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Que penser du projet de réforme du licenciement économique ?

Débat | publié le : 01.12.2004 |

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Que penser du projet de réforme du licenciement économique ?

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Après avoir suspendu début 2003 la plupart des dispositions de la loi de modernisation sociale relatives au licenciement économique, le gouvernement a dû, faute d'accord sur ce thème entre les partenaires sociaux, reprendre la main. Le texte en discussion au Parlement améliore-t-il le dispositif précédent, jugé inégalitaire et peu propice au dialogue ? Les réponses de trois avocats travaillistes.

« Ce texte innovant s'intéresse enfin aux licenciements économiques dans les PME. »

GILLES BÉLIER

Avocat associé, cabinet Freshfields et ex-membre de la commission de Virville.

Légiférer sur les licenciements économiques sans déclencher un mouvement immédiat de protestation médiatique, qui plus est sans avoir de réelles marges de manœuvre permettant de travailler sur une réforme en profondeur de ce droit, était un exercice difficile. Passons sur l'épisode malheureux de l'inscription de la sauvegarde de la compétitivité parmi les causes qualificatives du licenciement économique, alors même que la jurisprudence de la chambre sociale de la Cour de cassation et celle du Conseil constitutionnel sont suffisamment ancrées pour éviter ce qui ressemble à une bévue. Passons sur la tentative de revenir sur la nullité du licenciement prononcé sans qu'un plan de sauvegarde de l'emploi ait été présenté à la consultation du comité d'entreprise, qui aurait gravement déséquilibré le dispositif. Peut-être faut-il aussi s'interroger sur la pertinence du texte s'agissant de l'ordre du jour des réunions du CE et la possibilité laissée à l'employeur d'imposer l'inscription d'un point lorsque le point litigieux impose légalement une consultation. Parce que des employeurs consulteraient lorsqu'ils n'y sont pas tenus ? Sans doute aussi peut-on douter de la portée de cette nouvelle négociation triennale dans les entreprises occupant plus de 300 salariés, obligation s'ajoutant à tant d'autres informations, consultations ou négociations… Sauf à considérer, peut-être, que l'absence de tenue ou de contenu réel d'une telle négociation prive tout licenciement économique ultérieur de cause réelle et sérieuse ? L'innovation (toute relative) conduirait alors à une contrainte nouvelle quelque peu déséquilibrée.

Reste cependant un texte mesuré et porteur d'innovations importantes.

En premier lieu, il s'intéresse, enfin, aux salariés licenciés dans les « petits » licenciements économiques ou dans les petites entreprises, avec la mutualisation de coûts permettant une forme de généralisation du congé de reclassement concernant tous les salariés licenciés pour cause économique alors que de telles mesures ne concernaient que les plans sociaux des grandes entreprises, soit 15 % des salariés licenciés.

Ensuite, le projet d'article L. 321-16 reprend les dispositions de l'article 118 de la loi de modernisation sociale sur la « revitalisation » des bassins d'emploi, en ce qui concerne les entreprises importantes. Il ouvre, en outre, une procédure intéressante pour les autres, lorsqu'un projet de restructuration « est susceptible d'affecter, par son ampleur, l'équilibre du ou des bassins d'emploi dans lesquels [l'entreprise] est implantée… », en laissant au préfet l'initiative d'une intervention des pouvoirs publics non pour interdire, mais pour tenter d'apporter des solutions. Cette intervention ne se ferait pas par un médiateur « isolé » comme le prévoyait si maladroitement la loi de modernisation sociale, abrogée sur ce point, mais par une institution permanente, la Mission interministérielle aux mutations économiques, déjà existante et dont la crédibilité devra être maintenue si ce projet entend réussir. C'est sans doute avec une approche de ce type que les débats futurs sur le droit du licenciement économique pourraient être atténués, quitte à examiner plus tard comment une intervention de cette nature pourrait s'articuler avec la procédure de consultation dans les opérations de restructuration lourdes.

« Le projet permet de construire une véritable gestion prévisionnelle des emplois. »

PASCAL LAGOUTTE

Directeur général du cabinet Barthélémy et Associés.

Affranchis des jeux de rôle traditionnels, le comité d'entreprise et la direction vont se concentrer sur l'essentiel : accompagner le changement dans le cadre d'une gestion prévisionnelle des emplois (GPE) enfin pacifiée. Le projet de loi cherche à intégrer les représentants du personnel dans une conduite négociée de la restructuration permanente que vivent les entreprises. Pour y parvenir, il entend débarrasser les acteurs du dialogue social d'une posture contentieuse en simplifiant l'établissement de l'ordre du jour, puisque y seront inscrites de plein droit les consultations rendues obligatoires, et en encadrant dans le temps les contestations relatives au déroulement de la procédure. Les acteurs pourront donc se concentrer sur l'essentiel : créer le cadre conventionnel qui permettra de construire une véritable GPE et organiser conventionnellement le déroulement de la procédure de licenciement en négociant le plan de sauvegarde de l'emploi.

La pacification des politiques de GPE se heurtait à la jurisprudence (Majorette/Framatome) qui contraignait les entreprises à les inscrire dans la dramaturgie du licenciement économique. Le projet ne prévoit d'inclure dans la procédure de licenciement économique que les salariés ayant refusé une modification d'un élément essentiel du contrat de travail (le terme essentiel est superflu). Il sera ainsi possible de construire une véritable politique de GPE dans un cadre conventionnel. Ce thème devient un des enjeux de la négociation d'entreprise où l'accord portera notamment sur les dispositifs d'accompagnement à la mobilité professionnelle et géographique des salariés, et doit obligatoirement être abordé tous les trois ans dans les grandes entreprises. Il sera intéressant de dresser le bilan de cette disposition sur laquelle les entreprises ont sans doute un devoir d'initiative. Ces actions de prévention devront être couplées avec les dispositifs issus de la réforme de la formation professionnelle et ne manqueront pas d'influencer le juge dans son analyse du caractère sérieux du motif de licenciement.

Les licenciements économiques qui interviendront en dépit de ces politiques de prévention pourront être encadrés par un accord de méthode. D'abord instrument de soft law, l'accord de méthode a été récupéré par le droit « dur » dans la loi du 3 janvier 2003. Il voit son rôle confirmé et son champ d'intervention élargi au plan de sauvegarde de l'emploi qui pourra faire l'objet d'un - accord ou voir certaines de ses mesures anticipées. L'abandon dans la deuxième version de l'avant-projet de loi à toute référence à la sauvegarde de la compétitivité dans la définition du licenciement économique a-t-il une portée ? Non. Cette notion a été consacrée par la décision du Conseil constitutionnel du 12 janvier 2002 comme un des éléments naturellement constitutifs du motif de licenciement économique en application d'un principe de valeur constitutionnelle : « la liberté d'entreprendre ». La conduite négociée du changement est plus que jamais possible.

« La convention de reclassement va réduire les inégalités du dispositif actuel. »

HENRI-JOSE LEGRAND

Avocat.

Le ministère délégué aux Relations du travail a présenté la réforme comme un ensemble de remèdes au « triple handicap » dont souffre, selon lui, le droit français des licenciements économiques. Outre que ces règles seraient « centrées sur une gestion à chaud » et auraient un caractère « procédurier qui pousse à la confrontation plutôt qu'au dialogue », elles sont, « surtout », « profondément inégalitaires. » Ce dernier constat est le moins discutable et le plus grave. Un salarié est d'autant plus exposé aux risques de l'emploi qu'il travaille dans une entreprise moins importante. Inégalitaire, le dispositif actuel l'est donc. Encore faut-il, pour l'améliorer, ne pas se méprendre sur ce que l'on appelle « l'entreprise » et s'interroger sur ce que recouvre cette notion.

Nul doute que, pour les salariés de PME, l'institution de la « convention de reclassement personnalisé » (CRP) soit de nature à atténuer cette inégalité. Certes, on regrette le congé de conversion ; en revanche, la nouvelle CRP supporte honorablement la comparaison avec le « Pare anticipé », dont l'objet est plus modeste, mais aussi avec l'ancienne convention de conversion puisque le salarié adhérent n'est pas considéré comme chômeur, mais comme stagiaire de la formation professionnelle et que la nouvelle convention peut durer jusqu'à neuf mois. Et même avec le congé de reclassement, puisqu'elle dure au moins quatre mois et donne droit à un doublement du droit individuel à la formation.

Mais on aperçoit les limites que les pouvoirs publics continuent d'imposer à la portée des règles de l'emploi en assimilant implicitement « l'entreprise » aux personnes juridiques directement parties aux contrats de travail. L'institution de la CRP compensera très partiellement la dispense de plan de sauvegarde de l'emploi, dont, grâce à leur morcellement juridique, de nombreux groupes de moins de 1 000, mais d'au moins 50 salariés, continueront de bénéficier. Ainsi persiste une anomalie alors que l'organisation des entreprises en groupes de sociétés constitue le modèle dominant et que le volume et la structure des effectifs dépendent directement de la stratégie. De même, bien que la détermination du dispositif issu de l'article 118 de la loi de modernisation sociale dépende de l'effectif apprécié au niveau du groupe, « l'entreprise » en est dispensée si elle fait l'objet d'un redressement ou d'une liquidation judiciaire. À quoi bon apprécier l'effectif au niveau du groupe si l'entité dominante n'est pas considérée comme solidaire des effets des suppressions d'emplois qu'elle a décidées ? Toutefois, l'appréciation doit être nuancée si l'on en juge d'après les conditions de la nouvelle négociation obligatoire sur les modalités de consultation du CE sur la stratégie de l'entreprise et la gestion prévisionnelle des emplois. Alors que le projet n'imputait cette obligation qu'à « l'employeur », un amendement envisage que cette négociation pourrait avoir lieu au niveau du groupe. Ce texte reconnaît implicitement que « l'entreprise », astreinte à cette obligation de négocier, peut être appréhendée comme l'espace économique soumis à une même stratégie. Cela peut sembler timide, mais c'est aux acteurs, syndicaux notamment, de s'en saisir afin que ces dispositions ne restent pas ignorées.