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DIFFICILE D'ÊTRE CONSOMMATEUR ET CITOYEN

Enquête | publié le : 01.09.2004 | Frédéric Rey

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DIFFICILE D'ÊTRE CONSOMMATEUR ET CITOYEN

Crédit photo Frédéric Rey

Commerce équitable et épargne solidaire cherchent à concilier les intérêts des consommateurs et ceux des salariés. Mais associations, ONG et syndicats ont bien du mal à rallier les intéressés à leur croisade.

Mars 2003 : 600 salariés du textile, en majorité des femmes, envahissent le magasin Décathlon près du Stade de France. Emmenés par la fédération CGT du secteur, les manifestants jettent par terre les vêtements portant la marque d'une fabrication à l'étranger, sous le regard médusé des consommateurs. Tous ont perdu leur emploi à la suite d'une délocalisation de leur entreprise. « 70 % de non-reclassés, 10 % de ménages brisés, 2 % de suicides », indique une banderole déployée devant le magasin. La fonte des emplois a réduit le textile à peau de chagrin. Dans le Nord-Pas-de-Calais, il reste aujourd'hui dans ce secteur 25 000 employés contre 250 000 personnes il y a cinquante ans. « La Tunisie et ses 8 millions d'habitants compte aujourd'hui plus d'employés dans l'habillement que la France », déplore Christian Larose, ancien responsable de la Fédération CGT du textile, aujourd'hui membre du Conseil économique et social. Pour lutter contre ce dumping social, ce syndicaliste ne revendique plus seulement un quota minimal de produits français dans les rayons des hypers. « Il est urgent de prévoir la mise en place d'un étiquetage obligatoire des produits qui donnerait des informations sur le respect des droits fondamentaux au travail. Il faudrait également une grande campagne d'éducation civique pour sensibiliser le consommateur. »

Ce projet de labellisation socialement responsable des produits de consommation commence à peine en France à faire son chemin. En 1995, une cinquantaine d'organisations, ONG, associations de consommateurs et syndicats, ont créé un collectif, baptisé De l'éthique sur l'étiquette, avec l'objectif d'accroître la pression des consommateurs sur les professionnels de la grande distribution ainsi que sur les bénéficiaires des marchés publics. Tous les ans à Noël, le collectif mène campagne sur les jouets, mais sans lancer d'appel au boycott. Il s'agit de sensibiliser le consommateur en l'informant sur les mauvaises conditions sociales des salariés et en faisant la promotion des produits issus du commerce équitable.

Avant les jeux Olympiques d'Athènes, les partisans d'une alterconsommation ont régulièrement interpellé les grandes marques sportives et les enseignes françaises de la grande distribution en prenant à témoin le public. Fin juin, à la veille du passage de la flamme olympique dans les rues de Paris, des militants ont ainsi manifesté place du Trocadéro au milieu des touristes. « C'est très difficile de faire prendre conscience de son rôle individuel, souligne Jean-Michel Bailly, responsable du collectif De l'éthique sur l'étiquette, mais ce mouvement n'en est qu'à ses débuts, et tout indique que les consommateurs s'intéressent de plus en plus à l'existence d'une garantie socialement responsable. »

Campagnes de sensibilisation à Noël
Prié de ne pas manifester le 25 juin, jour du passage à Paris de la flamme olympique, De l'éthique sur l'étiquette était la veille au Trocadéro pour sensibiliser au « respect des droits de l'homme dans l'industrie du sport ».SÉBASTIEN CALVET

À voir. Avec 7,7 millions d'euros de chiffre d'affaires en 2003, Artisans du monde, une association pionnière dans le commerce équitable, ne pèse pas lourd. Mais son activité a progressé de 20 % par rapport à 2002. Chez Monoprix, enseigne impliquée depuis 1998 dans la distribution d'articles équitables, le chiffre d'affaires du café équitable représentait, en 2003, 7 % de l'ensemble des cafés torréfiés et devrait augmenter cette année de deux points. Les comités d'entreprise emboîtent le pas aux particuliers. À Nantes, Acener, une organisation inter-CE représentant 50 000 salariés, s'est particulièrement investie : opérations de sensibilisation au moment de la rentrée scolaire ou à Noël, placement d'une partie du budget de fonctionnement des CE (0,2 % de la masse salariale) sur des fonds d'épargne éthiques…

Les plus enclins à se convertir à cette alterconsommation ont un profil très précis : ils sont urbains, âgés de plus de 40 ans et issus des catégories socioprofessionnelles les plus élevées. « La question est de savoir si cette consommation de produits ou d'épargne éthiques a la capacité de devenir un mouvement de masse, s'interroge Jean-Pierre Loisel, directeur du département consommation au Credoc. Selon une étude de 2003, plus de 60 % des personnes interrogées déclarent être prêtes à consommer en fonction de critères sociaux. Personne ne veut consommer idiot, mais une fois mis en situation de choisir entre un produit éthique et un autre moins cher de 10 %, seuls 12 % des consommateurs restent fidèles à leur conviction. »

L'épargne solidaire ne décolle pas

Idem pour l'épargne solidaire. Le principe est plébiscité. Mais dans la pratique, et en dépit des 47 milliards d'euros de l'épargne salariale, les sommes drainées par les fonds éthiques ne décollent pas. Deux ans après sa création, le Comité intersyndical de l'épargne salariale, qui a labellisé des placements en fonction de critères financiers et socialement responsables, dresse un bilan mitigé : 80 % des nouveaux accords d'épargne salariale n'ont pas opté pour un fonds qu'il avait agréé. « La souscription reste très modeste, reconnaît Pierre-Yves Chanu, de la CGT. Beaucoup de représentants du personnel ne connaissent ou ne comprennent pas l'investissement socialement responsable. D'autres pensent encore que ce type de placement éthique rapporte beaucoup moins que des placements traditionnels. J'ai assisté, par exemple, à une réunion dans une entreprise informatique où un délégué syndical CGC était convaincu que ce n'était pas rentable. » Selon Marie-Hélène Nivollet, déléguée générale d'Acener, les salariés sont encore plus réticents : « Pour eux, confier leur épargne salariale à des fonds éthiques est une perte sèche. Nous avons proposé des livrets qui permettaient de reverser la moitié des intérêts générés à une association ou à une ONG, mais beaucoup s'y sont opposés. Pourquoi devraient-ils abandonner leurs gains alors que les patrons n'arrêtent pas de s'accorder des augmentations »… Selon la déléguée d'Acener, il faut sans cesse convaincre. « Nous devons nous résigner à une politique des petits pas dont les effets ne se mesureront certainement pas à l'aune d'un mandat de CE, mais à vingt ou trente ans. » « Pour réussir dans leur mission, précise Élisabeth Laville, responsable d'Utopies, cabinet de conseil en développement durable, les entreprises du commerce équitable vont devoir développer des offres aussi attractives que les autres avec une vraie plus-value. »

Marie-Annick Ferchaud, présidente de l'association Les amis de Mamadou, qui gère un village de vacances au Sénégal, se satisfait de petites victoires. Responsable d'Armorice, un organisme inter-CE, elle milite pour inciter les élus des comités à organiser des voyages solidaires au Sénégal. « Lorsque nous avons commencé, en 2003, à proposer des séjours d'une semaine à moins de 500 euros, nous avons eu zéro demande. Cette année, 5 salariés étaient inscrits en juin. Pour novembre, ils sont déjà 10. » Sur un total de 9 500 salariés. « Ce concept progresse lentement, reconnaît Marie-Annick Ferchaud. Le prix n'est d'ailleurs pas le principal handicap. Nous devons beaucoup communiquer pour effacer cette idée que des congés solidaires sont des vacances de boy-scout… » Mais il faudra s'armer de patience avant que se dessine une tendance de fond.

53 % des cadres déclarent consommer des produits issus du commerce équitable,

mais…

4 % seulement placent les conditions sociales de production parmi les critères prioritaires d'achat d'un produit ou d'un service.

Auteur

  • Frédéric Rey