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Vie des entreprises

Jeu égal sur le social entre La Grande Récré et Toys « R » Us

Vie des entreprises | MATCH | publié le : 01.12.2004 | Sarah Delattre

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LA GRANDE RÉCRÉ

Crédit photo Sarah Delattre

Père Noël aux yeux des enfants, mais pas des vendeurs… les deux enseignes n'offrent pas des salaires mirobolants. Pour autant, les deux distributeurs n'ont pas à rougir. La firme française joue à fond la carte de la polyvalence. Le leader américain met le paquet sur la formation. Et tous deux favorisent la promotion interne.

À quelques semaines de Noël, l'agitation est à son comble dans les rayons de jouets et en coulisses. « Actuellement, nous déchargeons cinq semi-remorques par jour et 22 caisses sont ouvertes en permanence », indique Richard Godot, le jeune directeur du magasin Toys « R » Us de La Défense. Plus grande surface spécialisée d'Europe avec ses 5 000 mètres carrés, elle a pratiquement multiplié par quatre ses effectifs au cours du dernier trimestre. Mais les charmants bambins qui viennent rêver devant les robots dernier cri ou les plus traditionnelles peluches sont loin de se douter que le secteur est l'objet d'une guerre sans merci entre les hypermarchés et les enseignes spécialisées. Tout particulièrement en cette période de Noël, qui représente entre 50 et 60 % du chiffre d'affaires de la profession.

Dans cette bataille commerciale, Toys « R » Us fait figure de rouleau compresseur. Avec 12 % de part de marché, le distributeur américain réalise un chiffre d'affaires de 354 millions d'euros dans l'Hexagone. Pour la période des fêtes, il a recruté près de 3 000 employés en CDD pour prêter main-forte à ses 1 400 permanents. Son challenger, La Grande Récré, est une entreprise familiale à la française, créée en 1977 par Maurice Grunberg, aujourd'hui disparu, dont le portrait jovial trône encore dans toutes les boutiques. Actuellement, cette affaire de famille codirigée par le fils du fondateur, Jean-Michel, et Daniel Velasco emploie quelque 850 salariés en période basse, secondés par 500 saisonniers à temps complet ou partiel (de trente à huit heures hebdomadaires) pour les pointes d'activité.

« En fonction des besoins de nos magasins, ils sont plutôt affectés à la réception des marchandises, à la mise en rayons ou à l'emballage des cadeaux », explique Hélène Furlani, responsable du recrutement. Avec 100 points de vente en France et un chiffre d'affaires de 180 millions d'euros, La Grande Récré détient 7 % du marché de la distribution de jouets. « L'objectif est de doubler le nombre de magasins d'ici à 2008, par ouverture ou par rachat », souligne Michel Carnet, le directeur des ressources humaines, venu d'Ikea.

Implantés indifféremment en centre-ville, en périphérie ou dans les galeries commerciales, les magasins, qui occupent en moyenne 1 000 mètres carrés de superficie, cultivent leur côté commerce de proximité. Tandis que ceux de Toys « R » Us, deux fois et demie à trois fois plus grands, ressemblent à de gigantesques cavernes d'Ali Baba. Présent dans l'Hexagone depuis 1989, le leader américain compte aujourd'hui 33 magasins. Alors que le distributeur envisage un revirement stratégique majeur dans son pays d'origine – une séparation de ses deux branches : d'un côté Babies « R » Us, spécialisé dans la puériculture, de l'autre la vente de jouets, voire la cession pure et simple de ses boutiques –, la maison mère a procédé à une recapitalisation de sa filiale française à hauteur de 60 millions d'euros. « En Europe, le marché français du jouet arrive en troisième position après la Grande-Bretagne et l'Allemagne et bénéficie d'un fort potentiel, observe Régine Adamec, DRH. Dès 2006, nous voulons ouvrir trois à cinq magasins par an, notamment dans des zones quasiment désertes comme la Bretagne ou le Centre. » En France, le navire amiral restera La Défense, dont l'enseigne veut faire le deuxième magasin au monde, derrière le célèbre FAO Schwartz de Manhattan.

Un lointain siège madrilène
TOYS « R » US (FRANCE)33 magasins. 1 400 salariés permanents. Chiffre d'affaires : 354 millions d'euros en 2003.NICOLAS

Bousculé par des concurrents qui, comme La Grande Récré et King Jouet, visent respectivement 25 et 15 ouvertures de magasins par an, le géant américain n'a pas d'autre choix s'il veut conserver son leadership. De quoi redonner le sourire à Geoffrey, la girafe mascotte qui commençait à douter de l'existence du Père Noël. En 2003, restructuration oblige, les services financiers et informatiques installés au siège, à Évry, ont en effet été délocalisés sur un seul site à Madrid. Quant à la filiale spécialisée dans la vente de jouets aux comités d'entreprise, elle a carrément disparu, entraînant la suppression de 65 postes et le départ en juin de Jacques Le Foll, aux commandes depuis les débuts.

Dorénavant, la filiale française est placée sous autorité hispanique et les représentants des salariés déplorent une dégradation du climat social. « Même si la direction espagnole passe deux à trois jours en France chaque semaine, les employés du siège ont l'impression que le centre de décision s'est éloigné, témoigne Dominique Pechrikian, déléguée CFDT. Sortant d'une gestion paternaliste, ils ont eu, au début, le sentiment d'être traités avec moins d'égard, d'être moins écoutés. Il y a eu un choc des cultures. »

Mais les syndicats redoutent aussi que la création de plates-formes européennes s'étende à terme à d'autres services. La pilule est d'autant plus amère que le souvenir des années 1998-1999 est encore dans tous les esprits. Confronté à des pertes colossales (93,9 millions d'euros), Toys « R » Us France est contraint de fermer 13 magasins sur 44 et de licencier 200 personnes. À la direction des ressources humaines, le numéro vert mis en place lors de l'arrivée du groupe américain en France est assailli d'appels de salariés désireux de vider leur sac dans le plus parfait anonymat.

C'est après cette période noire qu'a été décidée la spécialisation des collaborateurs. Le concept a été revu et les magasins ont été réorganisés en « univers » (multimédia, puériculture, jeux pour filles, sports de plein air, etc.) pour améliorer la convivialité. Depuis, les employés, de l'ordre d'une trentaine par magasin, sont cantonnés à un secteur particulier. « La spécialisation nous a permis d'être mieux formés et d'atteindre un meilleur niveau de service », estime Fabrice, vendeur multimédia et représentant du personnel à La Rochelle.

Par comparaison avec ses principaux concurrents, Toys « R » Us dispose d'un encadrement beaucoup plus étoffé. « Les directeurs, parfois secondés par un adjoint, supervisent quatre à six cadres ou agents de maîtrise en fonction de la taille des magasins », précise Régine Adamec. Une organisation qui, selon la direction, alourdit les charges de structure. « À terme, nous risquons d'adopter les standards européens et de diminuer le nombre de cadres pour alléger la masse salariale », s'inquiète Pascale Haspel, déléguée CFDT de l'enseigne.

Polyvalence des équipes

Avec un effectif moyen de huit personnes par magasin, La Grande Récré a choisi, au contraire, de développer la polyvalence de ses équipes. « Les journées passent et ne se ressemblent pas. Je peux aussi bien théâtraliser les vitrines, faire la mise en rayons, décharger les livraisons et conseiller un client sur l'ensemble des produits du magasin », apprécie Joachim, vendeur en région parisienne. Les directeurs de l'enseigne familiale disposent aussi d'une plus grande marge de manœuvre, tant sur l'agencement de leurs boutiques que sur la mise en avant de certaines marques et la gestion de leur personnel.

Résultat : un baromètre, réalisé pour la troisième fois en 2004 auprès des salariés, révèle une ambiance au travail relativement sereine. « Avec une note globale de 43 sur une échelle qui va de moins 100 à 100 et un taux de participation de 66 %, La Grande Récré obtient des résultats nettement supérieurs à la moyenne, observe Solène de Margerie, consultante chez Inergie Opinion, cabinet chargé d'analyser les résultats. Les salariés apprécient, par exemple, les perspectives d'évolution et la gestion des compétences. Ils jugent les managers accessibles et ont le sentiment d'être réellement écoutés. En revanche, ils avouent concilier difficilement vie privée et vie professionnelle, une situation inhérente au secteur. Dans quelques magasins moins récents où il n'y a pas la climatisation, les salariés se plaignent également des conditions de travail. »

Au siège, où les 70 employés ont reçu un bouquet de fleurs et partagé un petit déjeuner à l'occasion de la journée « J'aime ma boîte », organisée par le mouvement patronal Ethic, de Sophie de Menthon, Michel Carnet, le DRH, ajoute que « la difficulté en matière de ressources humaines, c'est l'éclatement ». Désireuse de créer une culture d'entreprise commune, La Grande Récré accentue sa politique de communication interne. En juin, lors d'une convention triennale, elle a ainsi rassemblé tous ses employés au Cnit, à La Défense, et dévoilé ses principaux axes de développement.

Point noir : les salaires

Chez Toys « R » Us, les salariés évoluent dans un cadre beaucoup plus codifié et disposent d'une moins grande autonomie. « Toys “R” Us est une entreprise américaine. Les procédures concernant le remboursement des clients, le merchandising, l'animation y sont extrêmement précises », témoigne Pascale Haspel, de la CFDT. « Chez Toys, un directeur de magasin gère avant tout un compte d'exploitation et une équipe, juge Olivier Donval, ancien cadre de l'enseigne, aujourd'hui directeur de Village JouéClub à Paris (voir encadré). Il ne s'occupe pas des achats, et n'a guère de latitude sur la commande de produits supplémentaires et l'agencement des magasins. »

Dans le groupe américain comme chez son concurrent, les salaires ne sont pas florissants. « C'est le point noir du secteur », note Pascale Haspel. Les employés commencent à 1 240 euros brut mensuels à La Grande Récré et bénéficient d'une prime d'ancienneté conventionnelle de 1 % par an dès la troisième année. Entre les deux enseignes, le fossé se creuse sur les postes de directeurs. Chez Toys « R » Us, ils touchent entre 2 740 et 3 500 euros brut mensuels, auxquels s'ajoute un bonus de 15 %. Tandis qu'à La Grande Récré leur rémunération s'échelonne entre 1 900 et 2 400 euros.

Le treizième mois, généralisé à l'ensemble du personnel chez Toys, ne profite qu'aux employés du siège à La Grande Récré. Une situation qui suscite beaucoup de frustrations. « Vu le secteur d'activité, je trouverais normal de toucher une prime à Noël », estime Joachim, vendeur à La Grande Récré. À l'inverse, le système de prime sur chiffre d'affaires, réservé aux directeurs et aux chefs de secteur chez Toys, profite à tous les salariés de La Grande Récré. « Nous touchons aussi une prime annuelle liée à la participation, l'équivalent des trois quarts d'un salaire mensuel », indique Luc, vendeur dans l'Est parisien.

Un diplôme homologué chez Toys

Pour fidéliser les jeunes salariés et tenter d'enrayer un turnover qui, dans certaines boutiques, avoisine les 50 %, les deux distributeurs mettent l'accent sur la formation. Avec un léger avantage pour Toys « R » Us. L'enseigne, qui y consacre 3 à 4 % de sa masse salariale, a créé en 1996 sa propre université, la Geoffrey School. Celle-ci délivre un diplôme homologué à bac + 2 et accueille à Évry entre 60 et 80 employés par an. « En suivant nos cursus, un employé sélectionné sur concours peut devenir chef de secteur au bout de deux ans et prendre la tête d'un magasin au bout de quatre ans », se félicite Régine Adamec, la DRH.

De son côté, La Grande Récré privilégie plutôt les modules courts et forme 700 employés et cadres. « Nous mettons un point d'honneur à former toutes les catégories salariées. Les employés ont, par exemple, suivi un stage de un à deux jours sur la connaissance de l'enfant ou sur le merchandising, les responsables de magasin ont été sensibilisés à la gestion des crises et des hold-up », souligne Corinne Maillot, responsable de la formation et de la communication interne.

Fidèles aux principes de la grande distribution, les deux enseignes font aussi largement fonctionner la promotion interne. « Les deux tiers des responsables de magasin et des adjoints sont issus du terrain », note Michel Carnet. Idem chez Toys « R » Us. Pour gérer au plus près les compétences, les deux ont aussi généralisé les entretiens d'évaluation. « Tous les employés ont deux entretiens par an, en mars et en septembre, ce qui nous permet de faire le point sur leurs aspirations et les perspectives d'évolution », poursuit Michel Carnet. « Les efforts de La Grande Récré en matière de formation et de gestion de carrière commencent à porter leurs fruits, commente Solène de Margerie, d'Inergie. Cette année, dans notre questionnaire, nous avons ajouté une tranche d'ancienneté supérieure à cinq ans, inexistante il y a encore deux ans. »

Pionnière, l'enseigne américaine a été la première à signer, en juin 1999, un accord de réduction du temps de travail fondé sur l'annualisation. « Les employés travaillent 1 600 heures par an et peuvent cumuler jusqu'à 48 heures hebdomadaires en période de Noël », confie Dominique Pechrikian. Les cadres bénéficient de 23 jours de RTT et d'une journée de repos en compensation du port obligatoire de l'uniforme. À La Grande Récré, les salariés enchaînent jusqu'à 44 heures les cinq semaines précédant Noël, entre 28 et 32,5 heures le reste du temps. Autant dire que la fin de l'année n'est pas vraiment de tout repos.

Une GRH à inventer à JouéClub
Le Toys « R » Us de la Défense est le plus grand magasin français de l'enseigne, qui veut en faire le deuxième au monde derrière le FAO Schwartz de Manhattan.SITTLER/REA

Avec ses 2 000 mètres carrés de surface, le Village JouéClub situé passage des Princes, dans le IIe arrondissement de Paris, est le plus grand magasin de jouets implanté en plein cœur de la capitale. Ouvert en septembre 2002, il est aussi le seul que le réseau JouéClub, une coopérative de 300 indépendants, possède en propre. Créé en 1966, ce réseau s'enorgueillit d'être le premier distributeur de jouets français avec 13 % de part de marché, devant Toys « R » Us. Une place de numéro un contestée par ses concurrents qui situent plutôt JouéClub aux alentours de 5 % du marché.

Reste que Village JouéClub représente un virage dans la vie de l'enseigne. Après avoir constitué un univers cosy pour ses jeunes clients, avec salon de coiffure et jardin d'enfants, le directeur du magasin, Olivier Donval, s'est en effet attaqué au chantier des ressources humaines.

Fils d'anciens adhérents de JouéClub, il a d'abord passé près de dix ans chez Toys « R » Us avant de retourner aux sources. Il est aujourd'hui à la tête d'une petite PME de 55 salariés qui compte plus d'une centaine d'employés à Noël.

« Ici, tout reste à inventer, y compris la politique sociale. Nous avons commencé par rédiger les contrats de travail, les lettres de préavis. Prochainement, par exemple, nous allons procéder aux élections des délégués du personnel et à la constitution du comité d'entreprise. Il nous faut aussi réfléchir à la mise en place d'un système de primes. »

En matière de formation, Olivier Donval pourra toujours s'appuyer sur l'école pratique JouéClub, une association créée en 1994, seule entorse faite à une gestion des ressources humaines complètement décentralisée. 150 à 200 employés et gérants de magasin viennent ainsi renforcer leur technique de vente et leur bagage informatique. « Nous souhaitons harmoniser le niveau des compétences au sein du réseau », argumente Évelyne Nicolini, directrice administrative et financière.

Auteur

  • Sarah Delattre