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Un plan pour améliorer la prévention

Dossier | publié le : 01.01.2005 |

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Un plan pour améliorer la prévention

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Le Plan santé-travail annoncé par le gouvernement prévoit la création d'une agence publique intégrée au système de veille sanitaire. Une façon pour l'état de prendre pied dans un domaine devenu très sensible, jusqu'alors géré par les seuls partenaires sociaux.

D'ici à 2025, 100 000 personnes vont mourir d'un cancer dû à l'amiante ! Les dernières prévisions de l'Inserm font froid dans le dos et amplifient encore le scandale. Dans certaines régions, les plaintes au pénal de familles de victimes se multiplient. Après le procès du sang contaminé, c'est très vraisemblablement celui de l'air contaminé qui occupera le devant de la scène au cours des prochaines années. Une nouvelle catastrophe sanitaire qui montre bien l'urgence du Plan santé-travail (PST), un grand programme national pour 2005-2009 concocté depuis l'été par la Direction des relations du travail, en concertation avec les partenaires sociaux et qui devrait être présenté en ce tout début d'année.

La feuille de route a été rédigée après que le Conseil d'état a épinglé l'état sur l'amiante, le condamnant à indemniser des victimes pour avoir failli à sa mission de prévention. Du coup, les pouvoirs publics affichent l'ambition de prendre la main sur le dossier de la santé au travail, devenu trop brûlant. « Avec l'arrivée de l'État aux manettes, on change de braquet, estime Philippe Askenazy, chercheur au CNRS et auteur de l'ouvrage les Désordres du travail, paru au Seuil en 2004. Jusqu'à présent les partenaires sociaux pilotaient seuls le dispositif. Et le sujet de la santé au travail a finalement toujours été supplanté par des dossiers qu'ils jugeaient davantage prioritaires comme l'emploi, les retraites et la réduction du temps de travail. Par ailleurs, dans les entreprises, la logique des syndicats a plus souvent été de négocier des primes de pénibilité que d'imposer une politique de prévention des risques et de la santé digne de ce nom. Une situation qui arrangeait bien le patronat. »

Mais la succession de scandales sanitaires (amiante, éthers de glycol…), l'intensification du travail qui s'est traduite par une croissance exponentielle des troubles musculo-squelettiques – 35 000 personnes sont concernées par cette pathologie en France – et des catastrophes industrielles comme l'explosion de l'usine AZF à Toulouse le 21 septembre 2001 sont venues déstabiliser le système de prévention. Dans la foulée, le gouvernement Jospin a publié un décret obligeant les entreprises à consigner dans un document unique les résultats de leur propre évaluation des risques professionnels. Un an auparavant, les partenaires sociaux avaient bien tenté d'améliorer le système de prévention via un accord national interprofessionnel favorisant la pluridisciplinarité au sein des services de santé au travail et créant des observatoires régionaux ad hoc. Mais ces différentes dispositions n'ont pas encore trouvé leur rythme de croisière. Plusieurs rapports, dont celui de l'Igas en 2003, ont également dénoncé les carences du système de prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles, notamment le manque d'indépendance des différents acteurs et l'inefficacité du contrôle de l'état.

Un rapprochement de l'Ineris et de l'INRS

Le PST arrive donc à point nommé. En novembre dernier, à l'occasion du Forum international travail-santé (Fits 2004), le ministre délégué aux Relations du travail, Gérard Larcher, a rappelé les trois priorités du plan : « intégrer la santé au travail dans le dispositif de veille sanitaire en dotant l'état d'une agence publique, renforcer l'effectivité des contrôles par l'Inspection du travail et revoir, avec les partenaires sociaux, les modalités de pilotage des actions et des objectifs en matière de prévention ». Tout d'abord, le gouvernement veut structurer et renforcer les moyens de recherche en santé au travail car il manque cruellement de visibilité pour prendre des décisions et piloter le système. « Il nous faut des données et les interprétations sanitaires de ces données, il nous faut des méthodes pour évaluer les risques, il nous faut de la formation à la prévention des risques professionnels de qualité », a indiqué William Dab, directeur général de la santé, lors du forum.

À cette fin, le plan gouvernemental prévoit le rapprochement de l'Institut national de l'environnement industriel et des risques (Ineris) et de l'Institut national de recherche et de sécurité (INRS). « Ce n'est pas le PST qui nous pousse à nous rapprocher, réagit Jean-Luc Marié, directeur général de l'INRS. Cela fait plus de six mois qu'avec l'Ineris nous montons notre projet d'association autour des problématiques de toxicologie. En revanche, ce qui me frappe dans la rédaction de ce plan, c'est l'absence de l'INRS. Alors que depuis cinquante ans, l'état nous appelle à la rescousse quand il s'agit de mener des projets de recherche d'envergure. »

Côté syndicats, la plupart se sont montrés favorables aux orientations du PST, en tout cas sur la forme. Sur le fond, les partenaires sociaux restent encore très prudents, voire méfiants. Tout d'abord parce qu'en annonçant publiquement au Fits, fin novembre, la création d'une agence publique de santé au travail, le gouvernement n'a pas répondu à l'un des vœux des syndicats, consultés sur la question. Le ministre délégué aux Relations du travail propose en effet aux partenaires sociaux d'étendre le champ d'intervention de l'actuelle Agence française de sécurité sanitaire environnementale ou de confier à l'Institut de veille sanitaire l'ensemble de l'évaluation des risques en matière de santé au travail. « Des scénarios qui ne sont pas pertinents, estime Dominique Olivier, secrétaire confédéral à la CFDT. Nous ne voulons pas que la santé au travail se retrouve cannibalisée par des préoccupations environnementales ou alimentaires. » L'idée de la plupart des organisations syndicales serait plutôt de créer une agence stricto sensu et de lui confier la coordination des multiples acteurs de la prévention des risques et des maladies professionnels. « Aujourd'hui, plus personne ne sait qui fait quoi, estime Marcel Royez, secrétaire général de la Fnath (Association des accidentés de la vie). Une agence indépendante est nécessaire pour que l'état ait les moyens d'assurer sa mission de prévention. »

Le Medef rejette les orientations proposées

Autre critique des partenaires sociaux, le manque de moyens alloués au PST. « Les idées sont généreuses, mais le ministère ne prévoit pour le moment aucun moyen financier et humain pour les réaliser, note Dominique Olivier, de la CFDT. Nous demandons la création de 20 postes de chercheurs en santé au travail par an pendant cinq ans pour développer les connaissances, comme le souhaite d'ailleurs le gouvernement. Or, dans le meilleur des cas, les ministères concernés n'en prévoient pas plus de quatre. » Serge Dufour, chargé du dossier à la CGT, dénonce pour sa part « le manque d'ambition du plan par rapport aux enjeux ». De son côté, le Medef a rejeté en grande partie les orientations proposées, notamment l'idée que l'état puisse cogérer un domaine jusqu'alors réservé au paritarisme. L'annonce de la création d'une agence publique n'est pas de nature à le rassurer. Selon l'organisation patronale, le gouvernement cherche ni plus ni moins à étatiser la santé au travail.

L'ambition du PST est effectivement de réformer en profondeur le pilotage du système pour mieux le coordonner. À l'échelle nationale, la Direction des relations du travail propose de mettre sur pied un comité interministériel de coordination des risques professionnels auprès du Premier ministre. Sur le plan régional, la création de conseils supérieurs de la prévention des risques professionnels est également envisagée. Des pistes de travail qui ont fait bondir le Medef qui y voit la volonté d'écarter les partenaires sociaux et les entreprises, de minimiser leurs actions et d'enterrer prématurément les observatoires régionaux en santé et travail, des structures paritaires nées de l'accord de septembre 2000.

La branche AT-MP dans le rouge

Cette prise de responsabilités de l'état est plutôt bien perçue par les associations de victimes d'accident du travail. La Fnath, par exemple, conteste ouvertement la mainmise du paritarisme sur la prévention des risques. « On ne peut plus laisser la santé au travail aux mains des partenaires sociaux, estime Marcel Royez. Ils ont toute légitimité pour gérer les risques professionnels dans l'entreprise mais dans un cadre posé par la puissance publique. Notre système de prévention doit gagner son indépendance. Ce n'est plus aux industriels de dire ce qui est bon pour la santé des salariés. »

La réforme annoncée par le Plan santé-travail touche également le système de tarification et d'indemnisation des accidents du travail et des maladies professionnelles. Conçu après la Seconde Guerre mondiale, le dispositif actuel ne pénalise pas suffisamment les entreprises qui ne font rien en matière de prévention et ne récompense pas celles qui s'y engagent. «On ne peut pas organiser une politique de prévention sans résoudre la question de la tarification et de l'indemnisation. Ce sont deux puissants facteurs de prévention», estime Marcel Royer. En voulant faire évoluer le dispositif, le gouvernement Raffarin met le doigt sur un sujet sensible pour les partenaires sociaux qui gèrent la branche. Son idée : réactiver et durcir les incitations financières à la prévention, à l'exemple du système américain qui, par ce biais, a réussi à réduire d'un tiers les accidents du travail dans les années 90.

Dans tous les cas, la situation risque de devenir vite intenable pour les gestionnaires du système, avec un déficit annoncé de la branche AT-MP qui devrait atteindre 500 millions d'euros cette année et 800 millions d'euros en 2005. Les cotisations vont donc inéluctablement augmenter. « Si l'état ne se donne pas les moyens de faire une grande réforme, c'est le pouvoir judiciaire qui risque de s'emparer du dossier. Et la note sera plus salée ", prédit Marcel Royez. Un argument de plus pour renforcer la prévention, ce qui pourrait permettre aux entreprises et à l'état de réaliser de substantielles économies.

La longue gestation d'une politique de santé et sécurité

12 juin 1989 : une directive-cadre européenne " santé et sécurité au travail » introduit l'obligation de pluridisciplinarité dans les services de santé au travail.

13 septembre 2000 : l'accord interprofessionnel signé par six organisations (Medef, CGPME, UPA, CFDT, CFTC, CGC-CFE) sur la santé au travail crée notamment les observatoires régionaux de santé au travail et fait une large place à la pluridisciplinarité et à la médecine du travail.

21 septembre 2001 : explosion de l'usine AZF à Toulouse. La prévention des risques industriels devient une priorité gouvernementale. En novembre, un décret oblige tous les employeurs à inventorier les risques professionnels dans un document unique.

17 janvier 2002 : la loi de modernisation sociale transforme les services médicaux du travail en services de santé au travail, pluridisciplinaires. Le 28 février, la Cour de cassation reconnaît la faute inexcusable de l'employeur dans le cadre de 29 affaires liées à la contamination de salariés par l'amiante.

24 juin 2003 : un décret précise le rôle des intervenants en prévention des risques professionnels (IPRP).

4 mars 2004 : un arrêt du Conseil d'état condamne l'état à indemniser des victimes de l'amiante pour avoir failli à sa mission de prévention.

28 juillet 2004 : un décret achève la réforme de la médecine du travail ; il fixe le quota maximal de salariés (3 300) que chaque médecin doit surveiller, le rythme de passage de la visite médicale (tous les deux ans) et maintient le tiers temps avec obligation pour le médecin de passer 150 demi-journées sur le terrain.

Janvier 2005 : Plan santé-travail. L'état veut prendre la main sur la politique de prévention des accidents et maladies professionnels en créant notamment une agence publique de santé au travail intégrée au dispositif de sécurité sanitaire.

Avec le Plan santé-travail, Gérard Larcher, ministre délégué aux Relations du travail, veut intégrer la santé au travail dans le dispositif de veille sanitaire en dotant l'État d'un organisme de contrôle.TONDRE/EA