logo Info-Social RH
Se connecter
Newsletter

Vie des entreprises

Pas de sujets qui fâchent dans les canards d'entreprises

Vie des entreprises | DÉCRYPTAGE | publié le : 01.06.2004 | Catherine Lévi

Image

Pas de sujets qui fâchent dans les canards d'entreprises

Crédit photo Catherine Lévi

Fini les coups d'encensoir au président, avec photo au-dessus de l'édito. Les journaux d'entreprises cherchent aujourd'hui à informer et rassembler des collaborateurs disséminés partout dans le monde. Mais ces outils de management laissent peu de place au social et ne se risquent guère sur les sujets sensibles, restructurations en tête.

Rangé aux oubliettes l'édito triomphaliste du P-DG, photo à l'appui. Dépassé les carnets roses ou les rubriques sportives qui relatent les exploits de l'équipe de foot de la maison ou du marathonien du service comptabilité. « La presse d'entreprise autoglorifiante, condescendante et démagogique qui relayait les messages du président sans analyse n'est plus d'actualité », tranche Carole Dubois-Valmier, responsable communication et formation réseaux à La Française des jeux et administratrice de l'Ujjef, l'association professionnelle des journaux et de la communication d'entreprise. Après avoir longtemps infantilisé les salariés dans leurs colonnes, les journaux d'entreprises les traitent enfin en adultes. « La presse d'entreprise, c'est de la presse. Les collaborateurs sont des lecteurs. Nous devons être à la hauteur », explique Jacques Charbit, un ancien journaliste à présent à la tête de la direction de la communication du groupe Accor.

« Les grandes firmes cherchent aujourd'hui à mettre en avant les réalisations plus que les discours, à rassembler les salariés autour du projet d'entreprise et à partager avec eux les grands enjeux », estime pour sa part Bruno Scaramuzzino, directeur général d'Euro RSCG Publishing. Les magazines corporate sont destinés à susciter l'adhésion par la pédagogie. Pour être crédibles, les sujets sont abordés de façon didactique, associant des interviews d'acteurs de l'entreprise ou de grands témoins, des regards d'experts extérieurs, des dossiers de référence, des articles d'ouverture culturelle sur l'activité sectorielle.

Ainsi, Perspectives, le nouveau magazine de l'activité nucléaire d'Areva, issu à l'automne 2003 de la fusion de l'organe interne de Framatome et de celui de la Cogema, a accompagné la naissance du nouveau groupe. Ce trimestriel tiré à 50 000 exemplaires a pour vocation de servir de trait d'union entre les collaborateurs et de les éclairer sur les grands sujets. Dans ce premier numéro figuraient deux interviews de fond : l'une du directeur adjoint du développement durable expliquant la démarche du groupe, l'autre émanant d'un expert allemand indépendant, présentant les perspectives d'emplois liés au nucléaire en Allemagne.

Fini le style « on est les meilleurs »

« Nous ne voulons pas assener des vérités, mais mettre l'information en perspective et donner des clés à nos lecteurs, explique Michel Jamard, directeur de la communication d'Areva. Le style “on est les meilleurs” est dépassé. » Le géant du nucléaire a conclu un partenariat avec Courrier international pour alimenter ses colonnes avec des informations sur le secteur de l'énergie.

Principalement vouée aux agents de maîtrise, la nouvelle formule de la revue Vivre EDF est, quant à elle, destinée à accompagner l'ouverture du marché de l'électricité à la concurrence d'ici à 2007. Un dossier explosif dans l'entreprise publique. Au sommaire : des articles sur le groupe, ses clients, l'énergie, les talents, les regards d'experts. « Nous estimons que la compréhension des enjeux est l'une des clés du succès, fait valoir Dominique Lagarde, directeur de la communication interne et managériale. La transformation de l'entreprise doit s'accompagner de pédagogie. »

Passerelles entre des collaborateurs désormais implantés partout dans le monde, ces journaux internes ont tous acquis une dimension internationale. Ils cherchent à créer de la proximité entre la maison mère et ses filiales, à rendre compte de la pluralité des cultures. Publié en français, en allemand et en américain, le magazine d'Areva contient un cahier local permettant à chaque pays de fournir des informations spécifique. One, le journal d'Airbus, entreprise multiculturelle par excellence, obéit à la même logique.

Un marketing tiré au cordeau

En mariant le global et le local dans leur communication écrite, les grandes firmes créent une cohérence de groupe qui se décline aussi sur le plan régional. Navire amiral de PSA, Planète, magazine mensuel national destiné principalement à l'encadrement de proximité, coiffe une vingtaine de journaux de sites, dont le contenu est en cours d'harmonisation. « Cet emboîtement sera l'occasion de faire monter en gamme le journal du groupe, estime Liliane Lacourt, directrice de la communication de PSA, et de faire converger les meilleures pratiques des usines à travers l'information écrite. »

Comme tout titre de presse qui se respecte, chaque magazine épouse une politique marketing tirée au cordeau. « Un journal d'entreprise bien fait possède une ligne éditoriale nourrie par une réflexion en amont », explique Éric Bentot, président du groupe d'édition Tagaro !. À chaque média ses missions, son audience, son type d'information. Accor a parfaitement structuré sa démarche résumée dans une charte éditoriale. Présent dans 140 pays avec 150 000 collaborateurs, le groupe édite trois supports : la lettre, le journal Accor Hôtels et le portail IntrAccor.

La lettre internationale, bimestrielle, style la Lettre de l'Expansion, tirée à 10 000 exemplaires en français et en anglais, et destinée aux cadres, contient essentiellement des brèves permettant de s'informer sur la vie du groupe et ses initiatives à l'échelle internationale. Accor Hôtels est le journal des acteurs de l'hôtellerie. Tiré à 75 000 exemplaires en sept langues, tous les deux mois, il couvre des thématiques larges : le groupe et son organisation, la vie des marques et des hôtels, les clients, les carrières et les métiers… Quant au site Web, c'est le média privilégié pour les informations chaudes. Ce dispositif ombrelle coiffe 70 publications éditées par les pays, les marques ou des entités spécifiques. « Nous essayons d'avoir une ligne éditoriale et de faire en sorte que chaque journal ait un air de famille », indique Elsa Menanteau, sa rédactrice en chef.

Pour viser juste, les entreprises n'hésitent pas à solliciter des sociétés d'études et à réaliser des enquêtes de lectorat. « Elles cherchent à savoir si leurs journaux sont lus, si le traitement des informations est adapté, quelles sont les rubriques les plus appréciées », explique Isabelle Panhard, de l'institut CSA. Alors que Planète propose déjà des reportages, un dossier et des informations pratiques, PSA va revoir les contenus et le traitement de l'information de son journal interne pour coller aux nouvelles habitudes de lecture, avec des articles plus courts et davantage illustrés. « Nous voulons vraiment proposer un magazine crédible à nos lecteurs », précise Nathalie Guérin, sa rédactrice en chef. Un exercice dont la direction générale attend un retour sur investissement, car les tirages et les budgets de la presse interne sont importants. Rien que l'édition nationale, tirée à 100 000 exemplaires, coûte 700 000 euros. Avec ses 240 000 exemplaires, Vivre EDF joue également dans la cour des grands. Chrono Éco, le magazine trimestriel de 24 pages de Chronopost, et ses deux éditions mensuelles de 8 à 10 pages tirés à 5 000 exemplaires reviennent chaque année à 250 000 euros.

Sous la houlette du dircom

Modernes et richement illustrées, les maquettes des journaux d'entreprises n'ont rien à envier à celles de la presse grand public. La sémiologue Valérie Brunetière, qui a participé à une étude réalisée par Euro RSCG Publishing sur 40 journaux d'entreprises, parle de « design de l'écrit ». Les journaux sont réalisés sous la houlette du directeur de la communication, qui anime un comité éditorial réunissant les différentes directions de l'entreprise. Mais c'est souvent une agence de communication spécialisée qui assure la traduction éditoriale des orientations prises, définit le sommaire, affine le choix des angles, établit le chemin de fer et le planning de parution. Ces prestataires réalisent les contenus, la mise en pages et l'édition en coordination avec la rédaction en chef de l'entreprise. Pour la rédaction des articles, les agences font appel à des journalistes free-lance. « Nous travaillons dans le monde entier avec un réseau de 1 500 journalistes spécialisés », raconte Xavier Cazard, président de l'agence Entrecom.

Dans un souci de proximité, certains groupes réalisent entièrement leurs magazines, à l'instar de PSA qui externalise seulement la partie édition. « Nous voulons nous comporter comme un groupe de presse », explique la rédactrice en chef de Planète, entourée de trois journalistes dont un ancien de l'hebdomadaire l'Usine nouvelle. Son service vient de s'équiper d'un système éditorial qui permettra aux équipes locales d'avoir accès à une banque de modèles de pages, d'infographies et de photographies et d'envoyer directement les pages à l'impression. Dispositif qui devrait permettre de réduire de 30 % les coûts de fabrication.

Plus professionnels, ces journaux destinés au personnel parlent peu… des salariés. Traités à la marge, les sujets sociaux et de ressources humaines sont réduits à la portion congrue. Il est rarement question des conditions de travail, et encore moins du dialogue social. Quant aux pratiques et expériences individuelles, elles sont surtout destinées à valoriser l'entreprise. Avec ses rubriques ressources humaines, formation, sécurité et santé, le magazine de Veolia Environnement, Planète VE, fait exception à la règle. « Notre dynamique humaine doit être valorisée car nous vendons du service », affirme Philippe Langenieux, directeur de la communication interne. Reste que le magazine donne surtout la parole aux managers et non aux salariés lambda. Les études de lectorat confirment ce manque de proximité. « On veut bien parler aux salariés, mais avec du recul », note Isabelle Panhard, de CSA. Quant aux sujets qui suscitent la contradiction, comme les plans de restructuration, les revers boursiers ou les changements de management, ils sont soigneusement évités. À tout le moins passés au peigne fin avant publication.

Positivisme ou langue de bois ?
« Nous voulons nous comporter comme un groupe de presse ", indique Nathalie Guérin, la rédactrice en chef de " Planète  », le journal de PSA.SEBASTIEN CALVET

« La presse kiosque met l'accent sur les antagonismes, la presse d'entreprise sur ce qui rassemble », résume Xavier Cazard, président de l'agence Entrecom. Une forme de positivisme qui ressemble à s'y méprendre à de la langue de bois. « Il y a plus de transparence aujourd'hui, mais il reste des efforts à faire pour donner la parole à des voix discordantes. Le frein le plus important est l'autocensure », reconnaît Carole Dubois-Valmier, administratrice de l'Ujjef. Seule EDF semble vouloir relever le défi. « Nous devons satisfaire les attentes de nos lecteurs sans donner de nous une image trop idéale ni négliger les sujets qui fâchent, comme les retraites ou la forme juridique de l'entreprise. Nous voulons faire aussi bien que la presse grand public en parlant de sujets complexes de façon simple », commente Dominique Lagarde, directeur de la communication interne et managériale.

Les syndicats sont favorables à cette évolution. « Les salariés sont intéressés par la presse interne, car elle leur permet de comprendre l'entreprise, mais ils veulent aussi qu'on essaie de lever leurs doutes sur leur avenir professionnel au lieu de rester dans une stratégie de communication descendante », estime Maurice Marion, de la CGT. Mais, à EDF comme ailleurs, le journal interne est avant tout un outil de management au service de l'entreprise.

Un statut pour les journalistes

Imprimeurs, consultants, graphistes, publicitaires… ce sont quelques-uns des métiers sous lesquels sont enregistrés les journalistes de la presse d'entreprise par leurs employeurs, ou pris en compte par le fisc, l'Urssaf, l'Unedic, les caisses de retraite ou la Sécurité sociale. Travaillant comme salariés, pigistes ou en tant qu'indépendants pour le compte d'entreprises, d'agences spécialisées ou de collectivités locales, réalisant des publications internes ou externes, ils souffrent d'un manque total de reconnaissance professionnelle. « Leur but n'est pas d'être assimilés à des journalistes d'information générale, mais de se voir reconnaître un statut », souligne Xavier Cazard, président d'Entrecom – une agence qui réalise des journaux d'entreprises pour Areva, les AGF, France Télécom ou La Poste – et responsable de la commission juridique de l'Ujjef, l'interprofession de la communication d'entreprise. Laquelle dénombre environ 42 000 collaborateurs dans la « communication éditoriale », dont 30 000 salariés et 12 500 journalistes occasionnels, free-lance ou indépendants. Des professionnels « qui ne disposent d'aucune convention collective spécifique », rappelle Xavier Cazard.

Dans le « Livre blanc du journaliste de presse d'entreprise », présenté en avril dernier, l'Ujjef pointe un grand nombre d'incohérences, tant dans le domaine de la représentation professionnelle que de la protection sociale ou la fiscalité. Pour y remédier, le Livre blanc préconise la mise en place d'une charte déontologique du journaliste de presse d'entreprise, la définition d'un statut de journaliste permanent ou occasionnel, reconnu par une structure habilitée à délivrer une carte professionnelle, et, enfin, la reconnaissance de l'activité des journalistes pigistes ou occasionnels. L'Ujjef suggère ainsi le recours à l'article D. 121-2 du Code du travail qui permet le recours à des CDD renouvelables pour les métiers de l'information.

Xavier Cazard, responsable de la commission juridique de l'association professionnelle de la presse d'entreprise, pointe l'absence de convention collective spécifique au secteur.D. R.

Auteur

  • Catherine Lévi