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Politique sociale

Ébranlée, la très réformiste CFDT plie mais ne rompt pas

Politique sociale | ANALYSE | publié le : 01.11.2004 | Jean-Paul Coulange, Frédéric Rey

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Ébranlée, la très réformiste CFDT plie mais ne rompt pas

Crédit photo Jean-Paul Coulange, Frédéric Rey

Après l'hémorragie provoquée dans ses rangs par les dossiers des retraites, des intermittents et de l'Unedic, la direction de la CFDT contre-attaque. Sensible aux critiques sur le manque de démocratie interne, Chérèque fait amende honorable auprès des militants. Mais persiste et signe dans la voie du réformisme.

La CFDT a 40 ans, mais surtout ne le dites à personne ! « 1964 ? C'est un simple changement de sigle », note François Chérèque, rappelant que son syndicat est né en 1919. Comme pour justifier le peu d'empressement de la confédération à célébrer, ce mois-ci, sa séparation d'avec la CFTC. N'en déplaise aux nostalgiques, on se contentera donc, Boulevard de Belleville, d'une exposition Solidarnosc et d'une petite fête en interne avec les anciens, toutes générations confondues. Il faut dire que le numéro un de la CFDT n'a pas vraiment la tête à déboucher le champagne. Car son organisation peine à se remettre de l'annus horribilis commencé le 15 mai 2003, le jour où la CFDT a approuvé la réforme des retraites concoctée par François Fillon.

La descente aux enfers s'est poursuivie avec la signature de l'accord sur les intermittents du spectacle. Sans oublier l'accord Unedic pour combler le déficit historique de l'assurance chômage qui a fait naître l'affaire des recalculés. De quoi troubler des militants souvent interpellés, sur le terrain, par les salariés. « Il a fallu en user de la salive pour expliquer cette réforme, déplore Jean-Claude Rech, secrétaire du comité central d'entreprise de Colgate-Palmolive et membre du comité national de la chimie. Nos adhérents n'ont pas admis cette injustice, d'autant que certains membres de leur famille faisaient partie des recalculés. »

Brocardée par les non-signataires

À chaque fois, c'est le même scénario : celui d'une CFDT isolée dans sa logique réformiste, brocardée par les syndicats non signataires, CGT et FO en tête, et guère soutenue par ses cocontractants, qu'il s'agisse du gouvernement ou du patronat. « Est-ce que la CFDT est encore un syndicat ? se demande Jean-Marie Michel, délégué syndical de l'usine STMicroelectronics de Rennes qui a fermé ses portes. Je me suis posé la question le jour où, sur un plateau télé, je suis intervenu de manière un peu musclée auprès de Jean-Pierre Raffarin sur le problème des délocalisations, qui m'a répondu : “Vous êtes à la CFDT ? Pourtant, on s'entend bien avec votre organisation”. »

Pour lui, la rupture avec la centrale est désormais inévitable, comme pour d'autres militants. Le bilan de cette période troublée, la confédération le tirera en fin d'année en faisant le décompte des départs. La direction évoque d'ores et déjà un chiffre situé entre « 14 000 et 20 000 ». Un total sous-évalué, aux yeux de Claude Debons, l'ancien leader de la Fédération des transports, passé avec armes et bagages à la CGT, qui avance une addition beaucoup plus lourde. « Chérèque restera le secrétaire général avec qui la CFDT aura perdu 70 000 adhérents », tonne-t-il.

À tout le moins depuis l'affaire des retraites, François Chérèque reconnaît qu'« il y a eu des moments difficiles, des paroles dures. Mais j'avais prévenu à Nantes, dans mon discours de fin de congrès, que ça n'allait pas être une partie de plaisir », ajoute ce solide Lorrain de 48 ans. La priorité du successeur de Nicole Notat est donc de remotiver les troupes. Et de renouer avec la démocratie participative chère à son syndicat et battue en brèche lors du conflit des retraites. « Débattre pour se renforcer » est d'ailleurs le titre du rapport d'une quarantaine de pages qu'il a rédigé à l'intention du conseil national confédéral, le « Parlement » de la CFDT, réuni le 23 octobre dernier.

Débattre, c'est ce qu'il s'est employé à faire depuis un an, en rencontrant sur le terrain quelque 15 000 militants. Car si le secrétaire général de la CFDT reconnaît une erreur, c'est bien d'avoir insuffisamment et mal communiqué sur la réforme des retraites. Ressassant le calendrier du printemps 2003, il regrette d'avoir fait avaliser le jour même les améliorations arrachées la nuit précédente dans le bureau de Jean-Pierre Raffarin. « C'était un enchaînement trop court. Il aurait fallu attendre deux ou trois jours avant de se prononcer. »

La direction fixe la ligne

Un « couac communicationnel » qui a fait donner de la voix aux militants. « Il y a eu des récriminations très fortes sur la démocratie syndicale », indique Guy Groux, chercheur au Cevipof et fin connaisseur des arcanes syndicales. « À la CFDT, la tradition était que la confédération était le lieu de synthèse des organisations confédérées. De par la volonté d'Edmond Maire, qui a réformé les statuts, puis de Nicole Notat, l'organisation a été sérieusement reprise en main, rappelle un ancien opposant. Aujourd'hui, la CFDT est le syndicat le plus centralisé sur les plans politique, financier et organisationnel. La direction fixe la ligne et les organisations confédérées la mettent en œuvre. Les décisions se prennent à 10 à la commission exécutive ou à 40 au bureau national. »

Perfidement, Jean-Christophe Le Duigou, le secrétaire chargé des affaires économiques à la CGT, reconnaît au sein de l'actuelle CFDT le centralisme démocratique qu'il a pratiqué, il n'y a pas si longtemps, au parti communiste. Pour le politologue René Mouriaux, il faut cependant différencier syndicats d'entreprise et instances confédérales : « Autant les militants de terrain disposent d'une certaine autonomie à condition toutefois de ne pas exprimer d'opposition à la confédération, autant l'appareil est totalement contrôlé. » Une analyse que réfute François Chérèque : « Le secrétaire général n'a aucun pouvoir sur les syndicats CFDT. Chez Bosch, c'est le délégué syndical qui a pris la décision de signer sur les 35 heures », affirme-t-il, avant de balayer les reproches d'un revers de manche : « Notre conception du fédéralisme est fondée sur l'autonomie et la délégation, la confédération se contentant d'arbitrer sur des sujets nationaux comme la protection sociale ou la politique de l'emploi. »

Mettre de l'huile dans les rouages

Cette critique d'un centralisme exacerbé a pourtant été formulée par d'anciens responsables cédétistes dans une tribune publiée, au mois d'avril, dans un grand quotidien : « La première carence de la CFDT aujourd'hui est l'absence de pensée sociale autonome, faute de débat démocratique depuis de longues années », écrivent ces 25 ex-dirigeants, pourtant guère connus pour leur hostilité à la ligne confédérale. Malgré les efforts de la direction pour relativiser la portée de ce pamphlet, certains militants doutent : « Ce n'est pas forcément faux, admet Jean-Claude Rech, de Colgate-Palmolive. La bande à Chérèque décide en haut sans débattre avec la base. Il est d'ailleurs plus facile de rencontrer un ministre que notre propre secrétaire général. »

Sans attendre le congrès de 2006, François Chérèque a décidé de procéder à des changements dans son entourage. « Il a compris qu'il était mal conseillé, juge Hubert Landier, directeur de Management et Conjoncture sociale. Il lui faut une direction qui puisse remettre de l'huile dans les rouages. » L'actuelle commission exécutive, le secrétaire général l'a héritée de Nicole Notat. Hormis quelques noms biffés par Chérèque – notamment celui de Jacques Kheliff, l'ancien secrétaire général de la fédération Chimie-Énergie –, il a travaillé, depuis son intronisation, avec l'équipe Notat. Exit, donc, Jean-François Trogrlic, le responsable des affaires internationales, qui laissera un grand vide au sein de l'équipe dirigeante. Second départ annoncé pour 2005, celui de Michel Jalmain, chargé de l'action revendicative. « Un non-événement, estime l'intéressé. La vérité, c'est que nous avions un réel problème de vieillissement. Le plus jeune secrétaire confédéral a quand même 53 ans », explique le dirigeant cédétiste, âgé de 55 ans. Nicole Notat a beau jurer que « jamais dans son histoire la CFDT n'a réglé ses problèmes sur le dos d'une personne » en invoquant sa « culture de responsabilité collective », et François Chérèque assurer que ce « départ était attendu », difficile de ne pas y voir un symbole… ou un fusible. Car c'est Jalmain qui a négocié les accords contestés sur l'Unedic et les intermittents.

Un sérieux lifting à la direction

Pour Hubert Landier, Michel Jalmain a joué la partition du syndicat patronal. « Il a été instrumentalisé par Denis Kessler », affirme le consultant. A contrario, Guy Groux ne voit pas pourquoi le négociateur de la CFDT incarnerait « une ligne plus réformiste » qu'un Jean-Marie Toulisse, chargé du dossier des retraites au sein de la confédération. Ce sérieux lifting – puisque le départ d'Annie Thomas, chargée de la formation, est également évoqué – va aussi permettre à François Chérèque de muscler la direction confédérale, notamment avec l'arrivée d'Alexis Guenego, le patron d'Interco, la fédération de la fonction publique territoriale. Celle qui a perdu le plus d'adhérents après la FGTE, selon Claude Debons, qui chiffre l'hémorragie « au moins à 10 000 adhérents, partis, pour l'essentiel, à la FSU ». En tout cas, avec la relance de la décentralisation, l'enjeu est de taille pour la CFDT qui a perdu du terrain dans le secteur public, comme en témoignent ses résultats aux élections professionnelles dans la santé, à EDF-GDF ou encore aux finances.

François Chérèque a également en ligne de mire le congrès de Grenoble de 2006. Il a posé une première pierre à sa préparation dans son rapport au conseil national, qui met l'accent sur les conditions de travail ou la nécessité de réguler le capitalisme. Mais, sur le fond, le cap reste mis sur le réformisme. « Ce ne sont que quelques mesures d'affichage, le rouleau compresseur continue sa route », juge René Mouriaux. Comment pourrait-il en être autrement ? Les opposants ont quitté le navire et le syndicat semble en avoir terminé avec la guérilla interne animée par des militants d'extrême gauche. « C'est la fin d'une dualité à l'intérieur de la CFDT qui s'est cristallisée autour de la ligne, de congrès en congrès », traduit Nicole Notat. « Nous allons devoir apprendre à vivre dans une situation qui n'est plus celle des affrontements bloc contre bloc, analyse Yolande Briand, secrétaire générale de la fédération Santé-Sociaux. Cela nous oblige à travailler de façon plus approfondie sur le sens du réformisme. » Si le cap ne change pas, François Chérèque, qui publiera en décembre un ouvrage sur le réformisme, refuse d'être accusé de camper sur une ligne bergeronienne. « Je ne veux pas être mis dans le camp des gestionnaires et des accompagnateurs des réformes, indique-t-il. Nous sommes un contre-pouvoir, nous sommes dans la confrontation. » Fini d'endosser le costume, trop large, d'interlocuteur privilégié du Medef, comme du temps de Nicole Notat.

Des termes durs pour la CGT

Le message vaut autant pour le gouvernement, qui n'a pas respecté ses engagements sur les longues carrières des fonctionnaires, que pour le patronat et les autres centrales syndicales. Le rapport au conseil national est sans équivoque : « Depuis le changement de majorité, le Medef est plus enclin à attendre que la loi lui donne satisfaction qu'à s'affronter aux risques d'une négociation. » Une allusion au refus du Medef de négocier sur les restructurations ou encore à son forcing sur les lois Aubry. Un patronat qui, depuis deux ans, « tourne le dos à sa volonté affichée de favoriser le dialogue et l'espace d'autonomie des partenaires sociaux inscrits dans la déclaration commune sur les voies et moyens de l'approfondissement de la négociation collective » de juillet 2001. Pour Chérèque, « ce pas de deux du Medef entre la loi et la négociation, le manque de fiabilité des relais patronaux dans la mise en œuvre des engagements du patronat ne peuvent que renforcer un syndicalisme plus radical ».

Ce qui n'augure pas d'un rapprochement avec le vieux rival cégétiste. Dans le rapport Chérèque, les termes sont encore plus durs à l'endroit de la CGT qu'à l'égard du patronat. « Expliquons que si la CGT ne signe pas un accord Unedic, ce n'est pas obligatoirement pour son contenu mais parce qu'elle n'en a jamais signé aucun depuis sa création. […] Expliquons que la CGT, au plan national, pratique le partage des tâches. À elle la pureté des intentions, le noble champ de la mobilisation, aux autres le choix d'honorer un accord qui sera toujours jugé insuffisant. »

Le secrétaire général de la CFDT énumère une longue liste de « champs d'action communs », des 35 heures aux discriminations. Mais avant d'avancer de concert, « il faudra une clarification. Nos militants sont prêts : on va se confronter ». La CFDT n'a clairement pas renoncé à exercer un leadership au sein du monde syndical, et l'état de faiblesse actuel de la CGT, avoué par Bernard Thibault lui-même lors d'un récent comité confédéral national, n'est pas de nature à la faire changer d'avis. Toute la question est de savoir si, dans leur situation présente, les deux syndicats peuvent se passer l'un de l'autre. Et la réponse risque bien d'être négative.

Auteur

  • Jean-Paul Coulange, Frédéric Rey