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Repères

Un déplorable imbroglio

Repères | publié le : 01.06.2004 | Denis Boissard

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Un déplorable imbroglio

Crédit photo Denis Boissard

Mauvaise passe pour les gestionnaires de l'assurance chômage. Sanctionnés par les tribunaux, invalidés via le Conseil d'État, contestés par les intermittents, désavoués par le gouvernement, les voilà sommés de faire amende honorable en revenant sur leurs mesures d'économies, alors que l'Unedic enregistre un déficit abyssal de 7 milliards d'euros. Une fois de plus, l'intervention désordonnée, non coopérative, des acteurs du social, chacun tirant à hue et à dia, les juges arbitrant en bout de course les compromis alambiqués passés entre les partenaires sociaux, puis entre ceux-ci et les pouvoirs publics, conduit à une situation inextricable et, en l'espèce, calamiteuse.

Désastreuse d'abord pour les comptes du régime

Non seulement l'impasse financière de l'Unedic n'est pas réglée, mais elle est potentiellement aggravée : la réintégration des chômeurs « recalculés » est financée par un report, et non une annulation, d'une créance de l'État. Pitoyable aussi pour les recalculés. Leur succès est une victoire à la Pyrrhus : il eût mieux valu pour eux que le Pare fonctionne efficacement, plutôt que d'être encore – après deux ans au chômage – dans les listings de l'ANPE. Catastrophique enfin pour l'avenir du syndicalisme réformiste. La CFDT, la confédération la plus allante dans la négociation sur les sujets sensibles, est durement prise à contre-pied. Pis, ce sont les plus féroces détracteurs de la ligne qu'elle porte – des associations de chômeurs (faux nez de l'extrême gauche et de cégétistes orthodoxes) et, au-delà, la mouvance radicale – qui se voient confortés dans leur combat contestataire. Gageons que les organisations réformistes y regarderont à deux fois avant de s'engager dans des compromis difficiles… quitte à laisser l'État reprendre la main sur les dossiers sociaux.

Comment en est-on arrivé là ?

Les partenaires sociaux avaient en 2000 échafaudé un échange subtil dans lequel les chômeurs bénéficiaient à la fois d'un appui personnalisé à leur recherche d'emploi et de la non-dégressivité de leur allocation, en contrepartie de l'engagement d'accueillir favorablement les propositions d'embauche correspondant à leurs compétences et qualification, un refus réitéré pouvant être sanctionné par une suspension, puis une interruption de leur indemnisation. Mais cet équilibre intelligent entre droits et devoirs des chômeurs ne verra jamais le jour. Alors en guerre avec le Medef sur les 35 heures, le gouvernement Jospin utilisera l'arme de l'agrément de la convention d'assurance chômage pour, après six mois de guérilla, contraindre les signataires à revoir leur copie. Résultat : alors que le document du Pare signé par le chômeur comporte formellement des engagements réciproques (ce qui permettra au TGI de Marseille d'estimer qu'il s'agit d'un contrat), l'Unedic se verra privé de tout pouvoir de sanction. Et aucun mécanisme n'incitera les chômeurs à rechercher rapidement un emploi, la dégressivité des allocations – mesure efficace, les statistiques montrant que chaque franchissement de palier se traduit par une accélération des sorties du chômage – ayant été abandonnée.

De leur côté, les partenaires sociaux se sont conduits en bien piètres gestionnaires. Comme lors de chaque embellie économique, ils ont amélioré les prestations et diminué les cotisations. Effet de ciseaux garanti dès le premier retournement de conjoncture : les dépenses s'envolent, alors que les recettes diminuent. D'où la décision prise par les mêmes fin 2002, en pleine envolée du chômage, de réduire la durée d'indemnisation des chômeurs. Autre erreur : la mesure est adoptée sans véritable concertation avec l'État. Or tout durcissement des conditions d'indemnisation par l'Unedic se répercute – par un effet de déversoir – sur le régime de solidarité financé par l'impôt. Ce qui conduira le gouvernement, pour éviter que l'arrivée des recalculés ne grève trop fortement son budget, à limiter à deux ans le versement de l'ASS aux chômeurs en fin de droits.

Comment sortir de l'imbroglio,

refondre notre dispositif d'indemnisation et l'adapter au chômage de masse que nous connaissons aujourd'hui (voir aussi les contributions du « Débat », p. 12 et 13) ? D'abord, en passant à un paritarisme « à trois », ou au moins en formalisant la concertation avec l'État, dans le but à la fois d'éviter que chacun ne se repasse le mistigri de l'indemnisation et de faire en sorte que les efforts des uns et des autres pour reclasser les chômeurs soient mieux coordonnés. Ensuite, en faisant jouer à l'assurance chômage un vrai rôle d'amortisseur de crise, ce qui suppose de profiter des périodes fastes pour accumuler des réserves plutôt que de rogner sur le niveau des cotisations. Il faut aussi rétablir des incitations au retour rapide vers l'emploi, soit en revenant au mécanisme dégressif antérieur, soit en instaurant un dispositif de sanctions effectives. Il est enfin indispensable de trouver d'autres sources de financement pérennes. Par exemple en taxant plus fortement les entreprises qui licencient, ou en demandant un effort supplémentaire aux fonctionnaires. Solidarité oblige.

Auteur

  • Denis Boissard