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Vie des entreprises

Téléphones portables et télégraphes sans fil

Vie des entreprises | CHRONIQUE JURIDIQUE | publié le : 01.10.2004 | Jean-Emmanuel Ray

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Jean-Emmanuel Ray

Crédit photo Jean-Emmanuel Ray

L'engouement pour le téléphone portable peut poser quelques difficultés juridiques à l'entreprise. Peut-on interdire son utilisation pendant le temps de travail ? Obliger le salarié à répondre hors temps de travail ? Lui imposer un portable professionnel ? Refacturer le coût des communications personnelles ? Les premières réponses de la chambre sociale.

Inconnu il y a dix ans, le téléphone portable a envahi notre vie quotidienne : le cap des 75 % de Français équipés sera atteint fin 2004. Avec ses milliards de SMS, il s'agit désormais moins de téléphonie que de télégraphie sans fil. La troisième génération permet d'associer téléphone et messagerie, de surfer sur Internet, sert de porte-monnaie électronique comme de carte d'accès grâce à une puce supplémentaire, mais aussi de caméra vidéo. Ce qui pose quelques problèmes de confidentialité, au vu de sa fonction d'enregistrement vocal qui permet de le transformer en portable espion, s'il est laissé ouvert (pas toujours volontairement) au fond du sac lors d'un entretien important ou d'une réunion confidentielle.

Les services rendus par ces petits engins dépassent donc largement la simple téléphonie mobile, et nombre de sociologues se passionnent pour ce concentré des rapports de pouvoir : Qui détient quel type de portable ? Qui peut répondre en pleine réunion ? La quitter ? Se permettre de se soustraire à cette télédisponibilité permanente en se « mettant aux abonnés absents » ? Pendant la journée ? En soirée ? Le week-end ? Pendant ses « vacances » ? Mais qu'ils soient personnels ou professionnels, ces mobiles tant à la mode posent aussi d'intéressantes questions au juriste.

1° Portable personnel et droit du travail

Évitant à l'entreprise de devoir supporter de substantiels coûts de communications privées, l'irruption du mobile personnel ne pouvait que réjouir les DRH : or elle génère de nombreux problèmes. Dans les espaces ouverts, le concert permanent de sonneries de plus en plus diverses perturbe le travail. Le système des forfaits rend de très longues conversations privées financièrement indolores pour nombre de collaborateurs. Or il ne peut être question de sanctionner un coût exorbitant pour l'entreprise en sortant la facture astronomique de France Télécom. Est-il alors possible d'interdire toute utilisation du portable personnel pendant le temps de travail, en créant par exemple des « râteliers à mobiles » dans les salles de repos ou les vestiaires ? Cette interdiction assortie de sanction devrait tout d'abord avoir suivi la procédure habituelle et figurer au règlement intérieur. Il n'est surtout pas certain qu'une telle interdiction générale et impersonnelle soit opérationnelle, et conforme à l'article L. 122-35 du Code du travail. « Le refus par le salarié d'obtempérer à l'ordre de son employeur de laisser son téléphone portable personnel au vestiaire pendant les heures de travail, alors que la détention de ce type de téléphone n'est pas interdite par le règlement intérieur ni par note de service, ne constitue pas une cause réelle et sérieuse de licenciement, les salariés pouvant recevoir des communications téléphoniques pendant les heures de travail. » (C. d'appel de Versailles, 5e ch. B, 20 juin 2002.)

La chambre sociale a, pour sa part, consacré le 17 février 2004 le droit à la déconnexion pendant les temps de déjeuner. Ambulancier, Jean-Bernard R. avait refusé de répondre sur son portable personnel à trois appels de son employeur un vendredi entre 12 h 30 et 13 heures. Licencié pour faute grave, il avait saisi la justice. Sur un ton martial, la cour d'appel d'Aix l'avait débouté de toutes ses demandes le 18 septembre 2001 : « Jean-Bernard R. a sciemment couru le risque de négliger une urgence et de mettre un patient en danger, ce comportement irresponsable caractérisant la faute grave. » Cassation : « Le fait de n'avoir pu être joint en dehors des horaires de travail sur son téléphone portable personnel est dépourvu de caractère fautif et ne permet donc pas de justifier un licenciement disciplinaire. » Il n'est donc plus question de la gravité de la faute, mais de l'existence même d'une faute disciplinaire, ici récusée par la chambre sociale s'agissant d'un appel sur un portable personnel pendant un temps de pause. Conforme à sa politique jurisprudentielle, cette position doit être approuvée : hors temps de travail ou astreinte officielle, le citoyen n'est plus subordonné et donc télédisponible, a fortiori sur son portable personnel dont il n'a pas à communiquer le numéro à son employeur. Si ce dernier ne laisse pas un SOS sur le répondeur, c'est qu'il n'y a pas vraiment urgence.

2° Clause contractuelle de mise à disposition d'un portable professionnel

Pour au moins quatre raisons la mise à disposition d'un mobile doit faire l'objet d'une stipulation contractuelle.

a) Il convient d'abord de spécifier que ce prêt ne constitue pas un élément essentiel du contrat. Comme d'autres instruments de travail, il est simplement mis à disposition du collaborateur pour l'exécution de sa mission. Son usage est donc exclusivement professionnel, sauf cas exceptionnel. L'arrêt du 2 février 2000 s'était en effet placé sur le terrain de la modification du contrat de travail pour exclure le droit d'imposer un portable professionnel. Là encore, c'est un ambulancier qui avait refusé de devoir dépendre d'un mobile : « Les juges auraient dû rechercher si l'utilisation du téléphone portable s'accompagnait d'un accroissement de ses responsabilités, constitutif d'une modification de son contrat de travail. »

b) Même question en cas de préavis non exécuté. Nul n'ignore, depuis l'arrêt du 2 juillet 2003, que « l'inexécution du préavis ne doit entraîner aucune diminution des salaires et avantages que le salarié aurait reçus s'il avait accompli son travail » : en l'espèce, une voiture de fonction à usage professionnel et personnel ne pouvait donc être retirée. Or, dans un curieux arrêt du 12 mars 2002, la chambre sociale avait pris la défense d'un salarié dispensé de ses trois mois de préavis et qui avait donc cessé toute activité, mais avait continué à se servir du portable professionnel. Constatant l'absence de tout travail, la société avait demandé remboursement des factures (élevées). « L'employeur n'avait pas réclamé la restitution du téléphone portable lors du départ du salarié de l'entreprise » : ferme invitation à prévoir contractuellement cette restitution sur simple demande. « Les factures détaillées ne démontraient pas que le salarié avait utilisé le téléphone pour son usage personnel ». Diable ! de quelle nature étaient alors ces appels ni professionnels ni personnels ?

c) « Si, en vertu d'un contrat régulièrement conclu entre les parties, l'employeur a la possibilité de refacturer à l'agent le coût de ses communications personnelles excédant le forfait et dispose toujours de la faculté de recouvrer sa créance par les voies de droit commun, il ne peut opérer une retenue sur la rémunération de l'agent correspondant au coût de ses communications personnelles excédant ce forfait. » Le 18 février 2003, la chambre sociale avait interdit à la SNCF d'effectuer une retenue sur le salaire d'un agent doté d'un portable pour les besoins du service et qui avait dépassé le forfait de cent minutes par mois prévu par le contrat dûment signé, la charte d'utilisation mentionnant par ailleurs ce prélèvement en cas de communications personnelles. Mais refacturation n'est pas retenue sur salaire.

d) Redressement Urssaf, enfin : « Le téléphone portable constitue un avantage soumis à cotisations dès lors qu'il n'est pas établi qu'il est utilisé à des fins exclusivement professionnelles. » (Cass. soc., 13 décembre 2001.) La circulaire du 7 janvier 2003 considère pour sa part qu'il n'y a « pas avantage en nature en cas d'utilisation raisonnable pour la vie quotidienne de ces instruments dont l'emploi est justifié par les besoins de la vie professionnelle, lorsque le contrat de travail ou la convention collective mentionnent que ces outils sont destinés à l'usage professionnel, ou lorsque l'utilisation des technologies portables par le salarié découle de sujétions professionnelles ».

3° Géolocalisation par portable professionnel

« Avec Itineris, vous n'êtes jamais loin de vos proches collaborateurs ». La publicité de France Télécom n'est pas sans rappeler la naissance du téléphone à Boston le 10 mars 1876 : dès cette époque, cette NTIC avait servi à contrôler les usines à l'autre bout de l'État, puis du monde. Entre notre carte Bleue, les abonnements nominatifs de transport, la vidéosurveillance, voire les radars d'autoroute dont la photo arrivant au siège cause parfois quelques surprises, c'est peu dire que la géolocalisation se développe. Or s'il existe effectivement quelques méthodes destinées à géolocaliser (comme le GPS), beaucoup d'autres permettent de le faire : ainsi des portables, même en position veille s'ils sont cellulaires, et qui font beaucoup plus que géolocaliser une voiture… Cette géolocalisation orale (« Où es-tu ? ») ou technique (identifiant, puis Internet) est fort appréciée en termes de sécurité, qu'il s'agisse d'un conducteur de taxi, d'un gardien de nuit, d'un routier en Russie ou de parents inquiets des activités réelles de leur progéniture (pas toujours au courant).

Côté entreprise, le portable sert d'abord à optimiser les 35 heures des services de maintenance ou des commerciaux, en assurant une exceptionnelle réactivité grâce à cette longue laisse électronique. Mais cette géolocalisation est étroitement encadrée par l'article 9 de la directive du 12 juillet 2002, désormais transposée par la loi sur les télécommunications du 9 juillet 2004 : « Protection de la vie privée des utilisateurs de réseaux : les données permettant de localiser l'équipement terminal de l'utilisateur (le salarié) ne peuvent ni être utilisées pendant la communication à des fins autres que son acheminement ni être conservées et traitées après l'achèvement de la communication que moyennant le consentement de l'abonné (qui peut être l'entreprise), dûment informé des catégories de données en cause, de la durée du traitement, de ses fins et du fait que ces données seront ou non transmises à des fournisseurs de services tiers. L'abonné peut retirer à tout moment et gratuitement, hormis les coûts liés à la transmission du retrait, son consentement. L'utilisateur peut suspendre le consentement donné, par un moyen simple et gratuit, hormis les coûts liés à la transmission de cette suspension. » Outre la procédure habituelle de transparence individuelle (C. trav., art. L. 121-8) et collective (art. L. 432-2-1), le consentement express du salarié utilisateur final doit être obtenu. À charge de négocier par exemple les conditions exactes du contrôle.

Dans sa mise en garde d'octobre 2003, la Cnil évoquait une véritable « filature électronique », estimant que « la mise sous surveillance permanente des déplacements des salariés est disproportionnée lorsque la tâche à accomplir ne réside pas dans le déplacement lui-même, mais dans la réalisation d'une prestation pouvant elle-même faire l'objet d'une vérification ». Il est vrai que sous les très chics visas des articles 8 de la Convention européenne des droits de l'homme, 9 du Code civil, 9 du NCPC et L. 120-2 du Code du travail, la chambre sociale avait indiqué, le 26 novembre 2002, « qu'une filature (en l'espèce, devant le domicile d'une commerciale) implique nécessairement une atteinte à la vie privée insusceptible d'être justifiée, eu égard à son caractère disproportionné, par les intérêts légitimes de l'employeur ». Mais s'agissait-il d'une filature ?

En 2012, une loi liberticide édicta une nouvelle et sévère peine complémentaire destinée à réprimer plus durement les plus graves délits pénaux. Le Conseil constitutionnel formula les plus expresses réserves d'interprétation et, le 6 février 2015 (jour de la Saint-Gaston), la Cour européenne des droits de l'homme condamna la France pour traitement inhumain : il s'agissait du retrait temporaire de tout portable.

FLASH

• Portable, santé et productivité

Santé physique : même si l'exercice du droit de retrait semble disproportionné faute de danger grave et imminent, l'utilisation continue du portable n'est souhaitable ni pour le cerveau ni à long terme pour le pouce de l'utilisateur (cf. SMS/TMS).

Et, sur la route, la dangerosité de son utilisation est avérée, même s'agissant d'un système « mains libres », car l'attention du conducteur n'est plus la même. Nombre d'entreprises interdisent donc son utilisation en voiture, allant légitimement au-delà de l'article R. 412-6-1 du Code de la route : « L'usage d'un téléphone tenu en main par le conducteur d'un véhicule en circulation est interdit » (contravention de 2e classe : amende et retrait de deux points du permis de conduire). En l'état de la jurisprudence de la Cour de cassation, un accident intervenu en raison d'un appel professionnel sur le mobile d'un salarié au volant a toutes les caractéristiques de la faute inexcusable.

Santé mentale : chercheur en sciences cognitives à l'université du Michigan, David Meyer a constaté un « syndrome de la connexion compulsive » : se mettre systématiquement en ligne (portables, courriels, Internet) rappelle l'excitation due à d'autres lignes et incite à un travail multitâche.

Or, poursuit le même chercheur, « essayer d'accomplir plusieurs travaux différents en même temps prend plus de temps et conduit à un plus grand nombre d'erreurs car il y a des limites dans les processus mentaux de tout être humain ».

Jean-Emmanuel Ray

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