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Pierre & Vacances en remontre à VVF, l'ex-champion du social

Vie des entreprises | MATCH | publié le : 01.06.2004 | Anne Fairise

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Pierre & Vacances en remontre à VVF, l'ex-champion du social

Crédit photo Anne Fairise

Pionnier du tourisme social, VVF a longtemps été imbattable sur les avantages salariaux, avant d'entrer dans le secteur concurrentiel. Cet innovateur RH est aujourd'hui devancé à la fois sur les salaires, la gestion des compétences et l'organisation du travail par Pierre & Vacances, le leader du marché. Lequel part favori pour le rachat de… VVF.

L'été sera nuageux dans les 56 villages-clubs et résidences locatives de VVF Vacances. Directeurs de site, animateurs ou cuisiniers vivent en effet leur ultime saison sous l'aile protectrice de la Caisse des dépôts, qui a accompagné l'existence de cet opérateur de loisirs atypique. Créée en 1959, cette association est devenue en quarante ans le symbole du tourisme social avant d'entrer, en 1997, dans le secteur concurrentiel. En mars dernier, la holding C3D, son actionnaire majoritaire, a annoncé sa volonté de ramener d'ici à fin 2004 sa participation au-dessous de 50 %. De quoi aiguiser l'appétit de Pierre & Vacances ? Le numéro un français et européen de l'hébergement de loisirs part favori au jeu des pronostics dans les couloirs de VVF. Ce groupe, au confluent de l'immobilier et du tourisme, né avec la station de ski d'Avoriaz, connaît une croissance insolente. Le cours du titre a été multiplié par plus de quatre depuis son entrée en Bourse. Sa frénésie de rachats a étoffé son catalogue, qui comporte désormais 250 sites, regroupés pour l'essentiel sous trois marques (les résidences Pierre & Vacances, MGM et Maeva). « Nous sommes attentifs à toute opportunité de croissance externe », confirmait, en avril, Gérard Brémond, 66 ans, président fondateur et actionnaire majoritaire, néanmoins très exigeant sur le niveau de rentabilité de ses acquisitions. Mais le profit n'est plus un mot tabou chez VVF Vacances, engagé, depuis l'abandon du statut associatif, dans une profonde mutation pour devenir « une entreprise comme les autres », selon les mots d'Olivier Colcombet, 53 ans, premier président du directoire issu du privé.

Des permanents « fonctionnaires »

Repositionnement de la marque via des hausses de tarifs, réorganisation des services, recherche de productivité, chasse aux coûts symbolisée par le déménagement du siège parisien à Gentilly : le changement de culture a été radical. D'autant que cette refonte, lancée sous la présidence d'Edmond Maire, l'ancien secrétaire général de la CFDT, aux manettes pendant dix ans, s'est accompagnée de deux plans sociaux, en 1999 et en 2002. Un séisme dans l'ancienne association où, concède un technicien, « les personnels permanents se considéraient comme des fonctionnaires ».

Comme l'avait constaté l'ex-leader cédétiste en appelant les cadres à « une véritable conversion mentale », la création d'emplois avait toujours été la priorité des salariés de VVF. Bien avant « les équilibres économiques et l'amélioration des salaires ». Depuis, le nombre d'équivalents temps plein (ETP), maître étalon dans ce secteur jonglant avec les contrats saisonniers, a baissé de 1 870 à 1 600. Et la part d'emplois stables en CDI de 52 % à 47 %. L'augmentation de la précarité est devenue une antienne des organisations syndicales, qui pointent, en sus, le recours « abusif » aux stagiaires. Leur constat, lors d'une visite-surprise en février dans la station de Gourette (Pyrénées) : 24 stagiaires à temps plein, dont 16 en animation, avaient revêtu le tee-shirt jaune de VVF. Soit plus de la moitié de l'effectif. « Les difficultés de gestion des directeurs de site expliquent ces dérives. On leur demande des ratios de rentabilité trop élevés », déplore Madeleine Talagrand, de la CFDT, qui dénonce la « culture porte-monnaie ». « On rogne sur les services. Regardez le nombre d'heures d'animations gratuites destinées aux enfants, il a été divisé par deux en dix ans. Si qualité il y a, VVF la doit seulement à la bonne volonté du personnel permanent. »

Rien à voir avec l'ambiance qui règne chez le numéro un des vacances familiales, « PV » comme on le surnomme en interne. Il est vrai que Pierre & Vacances a multiplié par deux le nombre de ses sites, et plus que doublé ses effectifs, à 3 500 équivalents temps plein, à coups d'acquisitions, celle notamment de Maeva en 2001. « Nous délivrons quelque 60 000 fiches de paie par an. La comptabilité est un moment de bonheur », ironise Philippe Chaix, DRH de l'activité tourisme. À 48 %, la part d'emploi stable est similaire à celle du challenger VVF. Reste que l'intégration ne s'est pas faite sans impact sur l'emploi : un plan de mobilité, géographique et fonctionnelle, a été lancé et 90 départs, négociés pour l'essentiel, ont été enregistrés, surtout dans les services administratifs. Pourtant, même la CGT, issue de Maeva, en convient : « Des efforts ont été faits pour qu'il n'y ait pas trop de casse », note Michel Dadgné. Et, « à long terme, il y a une vraie logique économique de pérennisation de l'emploi », renchérit Luc Geismar, de la CFE-CGC, lui aussi venu de Maeva.

Plus qu'une restructuration à la VVF Vacances, PV vit à l'heure de la rationalisation. Une nécessité pour le DRH : « Les effectifs de Maeva étaient portés par 15 sociétés et ceux de Pierre & Vacances, par 3 structures. » D'où une multitude de conventions collectives et d'accords. En lieu et place d'une UES, il a choisi le rattachement à un GIE : « Il crée un lien commun entre tous les salariés. Et nous permet de les mettre à disposition en résidences de tourisme ou dans les hôtels qui relèvent de deux conventions collectives. » Celle de l'immobilier est aujourd'hui la norme pour les deux tiers des salariés. Autre simplification : après négociation avec les syndicats, il a été décidé de créer un seul CE et un seul CHSCT. Si l'intégration juridique est achevée depuis 2002, « le groupe reste encore un patchwork », note la CFE-CGC, qui juge urgent de « créer une culture d'entreprise » entre les ex-frères ennemis : Maeva, l'opérateur à la convivialité brouillonne, et PV, qui mêle à son paternalisme un professionnalisme ne laissant aucune place à l'improvisation.

Un modèle d'accord 35 heures

De culture, les VVF ne sont pas encore prêts à en changer. Avant même de connaître les candidats à l'appel d'offres lancé par C3D, les syndicats étaient persuadés de perdre au change. Notamment les avantages de la convention collective du tourisme social, « supérieure à celle de l'hôtellerie-restauration ou de l'immobilier qui a cours chez Pierre & Vacances », et encore améliorée par leur accord d'entreprise. Des accords qui assurent au personnel permanent, en cas de maladie, un maintien du salaire pendant six mois. « Aucun opérateur du privé n'offre les mêmes avantages sociaux », assène Jean-François Chierbert, de la CGT, qui craint que l'ouverture du capital ne soit suivie de suppressions de postes. Les syndicats ont donc entrepris de négocier des conditions de départ « au moins équivalentes à celles des précédents plans sociaux », voulus « exemplaires » par la direction. À seize ans d'ancienneté, les VVF étaient partis avec l'équivalent de dix-huit mois de salaire brut.

Hérault du tourisme social, VVF a été aussi novateur sur le plan social. Pour éviter de trop grandes différences entre permanents et saisonniers, il a créé, dès 1972, le statut de « saisonnier permanent », accordant aux fidèles ayant travaillé douze mois en deux ans une garantie de reconduction de leur contrat et les mêmes avantages que les CDI : treizième mois au prorata du temps effectué, primes de fin d'année et d'ancienneté, mutuelle…

Pionnier encore, l'accord 35 heures signé en septembre 1996 par la CFDT et la CFTC. Parmi les premiers accords de Robien offensifs, il reste un modèle du genre en raison de la notoriété de son initiateur, Edmond Maire, et de son contenu ambitieux. En contrepartie d'une réduction de 1 % des salaires et d'un gel d'un an, il se proposait de créer 10 % d'ETP, de passer de 41 % à 52 % d'emplois permanents. La flexibilité des horaires était assortie d'une « gestion personnalisée du temps libéré ». Selon les nécessités de service, le personnel est resté à 39 heures par semaine, avec 23,5 jours de RTT au choix, ou passé sur des semaines de 35 h 06 en moyenne, pouvant fluctuer jusqu'à 46 heures sur douze semaines consécutives et même 48 heures en une seule semaine.

Mais l'accord médiatisé a vite été érigé en contre-exemple par le patronat lorsque, deux ans après la signature, VVF a mis en place un plan social et que, dans la foulée, Edmond Maire a démissionné. En interne, les 35 heures sont toujours étrillées. La réduction de la précarité ? « Un simple habillage juridique, pour la CGT. Recruter en CDI des saisonniers titulaires ne signifie pas réduire la précarité. » La RTT ? « Personne ne peut mesurer si elle est effective», reprend Henri Nabet, de la CFTC, qui a dénoncé l'accord. « Il n'y a jamais eu de réelle réflexion sur l'organisation du travail, ni de quantification des besoins en personnel. Chaque village a créé son propre système de décompte », renchérit Jean-Marie Filippi, délégué FO. Résultat : tous les syndicats, derrière la CGT, réclament une pointeuse ! « S'il y a pu avoir des dérapages, nous n'avons jamais ménagé nos efforts pour faire respecter l'accord. Et il l'est », tempère Marcel Dandrau, le directeur des ressources humaines.

La grève inconnue chez P & V

Les 35 heures, introduites en 1999, n'ont pas suscité de tels remous chez Pierre & Vacances. Sans réduction ni gel des salaires, le temps de travail a été annualisé sur la base de 1 600 heures de travail par an. Et la modulation maximale autorisée (42 heures sur douze semaines) est inférieure aux pratiques de VVF. « C'est un bon accord pour le secteur. Des commissions réunissant toutes les professions et les échelons hiérarchiques y ont travaillé pendant un an. La concertation était au rendez-vous », rappelle Gérard Lamarca, délégué syndical CFDT, signataire. À la suite de l'intégration de Maeva, l'accord a été renégocié, mais reste pratiquement inchangé. A contrario de VVF, la direction a ici soigneusement cadré l'organisation du travail. En début de saison, chaque chef de service signe, avec le personnel, une convention de fonctionnement indiquant les horaires, modifiables avec un délai de prévenance de trois semaines contre huit jours chez VVF Vacances. Logique : dans les villages de VVF, la restauration et l'animation sont des services intégrés, alors qu'ils sont optionnels, souvent sous-traités, chez PV. Mais d'éventuels dérapages horaires, la CGT de PV n'en connaît pas : « Nous ne sommes jamais sollicités sur ce sujet. »

La vie syndicale semble tranquille chez le numéro un du tourisme familial. Les syndicats, il est vrai, ne sont apparus qu'il y a dix ans. « Le directeur général de l'époque refusait de négocier avec des non-syndiqués. L'ensemble du comité d'entreprise a pris sa carte à la CFDT », rappelle Gérard Lamarca, délégué cédétiste. Mais, hormis un mouvement de solidarité en 1996, lors d'un plan social, la grève reste inconnue : « Elle se produit plutôt chez nos sous-traitants », reconnaît la DRH. Tout autre climat chez VVF, bastion cédétiste historique à tendance autogestionnaire. Signe d'un changement d'époque, une alliance FO-CGT a récemment mis la main sur le CE.

Primes à tous les étages

Côté fiche de paye, le numéro un du secteur l'emporte. Si, chez les deux opérateurs, un réceptionniste débute au smic sur treize mois, la différence se creuse ensuite. Les responsables d'hébergement de PV sont rémunérés, selon l'importance du site, entre 20 000 et 40 000 euros annuels. Chez le challenger, les directeurs de village émargent entre 23 000 et 31 000 euros par an. Depuis l'abandon du statut associatif, VVF y a adjoint une prime d'objectif pouvant représenter plusieurs mois de salaire. « Cet été, la pratique sera étendue aux équipes de direction des sites », annonce la DRH, discrète sur le montant.

Pierre & Vacances a poussé plus loin la logique en systématisant depuis quatre ans les formules de rémunération au mérite. Les cadres ont une prime d'objectif; les commerciaux, une part variable atteignant jusqu'à 40 % pour un chef de vente. Même le personnel d'entretien peut arrondir sa fiche de paye (10 % du salaire annuel) sur la base d'objectifs qualitatifs, notamment le taux de satisfaction de la clientèle, mesuré par des questionnaires. « La référence, c'est le nombre de “très satisfait”. Cela met la pression. Mais le client est notre gagne-pain », note une femme de ménage.

L'individualisation des rémunérations est ici le maître mot depuis la mise en place des 35 heures. La CFDT, qui a vu avec regret la disparition des augmentations générales, considère que l'individualisation est « l'occasion de creuser les différences face au mécanisme de revalorisation du smic qui écrase la grille indiciaire ». Qu'ils relèvent du premier ou du second indice, les salariés ont la même fiche de paie. Difficulté identique chez VVF. Mais les augmentations générales restent en vigueur. « C'est inscrit dans l'accord d'entreprise », précise la CFTC. Face à la levée de boucliers suscitée par la dernière augmentation générale de 0,5 %, la direction a même accordé une prime de 150 euros brut aux permanents.

En dépit de la modicité des salaires, PV mise sur son aura de numéro un pour recruter. Depuis dix ans, tout saisonnier a l'assurance, après trois saisons consécutives, que son dossier sera étudié pour une embauche en CDI à temps partiel. « C'est une obligation que l'on se donne et un moyen d'assurer la qualité des prestations », martèle Philippe Chaix. « Une première de réception, trilingue, titulaire d'un BTS, peut se retrouver smicarde », tempère la CFDT, qui a mis le sujet de la fidélisation à l'ordre du jour.

Rien de commun, cependant, avec VVF Vacances, qui assiste à des démissions de saisonniers en cours de contrat. « Sur les 2 000 postes pourvus chaque année, 70 % le sont avec du personnel qui n'a jamais travaillé avant chez VVF », plaide Marcel Dandrau, qui reconnaît des « tensions dans les métiers de bouche ». Pour y remédier, il vient de lancer un site d'emploi sur lequel les candidats peuvent postuler.

Mais VVF met surtout l'accent sur la professionnalisation. L'opérateur a créé, fin 2003, un institut du management. Au programme, un parcours en 18 modules : l'encadrement d'équipe, le rapport des jeunes au travail, la gestion de budget… 200 cadres suivront les premiers modules en 2004. Et la DRH a dépoussiéré la communication envers les saisonniers, du fascicule de bienvenue jusqu'aux « chartes comportementales » énumérant les impératifs des postes. Être ponctuel, avoir une tenue irréprochable… Leitmotiv ? La « satisfaction client ». « Rien de nouveau pour la DRH. Ce qui était fait hier avec enthousiasme le sera demain de façon plus structurée, avec des objectifs identifiés. »

De son côté, PV a ouvert en 2003 le chantier de la gestion des compétences. Une nécessaire clarification : « 17 appellations de postes ont été recensées à l'accueil », explique la CGT. 70 référentiels d'emploi ont déjà été identifiés. La formation et l'évaluation des salariés devraient être adaptées en conséquence. Et peut-être la structure de rémunération, reprend la DRH : « Atteindre une taille critique nous pousse à engager une démarche de capitalisation des talents. » Des projets qui rencontrent un écho favorable chez les syndicats. Mais des préoccupations étrangères à VVF Vacances, où les salariés ont l'esprit entièrement tourné vers la privatisation.

Logement assuré !

L'hiver dernier, l'enquête sur les saisonniers, réalisée par la Fédération des services CFDT dans les stations alpines (Savoie, Haute-Savoie et Isère), a de nouveau attiré l'attention sur leurs difficiles conditions de travail et de logement. Rien de tel chez Pierre & Vacances et VVF Vacances, où les saisonniers sont assurés d'avoir un toit. « Dans les stations de ski, nous nous faisons une obligation de les loger. Quand on travaille à 2000 mètres d'altitude, on ne redescend pas le soir dormir dans la vallée ! » commente Philippe Chaix, le DRH de Pierre & Vacances.

Dans les stations balnéaires, par contre, les saisonniers n'ont pas l'assurance d'être logés, sauf les quelque 400 personnes – en CDI ou contrat saisonnier – faisant la navette entre mer et montagne. « Nous avons obtenu qu'un saisonnier muté pour trois mois après avoir effectué huit mois en montagne conserve le logement jusqu'à son retour. Le logement est un bon outil de fidélisation », note Gérard Lamarca de la CFDT de P & V.

Pas les horaires ! « Dix départs de saisonniers, le lendemain du nouvel an, ça c'est vu. Comme de voir disparaître le 15 juin, alors que la saison d'été commence, certains saisonniers affectés en cuisine. Ils avaient fait jouer la concurrence », reprend Jean-Marie Filippi, de FO, chez VVF Vacances.

En lançant son site Internet dédié à l'emploi, la DRH met l'accent sur la fidélisation des saisonniers, qui est jugée, en interne, « artisanale ». « Ce site permettra à terme d'analyser les profils des candidats et de constituer une base de données », souligne Marcel Dandrau, DRH de VVF, qui ne cache pas que les profils recherchés vont aussi évoluer en fonction du changement de cible de VVF, la clientèle européenne ayant supplanté les familles françaises. Mais, selon les syndicats, les difficultés de recrutement actuelles ne sont pas propres à VVF. Tout le secteur y est confronté. Chez P & V comme chez VVF Vacances, les salaires sont souvent au niveau du smic. Seule différence : les saisonniers ont l'assurance de pouvoir travailler plus longtemps chez P & V, les sites ayant une plage d'ouverture plus longue en moyenne, que ceux de son challenger.

Auteur

  • Anne Fairise