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LE CASSE-TÊTE DES STATUS

Enquête | publié le : 01.01.2005 | Valérie Devillechabrolle

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LE CASSE-TÊTE DES STATUS

Crédit photo Valérie Devillechabrolle

Temps de travail, protection sociale, épargne salariale… l'harmonisation des statuts est rarement la priorité des nouvelles directions. Si une minorité se lance dans de lourdes négociations, la plupart se contentent d'étendre l'un des régimes ou de les laisser coexister.

C'est peu dire que la publication des bans du mariage entre Sagem et la Snecma n'a guère enchanté les salariés du groupe aéronautique public : « Nous allons basculer dans une culture de création de valeur pour l'actionnaire. Ce ne sera pas sans conséquence sur le statut des personnels. Et on doute que l'harmonisation se fasse par le haut », s'inquiète Frédéric Bourges, administrateur salarié CGT de la Snecma. « À l'occasion des fusions, les salariés ont une peur bleue que leurs acquis soient remis en cause, sans voir ce qu'ils pourraient gagner en échange », confirme Michel Victor, du cabinet Hewitt.

De leur côté, les patrons des firmes qui convolent sont rarement pressés de s'attaquer au délicat dossier de l'harmonisation des statuts sociaux. D'ailleurs « aucune règle ne l'impose », rappelle Jean-Pierre Doly, du cabinet BPI, qui préconise de gérer cette étape « avec pragmatisme et bon sens ». Et des domaines pour cause, car mener ce chantier à bien suppose un travail de titan. Couvrant aussi larges et hétérogènes que la réduction et l'aménagement du temps de travail, la protection sociale complémentaire, les rémunérations variables, l'épargne salariale, le financement des trentaine œuvres sociales, la négociation chez BNP Paribas a nécessité « la conclusion d'une d'accords en dix-huit mois », récapitule Bernard Lemée, le DRH du groupe, qui reconnaît avoir « sous-évalué l'ampleur de la tâche ».

Et encore ne s'agissait-il que d'une fusion franco-française. Car, lorsque plusieurs pays sont concernés, la création de règles du jeu sociales communes peut virer au casse-tête, comme l'explique Jean-Louis Pierquin, DRH du groupe Arcelor : « Les réglementations et les fiscalités étant d'une extraordinaire complexité, que ce soit en France, en Allemagne, en Espagne ou au Brésil, l'harmonisation est très difficile à mettre en œuvre. Cela nous oblige à jongler, tout en conservant une ligne de conduite. Par exemple, en matière de licenciement, il n'est pas question de se fonder sur le moins-disant…»

Autre raison qui tend à faire reculer les DRH, « les accords sociaux, qui ont souvent été mis en place de longue date, au gré des victoires syndicales successives, parfois douloureuses, et sans toujours beaucoup de cohérence », témoigne Claude Renié, directeur des grandes entreprises chez Médéric, l'un des poids lourds de la prévoyance. Du coup, les directions vont y regarder à deux fois avant de remettre en cause un régime de santé ou un accord de temps de travail qui conditionnent en partie la vie privée de leurs salariés. Enfin, « si, à secteur équivalent, il n'y a pas d'écarts significatifs, ces statuts sont parfois révélateurs de philosophies très différentes entre deux entités à fusionner », souligne Hugues du Jeu, directeur de retraite chez Médéric.

Hasardeuses négociations

Ainsi, sur l'épargne salariale, rien de commun entre une entreprise qui cherche à fidéliser ses salariés via l'octroi d'avantages en termes de retraite complémentaire et une autre avant tout soucieuse de verser des rémunérations périphériques exemptées de cotisations sociales. De même, comment harmoniser les accords sur le temps de travail entre une firme qui a bâti un compte épargne temps conformément à sa culture de la performance et une autre qui a privilégié la prise de jours de congé ?

Certaines entreprises ne s'embarrassent pas de ces hasardeuses négociations. Quitte à payer le prix fort. Pour intégrer quelque 5 000 salariés du Crédit lyonnais au sein de Calyon, les dirigeants du Crédit agricole se sont contentés d'y transférer les contrats de travail des ex-Lyonnais en vertu de l'article L. 122-12 du Code du travail et de leur étendre les statuts en vigueur dans la « banque verte ». Ce nouveau régime étant globalement plus favorable que l'ancien, les salariés du Crédit lyonnais n'y ont rien trouvé à redire : « Il n'y avait pas grand-chose à regretter dans l'ancien statut », reconnaît Roger Almeras, le représentant CGT au CCE du Crédit lyonnais.

De la même façon, à Carrefour-Promodès, DRH et représentants du personnel n'ont pas tardé à négocier. « Et pour le coup, au moins au niveau des hypers, les Continent ont été alignés sur le statut des Carrefour, de loin le meilleur, souligne Serge Corfa, délégué syndical central CFDT à Carrefour. Nous avons obtenu un rattrapage des accords Carrefour sur trois ans. Aujourd'hui, plus de 90 % des salariés des hypers, sur un total de 70 000 personnes, sont couverts par le même statut. »

Une générosité dont n'ont en revanche pas profité les 30 000 salariés des supermarchés et les 27 000 des hard discount et autres services logistique et informatique, dont les accords sont encore loin d'être harmonisés. Ce qui ne va pas sans tiraillements internes, notamment entre les anciens, qui ont conservé leurs acquis sociaux, et les nouveaux embauchés, qui n'en bénéficient pas.

Une harmonisation à enveloppe constante

D'autres groupes, loin de se montrer aussi grands seigneurs, préfèrent laisser les choses en l'état, quitte à ce que subsistent des statuts différents. Au risque de « montrer que l'entreprise qui achète ne veut faire aucun effort en direction de ses salariés », met en garde Bernard Lemée. Le DRH du groupe BNP Paribas estime, a contrario, que « l'harmonisation des statuts fait partie du principe d'équité entre les personnels des deux entités, un principe indispensable pour susciter la confiance des salariés et assurer le bon fonctionnement du nouveau groupe ». D'ailleurs, abonde Michel Victor, du cabinet Hewitt, sur la durée, cette politique de l'autruche se révèle être un mauvais calcul. « Au bout de deux à cinq ans, la question finit toujours par se poser. » Ne serait-ce que pour faciliter les mobilités au sein du nouvel ensemble.

Quitte à prendre le taureau par les cornes, de plus en plus d'entreprises en profitent pour faire le ménage dans leurs dispositifs maison, généralement avec le souci de « les rendre plus lisibles et moins coûteux », précise Claude Renié, du groupe Médéric. En commençant par mettre à plat les deux systèmes et à convertir les avantages divers en salaire. En familier des fusions-acquisitions, Jean-Claude Armbruster, le DRH de Sanofi-Aventis, n'a pas tardé à constituer des groupes d'intégration sur chacun des thèmes à négocier : les rémunérations, en y incluant tout ce qui touche aux compensations and benefits ; le développement des compétences ; la mesure de la performance et la mobilité internationale. « Le but étant d'avoir demain un système unique », explique le DRH qui s'est donné jusqu'à juin 2006 pour y parvenir.

Mais la première caractéristique de cette harmonisation, son postulat de départ, est que les négociations se déroulent en règle générale à enveloppe constante… sans en profiter pour grappiller quelques deniers ici ou là. « Sachant que tout cela crée une grande période d'inquiétude pour les salariés, y compris pour ceux de l'entreprise acheteuse, qui ne demandaient rien, il faut pouvoir montrer aux organisations syndicales que les économies réalisées d'un côté ont bien été réinjectées d'un autre », insiste Bernard Lemée, du groupe BNP Paribas. C'est assurément un gage de préservation de la paix sociale.

Auteur

  • Valérie Devillechabrolle