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Vie des entreprises

L'obligation de négocier dans le contrat de travail

Vie des entreprises | CHRONIQUE JURIDIQUE | publié le : 01.11.2004 | Philippe Waquet

Si des obligations de négocier sont prévues entre employeur et délégués syndicaux, de telles obligations peuvent aussi exister entre l'employeur et le salarié, qu'elles résultent du contrat de travail, d'un accord collectif, voire du Code du travail, ou implicitement d'un engagement contractuel nécessitant un accord ultérieur pour son exécution.

En droit du travail, le mot « négociation » évoque aussitôt la « négociation collective », ce qui est parfaitement justifié. La négociation collective, issue des luttes ouvrières du XIXe siècle, est à la fois un instrument juridique aussi original que performant et un puissant moyen de création de droit et d'amélioration des conditions de travail. Mais l'importance prise par la négociation collective, encore relayée par la « position commune » des partenaires sociaux du 16 juillet 2001 et par la loi du 4 mai 2004 qui en renouvelle les mécanismes et les principes, ne doit pas occulter l'existence d'une autre négociation : celle des parties au contrat de travail. L'employeur et le salarié sont amenés, sans toujours en avoir conscience, à négocier pour créer le contrat de travail, pour le modifier soit en changeant telle ou telle clause, soit pour ajouter ou retrancher une disposition contractuelle.

Certes on aura garde de s'illusionner. D'une part, le contrat de travail demeure, pour l'essentiel, un contrat d'adhésion ; le salarié, en position de dépendance économique, subit les décisions de l'employeur. Sa marge de résistance reste faible. D'autre part, le mot « négociation » peut paraître pompeux pour désigner quelque discussion informelle sur les conditions de travail ; un échange parfois limité à quelques mots mérite-t-il la qualification de négociation.

Cependant la réalité évolue. Les salariés sont, plus fréquemment, titulaires d'une formation qui leur permet de faire valoir des arguments et des objections. La loi protège, au moins en théorie, les candidats à une embauche (loi du 31 décembre 1992). Le droit communautaire prévoit l'établissement d'un écrit réunissant les principaux éléments du contrat (voir la directive européenne n° 91/533 du 14 octobre 1991, qui n'a pas encore produit tous les effets). Quant à la jurisprudence, elle a commencé une œuvre considérable de prohibition des clauses illicites, ce qui, en fait, limite le pouvoir patronal et encourage une réelle discussion entre l'employeur et le salarié. Celui-ci, en effet, ne contestera pas une clause dont il a pu négocier le contenu et les éventuelles contreparties ou garanties. Cette négociation contractuelle commence seulement à être étudiée (voir Traité des contrats, les contrats de travail, n° 60 et suivants, de François Gaudu et Raymonde Vatinet ; voir aussi les importants travaux du colloque organisé par l'université Paris II, le 25 mars 2004, sous la direction du professeur Bernard Teyssié, sous le titre « La négociation du contrat de travail », à paraître chez Dalloz).

Nous nous arrêterons à un aspect seulement de cette négociation contractuelle en posant la question : comporte-t-elle des obligations de négocier ? Il faudrait, ici, exposer longuement ce qu'est une obligation de négocier. Pour simplifier, disons qu'il en existe deux catégories :

– l'obligation expresse de négocier : celle où un texte précis impose une négociation sur tel ou tel sujet ;

– l'obligation implicite de négocier : celle-ci procède d'un accord de principe qui nécessite, pour sa mise en œuvre, la conclusion d'un accord complémentaire.

1. L'obligation expresse de négocier

Cette obligation peut résulter du contrat lui-même. Mais elle peut, éventuellement, être prévue par un accord collectif, voire par la loi. Un exemple de contrat de travail prévoyant une obligation de négocier à la charge des parties nous est donné par un arrêt récent de la Cour de cassation : il s'agissait d'un contrat stipulant que la rémunération du salarié devait faire l'objet « d'une négociation chaque année ». Autrement dit, à l'instar de la négociation annuelle obligatoire qui doit porter notamment sur les salaires (C. trav., art. L. 132-27), l'employeur et le salarié avaient chaque année l'obligation de négocier pour déterminer la rémunération. L'arrêt rapporté ci-après renvoie à la solution, classique depuis 1995, de l'intervention du juge pour suppléer à la carence des parties. Mais il ne faudrait pas oublier que l'intervention du juge n'est que subsidiaire. C'est après une négociation infructueuse où l'une des parties propose x + 1 et l'autre x + 3 que le juge doit intervenir et trancher. On pourrait parfaitement imaginer l'hypothèse où le juge, saisi ab initio par l'une des parties, renverrait celles-ci à négocier et n'interviendrait que pour entériner l'accord ou trancher la difficulté subsistante. À l'avenir, l'obligation de négocier dans le contrat devrait se traduire, en cas de difficultés, par une saisine du juge des référés qui pourrait ordonner aux parties, sous astreinte, de négocier sur le sujet prévu par le contrat.

Plus étonnante est l'existence dans une convention collective d'une obligation de négocier s'imposant aux parties à un contrat de travail. On citera, ici, l'exemple de la CCN du commerce de détail et de gros à prédominance alimentaire. Ce texte, après avoir réglementé les horaires, ajoute : « Dans tous les cas, la possibilité est ouverte au salarié de négocier avec son responsable hiérarchique un horaire différent de celui qui lui est demandé, afin que ses contraintes personnelles soient prises en compte. » Ce texte remarquable, car il tend à préserver la vie personnelle du salarié, comporte une véritable obligation de négocier. Non seulement l'employeur ne peut pas refuser d'entrer en négociation avec le salarié qui le réclame sur le problème des horaires, mais la question se pose de savoir si, en cas d'échec, le juge ne pourrait pas être amené à trancher le problème. En tout cas, le juge des référés pourrait condamner, sous astreinte, l'employeur à négocier avec le salarié qui réclamerait un aménagement de ses horaires en raison de contraintes personnelles impérieuses. Les conventions collectives comportent souvent des droits qui restent passifs parce qu'ils ne sont pas mis en œuvre. Il serait utile de vérifier si d'autres conventions ou accords collectifs ne contiennent pas de telles obligations à la charge de l'employeur de négocier sur telle ou telle modalité d'exécution du travail.

La loi, enfin, prévoit-elle une obligation de négocier s'imposant aux parties au contrat de travail ? Rien de tel n'a été encore soutenu. On peut néanmoins citer ici la jurisprudence Courcelles (Cass. soc., 20 octobre 1998, B. n° 435). La Cour de cassation, par cette décision capitale, a rappelé qu'en vertu de la loi le travail subordonné devait donner lieu à rémunération ; en conséquence, si les paramètres initialement prévus de détermination du salaire viennent, pour une cause ou une autre, à disparaître en cours d'exécution du contrat, l'employeur n'a pas le droit de fixer lui-même et unilatéralement la rémunération. Celle-ci doit résulter d'une négociation conduisant à un accord contractuel. Cet enseignement, qui résulte de l'arrêt du 20 octobre 1998, n'a pas été assez souligné. C'est bien la loi qui, en imposant que le travail subordonné ait une contrepartie salariale, oblige les parties à remédier à la disparition du mode de rémunération initialement fixé. Comme il est impossible d'admettre que l'employeur fixe unilatéralement la rémunération, qu'il est intolérable que la rémunération se trouve réduite au smic et que la négociation collective a échoué, que faire sinon contraindre les parties à négocier ? Quitte à ce que le différend subsistant entre elles après discussion soit tranché par le juge.

Peut-être pourrait-on découvrir dans le Code du travail d'autres textes qui impliquent pour l'employeur et le salarié une véritable obligation de négocier : n'est-ce pas le cas pour la mise en œuvre de l'obligation de reclassement ?

Venons-en aux obligations implicites de négocier.

2. L'obligation implicite de négocier

Cette obligation a été mise en lumière par le doyen Carbonnier. Commentant un arrêt de la chambre sociale du 29 mars 1958 qui avait refusé de donner un effet à un accord de principe sur la réintégration d'un salarié, il écrivait : « Mais qui veut le principe doit vouloir les conséquences, sinon il se délie du principe ; qui accepte d'embaucher accepte d'avance que son acceptation soit mise en œuvre par les précisions qu'il y faut, sinon il n'est plus tenu à rien. […] Si nous supposons qu'en parlant d'un accord de principe la Cour suprême a donné à la notion une valeur juridique, nous devrons admettre que l'accord de principe contenait un engagement implicite de coopérer à faire passer le principe en acte : soit en s'efforçant de conclure à l'amiable un accord complémentaire, soit à défaut d'y réussir, en le soumettant à l'arbitrage équitable des juges expressément organisé par l'article 1135. » (Note sous Cass. soc., 29 mars 1958, JCP 1958, II, n° 10868). La thèse du doyen Carbonnier a été consacrée par un arrêt de la chambre sociale du 19 décembre 1989 (Dr. social 1990, p. 149, rapport Philippe Waquet).

Certes cet arrêt concernait une négociation collective, mais, dès 1995, la chambre sociale a étendu la règle aux rapports contractuels dans une hypothèse où le contrat renvoyait le droit du salarié à une rémunération variable chaque année, sans en déterminer les modalités. En présence de cet accord de principe, la Cour de cassation a jugé que la rémunération devait résulter de l'accord des parties – ce qui implique une négociation entre l'employeur et le salarié – et à défaut d'un arbitrage du juge.

La jurisprudence est maintenant constante (cf. Cass. soc., 1er juillet 1997, RJS 1997 n° 1093 ; 18 février 1998 et 27 mai 1998, RJS 1998 n° 860 ; 20 octobre 1998, Bull. n° 436 ; 26 octobre 1999, B. n° 405 ; 22 février 2000, RJS 2000 n° 411 ; 13 juillet 2004, arrêt n° 1556 FS-P + B ; voir aussi Paris II, septembre 1995, RJS 1996 n° 234). Au lieu de tenir pour inefficace une disposition contractuelle, trop vague ou imprécise pour s'appliquer telle quelle, la Cour de cassation veille à donner à la loi contractuelle toute sa portée. L'engagement étant pris, sa mise en œuvre requiert la participation des parties. Exécuter de bonne foi un accord contractuel, ce n'est pas seulement payer une somme, accomplir une démarche précise ou s'acquitter d'une tâche, c'est également faire l'effort de discussion et de négociation avec le cocontractant pour parfaire l'accord initial.

Les commentateurs de cette jurisprudence ont insisté, non sans raison, sur l'importance du rôle conféré au juge. Il n'en reste pas moins que cette jurisprudence donne valeur obligatoire à un accord de principe en l'assortissant d'une obligation de négocier. Faire ressortir cette obligation c'est développer, y compris au niveau des partenaires contractuels, une culture de négociation qui garantisse aux salariés le droit de défendre directement leurs intérêts personnels. L'avènement d'une main-d'œuvre de plus en plus formée et qualifiée devrait favoriser le développement de véritables négociations contractuelles. Pour conclure sur le sujet des obligations de négocier s'imposant dans les rapports individuels, il faut reconnaître que si l'existence de telles obligations n'est plus contestable, un travail important demeure. Pour les recenser, d'abord : nous avons vu qu'elles pouvaient concerner la rémunération et les horaires de travail, mais d'autres matières sont certainement concernées. Ce sont ensuite les questions de la mise en œuvre de ces obligations et de leur sanction qui restent posées. Beau programme pour les juristes de droit du travail.

FLASH

• Une obligation expresse de négocier :

Au visa de l'article 1134 du Code civil, la Cour de cassation casse, le 1er avril 2003, un arrêt d'appel au motif que « pour débouter M. Chouillet de sa demande de rappel de salaire, l'arrêt retient que le salarié, qui n'établit pas avoir accompli de démarche en vue de la renégociation de sa rémunération, n'est pas fondé à reprocher à l'employeur, qui ne s'était pas obligé à augmenter son salaire, de ne pas avoir engagé de pourparlers. Qu'en statuant ainsi, alors que le contrat de travail conclu le 8 avril 1993 fixait seulement pour une durée d'un an la rémunération du salarié qui devait faire l'objet d'une négociation chaque année, la cour d'appel qui, ayant constaté l'absence d'accord pour les périodes annuelles postérieures au 8 avril 1994, ce dont il résultait que l'employeur avait déterminé la rémunération du salarié de manière unilatérale, aurait dû évaluer le montant du salaire pour ces périodes, a violé le texte susvisé » (Cass. soc., 1er avril 2003 Chouillet).

De la même façon, la chambre sociale avait précédemment décidé que « le droit de M. Von Dertzen à une rémunération variable résultant du contrat de travail ; que si le montant de cette rémunération variable devait normalement résulter d'un accord annuel des parties, il incombait au juge, à défaut de conclusion d'un accord sur ce point, de déterminer cette rémunération en fonction des critères visés au contrat et des accords conclus les années précédentes » (Cass. soc., 22 mai 1995, Bull. n° 161).

Auteur

  • Philippe Waquet