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Politique sociale

Dans les centrales syndicales, on restructure aussi

Politique sociale | ZOOM | publié le : 01.01.2005 | Éric Béal

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Dans les centrales syndicales, on restructure aussi

Crédit photo Éric Béal

Réponse à l'évolution du tissu économique ou moyen de pallier la faiblesse des effectifs… les regroupements de fédérations se succèdent dans les syndicats, CFDT et CGC en tête. Imposée ou volontaire, l'opération est délicate. Car elle bute sur des enjeux de pouvoir entre patrons des anciennes structures.

Dernière ligne droite avant la fusion. En octobre 2005, les adhérents de la Fédération communication et culture (Ftilac), de la Fédération unifiée des postes et télécoms et de la branche services aux entreprises de la Fédération des services devraient se rassembler au sein d'une même structure. La Fédération communication, conseil, culture, ou F3C, regroupera 62 000 adhérents et deviendra la septième fédération CFDT par ordre d'importance.

Secrétaire générale de la Ftilac, Danielle Rived justifie cette réorganisation par la nécessité de « marier tuyaux et contenus ». L'arrivée des hautes technologiques ayant fait tomber les frontières entre métiers de l'information, de la culture, des télécoms et de l'informatique. « Les champs professionnels se chevauchaient et il devenait difficile de savoir de quelle convention collective dépendaient certains salariés. Or, à la CFDT, plusieurs fédérations ne peuvent être concernées par le même champ. Plutôt que de s'acharner à établir des frontières rigides entre des salariés dépendant des mêmes directions, nous préférons nous regrouper au sein d'une fédération unique », poursuit Danielle Rived.

Des fusions sans états d'âme

Apparition de nouvelles activités, croisement des métiers et des compétences, extension de la sous-traitance ou disparition de pans entiers de l'industrie traditionnelle… les évolutions à marche forcée du tissu économique percutent les syndicats de plein fouet. Pour autant, toutes les centrales n'y répondent pas de la même manière. À la CFDT, on restructure en permanence. « Depuis une trentaine d'années, la CFDT a adopté une organisation par axes professionnels. Elle a donc regroupé ses fédérations pour leur permettre de couvrir la totalité d'un secteur économique », explique Jean-Marie Pernod, chercheur à l'Ires. L'organisation des fédérations est d'ailleurs une prérogative confédérale. « La viabilité et le fonctionnement des organisations fédérales sont pris en compte, précise Jacky Bontems, secrétaire général adjoint, chargé du développement et de l'organisation. Mais nous examinons surtout l'évolution des entreprises et des secteurs d'activité. »

Comme la CFDT, la CFTC et la CFE-CGC fusionnent sans états d'âme sous l'égide des instances confédérales. Sous l'ancienne présidence d'Alain Deleu, la centrale chrétienne a procédé depuis 1993 à un vaste regroupement, aboutissant à une réduction drastique du nombre de ses fédérations, de 28 à 17 aujourd'hui. Dernière opération en date, la création en 2001 de la Fédération chimie, mines, textile, énergie (CMTE). « Le conseil confédéral réfléchit à d'autres fusions pour aboutir à terme à 15 ou 16 fédérations. À commencer par les 3 fédérations de fonctionnaires qui devraient se regrouper », précise Guy Fazilleau, vice-président de la CFTC.

La CFE-CGC a aussi beaucoup fusionné au cours des dernières années. « Jusqu'en juin 2003, nous avions 25 fédérations, explique Jean-Louis Walter, son secrétaire général, soit davantage qu'à la CFDT. Il n'en reste plus que 15 aujourd'hui. Et les équipes des fédérations chimie, textile et bois prennent l'habitude de travailler ensemble en attendant mieux. » Car la restructuration interne n'est pas achevée. Lors de son dernier congrès, la CFE-CGC a décidé de retirer le droit de vote en comité directeur aux fédérations comptant moins de 2 000 adhérents. Un moyen détourné de les inciter à se regrouper qui n'a cependant pas encore abouti à des résultats concrets. Objectif avancé dans ces confédérations : optimiser les moyens financiers et humains pour améliorer les services rendus aux adhérents. Mais il s'agit aussi, reconnaît-on à demi-mot, de pallier la faiblesse des effectifs dans certains secteurs. « À la CFTC, ces fusions ont aussi permis de noyer les opposants à la direction confédérale dans des ensembles plus vastes », dénonce Jean-Marie Pernod.

La situation est radicalement différente à la CGT et à FO. Historiquement, les deux organisations ont une structure plus décentralisée, dans laquelle syndicats et fédérations se montrent très sourcilleux de leurs prérogatives. « À FO, la confédération n'a pas le pouvoir d'imposer une fusion entre fédérations, explique René Valladon, chargé par le dernier congrès d'harmoniser et de délimiter les champs syndicaux entre structures. Elle peut juste impulser et essayer de forger un consensus. » Plus facile à dire qu'à réaliser, comme le remarque Michel Huc, l'ancien patron des métallurgistes, l'une des grosses fédérations, avec celle des employés et cadres (FEC). « Il est difficile de discuter avec nos homologues des autres fédérations FO. Ils ont peur de se faire avaler. »

Officiellement, la centrale dirigée par Jean-Claude Mailly considère que les fusions ne sont pas nécessaires pour répondre aux besoins des adhérents. En cas de problème commun, les fédérations sont invitées à créer un groupe de travail et de concertation. « Le mariage raté de la Chimie et de l'Énergie CFDT ne milite pas pour des regroupements forcés. Mais la juxtaposition de conventions collectives dans une même entreprise milite pour des rapprochements circonstanciés », estime René Valladon.

À la CGT, on a « besoin d'évoluer »

À la CGT, le congrès 2003 a mandaté la direction confédérale pour proposer une modification de l'outil syndical. « Notre organisation est percutée par l'évolution démographique des syndiqués, par le turnover dans les entreprises et par le phénomène des travailleurs précaires. Nous avons besoin d'évoluer », estime Maryse Dumas, secrétaire nationale. Les derniers rapprochements entre fédérations CGT sont anciens. Le regroupement du textile, de l'habillement et du cuir, réalisé par Christian Larose, remonte à 1985. Celui des mineurs avec les adhérents d'EDF-GDF, piloté par Denis Cohen, s'est déroulé en 1999.

Mais, contrairement à ce qui se passe à FO, le sentiment que des évolutions sont nécessaires pour s'adapter aux fluctuations du contexte économique se diffuse largement. Le Peuple, le bimensuel de la CGT, tient d'ailleurs une tribune ouverte sur la question. Dans le numéro du 22 septembre 2004, Philippe Antoine, membre du conseil d'administration d'Indecosa, s'interroge : « Avons-nous les structures qui correspondent aux besoins [des salariés] ? » Et d'ajouter : « Pour nous organiser compte tenu de nos moyens, il nous faudrait éliminer tout ce qui fait doublon. »

Un avis partagé par Patrick Brody, secrétaire de la Fédération CGT du commerce et des services : « Trente-deux fédérations, c'est trop. Leur champ d'activité réduit n'est pas un gage de fonctionnement démocratique. Des fédérations au champ élargi et dotées de pôles professionnels nous permettraient de mutualiser nos efforts tout en conservant une démocratie de fonctionnement. » Du coup, certaines fédérations prennent des initiatives. Celle des activités postales et des télécoms a décidé d'étendre ses prérogatives aux entreprises du secteur privé. « Mais nous ne sommes pas des prédateurs à la recherche de nouveaux adhérents, assure Colette Duynslaeger, sa secrétaire générale. Nous élargissons simplement notre champ syndical pour suivre l'évolution du secteur. » De l'art de ne pas heurter les camarades des autres fédérations…

Si la recherche d'une organisation plus efficace est le but poursuivi, les questions d'hommes n'en sont pas moins omniprésentes. Dans ce domaine, les regroupements entre structures syndicales se heurtent aux mêmes difficultés que celles rencontrées dans les fusions d'entreprises : les patrons veulent conserver leur siège. « La question des structures a toujours été délicate à la CGT. Elle est liée au pouvoir des responsables », estime un ancien secrétaire général de fédération. Et Denis Cohen de renchérir : « Les adhérents des petites fédérations ont peur d'être absorbés par une plus grosse structure et les responsables craignent de perdre leur pouvoir. »

Hacuitex résiste aux Services

Ailleurs, le problème est identique. À la CFDT, les adhérents de la fédération de l'habillement, du cuir et du textile (Hacuitex) viennent de repousser la perspective d'une fusion avec l'énorme Fédération des services, en dépit d'un travail d'approche commencé depuis deux ans. « Ce rapprochement est pourtant logique car il nous donnerait plus de moyens pour syndiquer dans un secteur qui perd 15 000 à 20 000 emplois par an. De plus, nous aurions fait le lien avec les donneurs d'ordres de la grande distribution dont les adhérents sont à la Fédération des services. Il faudra approfondir le débat », estime Martial Videt, secrétaire général d'Hacuitex.

Ce responsable cédétiste marche sur des œufs. Car, à la CFDT, personne n'a oublié les tensions nées de la création de la FCE pour rapprocher les anciennes fédérations de l'énergie (FGE) et de la chimie (FUC). « Bruno Léchevin, l'ancien patron de l'énergie, n'a pas supporté de voir Jacques Kheliff, de la chimie, devenir secrétaire général après la fusion », rappelle un permanent. Parfois, les mésententes entre dirigeants sont avivées par des questions très concrètes. À la Fédération CGC des métiers de la finance et de la banque, l'opposition entre Michel Fournier, patron du syndicat des cadres du Crédit agricole (Sneca), et Gérard Labrune, responsable du Syndicat national de la banque (SNB-CGC) et de la fédération, s'est renforcée depuis le rachat du Crédit lyonnais par le Crédit agricole. Les adhérents du Sneca qui tiennent à leur accord de branche, à leur mutuelle et leur Opca n'ont aucune intention d'intégrer la convention collective de l'AFB. « Les deux responsables ne remettent pas en cause le principe du regroupement, affirme Jean-Louis Walter, secrétaire général de la CFE-CGC. D'autant plus que, sur le terrain, leurs adhérents s'entendent bien. » À voir, car au Sneca, la tentation est grande de quitter les banquiers pour rejoindre la Fédération de l'agro-alimentaire et de l'agriculture, culturellement plus proche…

Huit ans de gestation…

Qu'elles s'apparentent à la politique des petits pas, comme à Force ouvrière, où la Fédération de la communication a dépoussiéré ses statuts pour pouvoir négocier au nom des salariés des centres d'appels privés, ou qu'elles soient menées de façon radicale et planifiée, à l'instar de la construction de la future F3C CFDT, les restructurations restent des opérations très délicates. « Pour que cela marche, il ne faut pas viser l'absorption d'une structure par une autre, pas plus qu'une addition, mais plutôt un amalgame », estime Jacky Bontems.

Pour le secrétaire général adjoint de la CFDT, l'exemple de la FCE est significatif. « Outre les difficultés de compréhension entre militants issus de cultures très différentes, la transition a été trop rapide, l'avenir des responsables n'était pas clair et les enjeux de pouvoir non réglés. » Un sacré handicap pour démarrer dans la sérénité. Menée avec beaucoup plus de prudence, l'opération F3C en est à sa… huitième année de gestation. « Nous avons d'abord développé des partenariats, précise Danielle Rived. Depuis 2001 et la validation du processus auprès de nos congrès respectifs, les exécutifs des trois fédérations participent régulièrement à une réunion interfédérale pour construire le projet d'organisation de la nouvelle fédération. »

À la CGT, où le débat sur l'évolution des structures bat son plein, on est loin d'un processus aussi volontariste. Jean-Christophe Le Duigou, numéro deux de la centrale, préfère jouer la prudence : « Nous ne nous engagerons pas dans un grand Meccano interne pour réduire le nombre de fédérations. Nous nous dirigeons plutôt vers la multiplication de travaux communs entre fédérations impliquées dans un même secteur économique. » Pour autant, le comité confédéral de septembre 2004 a décidé la création de syndicats interprofessionnels attachés à un site ou à un bassin d'emploi. La première étape d'une réorganisation en profondeur ? En envoyant à la retraite des patrons de fédération, le papy-boom pourrait aider à redessiner les contours du paysage syndical.

Mariages sauvages

« FO dit non à la recomposition syndicale dans les banques. » En novembre dernier, Pierre Gendre (FEC-FO Banque) réagissait par tract interposé à la décision des dirigeants de la Fédération CFDT des banques de démissionner pour créer un « collectif national » destiné à fusionner avec la Fédération CGT des personnels des services financiers. Troisième syndicat représentatif dans le secteur avec 18 % aux élections professionnelles, FO ne pouvait voir d'un bon œil le rapprochement du premier syndicat bancaire, la CFDT, avec un concurrent.

La confédération CFDT non plus du reste, qui a réagit rapidement en nommant un administrateur provisoire à la tête de la CFDT Banques en la personne de Jean-Louis Tardivaud, le secrétaire général de la Fédération protection sociale, travail et emploi. Cette « fusion sauvage » n'est pas une première pour la CFDT, qui paie ses choix sur la réforme des retraites et l'indemnisation des intermittents du spectacle.

En novembre 2003, la Fédération générale des transports et de l'équipement connaissait la même situation. Son secrétaire général de l'époque ayant négocié le ralliement de ses troupes à la CGT. Auparavant, les adhérents de l'Union départementale CFDT de Haute-Loire avaient choisi de rejoindre la CGT. Des précédents plus anciens existent.

En 1999, Bernard Thibault lui-même avait négocié l'adhésion en bloc du Syndicat du commerce de Paris CFDT (Sycopa) à la Fédération du commerce CGT, dont l'un des secrétaires actuels n'est autre que Patrick Brody, ex-CFDT.

Si, aujourd'hui comme hier, la centrale de François Chérèque est particulièrement touchée par le phénomène, elle n'est pas la seule. Début 1998, une partie des adhérents de FO emmenés par Jacques Mairé, secrétaire général de l'Union départementale de Paris, rejoignait l'Unsa. Cette « union nationale de syndicats autonomes » étant elle-même issue d'un rapprochement, en 1992, de quatre structures syndicales autonomes : la FEN, la Fgaf, la FMC et la FGSOA. Comme quoi les syndicats peuvent aussi se développer par « croissance externe ». Comme les entreprises.

En 1999, Denis Cohen, alors à la tête de la Fédération CGT de l'énergie, a été le principal artisan de la fusion avec celle des mines.FALCO/LDL/MAWPPPEn 1998, le secrétaire général de l'Union départementale parisienne de FO, Jacques Mairé, allait rejoindre l'Unsa avec une partie de ses troupes.CYRILLE DUPONT

Auteur

  • Éric Béal