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Vie des entreprises

Les cinq recettes des best-sellers de management

Vie des entreprises | ZOOM | publié le : 01.12.2004 | Stéphane Béchaux

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Les cinq recettes des best-sellers de management

Crédit photo Stéphane Béchaux

Dans la masse des ouvrages à faible tirage qu'ils publient, les éditeurs de livres de management RH décrochent parfois le jackpot. Les secrets de la réussite ? Surfer sur la vague psy et coaching, noircir le tableau, privilégier les auteurs capables de faire leur propre promotion et consommer les gourous américains avec modération.

Encore raté ! Cette année, le gros succès en matière de management et de gestion des ressources humaines est une fois de plus passé sous le nez des éditeurs d'ouvrages spécialisés. Et c'est une petite maison, Michalon, fondée par un ancien d'Euro RSCG, qui a décroché le gros lot avec Corinne Maier. Le Bonjour paresse de cette chercheuse d'EDF, sorti en mai dernier, en est à son onzième retirage et avoisine les 180 000 ventes. Un crève-cœur pour les éditeurs en ressources humaines qui, de Village mondial à Dunod en passant par les Éditions d'Organisation et Maxima, ont pris l'habitude de manquer le sauteurs à succès. Comme Marie-France Hirigoyen, la théoricienne du harcèlement moral, qui publie chez Syros, ou Viviane Forrester, dont l'Horreur économique a fait les beaux jours de Fayard.

Dans le petit univers des livres de management, la réussite se mesure comme pour les romans. À 5000 exemplaires, on parle déjà d'un vrai succès éditorial ; à 10 000, d'un best-seller. « La technique consiste à publier beaucoup, avec des premiers tirages très faibles. Et de miser sur les quelques livres qui marchent pour rentabiliser tous les autres », explique une ancienne éditrice. À la décharge des éditeurs, rien n'est fait pour mettre en valeur leurs ouvrages. Leur place habituelle ? Au fond de la librairie, quelque part entre les rayons développement personnel, droit et entreprise, business ou sciences humaines. Des handicaps qui n'empêchent cependant pas les éditeurs de connaître quelques beaux succès de librairie. À condition de respecter certaines règles d'or.

1. Broyer du noir

Vive le sang, la sueur et les larmes ! Pour appâter le lecteur, mieux vaut éviter les thématiques positives. Le bonheur au bureau ou l'épanouissement professionnel ne font pas recette. La souffrance au travail, le harcèlement moral ou la gestion du stress, si. « En matière de RH, les livres qui deviennent grand public sont en général pessimistes. La société française reste hostile à l'entreprise, qui n'est vue que comme un mal nécessaire. C'est très attristant », déplore Laurent du Mesnil, le patron de Maxima.

Une règle que Pierre Hurstel, le DRH d'Ernst & Young, a appris à ses dépens. Son opuscule, l'Entreprise réparatrice ou le Nouvel Épanouissement, qui vantait sans modération les vertus thérapeutiques de l'entreprise, a fait un flop. Le spécialiste du droit du travail Lionel Belème, lui, n'a dû son salut qu'à un changement de titre. Son Guide juridique pour devenir un salarié avisé, poussif, n'a véritablement décollé qu'une fois transformé en Salariés, défendez vos droits.

Grands pourvoyeurs d'ouvrages pratiques sur l'efficacité professionnelle, le leadership ou la gestion du stress, les éditeurs en management n'en renoncent pas pour autant à flatter les vils instincts du salarié français. La paresse, remise au goût du jour par Corinne Maier, trouve ainsi place depuis plusieurs années dans les catalogues. Sorti en 1998, l'Art de ne pas travailler du Canadien Ernie Zelinski réalise encore de 3 000 à 4 000 ventes annuelles aux Éditions d'Organisation. Du même auteur, Réussir quand on est paresseux a connu, l'an dernier, un joli succès avec près de 10 000 exemplaires écoulés. Chez Dunod, le Chef de projet paresseux… mais gagnant ! de M. Destors et J. Le Bissonnais en est à sa deuxième édition.

Autre thématique porteuse, les relations de travail, conflictuelles, cela va sans dire. Village mondial s'en est même presque fait une spécialité avec trois ouvrages sur le sujet au cours de la seule année 2004. Après Relations difficiles au travail en janvier et une nouvelle édition de Travailler avec des personnes difficiles (5 000 exemplaires déjà vendus) en septembre, la filiale de Pearson vient de récidiver, voilà quinze jours, avec Gérer les conflits au travail. Pas en reste, les Éditions d'Organisation misent, elles, sur l'humour, avec la sortie, en mai dernier, d'Insupportables collègues, une galerie de portraits des casse-pieds et autres emmerdeurs qui empoisonnent la vie de bureau.

2. Abuser du coaching
« On est sur la pente descendante du coaching », assure Claudine Dartyge, directrice de collection aux Éditions d'Organisation.LUC PERENOM

C'est la poule aux œufs d'or. Au cours des cinq dernières années, le coaching s'est imposé comme la valeur sûre des ouvrages de management. « Du coaching sportif on est passé au coaching d'équipe, puis d'individus. Le terme est maintenant intégré par le grand public, et c'est le plus porteur », souligne Laurent du Mesnil. Les éditeurs ont, depuis, attaqué ce marché sous tous les angles: celui des coachs, qui cherchent à améliorer leurs pratiques ; celui des managers, qui doivent motiver leurs équipes, et celui des « coachés » eux-mêmes. « Dans notre catalogue, on a six ouvrages qui comportent le mot coaching. Tous marchent très bien. On a parfois du mal à résister à la tentation de le mettre sur toutes les couvertures », confie Marie-Laure Cahier, directrice éditoriale chez Dunod. Pour preuve, quatre nouveaux bouquins sur le sujet sont en préparation chez l'éditeur. Dont le prometteur… Un coach nommé Jésus !

Reste qu'à force de mettre le coaching à toutes les sauces les éditeurs risquent de saturer le marché. À la Fnac, on recense pas moins de 44 livres dont le titre contient les mots coaching, coach ou coacher. « Le sujet est en train de s'épuiser. On a tellement écrit dessus qu'il n'y a plus vraiment d'idées neuves », constate Gaëlle Picard, éditrice chez Village mondial. « On s'est servi du mot pour y mettre des choses de plus en plus vastes. Comme il y a énormément de livres sur ce créneau, il faut attendre que le ménage se fasse », tempère Laurent du Mesnil. Aux Éditions d'Organisation, on essaie de surfer sur l'overdose. « On est sur la pente descendante du coaching. Maintenant, on commence à en dénoncer les abus », explique Claudine Dartyge, directrice de collection. Première à donner de la voix, Éléna Fourès. Après s'être fendue, en juin 2003, d'un Comment coacher, cette neurolinguiste a lancé un pavé dans la mare du coaching avec son Petit Traité des abus ordinaires.

3. Jouer la carte psy

Dans le droit fil du coaching, la psychologie a pris une place de choix parmi les ouvrages de management. De la gestion des conflits individuels à la motivation collective des équipes, des bonnes pratiques managériales au développement des collaborateurs, la psychologie a envahi tous les domaines de la GRH. « C'est le segment qui marche le mieux. Il répond au désarroi des managers traditionnels, déstabilisés par la fin des organisations hiérarchiques et le développement de l'autonomie dans le travail », analyse Marie-Laure Cahier. La décentralisation des ressources humaines, qui fait aujourd'hui de tous les cadres des DRH en puissance, a fait le reste.

Tête d'affiche sur ce créneau porteur, Éric Albert. Sorti en avril 1998, Le manager est un psy s'est vendu à plus de 35000 exemplaires. Depuis, le P-DG de l'Institut français de l'anxiété et du stress (Ifas) est devenu une valeur sûre des Éditions d'Organisation, avec Au lieu de motiver, mettez-vous donc à coacher ! et N'obéissez plus ! Chez Dunod, les plumes rentables sur ce segment se nomment Gilles Prod'Homme, auteur d'un S'affirmer sans s'imposer qui s'écoule au rythme de 2 000 à 3 000 exemplaires par an et, surtout, Françoise Kourilsky. Cette psychologue adepte des méthodes californiennes de Palo Alto a fait un tabac avec Du désir au plaisir de changer, vendu à plus de 40 000 exemplaires depuis sa sortie, en 1999, et réédité cette année.

Autre déclinaison de cette tendance psy, le développement personnel. Le marché n'est pas neuf, mais de nouveau très porteur. « L'aspect comportemental a pris beaucoup d'importance dans le quotidien des managers, analyse Claudine Dartyge. Peut-être faut-il y voir aussi un certain mal-être au travail et le désir de mieux y vivre. » Chez Dunod, le développement personnel fait l'objet d'une collection à part, sous la marque Interéditions, qui connaît « une croissance à deux chiffres depuis cinq ans ». « On constate une moindre résistance des entreprises aux techniques de développement personnel. Les adeptes de la PNL [programmation neurolinguistique], par exemple, ne sont plus guère considérés comme faisant partie d'une secte », note Marie-Laure Cahier. PNL, analyse transactionnelle, ennéagramme, les ouvrages se vendent comme des petits pains.

4. Ne pas trop miser sur les gourous anglo-saxons

« Si vous demandez autour de vous qui est Drucker, on vous parlera de Michel, voire de Jean. Mais jamais de Peter ! » Dans la bouche de Laurent du Mesnil, le constat vaut regret. Véritable pape du management outre-Atlantique, Peter Drucker reste largement méconnu dans l'Hexagone. Mais ses ouvrages font quand même le bonheur de Village mondial, qui écoule chaque année un petit millier de son Avenir du management et de Devenez manager !. Parmi les autres auteurs à succès de la filiale de Pearson, Jim Collins et son De la performance à l'excellence, et Jack Welch. Avec Ma vie de patron, l'ancien boss de General Electric a séduit plus de 15 000 acheteurs français. « L'ouvrage de management, globalement, c'est pauvre. Les Américains ont l'art de faire des livres accessibles, qui se lisent vite, avec quelques messages clés », explique Gaëlle Picard.

Autre ouvrage à succès, le Prix de l'excellence, de Tom Peters et Robert Waterman. Sorti voilà vingt ans, ce classique du management s'est vendu dans l'Hexagone à plus de 200 000 exemplaires. Un record. Dunod vient d'ailleurs d'en sortir une troisième version. Ce qui n'empêche pas l'éditeur d'avoir mis le holà aux traductions. « Les différences culturelles entre la France et les États-Unis sont très fortes. Beaucoup d'ouvrages américains sont inadaptés. On limite les traductions aux techniques de développement personnel, qui viennent toutes de Palo Alto, en Californie », justifie Marie-Laure Cahier. Aux Éditions d'Organisation non plus, on ne mise guère sur les gourous anglo-saxons. « Le marché américain est moins riche en nouveaux talents, et les traductions ne se vendent plus aussi facilement », observe Claudine Dartyge.

5. Cibler des auteurs VRP

En matière de management, les valeurs sûres tricolores sont très rares. Jean-Marie Peretti, Maurice Thévenet ou Éric Albert sont de ceux-là, capables par leur simple nom de convaincre un libraire de leur accorder une place dans ses rayons. Hervé Sérieyx aussi. Depuis l'Entreprise du 3e type qui fit, voilà vingt ans, la fortune du Seuil, l'ancien consultant a produit une vingtaine d'ouvrages RH, publiés chez pratiquement tous les éditeurs de la place. « Sérieyx écrit très bien, et sent l'air du temps, même si sa réflexion n'est pas toujours très poussée. Avec ses conférences, il vend bien », explique l'un d'entre eux.

Sur le marché français, impossible d'attendre du bouche-à-oreille ou des critiques dans la presse qu'ils fassent décoller les ventes. Le taux de rotation des livres est tel que ceux-ci ont rarement le temps de trouver leur public avant de disparaître des présentoirs. Pour assurer le succès d'un bouquin, il convient donc que son auteur, en bon VRP à la recherche de notoriété, en soit le premier prescripteur. Ce qui fait des professeurs en école de commerce ou en troisième cycle universitaire, des consultants et des formateurs des cibles de choix. Sans l'une de ces trois casquettes, difficile de se faire une place au soleil. « Le profil type, c'est le consultant indépendant qui veut écrire sur son expertise. Sauf que, bien souvent, le sujet a déjà été traité. Parfois depuis dix ans ! » confie Claudine Dartyge, qui reçoit chaque semaine une vingtaine de projets. « On est submergé de mauvais ouvrages, poursuit l'une de ses consœurs. Avant d'examiner un projet, on regarde toujours le CV pour s'assurer que l'auteur est pertinent et qu'il pourra être partie prenante à la promotion. »

Dans le genre, les stages et autres séminaires sont de parfaits vecteurs de diffusion. Un marché juteux qu'ont investi certains organismes de formation ou de conseil, comme Demos ou Insep Consulting, qui disposent de leur propre maison d'édition. « On suit de très près les activités des organismes de formation. Ce sont de formidables prescripteurs d'ouvrages », reconnaît Marie-Laure Cahier, de Dunod. Du coup, la Cegos a noué un partenariat avec l'éditeur ESF, et une douzaine d'ouvrages sont déjà sortis des presses.

Les sujets qui vont monter
Hormis le succès de l'ouvrage d'Elisabeth Lavillle, « l'Enreprise verte », le thème du développement durable draîne encore un public limité.PHILIPPE ZAMORA

L'après-coaching s'annonce délicat pour les éditeurs RH. On ne remplace pas facilement une thématique aussi porteuse, qui tire le secteur tout entier depuis cinq ans… Rien à attendre du développement durable. Le sujet a beau être dans l'air du temps, il ne fait pas vendre. Hormis « l'Entreprise verte », d'Élisabeth Laville, qui, depuis sa sortie au printemps 2002 chez Village mondial, frôle la barre des 10 000 exemplaires, aucun ouvrage n'a trouvé un très large public sur ce créneau. L'innovation ne suscite pas davantage l'enthousiasme, malgré les grands discours sur l'avènement de la société de la connaissance et le rôle crucial des investissements en R & D.

Parmi les sujets que les éditeurs disent suivre avec attention, la place des seniors dans l'entreprise. C'est Dunod qui a tiré le premier en publiant, au printemps, un livre outil, « Quinquas : votre carrière après 50 ans ». Au mois d'octobre, Village mondial s'est à son tour emparé du sujet avec « les Seniors dans l'entreprise », de Jean-Marie Peretti et Éléonore Marbot.

Autre thème remis au goût du jour par l'actualité sociale: la formation professionnelle et la valorisation des acquis de l'expérience. « Dès qu'il y a une nouvelle loi, les livres sur le sujet se vendent bien. Et, sur la VAE, on sent monter l'intérêt des salariés », confie Claudine Dartyge.

À l'heure des mutations technologiques accélérées et des incessants changements de cap des entreprises, les maisons d'édition font aussi le pari que la conduite du changement et la motivation des équipes resteront deux sujets phares dans les prochaines années. « L'implication et la motivation des hommes sont des sujets classiques, mais persistants », assure Marie-Laure Cahier. Comme les ouvrages de vulgarisation du droit du travail. Licenciement, démission, sanction… Autant de thèmes qui, sur fond de judiciarisation des relations du travail et de perte d'influence des syndicats, sont promis à un bel avenir.

Auteur

  • Stéphane Béchaux