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Politique sociale

Reclassement : les entreprises placent la barre toujours plus haut

Politique sociale | ZOOM | publié le : 01.10.2004 | Frédéric Rey

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Reclassement : les entreprises placent la barre toujours plus haut

Crédit photo Frédéric Rey

Un poste dans le même métier, à salaire identique et à moins de 50 kilomètres du domicile du licencié… Lors des plans sociaux, les exigences des entreprises à l'égard des cabinets d'outplacement ne cessent de se renforcer. Quitte à aboutir à une obligation de résultat déraisonnable, qui ne sert pas forcément l'intérêt des salariés concernés.

« Pouvez-vous proposer au moins trois offres valables d'emploi par personne ? » a demandé, ingénument, au consultant d'un cabinet de reclassement ce directeur des ressources humaines d'une entreprise qui devait recaser 200 salariés dans un bassin d'emploi affichant un taux de chômage de 12 %. Devant une telle gageure, le spécialiste de l'outplacement invite alors le professionnel des RH à préciser ce qu'il entend par offre valable d'emploi. « Métier proche, nouveau salaire au moins égal à 90 % de l'ancien, distance du domicile au lieu de travail inférieure à 20 kilomètres. Vous le savez bien, les gars ne sont pas très mobiles. » Regard incrédule et bouche bée, le consultant a gardé en mémoire la photographie aérienne de l'entreprise affichée dans le hall d'entrée. Au centre d'une petite bourgade, on aperçoit le siège et, tout autour, des hectares de champs de betteraves…

Caricaturale ? L'histoire ne l'est pas tant que cela. En vingt ans de mise en œuvre, le traitement social des restructurations n'a cessé de se perfectionner. Ainsi, la mobilité externe doit désormais s'opérer dans le respect d'un certain nombre d'usages, en commençant par la fameuse offre valable d'emploi ou OVE. Une notion sans contenu législatif ou réglementaire mais qui a émergé au fil de la pratique. « Les clients ont des exigences de plus en plus importantes. Quant aux syndicats, ils ont très souvent eu l'expérience d'une restructuration, précise Dominique Fourier-Ruelle, directeur de BPI. Plus aguerris, ils se sont également entourés d'avocats, de consultants pour les conseiller. Il arrive même que les représentants du personnel soient associés au choix du prestataire. »

L'État n'est pas en reste. Exerçant un droit de regard sur les plans sociaux, les directions départementales du travail se préoccupent également des conditions de reclassement des salariés, en veillant attentivement aux critères retenus. « Nous assistons à une surenchère dans la définition de l'offre valable d'emploi, note Benoît Caron, d'Altedia. Dans certaines négociations, les directions n'ont pas le choix et doivent bien lâcher sur un sujet. Le plus simple, c'est sur la définition de l'OVE. » Ce qui a l'avantage de décharger la direction de ses responsabilités sur l'antenne de reclassement. Si les résultats ne sont pas bons, la responsabilité en incombe au cabinet.

Il faut remonter aux années 90 pour voir la trace des premières offres valables d'emploi, notamment avec la vague de licenciements économiques opérés par l'équipementier Chausson, rappelle Jean-Pierre Aubert, chef de la Mission interministérielle sur les mutations économiques. « Au cours des discussions était née l'idée d'offrir aux salariés licenciés des propositions d'emploi bien calibrées. » La mise au point d'une offre considérée comme correcte permettait de donner de la consistance à l'engagement de l'employeur. « Une véritable aide au reclassement passe par la proposition d'un emploi bien précis, explique Dominique Paucard, consultant de Syndex. Et cela permet de répondre à la question de savoir à quel moment le refus d'un emploi est ou non légitime. »

Trois offres pour les quinquas
Pour les cabinets de reclassement tel BPI, la tâche se complexifie, alors que la pression pour un résultat rapide et massif s'accroît.

Sous la pression des syndicalistes et des agents du ministère du Travail, les cabinets de reclassement ont fini par intégrer le concept d'OVE dans leurs prestations. « Cependant, les salariés sont loin d'être tous logés à la même enseigne, poursuit Dominique Paucard. La mise en œuvre des offres valables d'emploi résulte de la négociation et donc des rapports de force dans et à l'extérieur de l'entreprise. » Premier élément de différenciation, le nombre de postes proposés à chaque salarié peut aller d'une offre à beaucoup plus. Dans le plan de sauvegarde de l'emploi de Tati, l'antenne de reclassement devra ainsi trouver trois OVE pour les salariés de plus de 50 ans et deux pour les autres. En ce qui concerne la restructuration de Giat, la catégorie spécifique des ouvriers d'État a accès à plusieurs propositions de reclassement dans le privé, mais également à des offres valables de poste (OVP) dans la fonction publique.

L'autre paramètre à prendre en compte est le profil des emplois proposés, généralement déterminé en fonction de quatre critères : le statut de l'emploi, le niveau de rémunération, la qualification et la conformité au projet professionnel, l'éloignement du nouveau poste par rapport au domicile. « Cet encadrement est vital, souligne André Golliard, délégué syndical CFDT de Giat Industries. Le licenciement est toujours un drame psychologique qui est lourd de conséquences. Il faut tout mettre en œuvre pour en atténuer les effets. Nous savons qu'un poste de travail à plus de 50 kilomètres du domicile du salarié aura inévitablement des répercussions négatives sur la vie de famille. »

Reste que dans la grande loterie du reclassement tout le monde ne part pas avec les mêmes chances. Pour les 180 salariés de Hello (ex-Bata) dont l'emploi est supprimé, le poste qui leur sera proposé doit être un CDI ou un CDD de six mois. Chez Rhodia, le CDD doit être d'au moins douze mois. Plus favorable encore, le plan de Giat précise que le contrat en CDD ne sera considéré comme valable qu'à la condition qu'il soit ultérieurement transformé en CDI. Dans le cas contraire, tout est à recommencer.

Face à ces nouvelles contraintes, la profession des outplacers trouve la pilule amère. Ce changement est d'autant plus mal vécu que les modes de facturation évoluent eux aussi. « Nous sommes de plus en plus rémunérés en fonction des résultats, constate Williams Destrez, directeur du cabinet Altiga Lorraine. Plus nous reclassons et plus vite nous le faisons, plus les primes tombent. » Une part aléatoire qui peut aller de 10 à 20 % de la rémunération globale du prestataire. « Le niveau des exigences s'accroît alors que l'environnement change très vite. Les délocalisations s'accélèrent et laissent des territoires orphelins d'emplois », déplore Jean-François Carrara, d'Algoé.

120 coups de fil pour deux OVE

Le premier obstacle rencontré est en effet la situation du marché du travail dans certains bassins d'emploi. En période de croissance économique, le « marché caché » peut, dans les meilleurs cas, correspondre à 70 % des offres d'emploi en CDI. Pour parvenir à décrocher deux ou trois OVE, environ 120 coups de fil sont nécessaires. Mais il ne faut pas que les critères d'OVE soient trop éloignés des spécificités locales. Les syndicats d'Altadis ont ainsi dû se résoudre à revoir leurs prétentions à la baisse en matière de rémunération. Généralement, il est précisé que la rémunération de l'OVE devra correspondre à au moins 80 % du salaire de base antérieur. Dans le cas du cigarettier, la définition, plus floue, évoque un « salaire situé dans la moyenne des rémunérations correspondant à la qualification de l'emploi sur le territoire ». « Nous nous sommes rendu compte, lors des études préalables, que les salaires de nos ouvriers étaient en moyenne supérieurs de 25 % à ceux des entreprises du bassin d'emploi, explique Pierre Roturier, cadre à la DRH groupe. Mais, pour compenser le manque à gagner, nous avons mis en place une allocation différentielle durant les trois premières années. »

Pas une norme stricte

L'autre risque est de voir des salariés considérer l'OVE comme une norme stricte. « Cela ne doit pas prendre le pas sur la dynamique de recherche d'emploi, précise Jean-Pierre Aubert. Dès le départ, nous savons que 10 % de la population va rencontrer de grandes difficultés à retrouver un emploi. Chez Chausson, nous avons passé des heures en commission de suivi du plan social pour convaincre les syndicats que ces salariés ne pouvaient pas continuer à refuser des propositions qui leur étaient faites. » Sachant que le plan social prévoit deux, trois, parfois cinq OVE par individu, comment résister à la tentation d'avoir toutes les propositions en main pour faire un choix ? « C'est néfaste pour les plus de 50 ans, estime Dominique Fourier-Ruelle, de BPI. Quand on a la chance de pouvoir dénicher une offre d'emploi, on ne devrait pas manquer une telle occasion. À trop s'attacher aux critères, l'OVE risque de devenir un handicap, en particulier pour les salariés fragilisés sur le marché du travail. »

Pour les cabinets de reclassement, l'affaire se corse encore avec la nouvelle génération d'OVE qui impose carrément une obligation de résultat. Ainsi, l'accord particulier à Giat parle d'offre d'emploi « présentée nominativement par écrit à un salarié sélectionné, de telle sorte qu'il ne manquera plus que sa propre signature pour que le contrat soit conclu ». « S'il n'y a pas deux OVE par personne, le congé de reclassement se prolonge, ajoute André Golliard, de la CFDT. Nous avons pris soin de mettre en place une commission de suivi avec des moyens suffisants pour la faire fonctionner. » On est loin de l'époque où l'OVE se résumait à l'obtention d'un rendez-vous débouchant éventuellement sur un emploi. « Avec un seul emploi, les cabinets de reclassement pouvaient proposer des entretiens à plusieurs salariés, explique Dominique Paucard, consultant de Syndex. Ce fonctionnement ne permettait pas vraiment de border quoi que ce soit pour le salarié, tandis que le prestataire avait beau jeu de considérer qu'il avait fait son travail. »

Des effets pervers

Autre variante, Altadis invente l'OFR, l'offre ferme de reclassement. « Cela ne concerne pas les plus de 50 ans qui bénéficient de mesures d'âge, explique Pierre Roturier, à la DRH. Nous sommes arrivés à la limite de ce qu'une entreprise peut apporter pour aider les personnes à retrouver un emploi, ce qui nous coûte déjà très cher. »

En contrepartie, le salarié doit s'engager dans une recherche active. Altadis a pris soin de le préciser : le salarié sera tenu de participer aux ateliers collectifs et à la définition de son projet professionnel. Il devra envoyer sa candidature et se déplacer aux rendez-vous… En cas de manquement à ces obligations, son exclusion du dispositif est prévue. Des précautions qui n'apparaissent pas suffisantes aux yeux des spécialistes du reclassement. « Nous pouvons préparer les candidats à l'entretien, précise Marc Mino-Matot, chef de projet chez BPI, mais nous ne pouvons pas maîtriser leur comportement lors du rendez-vous avec un futur employeur, d'autant que les procédures de recrutement s'allongent. Pour embaucher un ouvrier, il faut passer parfois trois entretiens. »

Cette exigence d'une obligation de résultat est susceptible, s'inquiètent certains professionnels, d'avoir des effets pervers dans un marché du reclassement de plus en plus concurrentiel. À côté des ténors de la profession et de cabinets régionaux, de nouveaux prestataires arrivent. « Le marché est très tendu, reconnaît Jean-François Carrara, d'Algoé. Si le DRH ne pèse pas, si les actionnaires mettent la pression, les directions accélèrent les discussions et se tournent vers les plus offrants. Avec un niveau d'exigence élevé et une facturation au résultat, ce sont les salariés qui risquent d'en faire les frais. Les cabinets vont exercer des pressions pour qu'ils acceptent des postes. »

L'autre danger est de voir des cabinets d'out-placement se concentrer sur les personnes les plus aptes à se reclasser et laisser de côté ceux qui nécessitent un accompagnement plus important. Tant et si bien que, finalement, l'offre valable d'emploi raterait sa cible.

Cellule angevine pour les oubliés des plans sociaux
Dans le bassin d'Angers, qui a vu disparaître nombre d'emplois et d'entreprises, telle ACT, la cellule de reclassement peut intervenir dès que des risques de licenciement sont connus.

Liquidation judiciaire d'ACT Manufacturing, fermeture de l'usine TRW (fabrication de ceintures de sécurité), restructurations dans le domaine de l'habillement… Angers paie un lourd tribut avec, au total, 1 300 emplois supprimés en l'espace de deux ans.

L'agglomération a été une des premières choisies par le gouvernement pour expérimenter les contrats de site destinés à redynamiser des bassins particulièrement fragilisés. Parmi les mesures déployées, la mise en place d'une cellule de reclassement inter-entreprises ouverte au personnel de la métallurgie ainsi qu'à ses sous-traitants.

Ce dispositif comble un vide dans deux cas : pour les salariés des entreprises de moins de 50 personnes, qui ne sont pas tenues de mettre en œuvre un plan de sauvegarde de l'emploi, et lorsque le nombre de licenciements économiques est inférieur à 10.

Seconde particularité, cette cellule n'est pas une réponse à une situation de crise ou à un plan social : elle a vocation à être activée en amont, lorsque des licenciements sont envisagés. Avec une capacité de traitement de 300 personnes dans une année, elle offre un accompagnement de huit mois comportant toute la palette des outils d'aide au reclassement. « Il est nécessaire d'amener les personnes à l'idée de se reconvertir, car les emplois créés dans le cadre de la réindustrialisation ne sont pas les mêmes que ceux qui disparaissent », souligne Jean-Yves Tessier, secrétaire de l'Union départementale CFDT du Maine-et-Loire. Les salariés d'ACT l'ont appris à leurs dépens. Sur les 473 inscrits à l'antenne de reclassement, un tiers d'entre eux étaient sans solution alors que la mission du cabinet touchait à sa fin.

Auteur

  • Frédéric Rey