logo Info-Social RH
Se connecter
Newsletter

Vie des entreprises

Comment les majors américaines font la chasse aux gros

Vie des entreprises | REPORTAGE | publié le : 01.11.2004 | Isabelle Lesniak

Image

Comment les majors américaines font la chasse aux gros

Crédit photo Isabelle Lesniak

« Salad bars », salles de fitness, examens médicaux, conseils diététiques… Les grandes firmes américaines multiplient les initiatives pour faire fondre leurs salariés. Pas par philanthropie, mais parce que l'obésité coûte cher aux entreprises en jours de travail perdus, en frais médicaux et en chute de productivité.

13 milliards de dollars (10,57 milliards d'euros) par an ! C'est la somme faramineuse que coûte chaque année l'obésité, selon leurs calculs, à une trentaine de grandes compagnies américaines. Des majors comme Dell, Ford, IBM, Microsoft, Pfizer et autres Walt Disney, qui ont décidé, en 2003, de se doter d'un observatoire ad hoc, l'Institut sur les coûts et les effets de l'obésité. « C'est en train de devenir un sujet de préoccupation aussi important dans l'entreprise que le tabac l'a été dans les années 90 », estime LuAnn Heinen, une spécialiste de la santé, ex-vice-présidente du groupe UnitedHealth, avant de devenir directrice de cet organisme basé à Washington.

Avec 400 000 morts par an, soit seulement 35 000 de moins qu'à cause de la cigarette, selon le National Center for Chronic Disease Prevention and Health Promotion, l'obésité est bel et bien devenue la deuxième cause de mortalité aux États-Unis, où deux tiers des adultes présentent un surpoids. « Sous l'influence des médias, c'est un sujet désormais à la mode. Du coup, une pression phénoménale s'exerce sur tous les acteurs du corps social, du directeur d'école au dirigeant d'entreprise, pour qu'ils réagissent », se félicite Jeannie Colter, une Californienne qui anime avec son mari un site Internet, obesityhelp.com, créé il y a six ans pour sensibiliser les employeurs à cette question.

Si Ford, IBM ou Microsoft ont mis leurs forces en commun afin d'améliorer l'état de santé de leurs troupes, leur souci n'a rien de philanthropique. Les obèses seraient, en effet, 1,74 fois plus souvent absents de leur lieu de travail, en raison de problèmes cardio-vasculaires ou respiratoires, de mal de dos chronique ou d'une tendance plus forte à la dépression. Ils sont moins productifs pour les mêmes raisons. Et leurs frais de santé, le plus souvent pris en charge par l'employeur aux États-Unis, sont plus élevés. Selon l'Institut sur les coûts de l'obésité, la surcharge pondérale se traduirait, chaque année, par 39 millions de jours de travail perdus et 63 millions de visites chez le médecin, des frais que les entreprises assument partiellement.

Une étude menée par l'université du Michigan auprès de 200 000 employés de General Motors est parvenue aux mêmes conclusions. Le salarié souffrant de surpoids ou d'obésité occasionne 1 500 dollars (1 223 euros) de frais médicaux annuels supplémentaires pour le constructeur automobile. Et, selon les autorités américaines, les excès de poids coûtent 117 milliards de dollars par an (95,40 milliards d'euros) à la collectivité.

Un an et demi après sa création, l'institut dirigé par LuAnn Heinen a déjà été contacté par près de 200 sociétés à la fois désireuses d'éliminer les kilos superflus de leurs ouailles, mais également désemparées sur la manière d'aborder un sujet aussi délicat. L'institut prodigue des conseils pour améliorer le contenu des distributeurs de boissons et de friandises et se charge de réaliser des audits dans les cafétérias qui permettent aux salariés d'évaluer les effets indésirables de ce qu'ils mangent. Il met également à la disposition des entreprises des affiches encourageant l'utilisation des escaliers plutôt que des ascenseurs et des brochures qui aident à mieux s'alimenter.

Moins d'obèses chez les bacheliers

Selon l'American Obesity Association, l'obésité frappe inégalement les salariés selon leur niveau d'éducation : 27,4 % des Américains qui n'ont pas le bac sont obèses, un taux qui tombe à 23 % pour ceux qui sont au moins allés jusqu'en terminale. « Il ne faut pas avoir peur de rappeler le b.a.-ba d'un0e existence saine, explique Jeannie Colter. Beaucoup d'Américains n'ont aucune notion de diététique, surtout parmi les catégories les moins privilégiées. »

L'institut propose également un programme informatique qui permet à chaque entreprise de calculer combien lui coûte le surpoids de son personnel. Pour que les firmes pionnières dans ce domaine puissent faire partager leur expérience, il a aussi organisé dans la capitale américaine en juin dernier un premier « sommet des dirigeants » consacré à l'obésité. Sodexho a animé une table ronde sur la nutrition dans l'entreprise tandis que le médecin d'IBM, Joyce Young, a donné ses recettes pour « une meilleure forme au travail ».

Officiellement responsable de la promotion de la santé (health promotion manager) chez Florida Power and Light, Andrew Scibelli est venu témoigner de l'expérience de sa compagnie d'électricité, qui dessert 8 millions de clients dans une moitié de la Floride. « Nous avons l'un des programmes les meilleurs et les plus anciens de tout le pays, estime-t-il. Florida Power and Light Well remonte à 1991 et se perfectionne d'année en année. » Au début, il s'agissait surtout d'améliorer la forme des salariés et de leur famille, ainsi que celle des retraités de l'entreprise, en les incitant à faire du sport et à mieux se nourrir. Actuellement, le groupe possède 35 clubs de gym, accessibles tous les jours de la semaine de 6 heures à 20 heures et le samedi de 8 heures à midi. Il suffit de payer 10 dollars par mois (8 euros) pour les utiliser à volonté.

L'entreprise prête également ses salles de réunion pour des sessions organisées par Weight Watchers. À la cafétéria, la consommation d'aliments sains est encouragée via des rabais sur les légumes, le poisson, les yaourts ou l'eau minérale. « Vous pouvez vous nourrir de pizzas, de sodas et de glaces, mais vous paierez plus cher », résume Andrew Scibelli.

Examens de santé gratuits
Absences pour raisons médicales, dépenses de santé élevées, moindre productivité, les kilos en trop coûtent cher aux firmes US.GETTY IMAGES

Mais toutes ces mesures étaient plutôt destinées à prévenir le surpoids qu'à le guérir. L'an dernier, les dirigeants de Florida Power and Light se sont aperçus de l'insuffisance de leur plan. Il y a neuf mois, ils ont donc lancé un programme pilote intitulé steps to success, destiné spécifiquement aux obèses. Les 100 premiers salariés inscrits à ce programme reçoivent une invitation à des examens médicaux complets et gratuits ainsi que les conseils de diététiciens qui cherchent à comprendre les causes de leur maladie. « À la pesée et dans les prises de sang, on observe déjà de premiers résultats satisfaisants, souligne Andrew Scibelli. Tout cela se fait dans un état d'esprit positif. Aucun participant n'a encore laissé tomber parce qu'il se sentait stigmatisé. »

De la même façon, la direction de Xerox s'est récemment convaincue que le « paquet santé » proposé à ses 35 000 employés américains depuis les années 70, comprenant notamment un accès à des clubs de gym moyennant un tarif préférentiel de 20 dollars (16,28 euros), des salad bars dans les restaurants d'entreprise et même des sentiers de promenade autour du bureau, ne réglait pas la question de l'obésité. Depuis octobre 2003, le fabricant de photocopieurs propose, en plus, à ceux qui ont un problème grave de poids de répondre en ligne à un questionnaire médical de 40 items. Si plus de trois facteurs d'obésité sont décelés, Xerox leur offre les services d'un coach qui les aidera à améliorer leur style de vie et à perdre des kilos. « Tout cela reste confidentiel, insiste Kara Choquette, porte-parole du groupe basé à Denver, dans le Colorado. Les formulaires sont sous-traités à des spécialistes extérieurs. Les coaches n'ont aucune information à fournir à Xerox, qui considère, bien entendu, tous ses employés de la même manière. »

Car évoquer l'obésité des membres de son équipe n'est jamais simple pour un dirigeant, a fortiori aux États-Unis où les procès pour discrimination sont légion. « L'obésité est immédiatement décelable, contrairement à d'autres maladies, reconnaît LuAnn Heinen. Certains salariés peuvent donc se sentir blessés par la mise en place de programmes qui leur sont destinés. C'est la raison pour laquelle l'expression est généralement prohibée dans l'entreprise, qui préfère parler de promotion de l'activité physique. »

Le site d'ObesityHelp multiplie les conseils pour éviter aux patrons gaffes et maladresses. « Il ne faut pas brutalement demander aux personnes obèses de votre équipe quels sont leurs besoins spécifiques, auquel cas elles vous réclameront un fauteuil spécial, à moins qu'elles ne vous envoient carrément promener en expliquant que leurs kilos en trop ne sont pas votre problème », peut-on lire sur obesityhelp.com. A contrario, une approche ludique, toujours fondée sur le volontariat, est conseillée.

Les entreprises sont également encouragées à définir des objectifs quantitatifs pour mieux suivre les progrès de leurs salariés. C'est ainsi que, dans le cadre de son programme de lutte contre l'obésité lancé en juillet 2004, le géant KraftFoods recommande à ses collaborateurs de tenir un journal qui consigne leurs objectifs et leurs réalisations, la durée et l'intensité des efforts fournis. La société, numéro un de l'agroalimentaire en Amérique du Nord, les incite aussi à « s'offrir une récompense sous la forme d'un massage ou d'une sortie shopping » lorsqu'ils sont satisfaits de leurs résultats.

Un bon pour un dîner diététique

La plupart des sociétés qui se lancent dans la bataille contre le surpoids se chargent elles-mêmes de ce type de gratifications, souvent sous la forme de billets pour des événements sportifs, voire de bons pour « un dîner diététique à deux ». Xerox offre 200 dollars (162,82 euros) de rabais annuel sur leur cotisation à leur assurance santé aux salariés qui ont pris le temps de répondre aux 40 questions destinées à détecter les risques d'obésité. Depuis 1995, certaines filiales de Johnson & Johnson offrent également une ristourne de 500 dollars (407 euros) à ceux qui parviennent à cesser de fumer, à maigrir ou à diminuer leur tension artérielle.

Autre forme d'incitation, Bank One fournit des bouteilles d'eau aux salariés qui s'engagent à faire au moins une demi-heure de sport par jour, du lundi au vendredi, pendant dix semaines, et réserve des sacs de sport aux plus assidus. General Mills offre une thalassothérapie à l'employé qui aura le plus maigri dans le cadre du programme d'entreprise explicitement intitulé « 10 livres en dix semaines ». Ce plan, considéré en interne comme « réaliste et positif », a été mis au point en collaboration avec les éminents professeurs des célèbres cliniques privées Mayo, avec Weight Watchers et l'American Cancer Society.

Au menu : fitness et escaliers pour tous, et conférences sur la psychologie de l'alimentation pour ceux que cela intéresse. « Globalement, notre groupe a perdu près de 1 500 kilos, se félicite Timothy Crimmins, responsable des questions de santé dans l'entreprise. Un tiers des 1 300 participants ont perdu plus de 3 kilos. » Les 2 000 employés du centre de recherche Glenn de la Nasa, basé à Cleveland, ont fait mieux encore : 3,5 kilos perdus en moyenne en douze semaines, à force de commander des plats allégés à la cafétéria, d'emprunter l'un des deux chemins de randonnée aménagés sur le campus à l'heure du déjeuner et de fréquenter la salle de fitness.

Moral et productivité en hausse

Les entreprises pionnières qui ont fait l'effort de se lancer dans de tels programmes se félicitent généralement des premiers résultats, qui ne se résument pas à la graisse perdue. Selon un sondage publié au cours du sommet des dirigeants consacré à l'obésité, en juin dernier, 56 % des 84 entreprises interrogées disent avoir constaté une amélioration du moral de leurs équipes. Plus d'un quart d'entre elles (27 %) affirment avoir déjà réalisé des économies sur leurs frais médicaux. Et 20 % notent une amélioration de la productivité et un déclin de l'absentéisme.

Tout en accordant un satisfecit à ces entreprises, les associations spécialisées dans les questions d'obésité leur demandent aujourd'hui d'aller plus loin. « Beaucoup de patrons ne comprennent toujours pas que l'obésité est une maladie et qu'il est de leur devoir de la prendre en charge », indique-t-on à l'American Obesity Association. Ainsi, seulement 23 % des couvertures médicales proposées par les employeurs américains prévoient le remboursement de la gastroplastie, cette opération chirurgicale qui consiste à insérer un anneau réglable autour de l'estomac pour en réduire le volume. Ce qui diminue d'autant le besoin de s'alimenter.

L'association réclame sa prise en charge à 100 % par les assurances santé, tout en sachant pertinemment qu'elle n'a aucune chance d'être entendue. En 2004, les entreprises américaines ont en effet dépensé 13 % de plus que l'année dernière, soit en moyenne 3 000 dollars (2 442,66 euros), pour assurer la couverture santé de leurs salariés. Leur priorité numéro un est donc de réaliser des économies sur les frais médicaux plutôt que d'étendre la couverture maladie. Tant pis pour les obèses…

PSA chasse les kilos en trop
L'usine rennaise de PSA Rennes s'est mis d'accord avec son prestataire Sodexho pour proposer des repas plus équilibrés dans ses restaurants d'entreprise.PSA PEUGEOT CITROEN

Sus aux kilos superflus chez PSA. Partant du constat que la proportion de personnes présentant un surpoids est, en Bretagne, supérieur à la moyenne nationale, le site industriel de Rennes a lancé en 2002 un programme de sensibilisation et d'aide à la pratique d'une alimentation équilibrée, baptisé Santal, pour ses 10 000 salariés. Une démarche qui s'inscrit aussi dans une réflexion plus large sur le vieillissement des effectifs. « Les dispositifs Casa vont s'achever en février 2005. Notre personnel va donc inéluctablement vieillir. Comme les pénuries de main-d'œuvre, dans les années à venir, vont nous obliger à diversifier les recrutements – notamment en direction des femmes –, nous devons plus que jamais travailler sur la pénibilité et les conditions de travail. Et l'alimentation constitue un levier supplémentaire pour aider les salariés à vieillir en bonne santé », explique Éric Lévêque, DRH de Citroën Rennes.

Concrètement, depuis mars 2003, les cinq médecins du travail du site de Rennes proposent des bilans nutritionnels – 700 ont déjà été réalisés – aux salariés en surpoids, qui peuvent aussi bénéficier d'un programme de suivi individuel avec l'aide d'une diététicienne. Une étude du service médical de l'entreprise, menée auprès d'une centaine de salariés ayant effectué un bilan nutritionnel, a montré que les trois quarts d'entre eux avaient modifié leur alimentation et qu'un quart avaient maigri grâce à ces préconisations.

L'usine de Rennes mène également une large campagne de communication auprès de l'ensemble du personnel, par l'intermédiaire de ses journaux internes, d'affiches et de brochures. Enfin, elle a décidé, en collaboration avec le groupe Sodexho, le prestataire chargé de la restauration du site, de modifier la nature des repas fournis par les restaurants d'entreprise, suivant en cela les préconisations du Plan national nutrution-santé 2001-2005. Santal est à ce jour le seul projet émanant d'une entreprise privée à avoir reçu le soutien de ce programme gouvernemental.

Jean-Paul Coulange

Auteur

  • Isabelle Lesniak