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Thierry de La Tour marie valeurs SEB et mondialisation

Vie des entreprises | METHODE | publié le : 01.12.2004 | Éric Béal

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Thierry de La Tour marie valeurs SEB et mondialisation

Crédit photo Éric Béal

Entre impératifs de compétitivité et respect des valeurs, la voie est étroite pour le patron de SEB. Tablant sur l'innovation face aux pays à bas coûts salariaux, le P-DG du groupe d'électroménager travaille à unifier le management et à créer une culture commune dans un groupe éclaté entre ses marques.

Le 1er janvier 2005 sera une date importante dans l'histoire de SEB. Groupe SEB France (GSF), une société réunissant les équipes commerciales et l'administration des ventes des six marques de l'entreprise présentes sur le marché français du petit équipement ménager, sera portée sur les fonds baptismaux. Un pas important dans la stratégie d'intégration engagée depuis cinq-six ans par la direction. La création de GSF officialise un regroupement effectif depuis quelques années, traduisant une spécialisation des marques par familles de produits. Et la DRH, qui a d'ores et déjà entamé les négociations sur le statut et la protection sociale des 385 salariés de cette future filiale, y voit la première étape d'un dialogue social centralisé au niveau de l'ensemble du groupe et d'une harmonisation des statuts entre ses différentes sociétés.

Une sacrée révolution, au regard de la culture décentralisatrice qui prévalait jusque là. Créée en 1925, la Société d'emboutissage de Bourgogne s'est développée par croissance externe à partir de 1968. Successivement, Tefal, Calor, Rowenta et enfin Moulinex-Krups, en 2001, sont tombés dans son escarcelle. Jusqu'en 1998, les filiales contrôlaient la totalité de leurs activités et se faisaient concurrence entre elles. De la R & D à la commercialisation, sans oublier la GRH, tout était décentralisé. À présent, les 14 sites de production français travaillent pour l'ensemble des marques du groupe et sont spécialisés par familles de produits. Et les P-DG des filiales rapportent aux directions générales d'activités regroupées au sein de la holding SEB Développement.

Une rationalisation qui s'explique notamment par la concurrence féroce des pays à bas coûts salariaux. Entre les impératifs de compétitivité, qui poussent le groupe à externaliser la production à l'étranger, et le respect des valeurs éthiques chères aux créateurs de SEB, Frédéric et Henri Lescure, les marges de manœuvre sont étroites pour Thierry de La Tour d'Artaise, aux commandes de l'entreprise familiale depuis mai 2000.

1 PLACER L'INNOVATION AU CŒUR DE L'ORGANISATION

C'est paradoxalement la dégringolade du rouble en 1997 qui a servi de déclencheur à cette nouvelle stratégie du groupe d'origine bourguignonne. Avec 180 millions d'euros de chiffre d'affaires annuel, la Russie était devenue le troisième marché le plus important de SEB. Il s'est effondré en quelques semaines. Dans les usines françaises, les mesures de chômage technique ne suffisent pas. Les sites Calor de Saint-Priest et de Villefranche-sur-Saône sont fermés. Le choc est terrible. Jacques Gairard, le P-DG de l'époque, et son comité directeur, au sein duquel figure Thierry de La Tour d'Artaise, alors P-DG de Calor SA, décident de chambouler de fond en comble l'organisation interne.

Finie, l'indépendance des filiales. Pour rationaliser les investissements et réaliser des économies d'échelle, SEB s'engage dans une transformation irréversible qui verra cette entreprise historiquement organisée comme une « fédération de sociétés » devenir un groupe de plus en plus intégré. « Notre métier change, nous ne pouvons plus nous disperser. Il nous faut repenser notre stratégie de marque et proposer des produits innovants pour séduire les consommateurs. » Dans la bouche de Jacques Alexandre, l'actuel DG adjoint stratégie et activités du groupe, la remarque sonne comme une condamnation définitive du bon vieux temps. Celui où chaque nouveau produit permettait de conquérir des consommatrices avides d'alléger leurs tâches quotidiennes.

Très axé sur l'innovation technologique depuis sa création, SEB a réduit le nombre de ses projets de recherche et concentre ses efforts dans des domaines permettant d'espérer une rupture technologique. À l'exemple des Clipsos qui, grâce à leur système d'ouverture facile, se vendent comme des petits pains malgré un prix d'achat beaucoup plus élevé que celui d'une Cocotte-Minute classique. De toute manière, la grande distribution, qui représente près de 50 % du chiffre d'affaires du groupe, élimine les produits trop anciens des étalages. « Un tiers de notre chiffre est détruit ainsi tous les trois ans », indique Jacques Alexandre.

Suivant l'exemple de Renault qui revendique le titre de « créateur d'automobiles », le groupe SEB entend devenir « créateur de petits équipements ménagers » et a adopté un fonctionnement par projets qui oblige au brassage des savoir-faire et des compétences. Cette approche, baptisée « innovation par la valeur », fait partie de l'un des quatre chantiers du projet d'entreprise CAP + 5, adopté en 2002 sous la houlette de Thierry de La Tour d'Artaise. Le deuxième chantier s'est penché sur les marques, le troisième sur la distribution.

Quant au quatrième chantier, portant sur le management de l'entreprise, il découle des trois autres. « La conduite des hommes et des équipes, la gestion des ressources humaines et jusqu'aux relations sociales sont fortement ébranlées par les évolutions en cours. Dès lors, les modes de management ont besoin d'évoluer », expliquait le P-DG de SEB, début 2002, au cours d'une convention du management consacrée au projet CAP + 5, précisant que « le groupe devait développer un style de management plus enthousiaste, plus audacieux et plus professionnel ».

2 ENFORCER LA CULTURE DE GROUPE

Pour confirmer l'importance de l'enjeu des RH, le P-DG de SEB a fait entrer Harry Touret, le directeur des ressources humaines groupe, fraîchement débauché d'Aventis, au sein du comité exécutif. Une première pour la société basée à Écully, précédée par un renforcement du département RH du groupe, avec la création du poste de DRH France, en 2000, confié à Dominique Gallopin, puis de celui de DRH Europe, pris en charge par Patrice Échevin, également responsable de la gestion des carrières des 1600 cadres du groupe. Sitôt arrivé, Harry Touret a immédiatement lancé une enquête auprès de la population cadre. Objectif : mieux connaître les modes de management dans les filiales afin de généraliser les bonnes pratiques et lancer des plans d'action dans les domaines où cela s'avérait nécessaire.

Jusqu'alors, le seul dénominateur commun aux salariés de ce groupe éclaté entre ses nombreuses filiales résidait dans les résultats financiers. Il est vrai que l'accord d'intéressement signé en 1967, qui procure en moyenne un mois de salaire supplémentaire au personnel, fournit aux collaborateurs une bonne raison de s'en préoccuper. Car les sites de production sont trop éparpillés pour créer une culture commune, comme le souligne Jacques Dealbertis, secrétaire du CE du groupe et responsable de l'électroménager à la Fédération CGT de la métallurgie. « Non seulement nous ne travaillons pas dans les mêmes régions, sans parler des sites à l'étranger, mais nous n'exerçons pas les mêmes métiers. »

Du côté de l'encadrement, en revanche, les barrières culturelles se sont plus facilement effacées. « Il y a quelques années, les informations présentées sur le site intranet ou sur Tempo, le trimestriel destiné aux cadres, n'étaient pas consultées. Les cadres ne s'intéressaient qu'à leur société de rattachement. Ce n'est plus vrai aujourd'hui », estime Jean Hansmaennel, directeur de la communication et du management. Outre l'amélioration de la communication interne, l'organisation de programmes de formation transversaux a contribué à développer la culture groupe des cadres. Comme Sebéco, une formation lancée en 2000 pour mieux faire comprendre les enjeux économiques de l'entreprise, qui a contribué à un bon niveau d'information sur le sujet, comme a pu le constater en arrivant Thierry Lagarde, DG du site de Selongey, venu de Peugeot.

SEB, qui consacre entre 2,5 % et 2,7 % de sa masse salariale à la formation, accentue ses efforts dans ce domaine, considéré par Daniel Vitoux, directeur de la formation, comme « l'un des principaux leviers pour développer la culture commune ». L'université groupe SEB (UGS) propose des « formations dirigeants » et des programmes « leaders », en coopération avec l'International Institute for Management Development, basé en Suisse. Destinées à constituer un vivier de dirigeants, ces sessions permettant aux cadres à potentiel de développer leur culture marketing seront d'ici peu complétées par des rencontres organisées avec des personnalités réputées dans leur domaine pour« prendre un peu de recul ».

L'UGS organise également des séminaires de management avec l'Insead. Une démarche précédée d'une réaffirmation des principes de management. En 1995 déjà, deux fascicules intitulés« Principes pour notre action » et « Principes de management » rappelaient les valeurs ancestrales des fondateurs et les règles de gestion des hommes sur lesquelles SEB entend fonder sa réussite. « Fonctionnement transparent et solidaire, respect de l'autre et des engagements pris, esprit d'équipe et solidarité », d'un côté. « Formation des hommes, aide au développement personnel, évolution de carrière ou gestion par projet », de l'autre. Pour l'essentiel, ces grands principes sont restés les mêmes. « Nous ne présentons rien d'original, avoue Harry Touret. Les progrès viennent de l'implication quotidienne des managers et de la qualité de leur animation d'équipe. »

3 UNIFIER LES PRATIQUES MANAGÉRIALES

Reste que, sur le terrain, les principes ont parfois tendance à s'effacer devant les objectifs de production et les impératifs de productivité, au dire des syndicats. Si la pression vient du client, elle s'exerce d'abord sur les agents de maîtrise et les salariés, estime Gérard Leguay (CFDT), secrétaire du CE de la SAS SEB : « La direction locale nous a proposé par le passé d'inclure l'indicateur de productivité dans les critères d'intéressement, preuve que les règles de management ne sont pas sa préoccupation première. » Si les organisations syndicales reconnaissent l'implication de la DRH groupe, elles s'impatientent d'en voir les résultats concrets sur le terrain. « Les effectifs du siège ont été renforcés. Mais les décisions prises à Écully ne sont pas encore systématiquement appliquées sur les sites », regrette Jacques Dealbertis, de la CGT. En écho à ces remarques, les résultats de l'audit sur le management montrent que si 97 % des cadres se disent fiers de travailler chez SEB, ils n'en expriment pas moins des attentes.

Outre une plus grande transparence des processus RH, ils espèrent bénéficier d'une aide pour améliorer leurs pratiques. L'évaluation des performances individuelles, la gestion des rémunérations ou la façon de se séparer d'un collaborateur font partie des thèmes les plus souvent cités. Par-dessus tout, la nécessité de respecter une certaine équité se fait sentir. Utilisée par un intervenant lors d'une convention de management, la notion de fair process a été tout de suite utilisée par l'encadrement, et finalement reprise par la direction des ressources humaines. Résultat, aux principes de management initiaux s'est ajoutée la nécessité d'évaluer les comportements managériaux. Dans un premier temps, les managers passeront une évaluation à 180 degrés. Mais l'objectif ultime est d'instaurer une évaluation à 360 degrés, en lien avec les valeurs édictées par le groupe. Premiers à appliquer la nouvelle règle, les membres du comité de direction achèveront une formation sur le sujet en janvier prochain. Thierry de La Tour d'Artaise s'est engagé à faire le test. Comme tout un chacun.

4 FAVORISER LA MOBILITÉ INTERNE

« J'avais envie de voir autre chose. » Après quinze ans de présence sur une ligne de frappe de poêles Tefal, Christian Bailleul a été invité par la direction de son établissement à suivre un bac pro par alternance. De retour à l'usine une fois son diplôme obtenu, il a suivi un parcours de découverte, travaillant à la logistique, au service qualité puis au service méthode. Fin septembre 2003, il remplace son ancien responsable parti à la retraite et devient agent de maîtrise. Pour Évelyne Mulard, déléguée FO de Selongey, le cas reste exceptionnel mais il est significatif : « Pour le moment, cela ne concerne que 5 personnes sur les 594 salariés du site, mais c'est un plus qui n'existait pas auparavant. »

Les mobilités fonctionnelles ou géographiques sont plus fréquentes chez les cadres. En particulier depuis que tous les emplois cadres ont été décrits selon la méthode Hay. En complément d'indications sur les compétences indispensables et les résultats attendus, les cadres bénéficieront bientôt d'informations sur la moyenne des salaires en fonction des positionnements hiérarchiques. Associés à l'entretien annuel d'appréciation, ces outils ont vocation à améliorer la gestion des carrières et la mobilité.

Des comités d'évaluation, composés de responsables opérationnels et de managers RH, se réunissent également deux fois par mois pour une évaluation des managers par niveaux et continents. Rémunérations, fonctions et potentiel d'évolution des 1 600 cadres du groupe sont examinés. Ce suivi s'accompagne d'une revue annuelle des ressources humaines au niveau du groupe. « L'objectif est de proposer une évolution professionnelle tous les quatre ans », indique Patrice Échevin, DRH Europe et responsable de la gestion des carrières. Chaque poste libéré fait l'objet d'une recherche en interne préalablement à tout recrutement extérieur. Récemment nommé responsable d'un centre de comptabilité client destiné à servir l'ensemble des sociétés du groupe, Christian Odobez confirme : « Les cadres changent de plus en plus souvent d'affectation entre les sociétés du groupe. Personnellement, j'ai bénéficié d'un bilan de compétences avant de me voir offrir cette nouvelle responsabilité. »

5 CENTRALISER LE DIALOGUE SOCIAL

Assurant une grande partie de sa production en Europe, SEB ne peut guère se battre sur les prix. « Le coût de la main-d'œuvre asiatique est 50 fois moins élevé », explique Rémi Descosse, directeur général adjoint chargé de l'industrie. Pour rester compétitif, le groupe sous-traite déjà 20 % de la fabrication de ses produits finis, tout en conservant la maîtrise de la conception et du design des articles fabriqués à l'autre bout du monde. La part externalisée devrait passer à 30 % dans quelques années. Lancé dans une course effrénée aux gains de productivité, SEB a également réduit le nombre de ses fournisseurs, de 2 500 à un peu plus de 700. Au passage, le groupe a fait évoluer son résultat net 2003 de 117,6 millions d'euros à 148,4 millions d'euros, pour un chiffre d'affaires en diminution de 6 % sur la même période. Alors que certains sites connaissent une baisse d'activité, cette politique n'est pas sans inquiéter les partenaires sociaux. Et les projets de regroupement des plates-formes logistiques par familles de produits ne sont pas vraiment de nature à les rassurer.

« Notre entreprise respecte une certaine éthique. La direction des ressources humaines travaille à doses homéopathiques en essayant de maintenir en vie les sites touchés. Mais mon sentiment est que cela ne durera pas », pronostique Michel Vaxelaire, de FO. Afin de tranquilliser les organisations syndicales, tout en avançant dans la centralisation du dialogue social, Harry Touret leur a, dans un premier temps, proposé de siéger au comité de groupe France à raison d'un délégué par syndicat représentatif sur chaque site. Puis il les a invitées à nommer chacune un délégué syndical central au niveau du groupe.

Autre dossier propice à l'émergence de ce dialogue social centralisé, la création de la société GSF. Après accord de l'ensemble des fédérations syndicales concernées, une commission sociale est née. Quatre représentants y siègent par syndicat, face aux DRH groupe et France. Objectif : clarifier les systèmes de rémunération, de retraite et de mutuelle des collaborateurs qui y seront rattachés. Et traiter des problèmes engendrés par le transfert de ces 385 salariés, issus de plusieurs sociétés, dans la nouvelle entité. L'opération aura notamment un impact sur le calcul de l'intéressement de l'ensemble des salariés du groupe. « La commission sociale est l'instance de discussion permettant de suivre les sujets communs à toutes les sociétés du groupe, rappelle Harry Touret. Les premières réunions ont permis de réaliser un suivi des reclassements en cours. Les suivantes permettront d'associer les syndicats à la création du statut des employés de Groupe SEB France. »

Dominique Gallopin, le DRH France, ne cache pas, qu'à terme, l'objectif est de bâtir un socle social commun à toutes les sociétés du groupe. « Nous commencerons par harmoniser les rémunérations. La protection sociale, la mutuelle santé, la prévoyance, le régime de retraite devraient suivre. » Avec le développement de formations identiques, les DRH entendent bien favoriser l'équité et la mobilité au sein du groupe. « Un système de ce genre est indispensable pour créer un esprit de groupe sans perdre l'histoire de chaque marque », précise Harry Touret. Côté syndical, les inquiétudes sur la préservation de l'emploi industriel en France ne sont pas atténuées pour autant, même si aucune fermeture de site n'est pour l'instant programmée.

Entretien avec Thierry de La Tour :
« L'industrie européenne n'a pas d'avenir si elle a pour seule stratégie la réduction des coûts »

Gendre d'Emmanuel Lescure, P-DG de SEB pendant quinze ans, Thierry de La Tour d'Artaise n'avait jamais imaginé s'installer, un jour, aux commandes du groupe familial de petit électroménager. À sa sortie de l'ESCP, muni d'un diplôme d'expert-comptable, c'est vers l'audit qu'il se dirige. Sa carrière oriente ensuite ce Lyonnais vers les Croisières Paquet, dont il deviendra directeur général. La famille Lescure lui propose alors de rejoindre SEB. L'éthique des fondateurs de l'entreprise bourguignonne n'est pas pour déplaire à ce dirigeant aux convictions chrétiennes. Tant pis si, dans son métier, un « fer à repasser » désigne un médiocre navire : en 1994, il entre à la direction générale de Calor, dont il est nommé P-DG deux ans plus tard. Numéro deux de SEB en 1999, il succède, en mai 2000, à Jacques Gairard à la présidence du groupe. Lancé dans l'internationalisation de son entreprise, ce polyglotte n'a paradoxalement plus le temps de cultiver son violon d'Ingres : l'apprentissage des langues.

Depuis votre arrivée à la présidence de SEB, vous avez engagé une vaste réorganisation du groupe. Pour quelles raisons ?

J'ai repris les orientations stratégiques de mes prédécesseurs en y ajoutant la volonté de devenir un groupe vraiment mondial en nous concentrant sur nos produits clés, en optimisant la gestion de nos marques tout en développant les synergies internes. Du côté des ressources humaines, nous profitions mal de la chance d'être un groupe doté de sites multiples et de toutes tailles. Nous nous sommes dotés d'une gestion mondiale de nos ressources humaines pour permettre à nos collaborateurs de progresser en leur proposant des évolutions de carrière.

Cette réorganisation bouscule-t-elle les valeurs du groupe ?

C'est tout le contraire. SEB a toujours veillé à sa profitabilité afin d'assurer sa pérennité et de donner à ses salariés les moyens de se réaliser. Nous continuons avec 15 000 personnes ce que nous faisions il y a vingt ans avec 2 000. La création de fonctions RH centrales permet de coordonner les initiatives, d'étendre les bonnes pratiques à toutes nos sociétés, tout en garantissant une équité de traitement à l'ensemble des salariés.

Comment comptez-vous résister à la baisse des prix imposée par la grande distribution ?

Nous sommes convaincus que l'industrie européenne n'a pas d'avenir si elle a pour seule stratégie la baisse permanente des prix et la réduction des coûts. Cette obsession actuelle est un risque majeur pour l'emploi en France. Les entreprises américaines du petit électroménager ont toutes délocalisé pour répondre aux exigences des grands distributeurs. Elles ont fini par réduire leur publicité et leur R & D et ont dévalorisé leurs savoir-faire. En tant que leader mondial, notre vocation est de tirer le marché vers le haut. Nous ne pourrons être sur les produits premiers prix mais nous nous concentrerons sur les produits de milieu et de haut de gamme en valorisant nos marques grâce au design et à l'innovation. Nous ne vendrons jamais des cafetières à 5 euros, par exemple, mais nous voulons pouvoir offrir des produits à 15 euros pour proposer une alternative de qualité aux consommateurs.

Cette stratégie va-t-elle peser sur l'avenir de vos sites industriels en France ?

Aujourd'hui, la croissance de notre activité se fait sur de nouveaux marchés, comme l'Asie ou l'Amérique latine. Notre outil industriel doit tenir compte de cette évolution. Notre politique industrielle est de nous concentrer sur la conception et l'assemblage, qui nous garantissent la maîtrise de l'innovation, donc de maintenir une production importante en France, mais pas nécessairement la production des produits d'entrée de gamme, qui est impossible si on veut rester compétitif. L'exemple de Moulinex nous rappelle qu'il faut s'adapter en permanence et une partie de la production devra être confiée à des sous-traitants.

Pourquoi avoir repris quatre sites Moulinex en France en 2001 ?

Il y avait un vrai intérêt stratégique à reprendre Moulinex car ses produits complétaient bien nos gammes. Cette reprise a permis de sauver 1 850 emplois en France. Nous avons regroupé les sites de Villaine et de Mayenne, distants de 25 kilomètres, pour améliorer leur compétitivité et en assurer la pérennité. À cette occasion, 90 % du personnel a suivi. Ceci est cohérent avec notre politique sociale qui vise à éviter ou limiter le plus possible les licenciements secs grâce à des mesures d'âge, à des reclassements en interne et à la reconversion du site.

Vos partenaires sociaux comprennent-ils votre stratégie ?

Ils sont très matures s'agissant des réalités économiques du groupe. Cette situation s'explique par la transparence dont nous faisons preuve sur les résultats et les efforts de formation dont bénéficient les salariés en matière économique.

La direction de vos usines vosgiennes a proposé aux syndicats d'augmenter la durée du travail. Est-ce une remise en cause des 35 heures ?

Absolument pas. Tous nos sites sont à 35 heures, excepté les usines des Vosges qui étaient à 32 heures à la suite d'un accord défensif signé après une baisse d'activité. À l'époque, les aides de l'État rendaient la mesure indolore. Aujourd'hui, celles-ci n'existent plus et nous devons sauvegarder notre compétitivité face à la concurrence. D'où la nécessité que ce site soit, comme tous les autres, à 35 heures.

Faut-il revenir sur les 35 heures ou maintenir en l'état la réduction du temps de travail ?

La politique des 35 heures n'a pas aidé à renforcer la valeur du travail dans l'esprit des Français et a contribué à renchérir le coût du travail vis-à-vis de la concurrence internationale. Et tout ce qui va dans ce sens aura des conséquences négatives en matière d'emploi. Mais la remise en cause des 35 heures sous sa forme actuelle n'est pas la seule réponse aux problèmes de compétitivité. Face à des concurrents qui bénéficient d'un coût horaire de 0,5 dollar, alors que nous payons 23 euros, travailler 35 ou 38 heures hebdomadaires ne change pas fondamentalement les données du problème. Mieux vaut utiliser son énergie à élaborer une stratégie plus globale.

Comment vous préparez-vous à l'allongement de la durée de vie au travail ?

Des groupes de réflexion ont été organisés avec les partenaires sociaux autour du projet « âges, santé, sécurité, compétences ». L'objectif est de faire l'inventaire des initiatives prises dans les sociétés du groupe pour généraliser les plus intéressantes. Pour les TMS, nous travaillons à prévenir les problèmes en amont, dès la conception des lignes de production. Quant aux managers seniors, nous intégrons désormais dans la gestion de leur carrière l'allongement de la durée de vie au travail, soit dans leur filière professionnelle, soit au travers de missions spécifiques.

Plusieurs groupes français ont récemment signé une charte sur la diversité. Que pensez-vous de cette initiative ?

L'intention est honorable. Chez SEB, nous n'aimons pas faire de déclaration avant d'avoir agi. Par ailleurs, la diversité d'origine existe déjà dans nos sites industriels. C'est moins vrai, en revanche, pour l'égalité hommes-femmes. Un des programmes de CAP + 5, notre projet d'entreprise, porte d'ailleurs sur la féminisation de la population cadre. Nous recrutons autant d'hommes que de femmes dans les emplois qualifiés mais ces dernières partent plus vite pour des raisons personnelles ou demandent à travailler à mi-temps, ce qui complique la gestion de leur carrière.

Propos recueillis par Éric Béal et Jean-Paul Coulange

Auteur

  • Éric Béal