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Comment Henri Loyrette dépoussière la GRH du Louvre

Vie des entreprises | METHODE | publié le : 01.06.2004 | Valérie Devillechabrolle

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Comment Henri Loyrette dépoussière la GRH du Louvre

Crédit photo Valérie Devillechabrolle

En trois ans, Henri Loyrette a rénové le Louvre de fond en comble. Gestion plus autonome vis-à-vis de la tutelle, discipline réaffirmée et GRH modernisée ont permis au musée d'optimiser un fonctionnement qui a été recentré sur le public, le tout sur fond de paix sociale. Un modèle de réforme pour l'état.

Les quelque 6 millions de visiteurs attendus cette année au Louvre ne s'en apercevront pas. Et pourtant, les coulisses de la Joconde ont été le théâtre d'une véritable révolution destinée à rénover de fond en comble la gestion du navire amiral des musées français. Ce n'était pas du luxe. Cet établissement bicentenaire était devenu une véritable pétaudière administrative : quarante jours de grève avaient ainsi paralysé le musée lors de la mise en place de la réduction du temps de travail en 2001, tandis qu'un quart des salles étaient en permanence fermées au public en raison du manque de personnel de surveillance…

Trois ans plus tard, la transformation est radicale. En dépit de la réforme des retraites, pas une seule journée de grève n'est venue gâcher le plaisir des admirateurs de Michel-Ange en 2003. Mieux, le Louvre a conclu cet hiver un accord avec la CGT et Force ouvrière portant sur un « projet social global » intégrant un accord de prévention des conflits. Érigé par Bercy en site pilote de la réforme de l'État, l'établissement a hérité de la gestion du musée Delacroix et héritera bientôt de celle du jardin des Tuileries, et il s'apprête à faire des émules dans des fleurons culturels tels que la BNF.

C'est Henri Loyrette, le président nommé en mars 2001, qui a orchestré la modernisation de ce musée fort d'environ 1 900 agents permanents. « Contrairement à ses prédécesseurs, il s'intéresse aussi aux préoccupations des personnels », reconnaît Roselyne Charles-Elie-Nelson, chef de file des délégués CGT. Henri Loyrette s'appuie sur ses deux administrateurs adjoints, Didier Selles, l'homme des chiffres, venu de la Cour des comptes, et Henri Poinsignon, un ancien inspecteur du travail, chargé des ressources humaines. « Tous les trois forment un triumvirat parfait et une équipe redoutable », lâche, un brin admiratif, un représentant du personnel, qui reconnaît que « cela ne leur rend pas la vie facile ».

1 REMETTRE LE PUBLIC AU CŒUR DE L'ACTION DU MUSÉE

Priorité au public. Alors que s'achèvent les grands travaux, lancés par François Mitterrand, qui ont permis de doubler en dix ans le nombre de visiteurs, le maintien d'une fréquentation élevée est devenu, selon Henri Loyrette, « une préoccupation fondamentale » du Louvre. Ce qui, souligne Pierre Zinenberg, chef de file de SUD, deuxième organisation syndicale du Louvre, constitue une rupture par rapport à la situation antérieure où « la conservation des œuvres faisait figure d'objectif prioritaire ». Si cette ambition est plébiscitée par la majorité des personnels, elle est aussi largement encouragée par les autorités de tutelle. Ces dernières en ont fait la priorité du « contrat d'objectifs et de moyens », négocié pendant deux ans par Didier Selles et ratifié au printemps 2003 entre la direction du Louvre et les ministères de la Culture et des Finances. Dans ce document pluriannuel qui constitue le fil conducteur du musée jusqu'en 2005, le Louvre s'est engagé à satisfaire un ensemble d'objectifs (commerciaux, scientifiques, mais aussi en matière de ressources humaines) en échange d'une autonomie de gestion renforcée assortie de 30 millions d'euros de ressources supplémentaires.

Cette focalisation sur les publics s'est traduite dès 2002 par une refonte de l'organigramme du musée. Henri Loyrette a notamment fait apparaître aux côtés des sept grands départements de conservation une nouvelle direction des publics qui, outre les personnels d'accueil et de caisse, abrite ceux de la réservation et de la conception des animations culturelles. Soit un total de 300 à 350 agents qui représentent le deuxième plus gros bataillon de personnels, après le millier d'employés de la surveillance. La priorité donnée au public a également donné lieu au déblocage par l'état de 150 emplois supplémentaires d'accueil et de surveillance, destinés à combler les manques récurrents d'effectifs, ce qui a permis au Louvre d'ouvrir dès 2003 plus de 80 % de ses 65 000 mètres carrés de surface d'exposition.

En parallèle, le Louvre a augmenté en 2003 son amplitude d'ouverture annuelle grâce à deux jours fériés travaillés supplémentaires mais aussi à la création de nombreuses nocturnes. En septembre prochain, le jour traditionnel de nocturne devrait être basculé du lundi au vendredi, jugé plus attractif : une avancée importante réalisée, selon Henri Poinsignon, le DRH, « en concertation avec les représentants du personnel afin de tenir compte au mieux des impératifs de leur vie privée ».

Cette irruption des publics au cœur du musée génère toutefois des états d'âme dans les rangs des conservations notamment. « Certains ont très peur que le musée devienne une caisse enregistreuse au détriment des collections », décrypte Daniel Soulié, représentant FO au conseil d'administration. Des craintes qu'Henri Loyrette espère dissiper avec la création d'un nouveau département consacré aux arts de l'Islam ou d'une antenne du Louvre en région, mais aussi en institutionnalisant un dialogue transversal entre les conservations et les autres directions.

2 OBTENIR UNE PLUS GRANDE AUTONOMIE DE GESTION

Révolue, l'époque où le Louvre ne pouvait même pas organiser des concours afin de pourvoir les postes vacants. Grâce à la loi Sapin – du nom du ministre de la Fonction publique du gouvernement Jospin –, le musée a pu, pour la première fois en 2003, recruter son personnel d'accueil et de surveillance, non plus sur la base d'une épreuve écrite, mais d'un CV assorti d'une lettre de motivation et d'un entretien de vingt minutes avec un jury composé de représentants du Louvre et de la Direction des musées de France. Les syndicats ont même été autorisés à assister aux entretiens en tant qu'observateurs pour en vérifier l'équité.

Principal effet induit de ce recrutement direct, la réduction du nombre de surdiplômés au profit de candidats aux profils plus conformes à la nature des postes occupés. « Dans la mesure du possible, je m'assure que les candidats recrutés à l'accueil parlent au moins une langue étrangère et possèdent des rudiments d'histoire de l'art », se félicite Catherine Guillou, la directrice des publics. Cette souplesse de recrutement ne vaut toutefois pas pour les personnels scientifiques, qui restent tributaires des concours nationaux du ministère de la Culture. « Avec les emplois d'administratifs, les manques y sont les plus criants », se désole Alexandra Kardianou-Michel, déléguée CGT, en pointant le décalage entre les 25 postes de chargés de documentaires souhaités par le Louvre d'ici à 2005 et les 10 mis au concours cette année sur l'ensemble de la France par le ministère.

Dans le cadre de son contrat d'objectifs, le Louvre a aussi hérité, au 1er décembre 2003, de la gestion de ses titulaires. Une déconcentration qui, à terme, devrait permettre, selon Henri Poinsignon, « une bien meilleure réactivité » en matière de gestion des congés, de ratification de changements d'échelon ou encore de sanctions. Si le ministère de la Culture reste maître des tableaux d'avancement, le Louvre a enfin pu, grâce à son autonomie financière accrue, s'offrir un plan de « repyramidage » des emplois, autrement dit la promotion de postes dans une catégorie supérieure. Un engagement qui, selon Didier Selles, « devrait concerner 60 agents sur quatre ans et permettre de satisfaire la juste revendication de certains d'entre eux ». Notamment ceux de catégorie C promus chefs d'équipe à l'accueil et à la surveillance, sans en avoir la reconnaissance ni la rémunération.

3 RÉAFFIRMER L'AUTORITÉ DE LA DIRECTION

C'est un clair rappel à la règle qu'a adressé la nouvelle direction du Louvre à ses agents. Les premiers à avoir été témoins de cette réaffirmation de l'autorité ont été les représentants du personnel. « La direction est dans son droit, mais elle emploie des armes que ses prédécesseurs n'avaient jamais utilisées », observe Roselyne Charles-Elie-Nelson, de la CGT. Mis sous pression en 2001 avec la multiplication des journées de blocage du musée par une minorité de grévistes, Henri Loyrette a d'abord porté plainte pour occupation illégale du domaine public. « Contre l'avis du cabinet du ministre de la Culture de l'époque, rappelle Didier Selles. Moyennant quoi nous avons obtenu gain de cause un vendredi et, le samedi, le musée rouvrait ses portes. » Lors du conflit sur la réforme des retraites dans la fonction publique, la direction a autorisé l'organisation d'une heure d'information journalière. « Mais, en contrepartie, elle nous envoyait systématiquement un huissier pour s'assurer que nous ne gênions pas la circulation du public », indique Pierre Zinenberg, de Sud, en dénonçant « un rapport de force très dur ».

Le musée est aussi revenu dans les clous en matière de temps de travail. « Il n'y a plus que trois catégories d'horaires et tout le monde badge », s'enorgueillit Henri Poinsignon. Initialement très décriée, la généralisation du badge a permis, selon Didier Selles, « de tordre le cou aux idées reçues sur l'absentéisme » : les 7,5 % d'absentéisme recensés sont bien en deçà des 12 % brocardés par Bercy. Sous la pyramide, les personnels d'accueil, dont les horaires plus que réduits avaient fait les choux gras de la Cour des comptes, ont vu leur temps de travail augmenter « sensiblement », remarque Catherine Guillou, qui a créé, pour l'occasion, « un véritable service d'accueil, avec des responsables mieux armés, des plannings optimisés et des règles écrites ».

En échange, elle a instauré une réunion quotidienne d'information de vingt minutes à chaque prise d'équipe qui constitue, selon elle, « le principal sas d'évitement des conflits ». Elle a surtout obtenu de la direction et des tutelles de pouvoir améliorer les conditions de travail difficiles de ces agents dans le cadre d'un projet de refonte des « espaces sous pyramide » qui devrait voir le jour d'ici à 2008.

4 NÉGOCIER LA PAIX SOCIALE

Une telle avalanche de réformes en l'espace de trois ans a fait grincer des dents. Au point que les syndicats s'apprêtaient à rejeter, l'année dernière, le nouveau contrat d'objectifs en conseil d'administration. « En dehors des créations d'effectifs, aucune des revendications liées au contenu du travail, à la formation ou encore à la reconnaissance du travail effectué n'était prise en compte », reconnaît Henri Poinsignon. À l'issue d'une semaine de bras de fer, la direction prend l'engagement de doubler les crédits de formation en trois ans et d'ouvrir une véritable négociation sur un projet social global. Treize séances plus tard, un document de cent vingt-trois pages est présenté à la signature des trois organisations qui ont activement contribué à la discussion : la CGT, SUD et FO.

Au terme d'âpres débats dans les trois syndicats, Sud décide de s'abstenir. Selon Pierre Zinenberg, « en dépit de vrais progrès sociaux, il n'est pas question de cautionner une démarche constituant une porte d'entrée au libéralisme dans la fonction publique ». Mais la CGT et FO signent. « Même si nous demeurons contre la nouvelle autonomie de gestion dont bénéficie le Louvre, maintenant que c'est fait, il fallait bien sauver les meubles », se justifie Roselyne Charles-Elie-Nelson qui, comme Daniel Soulié de FO, se défend pour autant de « donner un blanc-seing » à la direction. Une démarche saluée par les agents lors des élections de représentativité organisées peu après : avec plus de 200 voix d'écart avec Sud, la CGT a gagné 10 % de voix et un siège supplémentaire au comité technique paritaire au détriment de… FO.

Sur le fond, cet accord inaugure une nouvelle ère du dialogue social au Louvre. D'un côté, les représentants du personnel ont donné leur aval à la continuité du service public en s'engageant à ne plus bloquer les accès du musée pour fait de grève minoritaire. En contrepartie, la direction s'engage, en cas de conflit, à ouvrir en « mode dégradé », autrement dit un nombre de salles inversement proportionnel à celui des grévistes recensés. En parallèle, « la direction a pris des engagements sur l'enrichissement du dialogue social », ajoute Henri Poinsignon, avec la création d'au moins trois commissions supplémentaires : suivi de l'accord, formation et gestion prévisionnelle des emplois et des compétences (GPEC) et action sociale. « Cette démarche est totalement inédite », note Jean-Marc Irollo, le directeur de la formation et de la GPEC du musée.

La direction du Louvre s'engage aussi à prendre en compte « les justes revendications des agents », selon Didier Selles, en termes de formation, de reconnaissance des compétences, mais aussi de conditions de travail et de vie difficiles. Ce qui s'est traduit par l'embauche d'un psychologue à mi-temps pour traiter le stress permanent vécu par les agents en contact avec les publics, par le quasi-doublement du budget d'action sociale et surtout par l'engagement d'augmenter de 13 à 95 le nombre de logements sociaux destinés aux agents. Une promesse assortie d'un budget de 200 000 euros par an d'ici à 2008. Sachant que les deux tiers des agents habitent à trois quarts d'heure de Paris, « la satisfaction de cette revendication constitue une grande victoire », se félicite Thierry Choquet, de la CGT.

5 PROFESSIONNALISER LA GRH

Autre succès à l'actif de l'équipe Loyrette, le feu vert des représentants du personnel à une gestion plus individualisée des agents, titulaires ou contractuels. Le projet social intègre une nouvelle grille de classifications et de rémunérations, « moins assise sur l'expérience et l'ancienneté, comme précédemment, que sur la prise en compte des tâches exercées », se félicite Henri Poinsignon. En échange, la grille met fin à un certain nombre d'iniquités et « donne des possibilités d'évolution plus importantes qu'auparavant aux contractuels », se réjouit Daniel Soulié, qui les représente. Pour les titulaires, la direction mise davantage sur la réforme de la notation, qui joue sur l'accélération de la carrière et sur le pyramidage des emplois. Reste que, pour Catherine Guillou, « cela ne peut être qu'un premier pas… ». Tant il est vrai que cette boîte à outils RH lui semble encore bien incomplète. Par exemple, pour recruter et surtout fidéliser les nouveaux profils dont elle aurait besoin.

Enfin, le projet social consacre l'engagement du Louvre dans une meilleure gestion prévisionnelle des emplois et des compétences. Un effort qui s'est traduit dès 2003, se félicite Henri Poinsignon, « par l'augmentation de 62 % du nombre de stagiaires et un accroissement du budget de formation de 20 % ». Pour Catherine Guillou, c'est aussi une façon de reconnaître que « si une seule filière regroupe aujourd'hui les personnels d'accueil, de surveillance et de magasinage, ces métiers requièrent des compétences spécifiques ».

Cette GPEC constitue aussi un point de passage obligé dans la perspective des vagues de départs à la retraite. La majorité des chefs de département de conservation vont s'en aller dans les toutes prochaines années. La gestion des emplois et des compétences devrait aussi permettre de satisfaire les ambitions du musée du Louvre, qui vise à diversifier les publics : « Avec le projet “pyramide” qui nous amène à repenser l'accueil, nous entrons dans un processus qui va inéluctablement modifier notre conception du métier d'accueil et de surveillance vers celui de médiateur culturel », reconnaît Catherine Guillou. Une forme de revalorisation du métier que les organisations syndicales voient plutôt d'un bon œil.

Entretien avec Henri Loyrette :
« L'expérience du Louvre montre que la réforme est possible, même dans un contexte socialement difficile »

Rompant avec la tradition installée avec ses prédécesseurs, Michel Laclotte et Pierre Rosenberg, Henri Loyrette, 51 ans, président-directeur du Louvre, n'est pas issu du sérail des conservateurs du musée. Benjamin de l'Académie des beaux-arts, ce père de trois enfants doit avant tout sa nomination en 2001 à la tête du plus grand musée du monde aux qualités de gestionnaire dont il a fait preuve durant sept ans à la direction du musée d'Orsay. Un établissement où ce spécialiste de l'impressionnisme, auteur de plusieurs ouvrages sur Degas, et passionné d'art moderne, a effectué toute sa carrière en tant qu'historien d'art, puis conservateur général du patrimoine. Depuis son arrivée, Henri Loyrette manifeste un vif intérêt pour la gestion des personnels, se faisant un point d'honneur à présider le comité technique paritaire du Louvre, l'équivalent du comité d'entreprise.

Quel diagnostic avez-vous dressé en arrivant au Louvre ?

J'ai quitté le musée d'Orsay, dont j'étais le directeur, un jour de grève pour arriver au Louvre un jour de grève. Autant dire que je n'ai pas été dépaysé ! En dénonçant le manque récurrent de personnel d'accueil et de surveillance, ces conflits renvoyaient à un problème plus général : l'absence totale d'autonomie de gestion qui rendait le Louvre impossible à diriger. Hormis les contractuels, l'immense majorité des fonctionnaires du musée était gérée par le ministère de la Culture. Cette situation débouchait sur la fermeture quotidienne d'un tiers des salles d'un musée tout juste rénové à grands frais par l'État.

Avez-vous, aujourd'hui, une plus grande autonomie de gestion ?

La loi Sapin nous a autorisés depuis fin 2002 à recruter les personnels d'accueil et de surveillance, ce qui a permis de résorber l'essentiel des problèmes d'effectifs. Grâce aux discussions initiées par mon prédécesseur, nous avons obtenu une autonomie budgétaire accrue dans le cadre du nouveau contrat d'objectifs et de moyens.

Cela signifie notamment que le Louvre conserve depuis le 1er janvier 2004 l'intégralité de ses droits d'entrée.

Remettre le public au cœur des préoccupations du musée constitue l'une de vos priorités. N'est-ce pas une évidence ?

C'est une évidence qu'il est bon de rappeler. Pendant très longtemps, le contact avec le public a été considéré comme un problème à résoudre plutôt qu'une préoccupation fondamentale. Cette passivité vis-à-vis des visiteurs a aujourd'hui cédé la place à lérieuse nécessité de rendre accessible un musée dont l'image apparaît encore intimidante, voire rebutante, aux yeux de la grande majorité de nos concitoyens. C'est pourquoi il faut faire mieux partager, comprendre et apprécier les collections à nos 6 millions de visiteurs. Mais le musée est également appelé à jouer un rôle social en matière d'éducation et d'intégration. Ainsi, l'enseignement de l'histoire de l'art passe de plus en plus par le musée. Et la création, depuis le 1er août 2003, du département des Arts de l'Islam participe de la reconnaissance de cette civilisation dans une France multiculturelle.

Ce recentrage sur le public conduit-il à revoir la gestion des personnels ?

Il a des répercussions importantes, comme en témoigne la réflexion menée autour du projet « pyramide ». Après quinze ans de bons et loyaux services, ce lieu magnifique ressemble davantage à un hall de gare qu'à un lieu d'accueil et d'information pour les visiteurs. Il est aussi synonyme de stress et de conditions de travail difficiles pour les personnels. Par-delà la refonte spatiale du lieu, nous sommes donc conduits à réfléchir à l'évolution du métier des agents d'accueil et de surveillance qui y travaillent.

Pourquoi avez-vous chamboulé l'organigramme du Louvre ?

À mon arrivée, j'ai été effrayé par l'éparpillement de mes interlocuteurs. Aux côtés des sept grands départements de conservation dont l'organisation remonte au XIXe siècle, le Louvre comprenait de très nombreux services de taille et de vocation diverses. Il fallait donc simplifier et décloisonner cet empilement pour le rendre plus lisible. Mais l'adoption de ce nouvel organigramme a surtout permis de répondre aux priorités que nous nous étions assignées, comme l'illustre la création de la direction des publics.

Comment êtes-vous parvenu à conclure avec les syndicats un accord de prévention des conflits ?

Ce volet important du projet social qui ne remet pas du tout en cause le droit de grève traduit la volonté d'affirmer la continuité du service public en évitant que les visiteurs ne soient pris en otage par moins de 5 % du personnel gréviste. Pour y parvenir, nous nous sommes engagés à nouer avec nos organisations syndicales un dialogue sans délai à leur demande et sur tout sujet. Vécu non pas comme une concession mais comme un mode normal de fonctionnement, cet engagement de dialogue a été préféré à la création d'un mécanisme d'alarme sociale rejeté par nos interlocuteurs syndicaux, au regard du très faible nombre de préavis de grève déposés ces dernières années. La négociation de ce projet social a été très importante car elle a permis d'instaurer un dialogue d'une qualité et d'une richesse sans comparaison avec le jeu de rôle traditionnel et inopérant qui existait précédemment entre la direction du musée et les syndicats. La présence d'organisations structurées et responsables constitue un facteur de progrès extrêmement important. Même Sud, qui n'a finalement pas signé le projet social, a participé sans hostilité à la démarche.

En contrepartie, vous avez imposé un retour à la règle ?

Nous avons réaffirmé ce retour à la règle qui vaut pour les horaires, le port de la tenue et la discipline. Ce rappel n'est pas mal vécu par les signataires du projet social car il participe de l'art de vivre ensemble.

Qu'attendez-vous du dialogue ainsi noué ?

Pour qu'un projet culturel fonctionne, tout le monde doit en partager les ambitions. En ce qui me concerne, je me refuse à limiter mon rôle au scientifique et à isoler les ressources humaines et les relations sociales. Ces dernières s'inscrivent au cœur du projet du musée. C'est pourquoi il nous paraissait essentiel que le contrat d'objectifs et de moyens ne soit pas qu'un projet financier mais aussi un programme scientifique, un projet en direction des publics et un projet social.

Certains vous reprochent d'avoir conduit ces réformes un peu trop rapidement…

Les réformes étaient indispensables pour gérer correctement cette maison et je n'ai aucun regret quant à la rapidité avec laquelle je les ai conduites. En dehors de quelques points de détail à rediscuter, ces réformes structurelles sont aujourd'hui réalisées. Nous atteignons donc une période de pause qui va nous permettre de nous atteler à la réalisation des principaux projets partagés que nous nous sommes fixés, comme la refonte des espaces sous pyramide, la création du département des Arts de l'Islam, ou encore l'ouverture d'une antenne du Louvre en région.

De quelle autonomie disposez-vous en matière salariale ?

Nous avons refondu le système de rémunération des contractuels afin de le rendre cohérent avec celui des titulaires. S'agissant des fonctionnaires, nous avons obtenu l'agrément de la tutelle pour le projet de repyramidage de la filière accueil et surveillance, intégralement autofinancé. Cela devrait nous permettre de réévaluer la rémunération des nombreux agents de catégorie C en situation d'encadrement.

Quid de la rémunération au mérite ?

Notre système d'évaluation permet de prendre davantage en compte la fonction et les responsabilités exercées dans l'attribution des primes. De même, les propositions d'avancement tiennent désormais compte de la notation.

Quel mode d'emploi de la réforme tirez-vous de cette expérience ?

Il faut aller vite, être juste et prouver aux personnels que vous ne réformez pas pour le plaisir de réformer mais par nécessité pour atteindre des buts partagés avec le personnel. L'état a trop souvent le tort de ne pas montrer en quoi ces réformes sont inéluctables. Il faut leur donner du sens en les inscrivant dans un projet global d'établissement. La réforme suscitant toujours beaucoup de crainte, il s'agit enfin de montrer qu'elle n'est pas si aventureuse qu'il y paraît : le nouveau mode de gestion du Louvre est ainsi comparable à celui déjà adopté par tous les grands musées du monde.

Croyez-vous au grand soir de la réforme de l'état ?

Au regard des particularités de chaque administration, je crois plus aux avancées que l'on peut conduire sur le terrain. Si elle ne saurait être généralisée, y compris à l'ensemble des musées, l'expérience du Louvre montre que la réforme est possible, même dans un contexte socialement difficile.

A posteriori, que pensez-vous des 35 heures ?

Par-delà la multiplicité des problèmes à résoudre, les 35 heures ont été bénéfiques, en nous donnant l'occasion de rediscuter des missions et du temps de travail effectif. Cela nous a permis d'aménager le temps de travail de façon que les personnels travaillent mieux et parfois plus. Mais le badgeage ayant été généralisé, les 35 heures ont sans doute été mal vécues par les catégories qui se donnaient sans compter. Une chose est sûre : nous ne sommes pas demandeurs pour remettre cette négociation sur le métier…

Propos recueillis par Denis Boissard, Jean-Paul Coulange et Valérie Devillechabrolle

Auteur

  • Valérie Devillechabrolle