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Politique sociale

Travailler avec des enfants… un métier de plus en plus risqué

Politique sociale | ZOOM | publié le : 01.06.2004 | Frédéric Rey

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Travailler avec des enfants… un métier de plus en plus risqué

Crédit photo Frédéric Rey

Animateurs, enseignants ou directeurs d'école sont de plus en plus fréquemment mis en cause et poursuivis pénalement pour des accidents ou des affaires de mœurs. D'où une obsession de la sécurité, frisant la paranoïa, qui les pousse à se garder de tout contact avec les enfants et à s'interdire un grand nombre d'activités ludiques ou sportives.

Est-il encore possible de tourner le dos à ses élèves ? Cette question, bien des enseignants se la posent à la suite de la condamnation en décembre 2003 d'un de leurs collègues. Les faits remontent à 1996, à la veille des vacances scolaires de Noël. Dans la salle de classe d'une école d'Épinay, des enfants de CM1 et de CM2 s'amusent par petits groupes. Dans un coin de la salle, l'instituteur prépare des pots de peinture pour une prochaine classe de neige. Brutalement, la petite Sarah quitte sa table où elle joue aux échecs, prend une chaise et monte s'asseoir sur le bord de la fenêtre restée ouverte après la récréation. La fillette perd l'équilibre et tombe 8 mètres plus bas. La chute sera fatale et l'affaire portée devant les tribunaux par les parents. Mais alors que le procureur avait requis la relaxe, le tribunal correctionnel de Bobigny a reconnu l'enseignant coupable d'homicide involontaire et l'a condamné à cinq mois de prison avec sursis ainsi qu'au versement de 120 000 euros de dommages et intérêts aux parents.

Si des accidents dramatiques comme celui-ci, ou comme cette noyade collective lors d'une sortie scolaire sur le Drac ou la mort d'un collégien de l'Essonne écrasé par une cage de handball restent rares, en revanche, les familles n'hésitent plus à poursuivre en justice les professeurs ou chefs d'établissement accusés de négligence, d'imprudence ou de défaut de surveillance. À la moindre blessure, même bénigne, d'un élève de lycée professionnel en atelier, la responsabilité pénale des enseignants est désormais engagée. Selon les statistiques de la Fédération des autonomes de solidarité (FAS), fédération d'associations qui couvre les responsabilités des enseignants par le biais d'une mutuelle d'assurance, les sommes affectées à la défense juridique sont passées au cours des dix dernières années de 109 000 euros à plus de 780 000 euros. « L'école n'est plus ce sanctuaire préservé, précise Alain Aymonier, président de la FAS. On voit même des parents solliciter les services d'un avocat pour défendre leur enfant devant le conseil de discipline. »

Risque zéro exigé

Cette judiciarisation n'est pas propre à l'école. En 2000, un guide de haute montagne a été condamné à deux ans de prison avec sursis à la suite du décès de plusieurs collégiens emportés par une avalanche. Le tribunal a reproché au guide son erreur d'appréciation. L'UCPA, organisatrice du séjour, a été également sanctionnée et condamnée à payer d'importants dommages et intérêts. « L'exigence du risque zéro et cette judiciarisation sont un mouvement général et progressif de la société, il faut désormais trouver un coupable pour l'inculper », souligne Gilbert Castelli, professeur des écoles dans les Alpes-Maritimes et membre du secrétariat national du Snuipp, principal syndicat d'enseignants du premier degré.

Face à ces risques de procès, les professionnels en relation avec des enfants cherchent de plus en plus à se mettre à l'abri en invoquant un principe de précaution. « Dans les centres de vacances pour enfants, certaines activités ont parfois été complètement éliminées, parce que jugées trop dangereuses, comme l'escalade ou le canoë-kayak », constate François Chobeaux, du Cemea, un organisme de formation des personnels de centres de loisirs. À Palaiseau, les professeurs d'éducation physique et sportive ont refusé durant toute une année d'utiliser le gymnase proche de leur établissement. Un an plus tôt, un collégien était tombé dans le coma après avoir glissé sur une flaque d'eau provoquée par une fuite. Les enseignants n'ont consenti à y retourner qu'une fois prise toute une série de précautions, après qu'ils eurent réclamé des mesures allant bien au-delà de la réglementation.

Plus de gâteau d'anniversaire
Après le décès d'un groupe d'enfants dans une avalanche en 2000, leur guide, Daniel Forte, est condamné à de la prison avec sursis.TSCHAEN/SIPA PRESS

« Il existe un vrai climat d'autocensure, regrette Laurent Ott, directeur d'une école primaire à Long jumeau. Cette obsession de la sécurité frise parfois le délire. Des instituteurs refusent de servir à l'école les gâteaux préparés par les familles pour l'anniversaire de leur enfant par peur d'allergie ou d'intoxication alimentaire. Cela même si aucun texte ne fixe une telle interdiction. » Au centre de loisirs de Palaiseau, un projet de réorganisation des horaires s'est heurté au refus de l'équipe d'encadrement. « Le problème était lié à la présence d'adultes, explique le député maire François Lamy, les animateurs refusant de rester seuls pour assurer la surveillance des enfants. »

Cette judiciarisation n'épargne pas les directeurs d'établissement qui endossent un grand nombre de responsabilités. En 1999, la directrice d'une école primaire à Calvi est mise en cause par des parents parce que leur enfant s'est cassé le fémur droit en tombant d'une cabane en rondins. « 70 % des directrices et directeurs d'école n'ont aucune décharge de service, explique Gilbert Castelli. Ils font classe à temps plein et effectuent leur travail administratif une fois que les élèves ont quitté l'école, après avoir effectué les corrections de la journée et préparé les séances du lendemain. Comment peuvent-ils concrètement exercer toutes les responsabilités liées à leur fonction ? »

Les conditions d'exercice de ces emplois de direction n'attirent plus beaucoup les candidats. « Je constate que beaucoup d'enseignants se détournent des postes d'encadrement, abonde Jean-Daniel Roque, proviseur de la cité scolaire Hoche de Versailles et membre du Syndicat national des personnels de direction de l'Éducation nationale. Pour les séjours à la neige, par exemple, nous sommes censés aller vérifier sur place les conditions d'accueil des jeunes. Notre travail est de plus en plus absorbé par ces tâches administratives et de respect de la réglementation, mais nous ne pouvons pas tout maîtriser. »

Ces risques professionnels ne se limitent d'ailleurs plus seulement aux conditions de sécurité. Depuis l'affaire Dutroux, l'Éducation nationale a été ébranlée par des affaires de mœurs mettant en cause des enseignants. Certains cas étaient bien réels mais beaucoup d'autres se sont révélés faux.

Dans la période comprise entre 1995 et 2003, la Fédération des autonomes de solidarité a recensé en moyenne entre 80 et 100 cas d'accusation de personnel par an. « Mais un peu plus de 70 % des dossiers sont classés sans suite ou font l'objet d'un non-lieu », précise Alain Aymonier, président de cette fédération. Dans un de ses bulletins de liaison, la FAS met en garde ses adhérents de façon très alarmiste : « Gardez vos distances ! Chacun à sa place ! Aujourd'hui, il y a un risque certain à tout contact physique avec les élèves dont on a la surveillance. Passe pour le tutoiement ! Mais finissons-en avec la bise et le danger du frôlement, avec tout geste dont l'interprétation pourrait être équivoque. Attention : au contact des élèves, vous pratiquez un métier à risque ! »

Des cas longtemps étouffés

Pour Antoine, instituteur en Savoie, comme pour beaucoup d'autres enseignants, certaines précautions sont désormais inévitables, comme le refus de rester seul avec un enfant : « Si, avec la classe, je prépare un spectacle et qu'il y a essayage des costumes par les enfants, je laisse systématiquement la porte ouverte pour pouvoir toujours être vu par quelqu'un d'autre. Autre exemple : si, lors d'un séjour, un enfant pleure le soir dans son lit, je ne le consolerai qu'en présence d'un autre adulte. » Peu de professeurs prendront aujourd'hui le risque d'avoir un enfant assis sur leurs genoux. « L'Éducation nationale a sa part de responsabilité, estime Roger Crucq, trésorier de la Fédération des autonomes de solidarité. Pendant longtemps, ses cas de violence sexuelle ont été étouffés par l'institution. »

C'est pour briser cette loi du silence qu'en 1997 Ségolène Royal, alors ministre déléguée à l'Enseignement scolaire, a donné des instructions très précises sur les mesures à prendre. « Mais, depuis cette circulaire, des personnes se sont cru obligées de dénoncer tout et n'importe quoi en prenant les paroles d'enfants au pied de la lettre, accuse Benoît Bossard, responsable de Jamac, un collectif d'enseignants qui s'est créé pour faire prendre en compte le principe de présomption d'innocence. Il faut savoir que le moindre propos d'un enfant ou d'un adolescent donne lieu à un signalement au procureur de la République. » Les responsables qui ne se plieraient pas à cette obligation de dénonciation courent des risques importants. Ainsi, à Strasbourg, le directeur d'un foyer d'enfant sa été accusé d'avoir eu connaissance de mauvais traitements et de sévices sexuels infligés à plusieurs enfants par un éducateur spécialisé. « De tels comportements vont susciter des réactions de retrait professionnel ou d'« ouverture de parapluie ». Chacun va d'abord chercher à se couvrir », prévient Émeline Lacroze, du Syndicat CFDT des personnels des établissements sanitaires et sociaux.

Pour la personne mise en cause, la machine infernale s'emballe : garde à vue, perquisition, suspension de l'enseignant par l'inspection académique… « Dès qu'il y a signalement au procureur de la République, il est déjà trop tard, poursuit Benoît Bossard, du collectif Jamac ; les dégâts sont irréversibles. Certains n'ont pas supporté et se sont donné la mort. »

Lâché par sa hiérarchie

Le combat de Charles Hureau pour obtenir réparation n'est toujours pas achevé. En décembre 1996, la vie de ce professeur de sport vire au cauchemar. L'infirmière de l'établissement a recueilli des propos de collégiennes : une d'entre elles, lors d'une sortie à la piscine, se serait sentie gênée par son regard. D'autres parlent d'attouchements pendant les cours. « Il s'agissait de gestes professionnels utilisés en gymnastique pour la parade, précise Charles Hureau. Si j'avais eu accès au dossier, les accusations se seraient rapidement dégonflées, mais à cette époque où l'affaire Dutroux pesait dans les esprits, j'ai été lâché par ma hiérarchie et par l'administration. »

Au terme de l'enquête, un non-lieu est prononcé en 1998. Charles Hureau est revenu dans son établissement quelques jours avant la fin de l'année scolaire sous les applaudissements des élèves. « J'ai été complètement détruit psychologiquement par cette expérience, mais j'ai pu m'en sortir. Aujourd'hui, j'enseigne avec plus de distance en évitant tout contact physique. Et plus question de pénétrer dans les vestiaires ou les salles de douche. Je préfère encore être accusé de négligence de surveillance plutôt que de pédophilie. » Les pièces accusatrices ont été retirées de son dossier administratif. En 1999, le tribunal administratif a condamné le recteur pour prolongement abusif de suspension (quatorze mois). Mais l'Éducation nationale a fait appel.

Les profs de plus en plus exposés aux violences

Gros succès pour le colloque organisé en février 2004 par la Fédération des autonomes de solidarité (FAS), qui assiste les enseignants dans le cadre professionnel. Dans la salle de la Mutualité, plus de 500 personnes se sont réunies pour venir débattre des nouveaux risques du métier.

Bien sûr, la pénalisation des enseignants a été largement abordée, mais aussi toutes les violences dont ils sont victimes. Selon le docteur J. Mario Horenstein, psychiatre à la Mutuelle générale de l'Éducation nationale (MGEN), neuf enseignants sur dix considèrent que leur métier comporte des risques. Un sentiment largement corroboré par les statistiques de la FAS qui compte 700 000 adhérents sur un effectif global de 1,1 million de personnes dans l'Éducation nationale.

La progression la plus spectaculaire concerne les insultes et menaces proférées dans le cadre d'un établissement, qui sont passées de 200 en 1995 à 800 en 2003. 120 agressions ont été comptabilisées en 1995, 280 en 2003. Les victimes sont à plus de 90 % des enseignants. « Nous avons eu affaire à des cas dramatiques, souligne Alain Aymonier, président de la FAS, comme ce professeur d'anglais qui a été battu à mort en 1996 dans les rues de Dax par un ancien élève et deux autres jeunes. »

La diffamation est aussi en progression avec l'apparition de nouvelles formes de calomnie sur Internet. « Nous avons été alertés sur des problèmes d'un type nouveau, poursuit Alain Aymonier : des élèves prennent discrètement en photo un enseignant grâce à leur téléphone mobile. Ils créent ensuite un site Internet où ils trafiquent l'image. Des professeurs ont eu la désagréable surprise de voir leur visage sur un corps nu en train de simuler un acte pornographique.

Malheureusement pour eux, il est carrément impossible remonter à la source afin de démasquer les auteurs. »

Auteur

  • Frédéric Rey