logo Info-Social RH
Se connecter
Newsletter

Vie des entreprises

Decaux s'affiche moins social que Clear Channel

Vie des entreprises | MATCH | publié le : 01.10.2004 | Éric Béal

Image

Decaux s'affiche moins social que Clear Channel

Crédit photo Éric Béal

Salaires, horaires, conditions de travail… chez le leader français du secteur, JC Decaux, comme chez son challenger, Clear Channel, les salariés ne sont pas à la fête. Mais le numéro deux du secteur fait des efforts pour reclasser les salariés âgés. Et, face aux aléas du marché, il tente d'harmoniser statuts et rémunérations, alors que son rival taille dans les effectifs et dope l'intérim.

Augmentations de salaire en peau de chagrin, participation en baisse, blocage des recrutements et même suppressions d'emplois. Chez JC Decaux SA et Clear Channel France, les numéros un et deux du marché français de l'affichage, les salariés ont des bleus à l'âme. La faute au retournement de marché intervenu après le 11 septembre 2001 dans le secteur publicitaire, qui a obligé les deux grands réseaux d'affichage cotés en Bourse à réagir avec vivacité. Même si une tendance à la reprise se profile cette année, la guerre des prix fait rage dans l'affichage urbain tandis que nombre de communes veulent faire disparaître les panneaux publicitaires qui ne respectent pas la législation (voir encadré, page 50). Résultat, Decaux a accéléré son développement international et a supprimé 236 postes dans l'Hexagone au cours des trois dernières années, en profitant d'un fort taux de turnover. Chez Clear Channel, à la suite d'un audit réalisé par le cabinet Charles Riley, 17 succursales et 2 directions régionales ont été fermées en 2003. Un plan social concernant 148 salariés a été mis en œuvre. Entre les deux réseaux d'affichage, c'est donc une lutte à la vie à la mort.

Dans cette bataille au couteau, la société créée par Jean-Claude Decaux a l'avantage du terrain, bénéficiant d'un quasi-monopole dans les grandes métropoles françaises. La recette inventée il y a quarante ans par l'entrepreneur autodidacte reste intangible. En échange de la mise à disposition et de l'entretien du mobilier urbain, l'afficheur obtient d'une commune le droit de commercialiser les emplacements publicitaires qui y sont implantés. Mais Decaux n'a plus de chasse gardée depuis 1998, depuis que le Conseil de la concurrence a épinglé l'entreprise pour le renouvellement quasi automatique des concessions avec les municipalités. Dorénavant, les contrats font l'objet d'un appel d'offres ouvert aux concurrents, Clear Channel et Viacom Outdoor. Ce revers n'a pas empêché Decaux de racheter Avenir au groupe Havas en 1999 ni de devenir une entreprise mondiale réalisant un chiffre d'affaires de 1,5 milliard d'euros dans 43 pays.

Une « world company »
CLEAR CHANNEL 2 000 salariés en France. 350 millions d'euros de chiffres d'affaires en 2003. 80 000 faces publicitaires.

Mais c'est Clear Channel qui fait davantage figure de world company. Ce groupe d'audiovisuel américain fondé en 1972, à partir d'une station de radio texane, a découvert l'univers de l'affichage en achetant Eller Media, puis More Group, une société britannique. Par l'intermédiaire de cette dernière, Clear Channel a commencé à investir en France en s'offrant le réseau Sirocco en 1998 puis Dauphin l'année suivante. Depuis 2000, Clear Channel France, présidé par Claude Duval, un ancien dirigeant de Dauphin, possède 80 % de France Rail Publicité, France Bus Publicité et Landimat, trois anciennes filiales de la SNCF.

En dépit de son développement international, Decaux SA est resté une entreprise familiale dans l'âme. La famille contrôle encore 72 % du capital et deux des trois fils de Jean-Claude, Jean-François (l'aîné) et Jean-Charles (le cadet), sont aujourd'hui codirecteurs généraux du groupe. Jusqu'à ce qu'il prenne du champ en 2000, en devenant président du conseil de surveillance nouvellement créé, Jean-Claude Decaux dirigeait ses troupes d'une main ferme, fondant sa réussite sur un management directif et centralisé.

Traditionnelle dans la culture des PME, la promotion interne est paradoxalement assez limitée chez Decaux, pour les afficheurs et techniciens itinérants. En 2003, 10 agents de maîtrise seulement sont passés cadres. Mais, ajoute Luc Barthelemy, le DRH groupe, « le turnover important permet à certains salariés de progresser ». D'autant que l'entreprise déclare investir 1,8 million d'euros par an dans la formation professionnelle et le développement des « qualités managériales de ses collaborateurs ». Délégué syndical central CFDT, Alain Guillin estime, pour sa part, que la formation des techniciens est surtout faite sur le tas. « Les formations ne sont octroyées qu'après plusieurs années d'ancienneté et profitent surtout aux cadres. Le salarié nouvellement embauché apprend le métier grâce aux collègues. »

Pas de GRH à l'américaine

Chez Clear Channel, pas de GRH à l'américaine. Le passage de Dauphin, Sirocco ou France Rail Publicité dans le giron du mastodonte américain n'a modifié ni leur mode de management, jusqu'alors plutôt paternaliste, ni l'organisation du travail. Sauf pour les services commerciaux, qui ont été fondus en un seul département. Clear Channel France est toujours constitué de quatre sociétés dotées de leurs propres institutions représentatives du personnel. Dauphin Affichage est la plus importante puisqu'elle regroupe Dauphin, Sirocco et Adshel. Mais qu'il s'agisse de temps de travail, de statuts ou de rémunérations, rien à voir entre la situation des afficheurs « à la colle » du premier cité et les techniciens sur mobilier urbain des deux autres. Des disparités qui plombent le climat social dans le groupe.

Récemment nommé DRH de Clear Channel France, Thierry Valois est convaincu qu'une remise en ordre est nécessaire. « Début 2005, les cadres bénéficieront d'un système d'entretien annuel d'évaluation en lien avec le plan de formation. Dans un deuxième temps, tous les salariés seront concernés. » Ancien DRH de Dauphin, Thierry Valois admet qu'une harmonisation des régimes de prévoyance et de mutuelle est nécessaire, comme sur les profils d'embauche et les niveaux de compétences. Pour les primes et les rémunérations, il tiendra compte de la convention collective de la publicité signée en mars 2004. « Ce texte va nous aider à trouver une certaine cohérence entre nos différentes sociétés, mais l'harmonisation des salaires prendra du temps. »

Des primes pour la qualité

En matière de classifications, c'est JC Decaux SA qui possède cependant une bonne longueur d'avance. Un accord sur les emplois de la filière exploitation distingue, entre autres, les agents de maintenance et d'intervention (AMI), qui s'occupent de l'entretien des Sanisette, les « afficheurs bas », chargés des Abribus et des mobiliers urbains pour l'information (Mupi), rebaptisés « sucettes », les « afficheurs hauts », qui travaillent sur les panneaux déroulants de 8 mètres carrés, et les « afficheurs colle », qui se chargent des panneaux classiques sur lesquels l'affiche est encollée. Renouvelé en juillet 2003, ce texte propose des définitions de fonctions et une grille de rémunérations afférente. Un système de primes, octroyées par des auditeurs se déplaçant sur le terrain, récompense la qualité du service d'entretien des panneaux ou de l'affichage.

« Reste que la gestion de carrière se fait à la tête du client, estime Louis Omnès, délégué central FO. Seuls sont promus ceux qui acceptent de faire des heures supplémentaires. Et la récompense n'est pas forcément suivie d'une augmentation de salaire. De toute manière, le dialogue social est de plus en plus dur. » Un jugement que confirme Alain Guillin, à la CFDT : « La direction ne cède rien. En 2001, il a fallu organiser des arrêts de travail pour obtenir des augmentations. Idem en janvier dernier. » Les deux syndicalistes rappellent aussi que pour arracher un calcul des primes d'ancienneté plus avantageux et conforme à la convention collective, 80 salariés ont dû porter l'affaire aux prud'hommes, en octobre 2000. Une pugnacité qui s'explique par la modicité des rémunérations proposées aux itinérants. Chez Decaux, le salaire moyen s'élève à 1 300 euros net après dix ans d'ancienneté. Un niveau de rémunération « correct », c'est-à-dire « au niveau du marché », selon Luc Barthelemy, le DRH, qui souligne l'attachement du personnel à l'entreprise puisque près de 40 % de l'effectif a plus de dix ans de maison, oubliant que le turnover dépasse 10 %, surtout pour les nouvelles recrues. À l'occasion de l'accord 35 heures signé en octobre 1998, les afficheurs colle d'Avenir ont accepté de troquer leur rémunération à la tâche contre un salaire fixe, calculé à partir de leur revenu moyen antérieur. Une bonne affaire pour les anciens qui ont réduit leurs horaires. Mais les nouveaux embauchés, payés au smic, font grise mine.

Chez Clear Channel, la rémunération des techniciens sur mobilier urbain n'est pas très élevée non plus. Au bout d'un an de présence, leur salaire plafonne à 1 200 euros brut, auxquels s'ajoute une prime de qualité qui peut représenter 20 % du salaire. Reste le cas des afficheurs colle, qui ont conservé une rémunération à la tâche, calculée en fonction du nombre de panneaux couverts dans la journée et de la difficulté du travail à accomplir. « Un panneau à encoller compte pour trois points lorsqu'il fait 12 mètres carrés, deux lorsqu'il en fait 8. En province, la hauteur de la structure est prise en compte. Autrement, le grattage rapporte six points. À 2,75 euros le point, il faut au minimum 20 panneaux dans une journée pour gagner correctement sa vie », détaille Thierry Rose, délégué CFTC en Ile-de-France.

La concurrence des artisans

Jusqu'à ces dernières années, les afficheurs colle ne se plaignaient pas de ce système de rémunération. « On pouvait gagner plus de 3 000 euros par mois en bossant douze heures par jour. Mais c'est de l'histoire ancienne », explique l'un d'eux. Car, outre la réduction continue du nombre de panneaux encollés, les salariés payés à la tâche sont maintenant concurrencés par des artisans auxquels les entreprises sous-traitent une partie du travail. « Le système est plus économique pour les entreprises d'affichage. Nous sommes régulièrement obligés d'intervenir auprès de la direction pour que les afficheurs conservent un quota… », explique Patrick Labbe, secrétaire du CE de Clear Channel.

En dehors des salaires peu attractifs, le secteur de l'affichage se caractérise aussi par des horaires décalés. « Les impératifs du client nous imposent un rythme de travail particulier, indique Stéphane, afficheur bas chez JC Decaux. Les mardis et mercredis, ma tournée commence souvent vers minuit pour s'achever à 8 h 30, car les affiches d'une campagne publicitaire doivent être toutes installées en début de matinée. » Chez France Rail Publicité, l'une des filiales de Clear Channel, les clients ont les mêmes exigences. L'affichage se déroule les lundis, mercredis et jeudis. Les autres jours sont consacrés au nettoyage. « Je viens souvent préparer ma tournée le soir, en dehors de mes heures de travail. De cette façon, je peux dormir plus longtemps le matin », explique Jules, un afficheur affecté aux gares.

« Cassés après 45 ans »

Chez les afficheurs colle, le travail s'effectue dans la journée, mais les efforts physiques sont plus violents. « Au-delà de 45 ans, les collègues sont cassés », affirme Jacques Brunnel, délégué CFDT de Clear Channel. Au menu : tendinites à répétition ou pathologies plus graves au niveau de l'épaule, des cervicales ou des lombaires. Face à ce problème récurrent, les deux entreprises d'affichage n'ont pas réagi de la même manière. Le groupe américain a conclu deux accords avec la totalité de ses syndicats. Le premier clarifie les conditions de reclassement interne des afficheurs colle dans les métiers de techniciens sur mobilier urbain, moins bien rémunérés. Il prévoit une prime de reconversion et une prime d'ancienneté afin de limiter la baisse de salaire. Le second texte instaure un bilan de compétences, une formation dans le cadre du nouveau droit individuel à la formation (DIF), une prime de reconversion et dix-huit mois de complément de salaire pour les salariés obligés de se reconvertir à l'extérieur.

À l'inverse, et en dépit de discours généreux sur le développement durable, JC Decaux ne s'est pas encore engagé dans cette voie. L'entreprise s'honore pourtant d'avoir reçu le trophée Laplace récompensant les sept meilleures entreprises d'Ile-de-France en matière de lutte contre les accidents du travail et les maladies professionnelles. Mais cette récompense concerne la sécurité et les conditions de travail sur le site d'assemblage des mobiliers. Pour les afficheurs colle de la filiale Avenir, aucun mode de reclassement n'est prévu. Une situation que regrette Éric Sylard, délégué CGT et secrétaire central du CE : « Beaucoup d'anciens colleurs finissent par partir écœurés. »

Face aux aléas du marché, les deux concurrents n'ont pas non plus fait les mêmes choix de management. Prévoyant d'éventuelles pertes de concessions, JC Decaux élague ses effectifs et augmente le contingent d'intérimaires et de saisonniers. Tandis que Clear Channel France recherche un modus vivendi avec les organisations syndicales en négociant une harmonisation des statuts et des rémunérations. Il est vrai que la filiale française du groupe américain a besoin de la paix sociale pour tailler des croupières à son rival…

Moins d'emplacements, plus d'heures de travail
Face aux restrictions imposées par certaines villes, les afficheurs installent des panneaux déroulants à la place des panneaux collés. Ce qui signifie, à terme, moins d'emplois.

L'évolution semble inéluctable. En mars 2003, la municipalité de Montpellier a voté une réglementation spécifique qui réduit le nombre de surfaces publicitaires de 1 600 à 600 sur son territoire. Depuis, les villes de Marseille et de Nice ont pris des décisions similaires. Et Paris semble sur le point de faire de même. Il faut dire que le lobby écolo n'y va pas de main morte. En novembre 2003, le TGI de Dinan a condamné la société Dauphin, appartenant au groupe Clear Channel, à démonter des panneaux installés illégalement sur le site de la Rance et à payer 17 000 euros de dommages et intérêts à l'association Paysages de France. De son côté, Avenir, du groupe Decaux, s'est engagé à démonter ceux qu'il avait installés dans le même secteur. Face à la multiplication des contestations par des associations de défense de l'environnement, les réseaux d'affichage changent leur fusil d'épaule : une partie des panneaux deux faces encollés sont remplacés par des panneaux déroulants pouvant compter jusqu'à huit faces. Pour les salariés, ce n'est pas anodin. Si la maintenance d'un panneau déroulant améliore les conditions de travail en diminuant les efforts physiques, la réduction du nombre total de panneaux signifie à terme une perte d'emplois assurée. « Entre la sous-traitance qui se développe et la contestation des antipub, l'avenir des “afficheurs colle” est plutôt sombre », pronostique Jacques Brunnel, délégué syndical CFDT chez Clear Channel. Les perspectives sont encore plus moroses chez Decaux, où la direction propose également de revenir sur l'accord RTT pour porter la semaine de travail de 35 heures à 38,30 heures. « Si chaque afficheur traite davantage de panneaux alors que le nombre total d'emplacements diminue, les salariés qui partent ne seront vraisemblablement pas remplacés », estime Louis Omnès, le délégué FO.

Auteur

  • Éric Béal