« Si je ne fais rien d'ici à sept ans, mon entreprise va perdre le tiers de son effectif, et avec lui tout le savoir accumulé, constate Patrick Joutet, président d'Ariel Industries, une PME normande de 56 salariés spécialisée dans l'électricité et les automatismes industriels. Bon nombre de mes collaborateurs sont en effet des experts dans leur métier. Notamment les tôliers et les chaudronniers qui ne sont pas au cœur de l'activité de l'entreprise, mais qui sont indispensables pour décrocher certains contrats. Il faut donc que j'anticipe le transfert de compétences. »

Chez Legrand Industries (1 200 salariés sur cinq sites), une division du groupe Legrand spécialisée dans les produits électriques industriels, le constat est identique. « Nous avons de plus en plus de candidats au départ en retraite. Il s'agit aujourd'hui de ne pas laisser s'échapper ceux qui détiennent des compétences critiques pour l'entreprise », explique André Charrassin, le DRH.

Pour déjouer les scénarios catastrophe du papy-boom, Patrick Joutet et André Charrassin misent sur la formation et s'appuient sur le projet Senior monté par l'Opcareg de Haute-Normandie et une multitude de partenaires régionaux (Greta, chambres consulaires, Anpe, direction départementale du travail). L'organisme régional, qui récolte et gère pour ses 1 300 entreprises adhérentes les fonds de la formation professionnelle, a en effet initié depuis deux ans le programme européen expérimental Equal autour de la gestion des âges et des salariés en fin de carrière.

« Nous avons commencé par mener une enquête pour savoir comment les entreprises de la région organisaient les fins de carrière de leurs salariés, explique Florence Lahon, responsable des études pour l'Opcareg. Résultat : bien peu d'innovations. La plupart privilégient les promotions et certaines font un peu de tutorat. Nous avons donc décidé de mettre en place une action de formation auprès des salariés de plus de 50 ans. » Le principe : former des seniors à la transmission de leurs savoirs. Un organisme de formation ou un cabinet-conseil désigné par l'Opcareg aide d'abord les entreprises à formaliser les savoirs. Ensuite, le salarié est formé pour transmettre son savoir à un junior.

Avec un budget de 1,2 million d'euros sur trois ans, l'Opcareg finance sept entreprises normandes. « Nous pourrions en accueillir cinq autres, précise Florence Lahon. Mais les PME hésitent car le salarié ne sera pas à 100 % à son poste pendant plusieurs mois. Bien souvent il s'agit pour elles d'une perte d'activité. » Pour les entreprises qui participent au projet, il s'agit plutôt d'une aubaine. « Seuls, nous n'aurions jamais mis en place ce type de formation, beaucoup trop chère », explique André Charrassin chez Legrand Industries. Chaque action de formation coûte en effet 7 000 à 8 000 euros.

Pour pérenniser le projet, l'Opcareg a demandé aux consultants de créer un outil méthodologique qui permette à l'entreprise dans laquelle ils sont intervenus d'organiser le transfert de savoir d'autres salariés une fois la formation terminée. « Nous allons également mettre à disposition des outils méthodologiques et de veille via un site Internet dès le début 2005 », annonce Florence Lahon.