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Muscler méninges et zygomatiques et en appeler au feng shui

Enquête | publié le : 01.06.2004 | A. F.

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Muscler méninges et zygomatiques et en appeler au feng shui

Crédit photo A. F.

La vague « bien-être en entreprise », lancée par les défuntes start-up, avec massages minute et cours de yoga pour refaire le plein d'énergie, est devenue un marché juteux, boosté par la reconnaissance des dégâts causés par le stress. Très atypiques, les dernières méthodes nées sont peu médiatisées. Même au sein des entreprises clientes : on n'y présente pas les rigologues mais on annonce une session « détente ». On ne dit pas avoir recours au feng shui, mais plutôt à l'« aménagement intérieur »…

Place au bodybuilding neuronal

Pour refaire le plein d'énergie et gagner en efficacité, il n'y a pas que les massages minute et les séances de yoga. « Pourquoi négliger son cerveau ? En développant son efficacité mentale, on est assuré d'éviter le stress, de moins se fatiguer. Parce qu'on aura gagné en organisation, en rapidité de décision et, du coup, en confiance en soi et en adaptabilité », martèle Monique Le Poncin, 56 ans, la papesse de la gym cerveau, « sa méthode », mais aussi le titre de son best-seller (300 000 exemplaires vendus depuis 1987), traduit en neuf langues et même décliné, avec l'aide de Pierre Bellemare, en cassettes vidéo.

La mémoire serait-elle un nouvel outil de management ? Cette « femme de science », comme elle se revendique bien qu'elle ne soit pas médecin mais psychologue de formation, en est persuadée. Elle est partie en croisade contre les vieilles antiennes du genre « le développement du cerveau s'arrête à 20 ans », ou « on naît intelligent ou pas »… « L'être humain peut continuer, tout au long de sa vie, à faire progresser ses facultés mentales. C'est une découverte neurologique majeure de ces dernières années : notre cerveau est “plastique” s'il est stimulé par l'apprentissage, si on le muscle, si on renforce les connexions neuronales », souligne cette spécialiste des personnes âgées et de la maladie d'Alzheimer.

Ses techniques et discours, elle les a adaptés au monde des entreprises, ayant déjà épinglé à son tableau de chasse Paribas, Accor, le Groupe Mornay, la Générale des eaux, la Banque de France… Elle propose deux formules : un stage pour tous, basé sur les stratégies d'efficacité, et un autre destiné aux cadres sup baptisé « De la compétence à l'excellence cérébrale ». « Mais beaucoup d'exercices sont similaires. Le contenu est adapté selon les besoins des stagiaires », précise-t-elle. Les objets les plus simples, telles ces planches à dessin qu'on croirait tout droit sorties d'une classe de maternelle, servent de support. L'un des premiers exercices proposés aux salariés consiste, d'ailleurs, à mémoriser le nombre d'animaux ou de personnages qu'ils ont vus. C'est l'occasion d'amorcer, avec chacun, un « bilan de compétences cérébrales ».

Monique Le Poncin leur réserve ensuite ses fameuses techniques de mémorisation pour « économiser du temps, maîtriser la prise de parole sans note ou la synthèse rapide… ». « Je m'organise beaucoup mieux et me fatigue moins », commente ce consultant. « Je ne me sens plus submergée », renchérit Anne, 41 ans, qui a repris des études en parallèle de son travail de régisseuse de théâtre. Les cadres semblent donc satisfaits de leur passage chez Monique Le Poncin. Reste que son Institut national de recherche pour la prévention du vieillissement cérébral (INRPVC) a fait l'objet de violentes controverses en 1988 parmi les gérontologues. Dans les colonnes du journal le Monde, ils mettaient en doute les effets de la gym cerveau sur la démence sénile et pointaient des séances « ressemblant trop à du racolage »

Les énergies célestes à la rescousse

Inutile d'insister. Ce grand vainqueur des régionales ne rendra pas publiques les recettes de son succès, surtout pas l'aménagement de son QG de campagne selon les règles du feng shui. Cet art ancestral chinois réputé pour amener, là où il est appliqué, sérénité et bien-être, bref « harmoniser l'énergie des lieux avec celles des personnes s'y trouvant ou des activités s'y exerçant ». Idem pour ce responsable de magasin, pourtant convaincu d'avoir, grâce au feng shui, diminué de moitié le turnover de ses vendeurs. « La presse en a trop fait de gorges chaudes, note Ève Purdew, fondatrice en 1996 de la première école française de feng shui. Les sociétés étrangères sont plus décomplexées. » Mais, à en croire les praticiens (une centaine en France), le feng shui, qui a eu son heure de gloire dans les magazines féminins, gagne les lieux de travail. Dans tous les secteurs, et plus seulement au moment de la construction de locaux ou de l'emménagement.

« C'est une carte supplémentaire, au même titre qu'un bon DRH, si les entreprises veulent améliorer leurs relations sociales », note Marie Boyer, « feng shuiste » française. Les interventions, hier concentrées sur le bureau du patron ou du comptable, se sont élargies aux salles de réunion, « pour y favoriser la créativité », voire à un service entier. « On installera les commerciaux dans les endroits dégageant plutôt des énergies agressives », reprend Marie Boyer. Car le feng shui ne se résume pas au travail sur les formes et les couleurs. Relevé des orientations, de la date de construction, entretien avec le patron pour connaître ses besoins et sa stratégie, voire avec les employés : tel est le préalable… « pour mettre en harmonie le client avec les énergies terrestres et célestes », lâche Sarah Setton, praticienne depuis dix ans. Une précision rarement donnée : « Le dire effraie les milieux professionnels », reconnaît-elle. Inutile, en tout cas, que les entreprises recourent au feng shui quand elles sont situées près d'une centrale nucléaire ou d'une antenne téléphonique… Trop néfaste, conclut Marie Boyer : « La partie est perdue d'avance. » Les salariés d'EDF apprécieront.

Un problème ? Riez !

Une journée au vert au château de Chapeau Cornu, ses hautes tours du XIIIe siècle, ses salles habillées de boiseries, sa piscine, certes pas d'époque… Le programme s'annonçait des plus réjouissants pour la centaine de cadres de ce fabricant de seringues. Pourtant, à la fin de la matinée, beaucoup auraient bien endossé les armures, exposées dans les couloirs, pour encaisser le choc. Un vrai coup de masse d'armes : la direction venait d'annoncer la perte du principal client, représentant 70 % du chiffre d'affaires. Mais elle n'avait pas oublié son programme pour « ressouder les troupes ». L'un des fameux jeux de rôle médiévaux proposés par les propriétaires ? Non, un après-midi dédié au rire, via un parcours burlesque de six ateliers. Voilà donc les cadres enjoints de « chanter des rires » en chœur. De caricaturer leurs collègues avec un plasticien. De jouer les surréalistes, en s'essayant à l'écriture automatique. De mimer tous les personnages et objets, miroir ou pomme, de Blanche-Neige et les sept nains. De s'adonner à la « sophrologie ludique » et ses drôles d'exercices relaxants, grimaces en tête. Évidemment, ils s'étaient d'abord mis en condition avec une séance de rire collectif organisée sous les frondaisons de ce domaine lyonnais.

« Au pied des tours médiévales, ça avait un côté surréaliste », reconnaît Corinne Cosseron, fondatrice de l'École française du rire et maître d'œuvre de cet après-midi. Tout aussi surréaliste a été la scène découverte par la direction de cet Holiday Inn parisien. En avril, un client l'a sommée d'agir, exaspéré de ne pouvoir conduire son séminaire, en raison d'un voisinage trop bruyant. Et pour cause : dans la salle d'à côté, direction et client mécontent sont tombés sur Corinne Cosseron, habit de clown et cheveux colorés, entourée des salariés de l'agence Kingcom, étendus sur la moquette, déchaussés et hilares. Y compris les directrices. « Il y a eu un moment d'incrédulité, avant que le groupe ne bascule dans le rire, à force de plaisanteries et de relaxation. Il s'attendait à assister à un séminaire. Mais un mois après, tout le monde en parle encore. C'est idéal si l'on veut évacuer le stress, une colère ou une contrariété. Ou tout simplement, comme nous, prendre ensemble un moment de respiration », notent Hénia Powczer et Isabelle Wolf, les directrices à l'affût de toute recette soutenant leur projet d'entreprise « bien-être et performance ».

Rassurer des participants, souvent inhibés, reste un préalable aux séances. « Beaucoup ont peur d'être ridicules devant leurs collègues ou supérieurs hiérarchiques. Je leur rétorque qu'on sera tous ridicules. Et leur rappelle les bienfaits, médicalement connus, du rire sur la santé. Ce n'est pas le ridicule qui est dramatique, mais d'oublier de rire », renchérit Catherine Cosseron, cette Achille Zavatta en jupon de l'entreprise, qui s'inspire des pratiques du « yoga du rire » indien et souhaite réapprendre à ses clients à « rire sans raison », à se décontracter et à… être plus performants. Et de brandir une étude américaine montrant que les étudiants obtiennent, aux tests mesurant leur QI, des résultats 20 % supérieurs après avoir vu des films comiques !

« Le rire est aussi un outil de conduite du changement », affirme Yvan Aboussouan, son acolyte suisse, l'inventeur du concept du « rire bleu » (« le contraire du rire jaune »), qui est déjà intervenu chez Novartis ou Conforama. Intégrant programmation neurolinguistique et analyse transactionnelle, appuyée sur l'« observation de situations conflictuelles et hilarantes sur le lieu de travail », la méthode apprend « à communiquer sur un ton favorisant l'humour, le rire, la convivialité », résume-t-il. Du team building à la gestion des conflits, elle est évidemment déclinable en toutes circonstances. Dès septembre prochain, Corinne Cosseron et Yvan Aboussouan lanceront d'ailleurs des formations « praticien rire bleu ». Mais, pour l'instant, ils en conviennent : le management par le rire émerge à peine. « Ça ne fait pas sérieux en entreprise. »

Auteur

  • A. F.