais le gouvernement Blair veut aller plus loin. Le Premier ministre travailliste souhaite ramener de 60 à 40 % en 2010 la part des dépenses publiques dans le système de retraite. Ce qui accentuera encore le rôle de l'épargne privée. « Sauf que les Britanniques n'ont plus confiance dans leur système de retraite, explique Ros Altmann, universitaire à la London School of Economics, qui a conseillé le gouvernement sur le dossier. Depuis le début des années 80, les gouvernements s'emploient à confier la responsabilité du système de retraite au privé, et c'est un échec. »

« On s'est moqué de nous »

Prévenu, en octobre dernier, par le rapport de l'ancien patron des patrons, Aider Turner, que, faute de réforme, les pensions diminueraient de 30 % dans les trente ans à venir, le gouvernement Blair pourrait bien voir le dossier des retraites empoisonner les élections législatives du printemps prochain. Car ce n'est qu'à partir d'avril 2005 que sera mis en place le Fonds de protection de la retraite, un organisme public financé par des contributions des fonds de pension, destiné à venir au secours des actifs et des retraités floués. Le mécontentement des 65 ans et plus, qui représentent un quart de la population, risque de s'exprimer dans l'isoloir.

En attendant, les retraités doivent se contenter d'un fonds d'indemnisation de 571 millions d'euros. « On s'est moqué de nous, tonne Patricia Sargent, dont le mari a travaillé vingt-cinq ans dans une entreprise qui a fait faillite en 2003. Cette somme ne représente que 36 pence (environ 0,50 euro) par mois pour les 65 000 retraités spoliés. Nous conseillons donc aux jeunes d'investir dans l'immobilier. C'est plus sûr. »

Comment réformer ?

Bien que l'avenir du système britannique de retraite dépende largement des contributions privées, employeurs, syndicats et assureurs pressent le gouvernement d'agir. L'Association nationale des fonds de pension (NAPF), qui représente 10 000 entreprises, 10 millions d'employés et 5 millions de retraités, estime que « l'âge de la retraite devra être inévitablement repoussé à 70 ans en 2030 ». Le NAPF plaide aussi pour une simplification du système public, l'un des plus compliqués d'Europe avec 27 régimes et allocations différents. « Nous pensons que tout le monde doit recevoir la même somme, 105 livres par semaine : si les gens veulent plus, c'est à eux et à leurs employeurs d'épargner. »

Le TUC, la grande centrale syndicale britannique, souhaite que le gouvernement oblige les employeurs à participer aux régimes privés : « Seulement 13 % des salariés cotisent à un régime de retraite privé lorsque l'entreprise ne contribue pas. Ce chiffre grimpe à 69 % lorsque celle-ci abonde », note Brendan Barber, secrétaire général du TUC. De son côté, l'universitaire Ros Altmann suggère d'augmenter les financements publics dans la mesure où les exonérations fiscales incitant entreprises et salariés à capitaliser ne fonctionnent pas. Selon ce spécialiste, « il faut réinventer la retraite : les Britanniques vivent plus longtemps, sont en meilleure santé et on les oblige à cesser de travailler à 65 ans. C'est ridicule, car cela peut marquer le début d'une nouvelle carrière ».

Selon le rapport d'Aider Turner, l'ancien directeur du CBI, le patronat britannique, les retraites des salariés diminueront de 30 % d'ici à 2035, sans réforme du système.MACDIARMID/MAXPPP

Auteur

  • Jérôme Rasetti