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Consommation : SALARIÉ ET CLIENT BONJOUR LES CONTRADICTIONS

ON SOLDE JOUR ET NUIT

Consommation : SALARIÉ ET CLIENT BONJOUR LES CONTRADICTIONS | publié le : 01.09.2004 | Sandrine Foulon

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ON SOLDE JOUR ET NUIT

Crédit photo Sandrine Foulon

Ouverture le dimanche, la nuit, les jours fériés, pour les soldes, la sortie de la énième PlayStation, la fête des Mères… De coup de pub en événement exceptionnel, les horaires atypiques se banalisent. Pour les salariés aussi.

Et de deux ! Comme on ne change pas une formule qui gagne, Celio et Morgan ont levé leur rideau dès minuit sur les Champs-Élysées pour le coup d'envoi des soldes d'été, le 23 juin dernier. Une opération déjà expérimentée lors des soldes d'hiver. Au désespoir de la grande famille syndicale, pour une fois réunie contre cette déréglementation sauvage. Patrick Ertz, délégué syndical central pour la Fédération du commerce de la CFTC, n'a pas manqué cette foire d'empoigne. « 50 % de moins dès minuit, une opération relayée par les radios, ajoutez à cela un pouvoir d'achat en baisse, et vous comprenez pourquoi c'est noir de monde. Quand les grilles se sont levées, les vendeuses ont dû se planquer derrière les caisses. Les clientes qui étaient déjà venues en repérage couraient dans tous les sens. Les conditions de travail des vendeuses, la concurrence déloyale, elles n'en ont rien à faire. » Venu distribuer des tracts, ce syndicaliste n'a pas eu la partie facile. « On s'est fait renvoyer dans nos cordes, poursuit-il. Le discours était du style : laissez-nous notre liberté d'acheter et battez-vous plutôt pour qu'on ait des augmentations. »

Pour peu que les prix cassés soient au rendez-vous, rien n'endigue le flot des clients. Malgré un mot d'ordre syndical qui appelait à refuser de travailler jusqu'à 21 heures le 23 juin, le Printemps Haussmann a demandé aux salariés d'être présents le lendemain à 7 h 30 pour ouvrir à 8 heures au lieu de 9 heures. Et le soir, rebelote. Le magasin a fermé ses portes à 20 heures au lieu de 19 heures. Les lève-tôt et les couche-tard n'ont eu que l'embarras du choix : le grand rival, les Galeries Lafayette, a opté pour le même régime. Les syndicats le savent bien, tenter de mettre les consommateurs dans leur poche est un exercice délicat. Le 11 novembre 2003, sur le parking du Carrefour de Saint-Serge-de-Caen, près d'Angers, bloqué par 200 personnes venues dissuader les clients de faire leurs courses ce jour-là, les réactions des consommateurs étaient plutôt mitigées. « On n'a pas voulu empêcher les gens d'entrer ni les salariés de se rendre à leur poste de travail. On s'est limité au parking pour protester contre une quatrième ouverture exceptionnelle de Carrefour, qui s'était engagé à n'en réaliser que trois, rappelle Aline Levron, secrétaire générale du Syndicat des services CFDT du Maine-et-Loire. Nous avons distribué des pétitions et entamé le dialogue avec les consommateurs qui nous disaient : ce qui se passe dans la grande distribution nous arrivera aussi. On doit réagir. »

Un discours que tous n'ont pas partagé. « Quand on a levé le barrage, certains automobilistes nous auraient écrasés pour faire leurs courses. » Peu importe le sort des caissières et autres employés. Si 90 % des salariés cherchent à équilibrer davantage leur vie professionnelle et personnelle, selon un sondage mené par le CJD en mars 2004 dans les entreprises de ses adhérents, ils sont bien moins nombreux à penser à la vie privée du tiers des salariés français qui travaillent le week-end. Or, dans le commerce, la totalité des salariés sont derrière les comptoirs le samedi et 20 % le dimanche. Et là encore les paradoxes ne manquent pas. Selon notre sondage Liaisons sociales-Mutuelles Mieux-Être-Epsy, 76 % des salariés qui utilisent les services et commerces ouverts la nuit ne voudraient pour rien au monde travailler en nocturne.

« Personne ne refuse les extras »
En juin 2003, sur les Champs-Élysées, les fans de Morgan attendent le coup d'envoi des soldes à minuit. Une opération très médiatisée que l'enseigne a réitérée.CORSAN/LE PARISIEN/MAXPPP

Pour les syndicats, essayer de convaincre les salariés de s'opposer à la multiplication des ouvertures exceptionnelles est souvent une cause perdue d'avance : pendant les nocturnes, les salaires sont fortement majorés. Chez Virgin, grand gagnant du bras de fer de l'ouverture du dimanche sur les Champs-Élysées en 1992, pas difficile de trouver des volontaires avec 200 % de majoration. « Sur la question du dimanche, les partenaires sociaux nous ont accompagnés à cette époque. Cela étant, tous les magasins ne sont pas ouverts ce jour-là, mais lorsque c'est le cas, les syndicats restent vigilants pour que ce ne soit pas un jour banalisé », souligne Nathalie Drouet, DRH de Virgin France. Quant aux ouvertures exceptionnelles, elles se décident au coup par coup. « Certains magasins ont ouvert plus tôt et le sont restés plus tard pour la sortie du tome V de Harry Potter. C'est un phénomène de société. Il fallait y être », ajoute-t-elle.

Chez Ikea, pas de souci non plus pour trouver des volontaires le dimanche. « Il s'agit d'un volontariat un peu particulier. Chacun sait que s'il n'est pas en adéquation avec le concept du magasin, il n'évoluera pas, décrypte un salarié de Parinor. Mais les sondages internes montrent que la grande majorité des employés est favorable au travail dominical. Nous sommes payés 110 % de plus. C'est plutôt un avantage quand on est jeune ou étudiant. En revanche, ça devient lourd avec l'âge et les enfants… » Des arguments face auxquels les syndicats se sentent démunis. « Dans un secteur aussi mal payé que le commerce, où CDD et temps partiels sont légion, personne ne refuse les extras », reconnaît Jean-Pierre Sorrento, à la Fédération CGT du commerce, qui appelle, comme d'autres syndicats, à un débat national sur les déréglementations.

Contre les ouvertures non-stop, les convictions culturelles ou religieuses peuvent-elles constituer un frein ? « À Paris, tout le monde est habitué aux horaires élastiques. Mais en Alsace, pour les cathos notamment, le dimanche en famille, c'est sacré. Ça ne viendrait pas à l'idée de la direction d'ouvrir le dimanche à Strasbourg », constate un salarié d'Ikea. Une exception vouée à disparaître, selon Patrick Ertz, originaire de la région. « Si Ikea n'ouvre pas à Strasbourg, c'est qu'il est seul sur sa zone. S'il était à Parinor, ça fait longtemps qu'il aurait revu la question. » Pour lui, « croire que les Alsaciens sont accros aux jours fériés est un cliché. Il y a quelques années, le 24 décembre, les commerces fermaient à midi. Aujourd'hui, ils ont du mal à baisser le rideau à 17 heures ». Même constat dans l'Ouest, un des derniers foyers de résistance. « À Angers, nous avons tenté d'éviter la multiplication des ouvertures exceptionnelles et obtenu le soutien de la municipalité de gauche. Mais il suffit d'un changement de couleur politique pour que tout bascule », redoute Aline Levron.

Pas question non plus de compter sur la réglementation pour lutter contre les dérapages. « On va vers une banalisation des ouvertures sauvages parce que l'administration ne fait pas son boulot. La préfecture refuse mais les commerces ouvrent quand même. Nous avons fait constater des ouvertures illégales par huissier et condamner des magasins mais ils préfèrent payer que fermer », souligne Patrick Ertz. Morgan et Celio ont eu beau se voir refuser l'ouverture en nocturne par la direction départementale du travail, ils sont passés outre. Chez Ikea, les amendes ne sont rien à côté des bénéfices engrangés le dimanche. Les 38 caisses d'Ikea de Parinor voient passer de 20 000 à 25 000 personnes ce jour-là, deux fois plus qu'en semaine.

Dernier rempart contre les ouvertures, les employeurs eux-mêmes, qui savent bien que le pouvoir d'achat n'est pas extensible et que ces opérations, charges déduites, sont parfois des flops. Banalisé, le dimanche ne serait donc guère rentable. Nicolas Sarkozy, qui proposait en mai dernier d'autoriser 10 ouvertures dominicales par an au lieu de 5, n'a d'ailleurs pas été suivi par les grands de la distribution, qui n'y voient pas d'intérêt. Pour l'instant…

70 % des salariés ne sont pas disposés à travailler le dimanche ou un jour férié,

mais…

50 % fréquentent les magasins ouverts ces jours-là et 53 % se disent favorables à une extension de leurs plages d'ouverture.

Auteur

  • Sandrine Foulon