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Les coûts cachés du droit individuel à la formation

Politique sociale | DÉCRYPTAGE | publié le : 01.10.2004 |

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Les coûts cachés du droit individuel à la formation

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Pilier de la loi du 4 mai 2004, le DIF suscite des craintes chez les DRH. Car beaucoup d'incertitudes entourent la mise en œuvre de ce droit à 20 heures de formation par an. La facture pourrait être salée. Tout dépendra de l'usage qu'en feront les salariés et de la façon dont les entreprises l'articuleront ou non avec le plan de formation.

20 millions d'euros ! Telle est la facture que devrait acquitter Axa France si l'ensemble de ses 25 000 salariés demandaient à bénéficier du nouveau droit individuel à la formation (DIF). Un dispositif qui constitue l'élément le plus marquant de la loi du 4 mai 2004 sur la formation professionnelle tout au long de la vie, selon plus de quatre DRH sur cinq et les trois quarts des secrétaires de comité d'entreprise interrogés par l'institut CSA pour le compte de Liaisons sociales Magazine et Alpha Conseil*.

Chez Elyo (12 000 salariés), une filiale de Suez spécialisée dans la climatisation et le chauffage, le surcoût du DIF a été évalué à 2 % de la masse salariale. « Quand le législateur dit que l'obligation légale des entreprises passe ainsi de 1,5 à 1,6 % de la masse salariale, c'est une tromperie, affirme Alain-Frédéric Fernandez, consultant chez CAA. En fait, le coût de la formation passe de 1,5 à 4 % de la masse salariale, et encore, à condition que l'entreprise gère correctement le DIF. »

Mais les conséquences financières de ce nouveau droit individuel vont bien au-delà des coûts directs de formation. « L'impact sur les effectifs est évident, assure Pascal Nicaud, responsable de l'unité ressources humaines de la Cegos. Car, pour traiter administrativement les demandes des salariés, les services de formation vont devoir étoffer leurs équipes. » Selon une étude publiée au printemps dernier par l'Observatoire Cegos, une entreprise de 28 000 salariés du secteur tertiaire dont 80 % des cadres et 30 % des non-cadres utiliseraient leur droit devrait gérer plus de 14 000 demandes et recruter, pour la peine, 37 salariés à temps plein !

De quoi donner des sueurs froides aux directions des ressources humaines. Confirmation dans notre sondage Liaisons sociales Magazine-Alpha Conseil : près des deux tiers des DRH ou responsables de formation interrogés déclarent que la loi de mai 2004 leur pose problème. Arrivent en tête de leurs préoccupations : la complexité des trois catégories d'actions entrant dorénavant dans le plan de formation, la question sensible des formations hors temps de travail, les délais de mise en œuvre, l'obligation de former l'ensemble des salariés et l'augmentation du budget de formation.

Calculette à la main, les responsables des services de formation tentent d'évaluer l'impact économique du DIF. Et c'est peu dire qu'ils attendent avec impatience la sortie des décrets d'application de la loi Fillon qui mettront en musique la réforme de la formation professionnelle. Car le temps presse. C'est en ce moment même que les entreprises bâtissent leur plan pour 2005. Et elles ont bien du mal à intégrer le DIF dans leur stratégie. Notamment parce qu'il introduit une individualisation des parcours sans les déconnecter du cadre collectif. Chaque salarié disposant d'un an d'ancienneté bénéficie désormais de 20 heures de formation par an, cumulables sur six ans, dans la limite de 120 heures. Un droit qu'il peut mettre en œuvre à sa demande, mais en accord avec l'entreprise. Ce crédit d'heures peut s'exercer sur le temps de travail ou bien en dehors. Dans ce cas de figure, l'entreprise verse une allocation formation égale à 50 % de la rémunération nette mensuelle.

Une majorité d'attentistes

Chez Axa, un groupe de travail planche depuis décembre 2003 sur le sujet. « Nous voulons faire de cette réforme un atout pour l'entreprise et les salariés. C'est pour cette raison que nous avons commencé à réfléchir très en amont avec les syndicats, explique François-Xavier Lemaire, le directeur de la formation d'Axa France. Les discussions entamées avec les partenaires sociaux ont permis de signer, dès le mois de mars, une déclaration d'intention qui souligne l'importance de la formation pour le groupe. L'idée est d'arriver à un accord fédérateur cet automne, une fois que l'accord de la branche assurance aura été signé. »

À TF1, Pascal Noyrigat, directeur du développement des ressources humaines, a également mis en place un groupe de projet pour évaluer les impacts de la réforme. « Il réunit un juriste, un responsable RH, un contrôleur de gestion et un responsable de la communication interne. Nous nous sommes donné jusqu'au mois d'octobre pour bien mesurer le surcoût du DIF et préparer notre communication interne », explique le responsable.

La majorité des entreprises ont cependant préféré jouer l'attentisme plutôt que de préparer et de baliser le terrain. Ainsi, 84 % des DRH ou des responsables de formation interrogés par CSA indiquent qu'aucune négociation sur la formation n'est engagée à ce jour dans leur société. Officiellement, les entreprises privilégient les négociations de branche qui se sont déroulées pendant l'été et à la rentrée. Avec un bien maigre résultat : moins d'une dizaine d'accords, à l'UIMM, dans le BTP, l'agriculture ou encore les services à l'automobile. En réalité, elles ne savent pas sur quel pied danser avec le DIF. D'une part, parce que la loi n'a pas prévu de modalités de financement, laissant aux branches professionnelles le soin de le faire ; d'autre part, parce qu'aucune d'entre elles n'est capable de dire aujourd'hui quel sera le comportement des salariés vis-à-vis du DIF.

Des effets inflationnistes ?

Vont-ils se ruer sur ce droit à la formation, ou l'ignorer, l'utiliser immédiatement ou le capitaliser ? « Il ne faut pas croire aux effets inflationnistes mis en avant par certains, assure Jean Petit, directeur de la formation intérimaire à VediorBis. Les salariés ne se jetteront pas sur le DIF comme un seul homme. Toute la difficulté sera peut-être même de les faire venir. » D'autant que les secrétaires de CE ont un sentiment mitigé sur la réforme. Selon le sondage Liaisons sociales Magazine-Alpha Conseil, une courte majorité seulement (53 %) pense que le DIF va d'abord profiter aux salariés (contre 79 % des DRH ou des responsables de formation interrogés). Et ce sont, selon eux, les cadres (pour 23 % des réponses) ou les employés (22 %) qui devraient être les gagnants de la réforme, bien avant les ouvriers (15 %) ou les non-qualifiés (15 %).

L'incertitude persiste donc quant aux bien-faits du DIF, ce qui n'empêche pas certains DRH de se prémunir contre des attitudes consuméristes. Courant juin, la direction de BNP Paribas et les syndicats (excepté la CGT) ont même signé un accord transitoire… pour ne rien faire en 2005. « Quand on y verra plus clair sur les conditions d'application du DIF, on ajustera notre politique », explique Bernard Lemée, le DRH. Chez Boiron, généralement proactif sur le plan social, même état d'esprit. « Pour l'instant, le DIF, c'est surtout beaucoup d'inconnu, souligne Renée Husson, la DRH. Nous attendons les résultats des négociations de branche pour commencer à travailler. » La ligne de conduite est la même du côté des représentants du personnel du laboratoire. « On se donne un an pour digérer cette loi complexe. On veut éviter d'aller trop vite pour ne pas faire n'importe quoi », note Dominique Dimier, déléguée syndicale centrale FO.

Reste que le DIF s'est construit sur un malentendu. Là où les salariés entendent droit individuel, les entreprises pensent collectif. « II ne faut surtout pas imaginer que le DIF est une déclinaison massive du congé individuel de formation, prévient Jean-Michel Martin, bras droit d'Annie Thomas, chargée du secteur de la formation à la CFDT. C'est une erreur de laisser croire que ce droit laisse une possibilité de se dégager du cadre collectif. » À BNP Paribas, Bernard Lemée est encore plus radical. « Le DIF n'est justement pas un droit dans la mesure où l'entreprise doit donner son accord pour le mettre en œuvre. » Un quiproquo qui pourrait bien provoquer une belle foire d'empoigne.

Les PME sous-outillées

« Les PME sont les moins bien armées, estime Bruno Ladsous, président du Garf, le Groupement des acteurs et responsables de la formation. Les grandes entreprises ont des moyens que les autres ne peuvent s'offrir. À commencer par un responsable de la formation. » Sous-outillées, elles risquent de se prendre les pieds dans le tapis Notamment en cas de refus des demandes d'utilisation du DIF. La loi prévoit, en effet, que l'employeur a la possibilité de refuser deux années de suite la demande d'un salarié. Celui-ci peut alors se retourner vers l'Opacif de sa branche (l'Opca gestionnaire des congés individuels de formation), qui examinera en priorité sa demande. Or l'Opacif est également libre de refuser un DIF, devenu CIF, s'il n'entre pas dans ses propres priorités.

« Sur le plan social, la stratégie du refus est ingérable dans le temps », affirme Gilles Fontana, directeur de la formation chez Elyo et président de la commission formation pour la branche FG3E. D'autant plus que les Fongecif n'ont ni les moyens ni les structures adéquates pour accepter tous les DIF refusés. Les entreprises vont donc avoir intérêt à beaucoup communiquer auprès de leurs salariés sur le sujet. « Nous avons informé les partenaires sociaux et les salariés dès cette rentrée pour que chacun se familiarise avec ce nouveau droit », poursuit Gilles Fontana.

Avec le management de proximité, les entreprises devront également prendre des gants. Car, sur le terrain, ce sont les managers qui discuteront avec le salarié de l'opportunité d'utiliser le DIF lors de l'entretien professionnel voulu par les partenaires sociaux et inscrit dans la loi. « Si l'accord interprofessionnel place les managers au centre de la réforme, la dimension managériale n'est absolument pas prise en compte par la loi, souligne Bruno Ladsous. Or, si le manager n'est pas outillé pour répondre aux salariés, on court à la catastrophe. Soit il refusera systématiquement la demande pour s'en débarrasser et le DIF deviendra un objet de contentieux, soit il donnera son feu vert et ce sera alors une véritable pompe à fric. »

La dernière inquiétude concerne les modalités de paiement et de gestion du DIF. Pour comptabiliser l'utilisation du droit par les salariés, les systèmes d'information RH et de paie vont tous devoir être revus et corrigés afin d'informer directement les salariés de leur situation sur leur bulletin de salaire. Le Conseil national de la comptabilité devrait bientôt indiquer si les entreprises doivent ou non provisionner le DIF.

Un sujet qui suscite une certaine incrédulité dans les services financiers, où l'on ne comprend pas pourquoi il faudrait provisionner un droit qui ne s'applique pas systématiquement. Face à cette somme d'inconnues, les responsables de formation ont tout intérêt à se montrer réactifs s'ils ne veulent pas voir leurs budgets exploser. D'autant plus que les salariés pourront commencer à user de leur droit dès le mois de mai 2005.

Sortir du catalogue de formation

À l'heure actuelle, une grande partie des entreprises pensent pouvoir se débarrasser financièrement du DIF en le faisant glisser sur le plan de formation. En clair, tout ce que coûtera le DIF sera déduit du plan. D'autant plus facilement que sur les trois catégories d'actions qui constituent désormais le plan de formation, deux sont éligibles au DIF : les actions de formation concernant l'évolution et le maintien de l'emploi et celles ayant trait au développement des compétences. « Si l'entreprise prône le tout-DIF, c'est la mort potentielle du plan, assure Philippe Bernier, directeur de la société de conseil Caraxo, spécialisée dans l'ingénierie de la formation. Mieux vaut construire une offre de formation DIF qui recoupe la logique du plan de formation. Il est, par exemple, tout à fait possible d'imaginer une liste d'actions de formation prioritaires et accessibles au titre du DIF. »

À BNP Paribas, la direction des ressources humaines a déjà pointé les formations des catégories 2 et 3 qui pourraient être éligibles au DIF. François-Xavier Lemaire, d'Axa, milite également pour un DIF articulé avec le plan de formation. « Mais il faut aussi trouver un espace de liberté dans l'utilisation du DIF sur l'initiative du salarié », affirme le directeur de la formation du groupe d'assurances. Les responsables de formation vont donc devoir faire preuve de beaucoup d'imagination pour mailler intelligemment démarches pédagogiques et budgétaires et enfin sortir de la logique des traditionnels catalogues de formation pour entrer dans des démarches de gestion des compétences plus fines.

Le coïnvestissement à fond

Le groupe Veolia Environnement s'est ainsi saisi du DLF pour doper un accord de méthode en préparation sur le développement et la gestion des compétences. « Nous n'avons pas fait un accord sur le DIF, explique Vincent Merle, conseiller de Veolia pour la formation et directeur de l'Institut MCVA (Management des compétences et de la valorisation des acquis). C'est un des outils créés par la réforme que nous conjuguons avec l'entretien professionnel, la validation des acquis, le passeport formation… S'il est accepté par les syndicats, l'accord de méthode propose aux salariés d'entrer dans des parcours qualifiants et de signer avec leur employeur des contrats de développement des compétences. »

L'idée de base de Veolia Environnement est de jouer à fond le principe de coresponsabilité qui sous-tend la réforme de la formation professionnelle : l'entreprise s'engage à aider tout salarié qui souhaite aller vers une certification ou un diplôme supérieur via la validation des acquis. S'il n'en décroche pas la totalité par la VAE, l'entreprise prend à sa charge les frais pédagogiques et le salarié met au pot tout ou partie de son droit individuel à la formation pour parvenir à ses fins. De son côté, VediorBis compte faire du DIF un outil complémentaire de gestion des compétences des collaborateurs permanents. « Ce droit place les salariés en situation d'acteurs de leur démarche compétence, explique Valérie Decaux, DRH adjointe de l'entreprise de travail temporaire. Ils le sont déjà pour leur mobilité interne. Nous espérons qu'ils adopteront cette même logique avec le DIF. »

Il faudra aussi compter sur la myriade d'organismes de formation qui voient déjà dans ce nouveau droit à la formation un vrai jackpot, incitant les salariés consommateurs à demander à l'entreprise des stages d'initiation à l'informatique, au jardinage ou encore au bricolage. Tout cela en les informant directement, via leurs boîtes aux lettres électroniques. Des dérives que les partenaires sociaux ne manqueraient pas de dénoncer puisqu'ils ont prévu de se retrouver, en 2006, pour tirer un premier bilan du DIF.

Renault en avance sur le DIF
Supérieur à 20 heures, rémunéré à 100 % : le « DIF » maison mis en place il y a cinq ans par Renault est plus généreux que celui instauré par la loi du 4 mai 2004.

Le DIF, c'est déjà de l'histoire ancienne pour Renault. Le groupe a mis sur pied un droit individuel à la formation il y a cinq ans. « Nous l'avons créé dans le cadre d'un accord sur la réduction du temps de travail signé en avril 1999 et, sur le plan juridique, notre DIF est nettement plus favorable que celui imaginé par les partenaires sociaux », se félicite Michel de Virville, secrétaire général du groupe.

Avec six jours pour les cadres, 35 heures pour les non-cadres et 25 heures pour les ouvriers, il dépasse largement les 20 heures du DIF légal. Un crédit de temps rémunéré par ailleurs à 100 %, mis en œuvre pendant les horaires de travail, mais hors temps de travail, et capitalisable, avec des possibilités d'avance. « Le salarié ne se voit jamais refuser une demande. Au pire, elle est reportée l'année suivante », ajoute Michel de Virville. Pour organiser ce nouveau droit et permettre aux salariés comme aux managers de se l'approprier, le constructeur automobile a dû remanier profondément son système de formation. « C'est une fausse idée de croire que les salariés demandent à être formés, assure Jean-Michel Kerebel, directeur central des RH. Il faut aller les chercher. Nous avons beaucoup travaillé sur le marketing de notre offre de formation. Nous avons même inventé le métier de chef de produit formation pour vendre nos formations en interne. » Le groupe a également fait le ménage dans ses formations. De 33 000 actions recensées en 2001, il n'en restait plus que 2 640 en 2003. « Auparavant chaque site avait sa propre offre. Désormais elle est mutualisée. Classée par domaines de compétences et métiers, elle est accessible via l'intranet depuis 2001 », indique Patricia Müller, responsable de la formation du groupe. En cinq ans, le groupe peut se targuer d'avoir ouvert les portes de la formation à 80 % de son personnel. Les dépenses ont augmenté de 16 % depuis 2000 avec plus de 101 millions d'euros en 2003, mais Renault a du mal à savoir si la hausse du taux d'accès à la formation est entièrement imputable à son DIF. A.-C. G.

* Sondage réalisé par téléphone du 30 août au 2 septembre 2004 auprès d'un échantillon représentatif de 401 directeurs de ressources humaines ou de responsables de la formation d'entreprises de plus de 200 salariés et de 404 secrétaires de comités d'entreprises de plus de 200 salariés, constitué d'après la méthode des quotas.

Bruno Ladsous, à la tête du Groupement des acteurs et responsables de la formation : « les PME sont les moins bien armées. »

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