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Débat

Faut-il, et comment, assouplir la législation sur le temps de travail ?

Débat | publié le : 01.11.2004 |

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Faut-il, et comment, assouplir la législation sur le temps de travail ?

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Après moult consultations des partenaires sociaux, le Premier ministre devrait bientôt préciser ses intentions en matière d'assouplissement des 35 heures. Les arbitrages porteront principalement sur le contingent et sur la rémunération des heures supplémentaires. Une nouvelle intervention du législateur est-elle nécessaire ? Les réponses d'une universitaire et de deux responsables d'association de DRH.

« Le législateur devrait réviser les différentes formes d'annualisation du temps de travail. »

FRANÇOISE FAVENNEC-HÉRY Professeur à Paris II.

La énième réforme du droit de la durée du travail est à l'ordre du jour mais, sur le plan juridique, la question est-elle bien posée ? Pour éviter un abandon de la référence aux 35 heures, plusieurs pistes peuvent être empruntées : accroître le contingent d'heures supplémentaires, réduire leur taux de majoration, mensualiser leur décompte. Un assouplissement du régime des JRTT est envisagé par le biais du « rachat » de ces jours par l'entreprise. On peut aussi assouplir le régime du compte épargne temps afin d'en faire le réceptacle des heures de repos dues mais non prises. La loi du 3 janvier 2003 en a permis la monétarisation ; il est question d'accentuer cette tendance. Jouer sur le concept même de temps de travail effectif est une technique éculée : le temps de formation semble offrir des possibilités. Las ! tout cela n'est-il pas vu et revu, l'autre face d'une médaille déjà fortement usée ! Surtout que, depuis 2003 et 2004, la donne a changé. Au point que l'on peut se demander si nos gouvernants ne sont pas pris à leur propre piège. En effet, fixation du contingent et montant de la majoration relèvent désormais du droit conventionnel. Le pouvoir réglementaire n'intervient plus qu'à titre supplétif. Qu'un nouveau contingent réglementaire soit fixé ne délivrera pas les partenaires sociaux de leurs engagements antérieurs. Or la loi du 4 mai 2004 sur le dialogue social ne favorise pas une évolution des normes conventionnelles. Certes, les accords d'entreprise pourront déroger aux accords de branche. Mais la loi opère une sécurisation des accords antérieurs, les dispositions conventionnelles adoptées avant elle gardant une autorité impérative. Comment, alors, remettre en cause les accords 35 heures ? La voie de la révision est semée d'embûches ; l'avenant ne doit pas faire l'objet d'une opposition majoritaire. Les accords d'entreprise signés par des mandatés doivent être révisés par eux. Sans évoquer les affres de la dénonciation et le risque de voir qualifier certains aménagements du temps de travail d'avantages acquis.

À ces obstacles conventionnels s'ajouteraient des difficultés contractuelles. Quelle incidence aurait l'augmentation de la durée du travail sur la rémunération et la compensation financière pour RTT ? Ne s'agirait-il pas d'une modification du contrat entraînant, en cas de refus de plusieurs salariés, obligation de mettre en place un PSE ? On voit à quel imbroglio juridique pourrait conduire l'augmentation de la durée du travail en l'état actuel du droit. N'est-ce pas plutôt sur le terrain de la simplification que le législateur devrait s'engager ? Et tout d'abord réviser les formes d'annualisation du temps de travail qui s'enchevêtrent : modulation, cycle, JRTT et même forfaits jours. Bref, pousser plus loin la logique de l'annualisation en l'assortissant de garanties sérieuses et de compensations. Ne faudrait-il pas repréciser la notion de temps de travail effectif au regard de la jurisprudence française et communautaire ? Ne conviendrait-il pas d'admettre l'existence de tiers temps, assimilés à du temps de travail ou indemnisés ? À défaut, le système est impraticable. Enfin, ne doit-on pas, en revanche, se montrer intransigeant sur le respect des durées maximales de travail et des garanties en matière de santé et de sécurité ? La proposition de directive du 22 septembre 2004 soulève à cet égard bien des interrogations.

« Il faut laisser les entreprises mettre en œuvre et digérer les lois de Robien et Aubry. »

DOMINIQUE VERCOUSTRE Président de Personnel Association.

Depuis un certain temps il est de bon ton de remettre en cause les accords signés à la suite des lois Aubry sur les 35 heures. Or il a fallu longuement négocier. Notre position est très claire : nous sommes, après de longs mois, arrivés à des accords gagnant-gagnant. Aujourd'hui, dans les grandes organisations, chacune des parties a tiré profit des accords : flexibilité, annualisation, nouvelle organisation… pour les uns ; réduction du temps de travail avec maintien du salaire, embauche… pour les autres. Nous ne pouvons revenir sur ces accords deux ans après pour des raisons politiques. Certes, tout n'est pas parfait : ces modifications d'organisation ont entraîné des changements fondamentaux que l'entreprise doit assimiler.

Certes, les négociations et leur application ne se sont pas conclues de la même façon dans les grandes et moyennes entreprises. Certes, la mise en œuvre est plus délicate dans les petites entreprises. Certes, les conséquences sur les conditions de travail sont à gérer et à accompagner. Certes, on peut encore obtenir plus de souplesse, en particulier sur la gestion des heures supplémentaires.

Mais ne mélangeons pas les débats entre politique et réalité du terrain.

Des modifications de cette ampleur demandent un accompagnement de tous les instants par les ressources humaines et le management de proximité.

Et on ne peut changer les règles du jeu au gré des humeurs politiques.

Les politiques nous ont proposé ou imposé des lois, qu'il s'agisse de la loi de Robien ou des lois Aubry. Nous les avons négociées et appliquées.

Qu'on nous laisse les mettre en œuvre, qu'on laisse les entreprises les « igérer ». Si les politiques – gouvernement et Medef – veulent se positionner, qu'ils ne nous prennent pas en otage en nous empêchant de respecter la parole donnée lors de la signature de nos accords.

L'ensemble des salariés a du mal, actuellement, à se positionner face au discours alarmiste et négatif concernant le temps de travail et leur motivation au travail. A contrario, les entreprises véhiculent un discours mobilisateur en interne. Elles partent du principe que les salariés aiment mettre en œuvre leur savoir et leurs compétences au service de leur entreprise. Elles développent la valorisation des actions de chacun des acteurs.

Que chacun reste à sa place ! Nous, directeurs des ressources humaines, sommes convaincus que la mobilisation de l'ensemble des salariés de ce pays doit d'abord se faire en reconnaissant leur grande capacité à s'adapter aux évolutions en cours et en leur proposant une « vision » réaliste et optimiste de l'avenir. Restons positifs ! Apportons du sens et de la responsabilisation et accompagnons le plus intelligemment possible ces changements.

« Il vaudrait mieux privilégier des aménagements issus de la négociation. »

DANIEL CROQUETTE Délégué général de l'NDCP.

Après avoir consulté ses membres, l'Association des directeurs et cadres de la fonction personnel (ANDCP), forte de 4 000 adhérents, s'est déclarée favorable à des aménagements des 35 heures en fonction de la réalité économique des entreprises, concluant ainsi : « Moins de réglementation et des réglementations stables seraient un atout pour les entreprises. »

Le bilan qu'établissent les DRH de l'application des lois Aubry est, pour le moins, contrasté : perte de compétitivité pour certains, effet partiel d'aubaine en matière de création d'emplois, augmentation du coût salarial… mais progression des concepts tels que flexibilité et modulation, dans un environnement caractérisé par un cadre juridique plus complexe à la limite de la rigidité, associé à une moindre implication des salariés et à une progression de la pénibilité et du stress, notamment pour la hiérarchie de premier niveau. On comprendra aisément que, dans leur immense majorité (80 à 90 %), les DRH souhaitent, à défaut d'un impossible retour en arrière, des aménagements et des simplifications dans plusieurs domaines : le régime des heures supplémentaires (contingent plus élevé, majoration unifiée à 10 %), les périodes de référence unique, si possible calendaire, pour les congés payés et les jours dits de RTT, un accès facilité au forfait jours (pour les non-cadres), l'exemption de l'obligation de consulter les institutions représentatives du personnel en cas d'urgence pour effectuer des heures supplémentaires, le déplafonnement de la durée de blocage des comptes épargne temps et l'augmentation du nombre de jours pouvant y être affectés, la possibilité d'alimenter directement le Perco par le compte épargne temps. Des simplifications qui dépendent dans un premier temps d'une modification législative. Enfin, ils déplorent l'instabilité (chronique ?) des régimes d'allégements de charges, car ceux de la période Fillon mis en place pour accompagner la convergence entre smic et garanties mensuelles de rémunération ont été rognés avant même l'achèvement de la période triennale définie ! Rêvons, un instant, à un monde idéal dans lequel la loi ne fixerait, en la matière, qu'un corps minimal de contraintes : durée mensuelle de référence et durée journalière (ou annuelle) maximales, plafond annuel d'heures supplémentaires, taux minimal de rétribution desdites heures supplémentaires, ainsi que le dispositif de repos compensateur… On verrait ainsi disparaître la choquante disparité entre sociétés de plus et de moins de 20 salariés, le maquis des périodes de référence et les « usines à gaz » qui ont proliféré afin de gérer les temps et activités. La négociation et la conclusion d'accords d'entreprise pourraient répondre aux réelles problématiques d'activité selon le secteur, notamment selon le caractère continu ou non de l'activité ou les exigences de satisfaction des clients : modulations, forfaits jours ou non… Tout cela pourrait se négocier en contrepartie de dispositions prenant en compte au mieux les aspirations, pas toujours homogènes, des salariés : revenu amélioré, jours de repos plus nombreux et utilisation immédiate ou différée de ceux-ci dans le cadre d'une perméabilité entre le compte épargne temps et le DIF (droit individuel à la formation). À l'évidence, pour les DRH, les aménagements résultant de la négociation devraient donc être privilégiés, à condition que la loi permette de le faire.