logo Info-Social RH
Se connecter
Newsletter

Politique sociale

C'est la fin des co.co.co les faux indépendants de l'économie italienne

Politique sociale | REPORTAGE | publié le : 01.10.2004 | Marie-Noëlle Terrisse, à Milan

Image

C'est la fin des co.co.co les faux indépendants de l'économie italienne

Crédit photo Marie-Noëlle Terrisse, à Milan

Loi Biagi oblige, ceux que les Italiens appellent les co.co.co, savant cocktail entre salariat et profession indépendante, ne seront bientôt plus qu'un souvenir. Main-d'œuvre souvent précaire, ces 2,6 millions de personnes vont, pour une minorité, devenir salariées, en CDI ou en CDD. Les autres seront invitées à passer au travail sur projet ou à s'établir comme profession libérale.

Hors la loi, les co.co.co. ! Le 24 octobre prochain marquera la fin d'une des anomalies les plus flagrantes du marché du travail italien. Avec la suppression des collaboratori coordinati e continuativi, près de 2,6 millions de personnes vont devoir changer de statut, sous le coup de la loi Biagi (voir encadré, page ci-contre). Conçu à l'origine comme une forme intermédiaire entre travail salarié et indépendant, le régime de co.co.co. a fini par épouser, dans beaucoup d'entreprises, celui de travailleur au rabais. Si l'intéressé peut être contraint, comme tout salarié, de venir travailler dans l'entreprise et de se plier à ses horaires, il bénéficie d'une protection en peau de chagrin. Le contrat d'un co.co.co. prévoit en effet des cotisations réduites pour la retraite – 17,8 % de sa rémunération –, des indemnités pratiquement inexistantes en cas de maladie ou de maternité, pas de congés payés, aucune indemnité de licenciement, pas d'allocation chômage…

Sur les quelque 2,6 millions de co.co.co. recensés fin 2003 par l'INPS, l'institut italien des retraites, environ 800 000 sont de vrais précaires qui n'ont aucun autre travail ni de retraite en parallèle. Mais, dans un marché du travail rigide, où le licenciement individuel est pratiquement impossible, les co.co.co. ont fini par représenter une main-d'œuvre flexible pour les patrons. C'est pourquoi un gros contingent d'employés du tertiaire travaillent sous ce régime. C'est à cette anomalie que la loi Biagi du 10 septembre 2003 entend mettre fin. Le 24 octobre prochain – ou le 25 octobre 2005 pour celles qui auraient décidé de les prolonger par accord avec les syndicats –, les entreprises devront choisir. Ou bien elles transformeront leurs co.co.co. en salariés, ou bien elles devront recourir à l'une des nouvelles formes de travail indépendant, comme le travail sur projet.

Fin mai, Telecom Italia a pris les devants en signant un accord avec les syndicats pour régulariser le statut des 4 350 co.co.co. employés par Atesia, sa filiale de centres d'appels. « Tous ceux qui répondaient aux appels téléphoniques de la clientèle étaient des co.co.co. On ne comptait que 187 salariés, dans l'administration et l'encadrement », explique-t-on à la direction des relations sociales du groupe de télécommunications. En somme, Atesia ne fonctionnait qu'avec de faux indépendants… « Nous devions faire face à deux exigences : d'une part, la réforme du marché du travail nous interdisait de prolonger les co.co.co. D'autre part, d'un point de vue plus stratégique, nous voulions réorganiser nos relations clientèle. » Les co.co.co. d'Atesia feront l'objet, dans les prochains mois, de solutions individuelles suivant leur fonction et leur profil (Atesia compte 70 % de femmes, environ 40 % de moins de 29 ans et 80 % de bacheliers).

Les 1 350 personnes qui travaillent avec la clientèle de Telecom Italia seront intégrées à la maison mère afin de gérer en direct cette relation. Les autres resteront chez Atesia, dont Telecom Italia cédera une participation majoritaire. Pour une grande part d'entre eux, les co.co.co. se verront proposer un contrat salarié à durée déterminée, en apprentissage pour les plus jeunes, d'insertion ou de location de main-d'œuvre pour les autres. « Les contrats sont à durée déterminée. Mais tous ceux qui intégreront Telecom Italia sont des gens sur lesquels nous investirons, donc nous espérons ensuite les embaucher en CDI », précise l'opérateur téléphonique. En revanche, parmi les travailleurs qui resteront à Atesia, un gros millier passera en travail sur projet.

Satisfaction chez Telecom Italia
Les centres d'appels emploient beaucoup de co.co.co. Ceux de la filiale de Telecom Italia verront leur situation examinée au cas par cas.

Tous les co.co.co. concernés ont été prolongés jusqu'au 31 décembre 2004, de façon que les nouveaux contrats commencent le 1er janvier 2005. Telecom Italia ne cache pas sa satisfaction : « C'est un grand pas en avant et une amélioration immédiate puisque nous transformons des emplois très précaires en contrats offrant davantage de garantie. » L'accord, approuvé à l'unanimité lors de consultations du personnel, est également salué par les syndicats : « C'est un bon accord, qui fait sortir le centre d'appels du plus grand opérateur téléphonique italien d'une logique de marginalité », se réjouit Guglielmo Epifani, secrétaire général de la CGIL, le plus important des syndicats italiens.

Dans le secteur des services, les co.co.co. qui se sont vu offrir des CDD, voire des CDI, ne sont pas rares. Ainsi, dans une importante agence de relations publiques milanaise qui ne comptait que quatre salariés sur une quarantaine de travailleurs, les seniors avaient un statut de consultants, les juniors étaient co.co.co. « La loi de réforme du marché du travail imposait une réflexion sur le statut du personnel et nous en avons profité pour fidéliser les meilleurs éléments », explique-t-on à l'agence. Environ la moitié des personnes concernées ont été embauchées en CDI, selon des critères d'ancienneté et de compétences. Quant aux autres, à la date d'échéance de leur contrat de co.co.co., ils se verront proposer un contrat de travail sur projet.

La suppression des co.co.co. permettra-t-elle de faire reculer la précarité dans la péninsule italienne ? Emilio Viafora, secrétaire général du Nidil, la branche créée par la CGIL pour les travailleurs atypiques, n'est guère optimiste. « D'abord, la loi Biagi prévoit des exceptions, des cas où les co.co.co. ne seront pas supprimés. Cela est vrai des secteurs associatif et sportif, mais aussi, pour le moment, de tout le secteur public », constate-t-il. Pour cause d'austérité budgétaire, administrations et ministères ne peuvent pas embaucher de fonctionnaires et continueront donc de recourir aux co.co.co., dans l'attente d'une hypothétique nouvelle convention collective de la fonction publique. Et, « plus généralement, les embauches nous semblent l'exception. Nous voyons même des situations inverses : des salariés que leur entreprise, en général une PME, contraint à démissionner pour les faire passer en travail sur projet ! » déplore le syndicaliste.

Il est trop tôt pour savoir, sur les co.co.co. existants, combien seront embauchés, combien travailleront sur projet, combien se transformeront en profession libérale. Selon une étude menée voici un an auprès de 300 PME du Nord-Est, près des deux tiers des entreprises interrogées pensaient transformer leurs co.co.co. en travailleurs sur projet, tandis que 16 % envisageaient des embauches et 10 % comptaient proposer à leurs collaborateurs de s'établir en tant que libéral. L'Italie bat déjà le record européen de libéraux, titulaires de partita IVA (compte de TVA). Un nouveau boom pourrait se profiler…

La loi Biagi multiplie les types de contrats

La loi Biagi vise à rendre le marché du travail plus flexible. Elle libéralise ainsi le placement des chômeurs, crée de véritables agences privées pour l'emploi et instaure de nouveaux types de contrat.

– Le travail sur projet consiste à réaliser un projet ou un programme d'activités géré de façon autonome par un travailleur, mais coordonné par l'entreprise.

– Le « staff leasing » permet à une agence privée pour l'emploi d'embaucher des salariés, puis de les louer de façon permanente à une entreprise. La formule n'est applicable que pour la maintenance informatique, le nettoyage et le gardiennage des bureaux, les centres d'appels…

– La location de main-d'œuvre à temps déterminé est la nouvelle version de l'intérim. L'agence embauche des personnes en CDD puis les loue de façon temporaire à une entreprise.

– Le « contrat d'insertion ou de réinsertion » est destiné à certaines catégories (jeunes au-dessous de 29 ans, chômeurs de longue durée jusqu'à 32 ans, chômeurs au-dessus de 45 ans…).

– Dans le « job on call » (encore expérimental), des personnes se tiennent à la disposition d'un employeur qui les fait travailler de façon intermittente mais rémunère leur disponibilité.

– Le travail partagé consiste en un seul contrat de travail, deux travailleurs assurant la prestation en binôme.

Conseiller du gouvernement Berlusconi, l'économiste Marco Biagi, assassiné le 19 mars 2002, est le grand inspirateur de la réforme du marché du travail italien.

Auteur

  • Marie-Noëlle Terrisse, à Milan