logo Info-Social RH
Se connecter
Newsletter

Enquête

Manager par le cheval, la voix et… les bons petits plats

Enquête | publié le : 01.06.2004 | S. D. P., S.F.

Image

Manager par le cheval, la voix et… les bons petits plats

Crédit photo S. D. P., S.F.

Lequel, parmi les outils de management, remporterait le prix de l'innovation 2004 ? Eh bien les vainqueurs sont… le cheval et la cuisine pour leurs qualités de support pédagogique original destiné à renforcer la cohésion d'équipe ; et le management par la voix, organe de développement personnel infaillible pour mener ses troupes à la victoire. Une famille hippico-culino-vocale qui commence à faire parler d'elle.

Murmurer à l'oreille d'un équidé

« Lorsque je vous le dirai, vous vous rapprochez doucement de Jason et vous adapterez votre pas au sien. Vous pouvez lui caresser la crinière. Quand vous aurez réussi à caler votre allure sur la sienne, vous aurez gagné sa confiance. Vous serez alors son guide. Essayez de lui imposer votre propre rythme, par exemple le trot, vous verrez alors s'il vous suit », explique calmement Bénédicte Potier, la pédagogue équine, à la personne qui se trouve avec elle dans le manège flambant neuf. Casting pour un remake franco-français du film de Robert Redford L'homme qui murmurait à l'oreille des chevaux ? Répétition d'un spectacle de Zingaro ? Pas du tout. C'est tout simplement l'un des exercices proposés par ChevÔtissimo dans le cadre de son stage de niveau 1 intitulé « communication et management ».

Créé en juillet 2002 par Hugh et Chrystel Louwerse, des spécialistes du conseil en événementiel et communication d'entreprise passionnés d'équitation, ChevÔtissimo, installé à Escrennes, petit village du Loiret situé à une centaine de kilomètres au sud de Paris, développe un concept original et encore peu connu : le cheval au service de l'entreprise. Depuis septembre 2003, cette ancienne ferme du XVIIe siècle, entièrement restaurée et reconvertie en centre équestre qui compte 24 chevaux et poneys, accueille des managers pour des séminaires de deux jours, rythmés par des séances de travail intégrant trois méthodes : la process com – technique issue de l'analyse transactionnelle qui donne les clés pour se comprendre, comprendre son interlocuteur et instaurer une meilleure communication –, la sophrologie et l'éthologie équine, c'est-à-dire la science de l'observation du comportement du cheval dans son milieu naturel. « Le cheval et la relation dynamique sont utilisés comme outils pédagogiques pour renforcer l'impact de la process com », précise Marianne Robert de Massy, responsable pédagogique du stage. Pourquoi avoir choisi le cheval, plutôt que le chien ou le chat ? Parce que « c'est un animal extrêmement sensible qui ne triche pas. C'est un miroir. Devant un cheval, on est obligé de baisser le masque », explique Hugh Louwerse. Un simple regard, un simple geste et l'animal réagit au quart de tour. « La manière dont on se comporte avec un cheval est révélatrice de la façon dont on fonctionne avec des collaborateurs », précise Marianne Robert de Massy. Des parallèles que ChevÔtissimo se propose de décrypter.

Ici, pas question de monter. « On travaille le contact avec le cheval. Les personnes qui suivent le stage s'aperçoivent qu'on ne peut pas lui faire faire ce que l'on veut », complète Frédéric Lincker, consultant certifié de process com de la société Kahler Communication France. Et de poursuivre : « Personne ne sort du stage ridiculisé. Il n'y a pas d'échec, comme cela pouvait être le cas avec le saut à l'élastique, à la mode il y a quelques années. »

Cette expérience, six directeurs commerciaux régionaux et responsables d'équipe de Neopost France, entreprise spécialisée dans les matériels de traitement du courrier, l'ont vécue en avril dernier. Une démarche à l'initiative du directeur commercial de l'entreprise. À la suite du processus de modernisation engagé depuis maintenant trois ans dans l'entreprise, il souhaitait réfléchir avec ses collaborateurs sur le point d'équilibre à trouver entre le contrôle et l'autonomie ainsi que sur la notion de reconnaissance et de confiance au sein de l'équipe. Après avoir répondu, un mois avant le stage, à un questionnaire « permettant de faire le point sur leur motivation », explique Marianne Robert de Massy, les participants ont fait leur valise, direction Escrennes. Bilan ? « Très positif », estime Sonia Lainé, directrice régionale Ile-de-France de Neopost France. Et de préciser : « J'ai beaucoup appris avec ce stage qui était extrêmement varié et dynamique. Cela fait maintenant deux ans que nous travaillons ensemble, à raison d'une séance par mois, mais sans véritablement dialoguer. Aujourd'hui, nous avons appris à nous connaître, ce que nous n'avions jamais pris le temps de faire. Je comprends aussi mieux les réactions des uns et des autres. »

Reste maintenant à l'équipe de la direction commerciale à mettre à profit les enseignements de ce stage. Et pourquoi pas suivre à l'avenir le stage de niveau 2 proposé sur deux jours. Avec Jason, ou peut-être Obélix, un poney shetland, comme invité d'honneur.

Cuisine et dirigeance

Le management par la bonne bouffe, il fallait y penser. Didier Kahn, de DK Consulting, l'a fait. Ce coach, formateur certifié en PNL (programmation neurolinguistique), en hypnose ericksonienne et en ennéagramme (cartographie du fonctionnement des êtres humains), a eu l'intuition de s'associer à un spécialiste du développement sensoriel et de monter des formations à la cohésion d'équipes autour de la cuisine. Parmi les stages concoctés sur mesure, la préparation d'un repas par deux équipes concurrentes de six à douze personnes, dans la cuisine, louée pour l'occasion, d'un restaurant ou d'un grand hôtel parisien. « On mélange tout le monde et on voit ce qui se passe. Cela supprime toutes les barrières hiérarchiques et permet à un collaborateur de se révéler. Le plaisir facilite la communication, l'échange, la connaissance de l'autre. Qui va prendre le leadership ? Autour des fourneaux, on reconstitue un environnement d'entreprise », explique le consultant qui, en négociation avec de grands comptes, propose accessoirement aux forçats des repas d'affaires de composer des menus diététiques et de leur livrer quelques règles d'hygiène alimentaire pour garder bon pied bon œil.

Ambitieux, Didier Kahn suggère également d'établir la carte d'identité sensorielle des candidats appliquée au management. Explication : lorsqu'on déguste différents fruits, yaourts et vins, on décèle plusieurs sortes de saveurs. Jusque-là, tout va bien. Mais goûter à un plat de plus en plus épicé permet de découvrir rapidement son seuil de tolérance. « En entreprise, on ne se rend pas forcément compte que l'on fournit trop d'informations, que l'autre montre des signes d'impatience, qu'il a atteint son seuil de tolérance. La nourriture est une excellente métaphore olfactive, visuelle et gustative pour décrypter des comportements. » Soit.

Les bons petits plats au secours des boîtes, Daniel Lartet, cet ancien directeur général adjoint de Caterpillar et ex-directeur financier d'une filiale de Valeo, y a aussi pensé. « Les salariés sont de plus en plus soumis au stress. Ils vivent quotidiennement des situations où ils doivent faire tout et son contraire. » Reconverti en créateur d'entreprise, à la tête de Gourmandise et Délice de France, il vient de lancer la mode du Wine & Cheese Party, marque dont il est dépositaire. L'objectif ? Créer du lien social dans les entreprises. Le principe est simple et volontiers comestible. Il s'agit de se faire livrer des coffrets de vins et de fromages de qualité avec petits pains de campagne, vrais verres – haro sur le plastique ! – et véritable laguiole pour découper le livarot. Ensuite, dégustation d'un comté réserve ou d'une fourme d'Ambert dans un ordre précis à marier avec un saint-émilion grand cru. Jean-Paul Chaudron, président de la CCI d'Ile-de-France et P-DG de Mecanobloc, assure que les participants « en ont redemandé ». Pour autant, munsteretgewurztraminer peuvent-ils galvaniser les troupes et gommer les problèmes de l'entreprise ? « Nous n'avons pas cette prétention », souligne, modeste, Daniel Lartet, plutôt soucieux d'introduire un peu d'art de vivre dans les sociétés arrimées aux macédoines de légumes et jambon froid des plateaux-repas de la salle de réunion du cinquième étage.

Très tendance 2004, l'univers culinaire semble un support idoine pour, a minima, mieux manger qu'à la cantine, au mieux, comprendre les ressorts managériaux. Et la vague des chefs d'orchestre et autres piliers de rugby très demandés en entreprise pour livrer leur vision du collectif s'enrichit d'œnologues et de cuisiniers. Si, cette année, « on a même vu Alain Ducasse intervenir chez Total », assure un consultant qui sent poindre la tendance grands chefs, ce n'est certainement pas pour expliquer comment réussir la sole de petit bateau florentine et les écrevisses cardinalisées sur une plate-forme offshore.

Trouve ta voix, petit scarabée

Son truc à lui, c'est le « hara ». Une technique ancestrale japonaise, un point G vital, situé juste sous le nombril, là où les samouraïs enfonçaient leur sabre pour un hara-kiri final. Mais Serge Wilfart est beaucoup moins belliqueux que ses inspirateurs et le hara lui sert surtout à améliorer la voix de ses stagiaires, à leur réapprendre à respirer, à maîtriser leurs émotions ou à capter un auditoire, moyennant 1 300 euros. Ces sessions sont organisées à la demande pour des groupes de 10 personnes, partout en France. Elles durent deux jours et demi pendant lesquels tout est fait pour retrouver son timbre originel. Ex-chanteur lyrique belge devenu professeur de chant au conservatoire de Roubaix, Serge Wilfart a senti la tendance émergente il y a quelques années déjà. De toutes les techniques de management ressassées dans les centres de formation, on en avait oublié une, essentielle pourtant : la voix, le plus vieil outil de communication qui soit, celui qui séduit, donne des ordres, négocie, remercie ou congédie.

Un organe qu'on pense rarement à perfectionner. Renaud Sassi, P-DG de Vitalicom, un groupe qui gère des centres d'appels à travers toute l'Europe, pas davantage qu'un autre. De prime abord, l'homme n'a pas l'assurance du cadre très supérieur dirigeant 1 500 personnes, ni un charismederockstar. Mais lorsqu'il prend la parole en public les discussions s'arrêtent et l'auditoire est tout ouïe. « Avant, je rentrais en réunion en apnée. Maintenant, je sais respirer et faire des pauses. » Ce qu'un stage avec Wilfart lui a apporté ? « Il n'a pas changé ma voix : il l'a stabilisée. J'ai enfin une ventilation qui m'évite de grimper dans les aigus à chaque perturbation. J'ai gagné en autorité naturelle et ça s'entend. » Car, selon son coach vocal, les étranges contorsions proposées aux stagiaires leur permettent de prendre conscience de leurs blocages.

« Je démonte les tensions qui enrayent le système. Je leur donne la clé, mais ce sont eux qui agissent. » Agenouillé, mains au sol et la tête en arrière, l'élève soulève son bassin et lit un texte dans cette position. Ou debout, le bras gauche levé, la tête droite, il doit, comme s'il était face à une grande salle, parler pour être entendu du dernier rang. Raté ! La voix monte dans les aigus mais ne porte pas. Serge Wilfart intervient : il montre où relâcher les points de tension, dans le cou et la mâchoire, désigne l'endroit du ventre où chercher son souffle et pointe des endroits de la colonne d'air où ressentir des vibrations. Au bout de quelques tentatives, ça y est : une voix plus ample, plus sonore et plus grave retentit. Le dernier rang applaudit. « Il ne sait pas comment il a fait mais son corps, lui, a mémorisé. Après, il faut entretenir cette mémoire », sourit Serge Wilfart.

La méthode semble mêler allégrement les techniques pour former une curieuse mixture de relaxation, psychanalyse et sophrologie. Reste que les cadres rencontrés sont ravis de l'expérience. Et sont tous convaincus de l'influence du stress, de l'émotion et de la tension intérieure sur leurs cordes vocales. Mais ce succès ne touche qu'une clientèle très particulière : celle des cadres dirigeants, très majoritairement masculine. « Normal, explique une psychologue spécialisée dans la gestion du stress, les femmes vont beaucoup plus facilement chez les vrais psys. Or, dans ces stages, on fait une forme d'analyse sans les mots, ce qui arrange pas mal ces messieurs… » Quant à l'élitisme de ce genre de séances, il s'expliquerait, lui aussi, par cette approche intime. « C'est délicat d'y envoyer des cadres en groupe comme on peut le faire pour n'importe quelle formation au management, hésite Emmanuel Faber, DG des affaires financières du Groupe Danone, qui a assisté à deux séances de travail. Il doit s'agir d'une démarche personnelle. Car la voix a gardé des traces de ce qu'on a vécu. On touche à des choses très privées. »

Auteur

  • S. D. P., S.F.