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À Spie Batignolles, François-Xavier Clédat soigne le chantier RH

Vie des entreprises | METHODE | publié le : 01.11.2004 | Stéphane Béchaux

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À Spie Batignolles, François-Xavier Clédat soigne le chantier RH

Crédit photo Stéphane Béchaux

Sous la houlette de François-Xavier Clédat, le numéro quatre du BTP français s'attache à être un « constructeur de valeur ». Politique de promotion, relations de proximité, culture commune, objectif « zéro accident » constituent les points forts de ce groupe détenu par son management et ses salariés.

L'année écoulée aura été mouvementée pour Spie Batignolles. Après le LMBO (leverage management buy-out) réalisé par 78 cadres du groupe de construction en septembre 2003, puis l'entrée des salariés au capital, en mai 2004, les dirigeants, déjà majoritaires, ont décidé, au début de l'été, de racheter les parts encore détenues par le groupe britannique Amec. Huit ans après l'émancipation de Spie Batignolles du groupe Schneider, via une opération de RES, voilà donc l'entreprise de nouveau aux mains de son personnel. Atypique dans sa structure capitalistique, le numéro quatre français du BTP l'est aussi par sa taille (4 600 personnes) face à des géants comme Vinci, Bouygues ou Eiffage, par sa dimension hexagonale quand ses principaux concurrents sont largement internationalisés, et par ses activités.

Lancé dans une politique de diversification – l'exploitation d'un parc aquatique à Laval, de parkings à Paris –, Spie Batignolles se distingue aussi par une approche commerciale originale. Plutôt que de se battre sur les prix pour décrocher des appels d'offres, l'entreprise propose désormais à ses clients d'intervenir très en amont, dès la définition de leurs besoins. Baptisée Concertance, l'offre vise à optimiser les coûts de construction moyennant un partage des économies réalisées. « Constructeur de valeur » pour ses clients, Spie Batignolles tente de l'être, aussi, pour ses salariés. Tel est, en tout cas, le credo de François-Xavier Clédat, aux manettes de l'entreprise depuis 1992.

1 PRIVILÉGIER LES RELATIONS DE PROXIMITÉ

« François-Xavier qui ? » Dans les filiales de Spie Batignolles, le grand patron, François-Xavier Clédat, est inconnu de beaucoup de compagnons. Il faut dire que le groupe n'a eu de cesse de changer de périmètre ou de nom. Constitué, au fil de ses cent cinquante ans d'existence, par acquisitions successives de PME locales, le groupe a conservé une organisation très décentralisée. Sur les chantiers, bon nombre de salariés continuent à travailler sous leurs propres couleurs. Petavit, Tondella Peinture, MAB Construction, Karpinski, Steihn, SCGPM ou Cinor… Autant de PME qui, passées sous le giron de Spie Batignolles, ont gardé leur identité et leur culture.

« On n'a pas du tout le sentiment de travailler pour un groupe. À part le logo-drapeau orange, on ne voit pas beaucoup l'esprit d'entreprise », témoigne un chef de chantier breton de MAB Construction (150 salariés). Ce sentiment d'éclatement tient, en partie, à la grande décentralisation des relations sociales. Spie Batignolles compte en effet plus d'une trentaine de sociétés, avec leurs propres structures de représentation du personnel. « Les relations sociales sont très pragmatiques, au plus près du terrain, pour prendre au mieux en compte les problèmes spécifiques de chacun. Ce qui ne veut pas dire qu'il existe des différences très fondamentales d'une entité à l'autre », explique le DRH groupe, Maurice Neyme. Pour veiller à la cohérence d'ensemble, ce dernier réunit chaque mois un comité RH composé des directeurs des ressources humaines des quatre filiales régionales (Ile-de-France, Nord, Ouest et Sud-Est) et des deux grandes filiales spécialisées (Spie Fondations et Spie Batignolles TPCI).

Point commun à l'ensemble des entités, la faible présence syndicale. Champion toutes catégories, Spie Batignolles Ouest qui, sur un territoire s'étendant de Caen à Castres, ne compte qu'un seul délégué syndical. « Depuis la séparation d'avec Amec, on a beaucoup moins d'équipes sur le terrain. On était surtout très bien implanté chez Spie Trindel », reconnaît Christian Fournier, coordinateur à la Fédération CGT de la construction. « La représentation syndicale n'est pas bonne, comme dans le reste du BTP. Et on ne peut pas dire que la direction nous facilite la tâche », ajoute Bernard Guesdon, son homologue à la CFDT.

Aux élections du comité d'entreprise et des délégués du personnel, ce sont les candidats sans étiquette qui raflent les sièges. Hormis dans le collège ouvrier, où la CGT demeure majoritaire. Une situation qui complique singulièrement les négociations, ouvertes au printemps, visant à la constitution d'un comité de groupe. Entre la direction, qui souhaitait choisir les candidats indépendants appelés à siéger dans la future instance, et les syndicats, qui refusaient leur présence, il a fallu en appeler à la médiation de la direction départementale du travail du Val-d'Oise.

2 OUVRIR LE CAPITAL AUX SALARIÉS

Chez Spie Batignolles, on parle encore du RES, pourtant vieux de huit ans, avec des trémolos dans la voix. À l'automne 1996, les collaborateurs du groupe Spie se voient proposer de mettre la main au portefeuille pour racheter la majorité du capital de l'entreprise, alors filiale de Schneider. Au risque, en cas de refus, d'assister au démantèlement pur et simple de la société. Les sommes à investir sont laissées à la libre appréciation de chacun, mais la direction fixe des montants indicatifs, par catégorie : 1 524 euros pour les ouvriers, 2 287 euros pour les Etam, 15 % de leur rémunération annuelle pour les cadres et 40 % pour les cadres dirigeants.

« À l'époque, personne n'a mis de gaieté de cœur. On avait plutôt le sentiment de payer pour avoir le droit de continuer à travailler », se souvient Isabelle Gourven, la secrétaire CFE-CGC du comité d'entreprise du siège social. « Il y a eu des pressions pour vaincre les réticences. Les conducteurs de travaux ont insisté lourdement auprès des compagnons », assure un délégué syndical de Spie Batignolles Nord. Des « pressions » démenties par François-Xavier Anscutter qui, à l'époque, venait de prendre la direction générale du groupe : « Nous avons fait très attention à ne pas marquer les gens selon qu'ils participaient ou non au RES. Nous n'avons publié aucune liste », assure-t-il. Six ans plus tard, il ne s'est, en tout cas, pas trouvé une voix pour regretter l'investissement. Les 61 % d'ouvriers, 75 % d'Etam, 85 % de cadres et 100 % de dirigeants qui ont participé à l'opération ont récupéré près de cinq fois leur mise lors de la vente au britannique Amec.

Rebelote au début 2003, lorsqu'Amec officialise son intention de se désengager du BTP. L'équipe dirigeante tente de monter un deuxième RES. « Amec n'a pas voulu. On n'a jamais eu d'explications claires et plausibles sur ce refus », assure François-Xavier Anscutter. À défaut, les cadres dirigeants montent un LMBO et rachètent 51 % du capital, en partenariat avec Barclays Private Equity France. Une opération qui a fait grincer des dents. « La majorité des salariés ne souhaitaient pas repartir si vite dans une telle aventure. Mais, parmi les cadres, quelques-uns ont mal vécu d'être exclus de la liste des 78 dirigeants associés à l'opération », explique Philippe Rousseau, le délégué syndical CFTC du siège.

Des déceptions en partie effacées depuis l'augmentation de capital du printemps dernier. En mai, les salariés se sont vu proposer de racheter à Amec 4,76 % du capital de Spie Batignolles. « On avait négocié cette possibilité quand on s'était engagé dans le LMBO. On savait que c'était attendu des salariés, dont beaucoup venaient du RES », justifie Maurice Neyme. Sauf que l'abondement – 12 % des versements volontaires sur le fonds d'actionnariat salarié, limités à 360 euros – est jugé peu généreux. Le résultat final est plutôt honorable pour la direction, avec une participation de 60 % des salariés (45 % des ouvriers et 70 % des cadres), qui détiennent à présent 4,41 % de l'entreprise. « C'est un puissant facteur d'intégration et de motivation », se réjouit Maurice Neyme. Autre facteur potentiel d'intégration, la mise en place d'un accord dérogatoire de participation. Des négociations viennent de s'ouvrir qui visent à empêcher que, dorénavant, les filiales puissent entrer ou sortir de l'accord de groupe en fonction de leurs intérêts.

3 Évaluer les comportements

Adaptabilité, sociabilité, assiduité, disponibilité, respect des règles administratives, sens de la sécurité… Chez Spie Batignolles Sud-Est, les comportements des compagnons sont, une fois par an, passés au crible par les chefs de chantier. Dix items comportementaux notés de A à D permettent de mesurer le niveau atteint par les ouvriers.

Les plus méritants « s'adaptent très vite seuls à des travaux variés » et s'avèrent « toujours disponibles et volontaires » là où les mauvais éléments « ne peuvent assurer que des travaux de routine » et « refusent toute tâche supplémentaire ou changement ». « On ne teste pas seulement les qualités professionnelles, mais aussi les attitudes et comportements au travail. Les perspectives d'évolution sont différentes selon qu'un compagnon est individualiste ou non, qu'il est prêt ou pas à encadrer des équipes ou à former des apprentis », explique Corinne Marjollet, la DRH régionale.

Il n'existe aucune grille nationale d'évaluation du personnel ouvrier. Mais si chaque filiale dispose de ses propres outils, la philosophie est commune. « Dans notre formulaire d'entretien, le savoir technique est hypertrophié et la partie comportementale insuffisante. On va l'enrichir, pour mieux prendre en compte les valeurs de l'entreprise », souligne Françoise Nauert, DRH de Spie Batignolles Ouest. À Tours, elle mène actuellement une expérimentation visant à mieux définir les compétences clés à attendre des ouvriers.

Les entretiens d'appréciation et de développement des 1 300 Etam et cadres, eux, ont été formalisés au siège de Cergy-Saint-Christophe. Avec le souci de promouvoir des valeurs communes tels le travail en équipe et la capacité à coopérer de manière transversale. « Au-delà des savoirs, on attache beaucoup d'importance au comportement et au savoir-être », précise Maurice Neyme. « La créativité, l'innovation ou la responsabilisation sont des valeurs clés. De la même façon qu'on signe des contrats de partenariat avec nos clients, on souhaite que cette confiance fonctionne aussi à l'intérieur de l'entreprise », insiste Philippe Poupault, président de Spie Batignolles Sud-Est.

Des chefs de chantier, la direction générale attend qu'ils se muent en animateurs d'équipes. C'est l'une des raisons qui ont conduit l'entreprise à mettre au point les « minutes chantiers ». Un rendez-vous régulier, généralement hebdomadaire, entre chefs de chantier et ouvriers qui doit permettre d'échanger sur l'avancement des travaux, les éventuels dysfonctionnements, l'organisation du travail ou la sécurité. « Plus on véhicule d'informations au plus près du terrain, plus on a en face des gens intelligents. Sur l'organisation du travail, les ouvriers ont de très bonnes idées, qu'il s'agit de faire émerger », explique Françoise Nauert. Expérimentées à Bordeaux, ces minutes chantiers sont aujourd'hui pratiquées partout dans l'Hexagone. Reste à les généraliser. « Les chefs de chantier issus de la base ont plus de difficultés à les mettre en œuvre que les bac + 2, rodés à l'organisation », constate Corinne Marjollet, qui a formé tous ses chefs de chantier à cet outil de management.

Réalisés entre novembre et février, les entretiens annuels d'évaluation servent ensuite de support de travail aux « comités compétences et développement ». Ces « cocodev » ont pour ambition de bâtir de véritables parcours professionnels dans l'entreprise pour les agents de maîtrise, ingénieurs et cadres. « Si la mobilité souhaitée ne peut se réaliser à l'intérieur de la direction régionale, le dossier est transmis au comité de la filiale. Puis, si nécessaire, à celui du groupe », explique Maurice Neyme. Le dispositif, en rodage, doit, à terme, permettre d'accélérer les carrières.

4 DEVELOPPER UNE CULTURE COMMUNE

Fin 2001, Spie Batignolles décide de se doter d'un organisme de formation propre. « Nous voulions créer une institution qui forme le personnel aux spécificités de Spie Batignolles. Il s'agissait de promouvoir la culture et les bonnes pratiques de l'entreprise, pas de dispenser des formations à la bureautique ou aux langues », explique Guiseppe Garetti, DRH de Spie Batignolles TPCI, l'une des chevilles ouvrières du projet. Logée à Cergy-Saint-Christophe, l'académie Spie Batignolles ouvre ses portes en avril 2002.

Les cadres intégrant l'entreprise constituent la première clientèle de l'organisme. Leur parcours d'intégration comprend trois modules de trois jours consacrés à la découverte de l'entreprise, de son organisation et de sa stratégie, à la gestion d'un projet depuis l'approche commerciale jusqu'à la livraison et aux pratiques managériales attendues des collaborateurs… Une dernière partie conçue en interne, mais assurée par un organisme extérieur. L'académie entend ainsi « créer un esprit de corps ». « Ces neuf jours doivent permettre aux jeunes cadres de se créer un réseau », souligne Danielle Rouat, responsable de l'académie. Une manière de créer de la transversalité au sein du groupe. Au rythme d'une centaine de cadres promus ou embauchés chaque année, l'organisme a accueilli, au mois d'octobre dernier, sa dixième promotion, en deux ans et demi d'existence.

Élitiste à ses débuts, l'académie s'est depuis ouverte à de nouveaux publics. Un parcours de formation a été lancé l'an dernier à destination des chefs de chantier, sans condition d'âge ou d'ancienneté. « On veut valoriser cette filière, qui souffre d'un déficit d'image par rapport à celle de conducteur de travaux, en proposant à des chefs de chantier, jeunes ou expérimentés, de s'inscrire dans une démarche de changement », affirme Guiseppe Garetti. Les quatre modules de formation portent sur la connaissance du groupe, la prévention des risques, la gestion des relations humaines et quotidiennes sur un chantier et le droit du travail.

L'organisme, qui délivre 8 000 heures de formation par an, entend poursuivre sa stratégie de diversification vers l'ensemble des salariés. « L'académie doit s'adresser à tout le monde, mais pas forcément de la même façon. On a des projets pour les chefs d'équipe et les compagnons », promet Danielle Rouat. Les chefs de chantier devraient être mis à contribution pour former les chefs d'équipe. Une manière de développer le partage des savoirs et de faciliter le passage, actuellement délicat, entre les deux fonctions.

5 VISER LE ZÉRO ACCIDENT SUR LES CHANTIERS

En 2001, lors d'une convention réunissant les conducteurs de travaux de Spie Batignolles, ont défilé, pendant plusieurs minutes, dans le noir complet, les noms des quelque 600 salariés qui, au cours des deux années précédentes, avaient été blessés. Dont huit mortellement. Un moment choc, imaginé par Yvon Tumson, le nouveau directeur qualité, sécurité, environnement (QSE), pour lancer l'ambitieuse politique du zéro accident, inscrite dans le plan stratégique 2001-2004. « On ne peut pas créer de la valeur pour nos clients si on détruit la vie de notre principale ressource, nos hommes », justifie François-Xavier Anscutter.

Chez Spie Batignolles, la politique de prévention des risques est conçue par le comité QSE qui réunit huit fois par an les directeurs de la sécurité des grandes filiales. À eux de mettre en place les outils et les méthodes à déployer sur les chantiers, en relais avec la trentaine d'animateurs de la prévention. « Nous réalisons des audits systématiques et des visites de chantier. Mais rarement surprises, car on ne travaille pas sur les comportements par la force ou la sanction », explique Yvon Tumson. Le groupe a édicté des principes clairs, comme l'obligation de déclarer tous les accidents du travail. Des règles qui laissent sceptiques des délégués syndicaux. « Il y a une grosse pression à la sous-déclaration. Car un accident déclaré, c'est la prime de fin d'année qui saute pour le conducteur de travaux, même si, officiellement, ça n'est pas lié », soutient un secrétaire de CHSCT de l'ouest de la France.

« Au niveau des opérationnels, on n'encourage pas les incitations financières. Par contre, les directeurs généraux de filiale et les directeurs régionaux ont, dans leur prime de fin d'année, une part significative qui dépend de leurs résultats en matière de prévention », précise Yvon Tumson, qui remet chaque mois au comité de direction générale des tableaux classant les entités en fonction du nombre de mois écoulés depuis le dernier accident avec arrêt et des indicateurs sur le nombre d'accidents depuis le début de l'année. Plus de 40 % des entités seraient au zéro accident depuis plus d'un an. L'entreprise affiche un taux de 14,5 accidents avec arrêt par million d'heures travaillées au premier semestre 2004, près de quatre fois inférieur à celui du secteur.

Spie Batignolles qui, via son académie, a monté des programmes de formation à la prévention pour tous ses cadres opérationnels, depuis les chefs de chantier jusqu'aux patrons de filiale, va s'attaquer au personnel ouvrier. En 2005, 500 compagnons devraient être formés à la sécurité. Un programme dont bénéficieront peut-être un jour les travailleurs intérimaires qui, sur certains chantiers, constituent le gros des troupes. Une population particulièrement exposée. Selon les chiffres de la direction, ils sont environ deux fois plus souvent victimes d'accidents que leurs collègues de Spie Batignolles.

Entretien avec François-Xavier Clédat :
« Dans le BTP, il n'y a pas d'autre objectif admissible que celui du zéro accident »

Ingénieur de l'École spéciale des travaux publics, titulaire d'un troisième cycle de gestion de Dauphine, François-Xavier Clédat, 58 ans, n'a jamais quitté l'univers du BTP. Un « virus » contracté auprès de ses grand-père et père, dirigeants successifs d'une entreprise familiale qu'il n'a pas reprise. Sa propre carrière commence chez Bouygues en 1970. Onze ans plus tard, il rejoint le groupe SGE, l'actuel Vinci, où il occupe plusieurs postes de directeur de filiale. C'est en 1987 qu'il intègre le giron du groupe Spie. P-DG de la SCGPM, puis président de Spie Citra, il est directeur général du groupe Spie, de 1997 à 2003, et P-DG de Spie Batignolles depuis 1992. Joueur de golf et grand amateur d'opéra, François-Xavier Clédat préside aussi, depuis deux ans, la commission des affaires sociales de la fédération professionnelle FNTP. À son actif, entre autres, la signature d'une nouvelle convention collective des cadres qui, au 1er janvier, remplacera le précédent texte, datant de… 1955.

Être P-DG d'un groupe détenu par ses cadres dirigeants influe-t-il sur votre management ?

Cela nous oblige, en interne, à faire œuvre d'une très grande transparence sur la marche de l'entreprise, sur ses résultats, ses succès ou ses difficultés. D'autant plus que, depuis le printemps dernier, les salariés sont aussi actionnaires, à près de 5 %.

Il y a deux ans encore, les salariés possédaient la majorité du capital. Pourquoi ne pas avoir monté un deuxième RES ?

Nous n'avons pas pu le faire, pour des raisons qui tenaient à notre actionnaire et à la complexité des lois Fabius sur l'épargne salariale. Mais nous avons obtenu, lors des négociations sur le LMBO, la possibilité d'ouvrir le capital à tous les salariés. Ce que nous avons fait dans la foulée. Chez Spie Batignolles, le personnel a aujourd'hui une grande maturité économique. De nombreux collaborateurs se sont même pris au jeu en se portant candidats pour siéger dans les conseils d'administration des différents FCP.

Êtes-vous favorable à une renégociation de vos accords 35 heures ?

Non, parce qu'à l'occasion des 35 heures nous avons pu mettre en place une vraie modulation du temps de travail. Ça faisait trente ans qu'on l'attendait ! Chez Spie Batignolles, on tire donc un bilan positif des lois Aubry. Grâce à la flexibilité, on s'est bien adapté. En revanche, c'était une fausse idée de croire que la réduction du temps de travail créerait des emplois. Dans la construction, on ne peut pas recruter un dixième de conducteur de travaux supplémentaire pour un chantier.

Au niveau de la branche, souhaitez-vous obtenir des assouplissements ?

La réflexion porte sur le contingent d'heures supplémentaires, aujourd'hui fixé à 130 avec modulation et 180 sans, que nous souhaiterions relever. Mais sans perdre de vue l'impérieuse nécessité de travailler en sécurité. On ne peut donc pas allonger démesurément les horaires de travail des ouvriers.

L'objectif de zéro accident que vous vous êtes fixé est-il réaliste ?

Il n'y a pas d'autre objectif possible. Si vous dites à un directeur d'agence que son taux de fréquence doit passer de 20 à 10, vous l'autorisez, implicitement, à avoir 10 accidents avec arrêt par million d'heures travaillées. Ce n'est pas admissible. Tout ouvrier qui part le matin sur un chantier doit rentrer chez lui le soir en bonne santé.

Mais peut-on toujours conjuguer sécurité et rentabilité économique ?

Absolument. D'autres secteurs industriels comme la chimie ou la pétrochimie l'ont bien fait, pourquoi pas le BTP ?

En outre, quand on s'emploie à corriger des dysfonctionnements ayant entraîné un incident ou un accident, on travaille aussi à l'amélioration des procédures et de la qualité, donc à la performance économique. Pour inciter les entreprises à mieux prendre en compte les questions de santé au travail, il faudrait en finir avec la mutualisation des cotisations. Que chacun paie selon ses résultats !

La nature de vos métiers est-elle compatible avec l'allongement de la durée de vie active ?

Il est vrai qu'il n'y a pas beaucoup de compagnons encore en poste passé 60 ans. C'est la raison pour laquelle nous attendons avec impatience l'extension de notre accord dérogatoire de branche sur la possibilité de mise à la retraite des salariés de plus de 60 ans, à l'initiative de l'employeur.

Êtes-vous favorable à des négociations de branche sur la prise en compte de la pénibilité ?

En tant que patron de Spie Batignolles, je plaide pour la mise en place d'un groupe de travail pour réfléchir à la question. Mais c'est un dossier compliqué. Car la pénibilité évolue dans le temps. Grâce à la mécanisation, à l'allégement des matériaux ou à l'amélioration de l'organisation du travail, un ouvrier qui débute aujourd'hui sera beaucoup moins usé, dans quarante ans, que celui qui a commencé à travailler dans les années 70. Il faut donc se garder de décréter qu'une tâche est pénible pour l'éternité. Un conducteur de TGV ne fait quand même pas un métier aussi pénible que son ancêtre qui enfournait du charbon dans une locomotive à vapeur.

Pouvez-vous vous passer d'un accord sur la pénibilité au niveau interprofessionnel ?

Non car, dans les grands équilibres financiers, il faudra bien trouver de l'argent qui ne vienne ni de la poche des salariés ni de celle des entreprises. L'automobile a bien bénéficié d'aides publiques, alors pourquoi pas nous ? Sinon, on ne pourra rien faire. Les projections que nous avons faites montrent que la prise en compte de la pénibilité peut coûter très cher.

Avez-vous fait des projections sur le coût du nouveau droit individuel à la formation ?

Chez Spie Batignolles, nous n'avons pas encore réfléchi aux formations pouvant entrer ou non dans le DIF et se dérouler en partie hors du temps de travail. Mais on sait déjà que certaines formations, comme celles qui portent sur la prévention et la sécurité, continueront forcément à être dispensées pendant le temps de travail. Plus globalement, nous considérons que ce nouveau droit individuel ainsi que l'accord sur ce même sujet signé dans le BTP vont nous donner des opportunités pour mieux coordonner nos politiques de formation avec les souhaits des salariés, tout au long de leur carrière. Et on s'en félicite, car on a besoin de développer les compétences à tous les niveaux de l'entreprise, y compris sur les chantiers.

Certains groupes, comme PSA, ont conclu des accords portant sur la diversité. Ce sujet vous concerne-t-il ?

S'il est un secteur où la population d'origine étrangère est fortement représentée, c'est bien celui du BTP. Sur nos chantiers, tout le monde porte le même casque et perçoit, à travail égal, le même salaire, quelle que soit son origine. En matière de prévention des risques comme de promotion, on ne regarde pas la couleur de la peau. Chez Spie Batignolles, nous avons, par exemple, des chefs de chantier de toutes origines, et depuis longtemps.

Aurez-vous besoin, dans un avenir proche, de recourir plus fortement à l'immigration ?

Oui, peut-être, compte tenu de la pyramide des âges de nos compagnons. Mais ces mouvements de population se feront sans doute naturellement, à mesure de l'intégration des pays de l'Est dans l'Union européenne. Cependant, ce n'est pas le seul levier d'action. Les gains de productivité nous aideront aussi à faire face aux perspectives démographiques.

Propos recueillis par Stéphane Béchaux, Denis Boissard et Jean-Paul Coulange

Auteur

  • Stéphane Béchaux