logo Info-Social RH
Se connecter
Newsletter

Dossier

Des outils délicats à implanter

Dossier | publié le : 01.10.2004 | S. L.

Image

Des outils délicats à implanter

Crédit photo S. L.

Comme tout projet informatique « structurant », un SIRH peut rendre de grands services au directeur des ressources humaines. Mais sa mise en œuvre reste complexe et recèle plusieurs écueils sur le plan social. Aux DRH de se montrer particulièrement vigilants.

Autant prévenir tout de suite les intéressés : implanter un système d'information des ressources humaines n'est pas une mince affaire. Dans le pire des cas, sa mise en œuvre peut même demander un an. Les équipes des ressources humaines doivent alors exploiter un double outil, le nouveau SIRH et l'ancien système, généralement conservé sur papier. Du coup, DSI et DRH s'arrachent les cheveux, la direction générale hausse le ton, les syndicats s'en mêlent et, finalement, personne n'est satisfait. Ce scénario noir, Bernard Merck, ancien directeur délégué à la DRH groupe de France Télécom, et témoin, en tant que consultant, de la mise en place de plusieurs SIRH, l'a expérimenté à de nombreuses reprises : « 80 % des entreprises prennent le problème à l'envers en se préoccupant d'abord de l'outil, explique-t-il. Or il faut commencer par mettre à plat et simplifier les processus RH de l'entreprise. Après, seulement, on peut se focaliser sur le choix de l'outil, sans oublier de prévoir des phases de transition et d'accompagner ce changement majeur pour les salariés. »

Reporting par les managers de proximité

Pour Jean-Paul Bouchet, secrétaire général adjoint de la CFDT Cadres, spécialiste des technologies de l'information et ancien directeur des systèmes d'information de CaixaBank, la mise en place d'un SIRH comporte de nombreuses chausse-trapes : « La logique de pilotage des coûts RH et une approche MSS (Manager Self Service) conduisent souvent à reporter vers les managers de proximité un certain nombre de tâches administratives, comme la validation des congés, des temps de présence, l'obligation de reporting… qui sont autant de travail supplémentaire pour ces derniers. La DRH ne doit pas se décharger de ses fonctions sur les managers opérationnels. » Un avis que partage Charles-Henri Besseyre des Horts, professeur à HEC : « Bien entendu, un manager peut saisir n'importe où et n'importe quand les temps de présence de ses collaborateurs, valider les demandes de congé ou de RTT. Mais, franchement, en a-t-il envie ? »

En contrepoint, certains DRH suggèrent une alternative : « Il ne faut pas pousser les managers au reporting RH. Cela n'est pas leur fonction. Mais on peut aussi songer à la mise en place de modules de type ESS (Employee Self Service), qui permettent aux salariés de se charger eux-mêmes de la saisie d'un certain nombre d'informations », fait par exemple valoir Pascal Collardey, DRH de KPMG.

La deuxième grande critique adressée aux SIRH tient à l'ambiguïté de leur rôle à l'égard des directions des ressources humaines. Leurs détracteurs reprochent souvent aux systèmes d'information de ne pas aider les DRH dans leur activité, voire, dans certains cas, de se substituer à eux, ou de simplifier à outrance des processus par nature complexes. « Le risque d'un SIRH est de produire un effet réducteur redoutable sur la notion même de gestion des ressources humaines, souligne Jean-Paul Bouchet. Les salariés, voire les DRH, peuvent alors ressentir une frustration légitime. Or les logiciels de GRH ne sont pas à même de résoudre tous les problèmes, et encore moins de se substituer à une véritable DRH. »

Des DRH court-circuités ?

L'écueil est réel. Si les salariés, les managers et les logiciels informatiques s'approprient les tâches d'une DRH, à quoi sert-elle ? « Certains DRH peuvent perdre de leurs prérogatives et se croire dépossédés de leurs fonctions. De même, les salariés craignent une déshumanisation des rapports, ce qui explique, par exemple, le très faible succès des centres de services partagés RH », commente Charles-Henri Besseyre des Horts. « Le but n'est pas, évidemment, de mettre la fonction RH sous verre, mais bien de se réapproprier son cœur de métier et de laisser traiter par ces systèmes des tâches administratives qui nous asphyxient. Aujourd'hui, un SIRH est véritablement l'épine dorsale de la DRH d'une entreprise », estime, à contrario, Franck Marynower, DRH du département corporate, investment and banking au sein de la Société générale. Même s'il reconnaît que « personne n'est capable d'évaluer correctement le retour sur investissement » d'un tel outil

Autre source de débat, l'évolution qualitative des systèmes. Par exemple pour l'évaluation des salariés. « Intégrer à un SIRH les résultats des entretiens d'évaluation pose vraiment un problème. En termes de référencement, c'est très complexe. Aussi, pour l'instant, nous conservons les formulaires sur papier », indique Franck Marynower. Quant à Pascal Collardey, de KPMG, il estime qu'« un manager peut vite dépasser les bornes en matière de protection des données personnelles, ou de discrimination, en faisant du zèle et en introduisant dans le système d'information des appréciations personnelles qui n'ont rien à y faire. Il ne faut pas oublier que sa responsabilité pénale est en jeu ».

Le spectre de Big Brother

Sur ce terrain, la Cnil se montre d'ailleurs très vigilante (voir encadré ci-contre). Vice-président délégué de la Cnil, auteur de nombreux rapports sur la cybersurveillance des salariés, Hubert Bouchet, secrétaire général de l'UCI-FO, met en garde contre les dérives possibles des SIRH : « Mal utilisés, ces systèmes peuvent devenir de véritables contremaîtres électroniques. Si l'un d'entre eux permet à un manager d'autoriser congés et RTT, de connaître les salaires de ses collaborateurs, voire de renseigner les fiches d'évaluation, il peut véritablement se transformer en mouchard. Il y a des informations que ces systèmes n'ont pas à traiter, et la frontière doit être claire. »

La Cnil possède d'ailleurs une doctrine limpide sur le sujet : comme tout système informatisé, un SIRH doit être déclaré. La Commission interdit d'introduire dans les SIRH « tout ce qui relève de l'appréciation d'une personne sur une autre ». « Ce sont des données sensibles, et le comportement de l'individu ne se codifie pas. Au demeurant, les individus sont-ils vraiment une ressource, ou bien une richesse pour l'entreprise ? Cela, aucun système informatique n'est capable de le prendre en compte », conclut Hubert Bouchet.

Un cadre juridique de plus en plus précis

La loi dite « Cnil II » publiée au JO du 7 août 2004, relative à la protection des personnes physiques à l'égard des traitements de données à caractère personnel, transpose en droit français la directive européenne n° 95/46 du 24 octobre 1995. Modifiant la loi de janvier 1978, elle prévoit notamment des pouvoirs de sanction pour la Cnil – avec des amendes qui peuvent aller jusqu'à 300 000 euros – et l'instauration de correspondants à la protection des données (CPD) Cnil dans les entreprises. Les entreprises qui auront nommé ces correspondants seront dispensées de formalités de déclaration de fichiers à la Cnil.

Quant à elle, la CFDT Cadres formule des propositions simples pour l'utilisation des technologies de l'information dans les entreprises, notamment en ce qui concerne les systèmes d'ERM (Employee Relationship Management) ou de GRS (gestion de la relation avec les salariés), à savoir :

– déclaration des fichiers constitués à la Cnil ;

– définition très précise des utilisations possibles et des personnes habilitées à consulter les informations. Il est évident que n'importe qui n'a pas le droit de consulter le résultat d'un entretien d'évaluation… Cette habilitation doit être explicite dans le contrat de travail du salarié habilité, et celui-ci doit s'engager en termes de confidentialité ;

– négociation des habilitations avec les organisations syndicales ;

– consultation du comité d'entreprise sur la mise en place de ces systèmes, conformément à l'article L. 432-2 du Code du travail.

Pascal Collardey, DRH de KPMG : « Il ne faut pas pousser les managers au reporting RH. Cela n'est pas leur fonction. »

Auteur

  • S. L.