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Repères

La timide réforme du Dr Douste-Blazy

Repères | publié le : 01.09.2004 | Denis Boissard

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La timide réforme du Dr Douste-Blazy

Crédit photo Denis Boissard

Une réforme « d'une ampleur jamais égalée ». Pour mettre en scène sa loi sur l'assurance maladie, le très politique et bon communicant qu'est Philippe Douste-Blazy n'a pas lésiné sur les qualificatifs. Quitte à passer sous silence le plan substantiel lancé par Alain Juppé en 1995.

Il était temps d'agir. Car la branche maladie est à la dérive : vraisemblablement 13 milliards d'euros de déficit cette année, après 11 l'an dernier, 6 en 2002 et 2 en 2001. Reste à savoir si la médication du docteur Douste-Blazy sera de nature à colmater le trou, et surtout à freiner l'évolution des dépenses (seul un tiers du déficit résulterait des moindres rentrées de cotisations). L'enjeu est essentiel : si l'on ne parvient pas à encadrer les dépenses de santé, à réguler leur croissance – en partie inévitable en raison notamment du vieillissement de la population –, la privatisation rampante du système est inéluctable, faute de pouvoir augmenter indéfiniment les prélèvements obligatoires.

Sur les mesures immédiates de redressement financier, le gouvernement était en face d'un casse-tête : comment accroître les recettes de la Sécu sans casser la croissance ? L'élargissement de l'assiette de la CSG sur les revenus salariaux ne trompera personne. Il masque une hausse dont le gouvernement a longtemps, contre toute évidence, nié la nécessité. L'effort demandé aux retraités allait de soi, mais l'ampleur du dérapage des dépenses de santé, dont ils sont de gros consommateurs, aurait pu justifier un rattrapage plus significatif de leur CSG sur celle des actifs. Parfaitement contestable et moralement indéfendable est en revanche la prolongation ad vitam aeternam de la CRDS. Ni vu ni connu, le remboursement de la dette cumulée de la Sécu et de ses déficits à venir en 2004, 2005 et 2006 (soit la bagatelle de quelque 50 milliards d'euros) est transféré aux générations futures. Ceci avec la complicité passive de la classe politique (hormis l'UDF) et de l'opinion publique.

L'autre volet de la loi Douste-Blazy, en principe le plus important en termes d'économies à venir, ce sont les outils de maîtrise dite « médicalisée » des dépenses. Combattue pied à pied par les professions de santé, la maîtrise « comptable », celle du plan Juppé, n'est plus dans l'air du temps. Place donc à la médecine douce du docteur Douste-Blazy. L'essentiel de l'effort repose sur les patients. Passons sur la franchise non remboursable (à l'inverse du forfait hospitalier) d'un euro par consultation, destinée à responsabiliser l'assuré. S'il n'est pas anormal de rappeler à l'intéressé que la santé a un coût, son montant est trop indolore pour espérer enrayer la surconsommation médicale.

Restent deux dispositions phare censées changer le comportement des acteurs. Afin de combattre le nomadisme médical, le malade sera invité à passer par son médecin traitant avant de consulter un spécialiste, sous peine d'être moins bien remboursé. Une mesure de bon sens, mais paradoxalement le libre accès au spécialiste permettra à ce dernier de pratiquer des dépassements d'honoraires, ce qui risque de l'inciter à privilégier ses patients « privés ». En outre, chaque assuré sera titulaire d'un dossier médical informatisé qu'il devra présenter au médecin, pour être remboursé. Combiné avec l'instauration du médecin traitant, ce dossier accessible aux professionnels de santé devrait permettre de mieux coordonner les soins et d'éviter les actes redondants. Sauf que cette bonne idée prendra quelques années et coûtera beaucoup d'argent – on l'a vu avec la carte Vitale – avant de devenir effective.

Malheureusement, le plan Douste-Blazy n'a pas osé s'attaquer à la rémunération à l'acte, dont on sait le caractère inflationniste : les médecins jouissent en effet d'un droit de tirage quasi-illimité, la Sécu remboursant consultations et ordonnances les yeux fermés. On aurait pu envisager un passage progressif des médecins traitants au paiement à la capitation (c'est-à-dire au nombre de patients), en leur faisant jouer un rôle plus actif dans la prévention. À défaut, il faudra se contenter d'un contrôle plus suivi de la Cnam sur le respect des référentiels médicaux, les prescriptions abusives pouvant donner lieu à sanctions financières.

Pour finir, la loi tente de régler un des maux de notre système de santé : la dilution des responsabilités entre l'État, le directeur de la Cnam et les partenaires sociaux cogestionnaires de l'assurance maladie, laquelle joue un rôle-clé dans l'inertie du système et son pilotage à courte vue. Mais, là encore, la réforme reste à mi-chemin. Si le directeur aura les coudées plus franches vis-à-vis de son conseil d'administration et du gouvernement (il sera nommé pour cinq ans), si l'assurance maladie se voit déléguer un peu plus de pouvoirs, c'est l'État qui gardera la haute main sur l'hôpital et le médicament. Bref, il y aura toujours plusieurs pilotes dans l'avion. Habile, le plan Douste-Blazy est passé comme une lettre à la poste. Ce n'est pas forcément bon signe. Une réforme structurelle ? Cela reste à prouver.

Auteur

  • Denis Boissard