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Bonduelle dépoussière le management sans brader l'héritage

Vie des entreprises | METHODE | publié le : 01.10.2004 | Anne Fairise

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Bonduelle dépoussière le management sans brader l'héritage

Crédit photo Anne Fairise

Filialisation, virage vers le client, implication des opérateurs… Depuis 2001, Christophe Bonduelle a revu en profondeur l'organisation et le fonctionnement de la marque de petits pois. En s'appuyant sur les valeurs qui ont fait le succès de la PME nordiste, il développe l'internationalisation du groupe.

Fêter, en l'espace de quelques mois, les cent cinquante ans d'existence de l'entreprise et le démarrage d'une usine flambant neuve en Russie, tête de pont vers l'Europe orientale… l'année 2003-2004 a été riche en symboles pour Christophe Bonduelle, représentant de la sixième génération à diriger la célèbre marque d'agroalimentaire, née dans un village du Pas-de-Calais. Mais l'héritier de cette famille de fermiers nordistes ne cultive pas la nostalgie. Depuis son arrivée en 2001 à la tête du directoire, ce manager de 45 ans poursuit une politique soutenue de croissance, externe et interne, pour consolider la position de leader européen du légume transformé. Une stratégie, élaborée il y a dix ans, qui a transformé la PME franco-française, cantonnée dans la conserve et le surgelé, en un groupe international fort de 26 sites industriels dans 9 pays, coté en Bourse, fournissant aussi les hypermarchés en salade sous vide ou taboulé en barquettes.

S'il s'inscrit « dans la continuité » sur le plan stratégique, Christophe Bonduelle n'a pas hésité à chambouler l'organisation du groupe. Éclatement en filiales autonomes par métiers, décloisonnement des activités commerciales et industrielles : autant de chantiers visant à orienter l'entreprise vers le client et à lui inoculer une culture de la rentabilité. Le représentant de la famille Bonduelle (55 % du capital) n'est cependant pas prêt à sacrifier, sur l'autel de la compétitivité, les valeurs de l'entreprise, considérées comme une clé de cette success story industrielle. Une nécessité, alors que les effectifs ont doublé et que le développement à l'Est alimente les craintes des troupes de l'Hexagone, victimes de récentes restructurations.

1 FILIALISER LE GROUPE ET L'ORIENTER VERS LE CLIENT

« La filialisation, on ne la voyait pas d'un bon œil. Mais, face à l'Europe, il faut aller de l'avant. Christophe sait ce qu'il fait. » Proférée par un mécanicien entré chez Bonduelle voici trente et un ans, « le 2 juillet 1973 à 7 heures du matin », la remarque a presque valeur de sauf-conduit pour celui qui mène tambour battant la réorganisation de la société. Rien d'un coup de force de la part de Christophe Bonduelle. En vingt ans, il a gravi tous les échelons jusqu'à la présidence. Mûri longuement avec son prédécesseur, Daniel Bracquart, l'éclatement de la société familiale en « une fédération de filiales autonomes » était annoncé depuis deux ans et dûment inscrit dans le plan d'entreprise 2000-2005. « Bien que Bonduelle soit devenue une entreprise internationale, elle restait structurée comme une PME. Avec, d'un côté, les usines, de l'autre, les divisions commerciales. Les services centraux ne faisaient plus face », note un cadre.

Mais la création de filiales par grands métiers (grande distribution, restauration collective, légumes frais…) a aussi accompagné un virage vers le client. « Un rééquilibrage entre la culture industrielle prédominante et la culture commerciale et marketing, mieux partagée », précise Pascal Bredeloux, de Bonduelle Food Service (BFS), entité consacrée à la restauration. Libre à chacun des six dirigeants de filiale (qui font partie du comité de direction générale) de conduire son secteur, du champ jusqu'à l'assiette, des usines à la logistique, et d'y mener les investissements et les optimisations nécessaires. « La logique des légumes frais n'est pas celle des conserves. Chacun se retrouve face à son marché, avec ses moyens, ses outils, et doit y répondre », reprend le directeur commercial et marketing Europe. De quoi donner corps à l'« organisation responsabilisante » chère à Christophe Bonduelle, qui aime déléguer. Une révolution dans ce groupe de tradition patriarcale, voire monolithique.

Allégement des services centraux, refontes industrielles, valse de logos sur les casquettes des opérateurs changeant de société : le chambardement a été complet. Dans la Somme, l'usine d'Estrées-Mons a même été séparée en deux, les activités de surgélation et de conserverie relevant désormais de sociétés distinctes. « La filialisation a été nécessairement un choc, vu la fierté d'appartenance des salariés », reconnaît Jean-Bernard Bonduelle, DRH groupe et cousin du P-DG, qui a enjoint aux filiales d'intégrer dans leurs actions une démarche d'écoute du terrain. « Donner du sens au top de l'organisation ne suffit pas. Il fallait s'occuper des couteaux qui coupent, et écouter ceux qui les tiennent. » Une démarche plébiscitée par tous les syndicats, la CFTC, la CFDT, FO et la CGT.

Chez BPL Légumes, filiale dédiée à la conserve pour les marques distributeurs née du regroupement de quatre usines dont certaines récemment acquises, la direction ne s'est pas contentée d'arrêter l'activité une journée durant – du jamais vu – pour présenter les nouveaux objectifs. Dix groupes d'expression, représentant plus de 12 % des effectifs de tous niveaux hiérarchiques, avaient été réunis au préalable pour recueillir les attentes. De quoi nourrir un rapport épais. « La base de notre plan de route », souligne Éric Henry, DRH de la filiale, qui s'est engagé à « apporter une réponse à chaque question ».

2 IMPLIQUER LES OPÉRATEURS

« Tout le monde s'est mobilisé. » Pilote d'un chantier « cash» , comprendre réduction des coûts, sur le site de Renescure (Pas-de-Calais), Sébastien Mégret ne se lasse pas d'expliquer comment l'équipe a réussi, en quinze petites semaines, à diminuer de près d'un tiers les pertes en film d'emballage. Même enthousiasme à Estrées-Mons, où Jean-Yves Calvary, directeur de BPL Légumes, annonce une chute spectaculaire, de 65 % à 16 %, du taux de fréquence d'accidents du travail ! Pas une usine, un site ou une filiale qui ne soit engagé dans une « dynamique de progrès continue et partagée par tous », qu'elle accompagne un plan d'investissement, une démarche qualité ou de nouvelles organisations. Leitmotiv ? Faire passer chaque salarié, conducteur de ligne, cariste ou qualiticien, du « stade de spectateur à celui d'acteur » en le formant aux méthodes qui ont fait le bonheur de l'industrie automobile. Le rachat en Espagne d'une usine du groupe Unilever a été le déclic.

Des méthodes, des indicateurs de progrès, des moyens, une évaluation continue… les opérateurs ont été incités à faire leur révolution culturelle. « Ils n'étaient pas habitués à être sollicités. Avant, en cas de problème, on avait le réflexe de l'investissement ; aujourd'hui, on s'appuie sur les méthodes, la créativité et le bon sens de chacun », note Virginie Bourbier, DRH chez BFS. Pour lancer la machine, il a fallu faire du marketing interne, des nouveaux logos sur les tenues de travail jusqu'aux plaquettes d'information. Afin de passer outre le scepticisme des anciens. « Ils ont eu peur qu'on leur refasse le coup des cercles qualité, vite jetés aux oubliettes », note Fabrice Lenfant, de la CFTC. Un succès, au bout du compte. « Globalement, les salariés se sentent associés. Leur motivation est en hausse », assure Paul Toch, de la CFDT. Selon les enquêtes internes, 60 % du personnel engagé dans une démarche d'amélioration est « satisfait ou très satisfait. » Seul regret des syndicats : les feuilles de paie ne reflètent pas l'implication des salariés, les compétences renforcées ou l'élargissement des responsabilités.

Car, dans la foulée de ce management « participatif », des organisations, plus autonomes, voient le jour. L'unité de production de BFS, à Estrées-Mons, a été divisée en trois, chaque responsable étant considéré « comme un patron de PME ». Les niveaux hiérarchiques ont été réduits de cinq à trois, les missions de l'encadrement orientées vers le management, via des formations au coaching ouvrier. Signe fort, la promotion de jeunes « compétents et plus créatifs » en place de chefs de ligne expérimentés. « Donner du galon sans booster les salaires n'aura qu'un temps », grogne Albert Vendeville, de la CGT. Côté direction, on répond investissement en formation (4,5 % chez BFS) et augmentation individuelle. « Quand la certification qualité est devenue nécessaire en 1993, les salariés s'y sont mis. Les démarches de progrès relèvent aussi de l'évolution du métier », martèle Emmanuel Chaveron, directeur industriel. « Récompenser financièrement une démarche de progrès serait antinomique », renchérit Bruno Hespel, DRH à Renescure, où les opérateurs sont poussés à la polyvalence. Surtout, les syndicats s'interrogent sur l'impact des gains de productivité sur l'emploi. En deux ans, BFS Estrées a dégagé 20 % de productivité. « On a joué les rouleaux compresseurs », reconnaît un cadre. La hausse des capacités de production a conduit à fermer un plus petit site, jugé non compétitif. « C'est l'augmentation du tonnage qui assurera le maintien de l'emploi », pronostique Emmanuel Chaveron.

3 RENFORCER LA CULTURE GROUPE

Le projet Noé n'a tenu que quelques semaines. Le verdict est vite tombé : dé-me-su-ré. Christophe Bonduelle, qui souhaitait rassembler les 6 000 permanents pour souffler les 150 bougies de la maison, a dû se rendre à l'évidence. Impossible de réitérer « la fête de vingt-quatre heures » de 1996, au stade de Liévin, avec des troupes deux fois moins nombreuses. Noé s'est donc mué en un road-show du directoire, parti rencontrer les salariés par petits groupes de 50 à 100 sur chacun des 26 sites, de la Russie jusqu'au Brésil. Afin de « fournir des réponses adaptées au contexte local ». La récente fermeture de deux usines françaises n'a pas fait reculer le directoire. « Il s'agissait d'une rencontre autour d'un verre de jus d'orange. Rien d'ostentatoire », note Olivier Chanard, DRH de BFS. L'occasion idéale pour rappeler les objectifs et les valeurs du numéro un européen. S'il a connu les goûters offerts par sa grand-mère aux enfants du personnel, les jeudis après-midi dans la propriété familiale située à l'entrée de l'usine de Renescure, le P-DG de 45 ans ne se reconnaît en rien dans le paternalisme de ses prédécesseurs. « Que cela ait forgé, par contre, un souci de l'homme, certainement », note-t-il.

Mené à sa demande dès 2002, le travail sur les valeurs est arrivé à point nommé dans un groupe qui risquait de mal contrôler son expansion. « Les Bonduelle ont le souci de construire une communauté cohérente et pérenne de travail », abonde un consultant. Inhabituel, l'actionnaire familial a précisé ses objectifs (pérennité, indépendance, souci de l'homme), et l'encadrement a identifié sept valeurs pour l'entreprise, de la simplicité à l'excellence, appelées à s'inscrire dans les comportements. Depuis peu, elles font l'objet d'évaluation lors des entretiens annuels d'évolution des cadres. La confiance ? C'est accorder au management un droit à l'essai. L'intégrité ? Ne pas utiliser tous les moyens pour atteindre un objectif : un commercial ne saurait être jugé sur ses seuls résultats quantitatifs. « Les valeurs sont la colonne vertébrale du groupe, de première importance dans la construction des relations sociales. Mais s'il n'y a pas de sécurité au travail, de rémunération équitable, ce beau discours ne tient pas », reprend Jean-Bernard Bonduelle, DRH groupe qui cadre la politique RH des filiales.

Plutôt que d'harmonisation sociale, il parle d'« équité » : « Chaque filiale a des rythmes et des organisations plus ou moins matures. Un site sera plus avancé en matière de protection sociale, un autre dans la gestion des âges. » Si l'intéressement se calcule désormais par filiales, il y a un socle commun. Comme la mutuelle de groupe des sites français. Et, pour assurer une équité salariale inter et intrafiliale, Bonduelle s'est saisi de la méthode Hay.

Une stratégie payante ? En dépit du remue-ménage organisationnel, 95 % des salariés se disent attachés au groupe, selon une enquête Ifop menée en 2002. Implanté au milieu des champs, qui sont rarement des bassins d'emploi dynamiques, Bonduelle a toujours favorisé, il faut dire, le recrutement familial. L'actionnariat salarié (4,5 % du capital, détenu par près de la moitié des troupes) témoigne de l'attachement du personnel. Cela ne facilite pas toujours la compréhension des restructurations. Lors de la fermeture du site de Machecoul (118 suppressions d'emplois) en Loire-Atlantique, Christophe Bonduelle a donc pris son bâton de pèlerin pour démarcher les entreprises locales et faciliter le reclassement. Ce souci de cohérence le pousse à se présenter devant le personnel de chaque société rachetée. Histoire aussi de rassurer les dirigeants, intégrés à « la grande famille Bonduelle ».

4 DÉVELOPPER LES COMPÉTENCES

Afin d'accompagner son développement, Bonduelle se dote d'une structure de groupe. « Si la croissance se poursuit à hauteur des 10 % par an connus la dernière décennie, les effectifs doubleront d'ici à dix ans », note Yves Lacomblez, consultant qui a bâti, avec Jean-Bernard Bonduelle, la nouvelle université interne Pierre et Benoît Bonduelle. Pour diffuser les valeurs qui, selon Yves Lacomblez, « sont un facteur d'attraction en matière de recrutement », l'institut a créé un kit pédagogique, traduit en plusieurs langues et remis aux filiales.

Mais le vrai cheval de bataille, c'est le développement des compétences. « L'institut n'a pas pour seul public l'encadrement, il doit offrir des possibilités de formation à tous », précise Yves Lacomblez. Appertisation, sertissage, ensachage : l'institut s'est lancé dans le recensement des savoir-faire spécifiques de Bonduelle, seule entreprise à appliquer l'ensemble des procédés de conservation au traitement du légume. Le référentiel de compétences sur le sertissage a permis de former les techniciens russes dans les usines du sud-ouest de la France. L'objectif est de bâtir une politique de certificat de qualification professionnelle (CQP).

Côté management, l'accent est mis sur l'évolution des pratiques et leur harmonisation. Le top 50 a suivi un séminaire sur la stratégie, le top 200, une formation financière. Et les séminaires d'intégration des juniors ont été revus, comprenant une rencontre avec un membre du directoire sur la stratégie. L'institut anime également les réseaux internes, intra ou interfiliales, organisant des échanges de bonnes pratiques dans tous les métiers.

Chez Bonduelle, les cadres ont l'assurance de pouvoir construire un parcours. « La priorité est donnée au recrutement interne : grâce à l'affichage, nous pourvoyons un poste sur deux », souligne Françoise Orange, responsable du suivi des cadres. Déjà très structurée, la gestion du millier de cadres a été renforcée. Autour d'un leitmotiv : « les cadres n'appartiennent pas aux filiales ». Les entretiens d'évolution alimentent des people reviews, menées au niveau des filiales, qui permettent d'évaluer le potentiel, notamment managérial, et de construire les mobilités et les évolutions. Des « comités carrières », par « filières métiers », complètent le dispositif. De quoi construire le management de demain, « sécuriser les postes critiques », prévisionnistes ou experts en R & D.

5 FAIRE ÉVOLUER LE DIALOGUE SOCIAL

Choc pour les salariés, la filialisation l'a aussi été pour les syndicats. « Il y a quatre ans, sur certains sites, ils s'occupaient des rendez-vous pour les visites médicales », ironise un cadre. Révélateur d'un climat social apaisé, le nombre de jours de grève a toujours été réduit à la portion congrue. La stabilité de l'actionnariat familial l'explique. Le « partenariat » avec les syndicats, revendiqué par certains DRH de site, aussi. « Les relations sont trop familiales », critique un délégué cégétiste d'une entreprise rachetée par Bonduelle. Quand celui-ci a voulu débrayer, pour cause de blocage dans les négociations salariales, il a été appelé au siège. « Ce n'est pas dans les manières de Bonduelle, m'a-t-on dit. » S'ils ont lieu, les débrayages sont souvent liés à des crispations salariales. « Les premiers échelons rejoignent les minima de la branche », regrette la CFTC.

Avec la filialisation, les syndicats ont vu se multiplier les interlocuteurs, entre la DRH groupe, les nouvelles DRH filiales et DRH sites. Et augmenter la masse d'informations délivrées dans les CCE : « Nous avons droit aux graphiques, aux comparaisons sur le coût horaire entre la France et les autres pays. C'est une manière de couper court à nos revendications salariales », s'insurge Albert Vendeville, de la CGT. « Il faut être compétitif si l'on veut résister à la délocalisation. Notre taux horaire est deux fois plus élevé qu'en Espagne, six fois plus qu'en Pologne. Nous sommes condamnés à faire de la productivité. En deux ans, notre taux horaire a augmenté de 10 % nets, en raison de l'arrêt des aides Robien, de la convergence des smics », répond Emmanuel Chaveron, directeur industriel d'Estrées.

Les démarches de progrès bouleversent aussi les habitudes syndicales. « Des informations qui nous revenaient, hier, par le canal des délégués du personnel sont traitées par l'encadrement. Les syndicats peuvent se sentir contournés », note un cadre. D'autant qu'ils ne disposent pas de structures adaptées à la taille de l'entreprise. Malgré la filialisation, il n'y a pas de comité de groupe. « Nous n'avons aucune vue globale sur ce qui se passe dans les autres sites », se plaignent la CFDT, la CFTC, la CGT et FO. L'ouverture de négociations sur la création d'un comité de groupe ne les rassure pas. Alors que la DRH groupe privilégie, au nom de la simplification des instances, la création d'un comité européen, leur préférence va à un comité franco-français. Une divergence qui en dit long sur leur difficulté à appréhender la nouvelle dimension des anciennes conserveries Bonduelle.

Entretien avec Christophe Bonduelle :
« Aucune incitation ne dissuadera un industriel ayant une bonne raison de délocaliser »

Pas de morgue d'héritier ni de goût du vedettariat chez Christophe Bonduelle. Discret, prompt à souligner la « somme de devoirs » qu'implique sa fonction, ce dirigeant de 45 ans, né à 150 mètres de l'usine fondatrice de Renescure, se définit comme un « transmetteur de témoin ». Diplômé de l'Edhec, il rejoint le groupe comme directeur d'usine, en 1985, après trois ans de conseil en marketing. Le redressement de la filiale espagnole le propulsera à la direction générale commerciale. En 1999, il devient directeur général chargé des filiales opérationnelles. À la présidence du groupe, qui couronne un parcours de vingt ans dans l'entreprise familiale, ce père de quatre enfants, marié à une enseignante, n'a pas sacrifié ses passions : musique classique, golf, chasse et voile.

Depuis votre arrivée à la présidence, Bonduelle a connu un changement radical d'organisation. Quelle en est la raison ?

Il était nécessaire d'adapter l'organisation à la taille atteinte par l'entreprise et de l'orienter plus encore vers le client, par le décloisonnement des activités industrielles et commerciales. Je souhaitais aussi une organisation responsabilisante, qui corresponde mieux à mon style de management. Je suis allé au bout de cette logique en constituant, par grands métiers, des filiales dotées de leurs propres mandataires sociaux, de leurs propres capitaux et, parfois, d'actionnaires différents, ce qui s'est fait sans difficulté.

La cohésion du groupe ne s'en est-elle pas ressentie ?

Pour accompagner la croissance des cinq dernières années, le doublement des effectifs et le changement d'organisation, j'ai demandé à l'actionnaire familial de définir ses objectifs. Parmi les trois formulés figure « l'épanouissement des collaborateurs ». Au chapitre de la cohésion, j'ai souhaité également que l'entreprise formalise, en un système de valeurs, ce qui forge sa culture. Non pas pour accrocher de jolies phrases au mur. Mais pour exprimer ce qui fonde les comportements, la fierté d'appartenance à l'entreprise. Qu'elle ait du sens au-delà de son objet social, qu'elle revendique une vision sur la société, me semble essentiel.

Chaque filiale possède sa politique RH. N'est-ce pas un risque ?

Nos filiales ont des métiers différents et ne se battent pas sur les mêmes marchés. Un poste comparable en Russie et en France vaut-il le même salaire ? C'est un débat difficile. Il faut tenir compte de l'histoire, des traditions locales, des systèmes fiscaux et sociaux des pays concernés. Notre maître mot est l'équité. Ce n'est pas simple, mais nous nous sommes dotés d'outils pour être le plus équitables possible.

Vous n'avez toujours pas de comité de groupe en France. Pourquoi ?

Nous ne voulons pas multiplier les instances. Nous travaillons à la création d'un comité de groupe européen, dont j'attends beaucoup. Comment réagiront les délégués syndicaux des différents pays lorsqu'on parlera d'investissement, sachant que les coûts de main-d'œuvre participent à cette décision. Je redoute qu'ils se disputent. Mais j'espère que cela permettra une vraie prise de conscience des différences.

Comment jugez-vous le dialogue social chez Bonduelle ?

Il est constructif, fondé sur une confiance mutuelle a priori, qui s'explique par l'ancienneté de l'entreprise et le système social globalement satisfaisant auquel nous sommes parvenus. Cela n'exclut pas des moments difficiles. Mais les conflits sont rares et localisés dans les sites récents. Cela prouve, à mon sens, notre capacité d'écoute.

Deux usines françaises ont fermé leurs portes en 2003. D'autres fermetures sont-elles envisageables ?

Nous travaillons en permanence à l'optimisation de notre appareil de production. Cela implique des fermetures de sites, conduites évidemment en essayant de limiter les impacts sociaux. En trente ans, nous avons dû fermer une trentaine d'usines. Nous continuerons de le faire, pour assurer la pérennité du groupe. Nous sommes dans une logique de conquête de nouveaux marchés. Le choix d'implantation d'une usine repose sur la spécialisation de la région agricole, la qualité des produits, la logistique… Avant que nous nous installions en Espagne, une usine nordiste « travaillait » les tomates. N'est-il pas plus logique de le faire là-bas ?

Quel est le bilan des reclassements auxquels vous avez vous-même décidé de contribuer en démarchant des entreprises ?

Sur les trois sites concernés en 2003 par des réductions ou des suppressions de postes, 90 % des effectifs ont trouvé une solution de reclassement interne ou externe, ce qui me semble satisfaisant, même si je préférerais que ce soit 100 %. Malheureusement, nous avons observé, notamment à Machecoul, en Loire-Atlantique, qu'une part des anciens salariés toujours sans emploi n'était plus en recherche active…

Êtes-vous favorable à une remise en cause des 35 heures ?

Nous ne sommes pas dans une logique de renégociation de l'accord de Robien offensif signé en 1997. Il nous a permis d'annualiser le temps de travail pour mieux répondre à la saisonnalité de l'activité. Les 35 heures n'en sont pas moins une vraie bêtise. Elles vont a contrario de ce qui se pratique dans le monde, alors que nous affrontons une concurrence mondiale. Pis, et l'arnaque est de taille, elles vont à l'encontre de la volonté des ouvriers qui souhaitent travailler davantage. Je ne suis pas certain que le personnel Bonduelle ne désire pas revenir sur les 35 heures. Et je ne parle pas de la dévalorisation du travail à laquelle elles ont contribué. Ceci jusque dans les rangs de l'encadrement supérieur.

Des industriels se livrent sur cette question à un chantage à la délocalisation. Qu'en pensez-vous ?

Les déclaration de chefs d'entreprise sur le thème « soit on revient sur les 35 heures, soit je ferme » me choquent. Même s'ils connaissent des difficultés, ce n'est pas la bonne manière de les exprimer. Certaines situations peuvent exiger de délocaliser. Inutile, dans ce cas, de l'étaler sur la place publique. Tout ceci est néfaste pour l'image de l'entreprise, qui est déjà peu considérée en France.

Que pensez-vous de la proposition gouvernementale d'accorder, dans les régions à fort taux de chômage, des allégements de charges pour éviter les délocalisations ?

Aucune incitation n'empêchera un industriel ayant une bonne raison de s'implanter hors de France de le faire. Les aides se font et se défont au gré des alternances politiques. Ouvrir une usine, c'est s'inscrire dans la durée. Cette proposition répond plus à une logique électoraliste qu'à une réalité objective. La bonne méthode est de réduire le coût du travail, pour toutes les entreprises, en ne diminuant pas le pouvoir d'achat des salariés. Favoriser la mobilité des salariés permettrait aussi de lutter contre le chômage. Les politiques publiques ne s'occupent pas de ce sujet. Résultat, lors de la fermeture de sites, on se voit dans l'obligation de licencier des salariés dont les compétences sont demandées à des centaines de kilomètres…

Êtes-vous pour la transparence des rémunérations des dirigeants ?

En tant qu'entreprise cotée, nous publions la rémunération des dirigeants. C'est une obligation. Mais cela équivaut, sous prétexte de transparence, à agiter un chiffon rouge. Donner cette information à des personnes qui ne sont pas toujours capables de comprendre le niveau de qualification, de stress qu'impliquent des responsabilités, nécessite de la pédagogie. Et pourquoi ne pas publier le salaire des cadres supérieurs ? Chez Bonduelle, certains gagnent plus que moi. C'est nécessaire pour s'attacher des compétences clés à l'étranger.

Propos recueillis par Jean-Paul Coulange et Anne Fairise

Auteur

  • Anne Fairise