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Philippe Kourilsky inocule le gène du privé à l'Institut Pasteur

Vie des entreprises | METHODE | publié le : 01.05.2004 | Stéphane Béchaux

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Philippe Kourilsky inocule le gène du privé à l'Institut Pasteur

Crédit photo Stéphane Béchaux

Labo d'essai pour la recherche française ? Depuis quatre ans, le vénérable institut est le théâtre d'une révolution. Rémunération au mérite, évaluation plus rigoureuse, compétition entre les équipes… Philippe Kourilsky insuffle à Pasteur une culture entrepreneuriale qui n'a pas que des adeptes.

« Du Nerf ! » Publié à la mi-mars, au plus fort de la crise des chercheurs, le manifeste signé par quatre éminents scientifiques, dont deux Prix Nobel, visant à « donner un Nouvel Essor à la Recherche Française », a suscité bien des commentaires dans les labos de l'Institut Pasteur. Et pour cause. Pôles d'excellence, évaluations au mérite, élargissement des échelles de salaires… Quelques-unes des mesures phares contenues dans ce mini-Livre blanc ont déjà trouvé un début d'application sur le campus parisien de la Rue du Docteur-Roux. Pas étonnant puisque l'un des artisans du texte n'est autre que Philippe Kourilsky, directeur général de l'Institut Pasteur depuis le 1er janvier 2000. Nommé pour six ans, ce polytechnicien de 61 ans était donné partant, le mois dernier, par certains « Pasteuriens » qui voyaient en lui un possible successeur de Claudie Haigneré au ministère de la Recherche. « On voit l'Institut Pasteur comme un labo d'essai pour la réforme de la recherche publique », justifie Catherine Fitting, secrétaire générale du Spip, le premier syndicat de la maison. Il est vrai qu'en l'espace de quatre ans cet immunologiste, professeur au Collège de France et membre de l'Académie des sciences, a fait souffler un vent nouveau sur une institution plus que centenaire.

1 INOCULER UNE CULTURE ENTREPRENEURIALE

« Pasteur privatisé ? » Placardée dans le local de la CGT, où on s'interroge sur les dérives mercantiles de l'Institut, l'affiche détonne. Car l'honorable maison n'a jamais bénéficié d'un quelconque statut public. Depuis sa création, en 1887, par l'inventeur du vaccin contre la rage, l'Institut est une fondation de droit privé. « On est une boîte privée mais, jusqu'à maintenant, personne ne le savait », résume Roland Nageotte, un ingénieur arrivé en 1971. Une entreprise d'un genre un peu particulier tout de même : le revenu de ses activités propres (brevets, ventes et prestations de services) ne représente que 40 % des 190 millions d'euros de budget. Le reste provient, à parts quasi égales, de fonds publics – en stagnation – et du mécénat.

Autre particularité : entre chercheurs du CNRS, de l'Inserm, universitaires, thésards, et postdoctorants… plus du tiers des 2 500 personnes qui fréquentent le campus du XVe arrondissement ne sont pas régies par l'accord d'entreprise. Quant aux 130 laboratoires et unités de recherche, une grande majorité fonctionne en partenariat avec le CNRS, l'Inserm, voire l'hôpital Necker. Conséquence logique, « le fonctionnement, les mentalités et l'organisation de Pasteur étaient calqués sur ceux des grands organismes publics de recherche », explique le nouveau DRH, Dominique Jolivet.

De cette culture « fonction publique », Philippe Kourilsky a décidé de faire table rase. Contrairement à son prédécesseur, Maxime Schwartz, il possède une vraie connaissance des milieux industriels : il a dirigé, de 1992 à 1995, la recherche du laboratoire pharmaceutique Pasteur Mérieux Connaught. Pour insuffler une vision plus entrepreneuriale dans la maison, il renouvelle complètement l'équipe de direction, en débauchant notamment des cadres dirigeants issus de l'industrie pharmaceutique. De la direction juridique à celle de la valorisation et des partenariats industriels, de la direction de la communication à celle des ressources humaines, la plupart des postes clés sont aujourd'hui tenus par des anciens de Sanofi, Roussel Uclaf ou Pasteur Mérieux Connaught. Une révolution Rue du Docteur-Roux, où la bonne marche de l'établissement était le plus souvent affaire de Pasteuriens sortant temporairement de leurs laboratoires pour se mettre au service de la collectivité.

Une gestion quasi familiale, souvent décriée. « Depuis Jacques Monod [directeur de 1971 à 1976], les postes de direction n'étaient qu'une affaire de consanguinité. Demander à des chercheurs sans aucune connaissance managériale de s'occuper d'un institut, c'est une erreur », estime Roland Nageotte, de la CFTC, qui a siégé pendant dix-huit ans au conseil d'administration, aujourd'hui présidé par Michel Bon, l'ex-président de France Télécom. En interne, l'arrivée de la nouvelle équipe a cependant fait grincer des dents. « Quasiment tout le staff vient de l'extérieur. Les Pasteuriens se sentent dévalorisés, non reconnus », résume un professeur. Sur le campus, cette grogne se double parfois d'une crainte profonde. « La grande inquiétude du personnel, c'est qu'on mette la recherche sous la coupe des industriels en faisant de l'Institut Pasteur un simple organisme de prestation de services pour les laboratoires pharmaceutiques », explique François Traincard, ingénieur et délégué cédétiste.

2 METTRE UN TERME AU MANDARINAT

« Je me résigne, pour garder ma place et la défendre certes tant bien que mal, à produire et reproduire mon même petit article d'un congrès, d'une revue à l'autre, auquel je fais simplement subir vers la fin quelques subtiles et anodines modifications, bien accessoires. » Sous la plume acerbe de Louis-Ferdinand Céline, dans Voyage au bout de la nuit, ce portrait du Pasteurien n'est guère flatteur. Si le trait est caricatural, il n'empêche que, au dire même de responsables syndicaux, l'Institut avait besoin d'une piqûre de rappel à l'arrivée de Philippe Kourilsky. « Il y avait un certain engourdissement sur les thématiques de recherche », admet l'un d'eux. « Il fallait en sortir quelques-uns de leur léthargie. La maison ronronnait », abonde un second.

Sitôt arrivé, le nouveau patron annonce la couleur : le mandat des chefs d'unité sera limité à douze ans, et les travaux de leurs équipes feront l'objet d'une évaluation quadriennale. Une petite révolution. « On était dans un système mandarinal, avec des gens en place jusqu'à ce que mort s'ensuive. D'où une fâcheuse tendance à étouffer les jeunes talents », explique Alain Gouyette, directeur général adjoint pour les affaires scientifiques. En l'espace de quatre ans, le « passage à la moulinette » des unités et laboratoires de recherche, pour reprendre l'expression de Philippe Kourilsky, est fatal à 37 d'entre eux, sur les 108 existants. Une revue de détail implacable, à laquelle est associé le conseil scientifique de l'Institut Pasteur, plus largement ouvert à des chercheurs issus d'organismes extérieurs. Cette réévaluation se solde, aussi, par une refonte des départements scientifiques, qui regroupent les unités de recherche. Hier élus par leurs pairs, leurs directeurs sont aujourd'hui nommés par le conseil d'administration.

De nouvelles règles du jeu qui, en interne, valent à Philippe Kourilsky quelques solides inimitiés. « En pratique, les équipes vont se retrouver sur la sellette tous les quatre ans. Et on va passer notre temps à faire des rapports pour justifier du maintien de nos unités », dénonce un chef de laboratoire. Un mal auquel seraient particulièrement exposées les unités mixtes, dont les évaluations par l'Inserm ou le CNRS ne sont pas toujours synchrones avec celles de Pasteur.

Reste que la refonte de l'organisation de la recherche a fait des heureux, parmi les chefs des 26 unités « postulantes » ou les responsables des nouveaux programmes transversaux de recherche. Sans oublier les 12 chercheurs, de 32 à 40 ans, qui se sont vu confier les rênes d'un « groupe à cinq ans ». « On leur donne carte blanche pendant cinq ans pour développer leurs recherches, avec une équipe de 4 personnes. Si c'est positif, ils deviendront chefs d'unité. Sinon, on leur coupera tous les moyens », explique Alain Gouyette, directeur général adjoint pour les affaires scientifiques. À terme, la direction souhaite disposer d'un volant d'une trentaine de ces groupes. Si son budget le lui permet. Car, faute de moyens suffisants, Philippe Kourilsky a dû se résoudre à geler les recrutements de scientifiques cette année.

3 TROUVER D'AUTRES RELAIS QUE LES SYNDICATS EN PLACE

Tout juste nommé à la tête de l'Institut Pasteur, Philippe Kourilsky a dévoilé sa stratégie et ses orientations devant l'ensemble du personnel. L'examen de passage, organisé dans l'auditorium du centre d'information scientifique, fut un succès. « Il a été applaudi à tout rompre, se souvient Hubert Labrousse, ex-délégué cédétiste tout juste retraité. Il avait une cote énorme, on l'attendait comme un sauveur. » À l'époque, l'institution sortait d'une année 1999 douloureuse, marquée par la fermeture de son hôpital et par le tarissement des ressources issues de la commercialisation du vaccin contre l'hépatite B et de ses diagnostics sur le sida. Depuis, le patron des Pasteuriens a pris soin de revenir devant le personnel, tous les six mois, pour faire le point sur les dossiers chauds de l'institution et répondre aux questions. Quitte à voir ses scores à l'applaudimètre baisser. Son prédécesseur, lui, ne prenait pas cerisque, réservant les assemblées aux cadres.

Autre façon de prendre le pouls des salariés : l'organisation de petits déjeuners. Pendant ses premiers mois de mandat, Philippe Kourilsky a rencontré des secrétaires, des techniciens, des agents de laboratoire ou des assistants. Des réunions auxquelles le directeur général a aussi convié les thésards et les postdoctorants. « On a pu parler concrètement de nos difficultés sans passer par 15 strates intermédiaires », note Marie Cherrier, thésarde en quatrième année. Soucieux de mieux se faire entendre de la direction, les stagiaires de l'Institut ont constitué une association, voici deux ans. Une initiative encouragée par la direction. « Philippe Kourilsky nous a beaucoup soutenus. Il a introduit notre représentation à l'Institut Pasteur et dans les départements scientifiques », souligne Alix de La Coste, sa fondatrice.

Une bienveillance à laquelle les syndicats historiques de la maison disent ne pas avoir eu droit. « Les avis du CE ne sont jamais pris en compte. La direction a réellement choisi l'affrontement, avec une direction des ressources humaines de combat », dénonce la CFDT. Un sentiment partagé par la CGT, par le Syndicat du personnel de l'Institut Pasteur (Spip) et le Syndicat du personnel scientifique (SPS), qui n'ont toujours pas digéré que la direction se soit contentée de la signature de trois syndicats minoritaires au bas du nouvel accord d'entreprise de janvier 2003 : l'un est catégoriel (le Sycat, syndicat des cadres administratifs et techniques), les deux autres de création très récente (CFTC et AIP, Alliance indépendante des professionnels de l'Institut Pasteur). « C'est d'autant plus scandaleux que, en juillet dernier, la direction a exigé une signature quasi unanime pour avaliser ses propositions lors des négociations salariales », dit-on au Spip.

4 INDIVIDUALISER LES SALAIRES

Fini l'ancienneté, place au mérite. Entré en vigueur en mai 2003, le nouvel accord d'entreprise bouleverse les règles de rémunération de l'Institut Pasteur, instaurées en 1978. « La maison fonctionnait pour l'essentiel avec un système fondé sur l'ancienneté, devenu obsolète et complètement figé », explique Dominique Jolivet, le DRH. Calqué sur les règles de la fonction publique, à laquelle il faisait référence, le précédent accord offrait aux salariés l'assurance de changer d'échelon tous les deux ans. Une progression de salaire à l'ancienneté qui grevait, selon la direction, 80 % du budget des augmentations individuelles. « C'était un système débile. Entre un technicien qui se crevait le cul et un autre qui ronflait, il n'y avait parfois qu'un échelon d'écart au bout de quinze ans de maison », confirme un salarié. « Toute personne titularisée, qu'elle travaille bien ou mal, pouvait prévoir combien elle allait gagner en trente ans de carrière », abonde Armand Berneman, représentant au CE de l'AIP.

En 1998, déjà, les cadres administratifs et techniques s'étaient extraits du système. « On a signé un avenant qui supprimait les échelons et déplafonnait les échelles. On a retrouvé des marges de manœuvre pour augmenter les gens en fonction de leur travail », se félicite Jacques Hervier, du Sycat. Un précédent sur lequel Philippe Kourilsky s'est appuyé, en 2002, pour vendre aux syndicats son projet – contesté – d'augmenter l'ensemble du personnel au mérite. « On va récompenser ceux qui se mettent du côté du manche », assène un professeur. « Que doit faire un agent de laboratoire pour être plus méritant ? Nettoyer trois éprouvettes de plus ? Passer deux fois la serpillière ? » s'interroge Catherine Fitting, du Syndicat du personnel de l'Institut Pasteur.

Le nouvel accord d'entreprise simplifie considérablement les grilles de classification, qui ne comportent plus désormais qu'une rémunération plancher. Sauf pour les boursiers et les chercheurs contractuels, qui ne peuvent toucher plus de 2 484 euros mensuels. Pour les autres catégories de chercheurs, payés sur quatorze mois environ, les minima s'affichent à 2 088 euros pour les assistants, 2 484 euros pour les chargés de recherche, 2 952 euros pour les chefs de laboratoire et 3 685 euros pour les chefs de service et les professeurs. Les plafonds, eux, ont disparu. Conséquence, la direction a retrouvé quelques marges financières pour récompenser ceux qu'elle juge les plus méritants et tenter d'attirer les meilleurs. Un sacré défi, au vu des salaires pratiqués aux États-Unis, en Suisse ou en Grande-Bretagne. « Pour les jeunes, on arrive à s'inscrire dans la compétition internationale. Pour les chercheurs confirmés, c'est beaucoup plus dur », confie Alain Gouyette, directeur général adjoint pour les affaires scientifiques.

Autre révolution, la disparition du supplément familial, dont les Pasteuriens bénéficiaient comme les agents de l'État. « Nos collaborateurs n'ont pas à être augmentés parce qu'ils font des enfants », justifie le DRH. Pour la direction, la mesure était un gouffre. Un employé touchait environ 70 euros par mois pour deux enfants à charge, 170 euros pour trois enfants. Le supplément étant proportionnel à la rémunération (3 % pour deux enfants, 8 % pour trois), un cadre gagnait davantage. Avec le nouvel accord d'entreprise, qui prévoit des primes de naissance forfaitaires de 1 000 euros, les salariés n'ont pas tout perdu. La direction a, aussi, proposé aux anciens de leur racheter les droits acquis. Avec, à la clé, des chèques pouvant atteindre plusieurs dizaines de milliers d'euros, sur lesquels se sont rués les nombreux salariés dont le conjoint fonctionnaire pouvait bénéficier du supplément familial. « Au final, ce sont les contribuables qui paient les réformes de la direction », critique la CFDT.

5 TORDRE LE COU À L'ÉVALUATION PAR LES PAIRS

« Ne votez pas pour moi ! » Tel est l'état d'esprit dans lequel bon nombre de Pasteuriens abordaient les élections aux commissions de promotion. Un scrutin par collège, bisannuel, auquel tout salarié était candidat d'office. « C'était un système transparent. La direction affichait la liste des promus », explique Hubert Labrousse, un ancien délégué cédétiste. Sauf que le système était lourd à gérer. « Ça coûtait l'équivalent de 20 temps plein chaque année », affirme Alain Gouyette. Autre reproche, la probabilité d'obtenir un changement de catégorie dépendait directement de la verve et de la motivation du rapporteur chargé du dossier. « C'était un devoir de Pasteurien de participer aux instances. Mais, dans les faits, certains se retrouvaient dans les jurys contre leur gré », souligne Roland Nageotte.

Depuis l'an dernier, la donne a changé. Il appartient désormais aux chefs de service de défendre les demandes de leurs collaborateurs. Une démarche qui a redonné du sens aux entretiens annuels d'évaluation. « Il y a une plus forte implication de la hiérarchie, notamment scientifique, qui doit faire des arbitrages entre ses personnels », note le DRH. « C'est plus exigeant en matière de management. On ne peut plus se réfugier derrière des décisions prises par d'autres », abonde Pierre Marmonnier (Sycat). Désormais constituées de Pasteuriens choisis par la direction, les nouvelles commissions de promotion ne classent plus les dossiers par ordre de préférence : elles se contentent d'émettre des avis. « Les dossiers sont évalués de façon très consensuelle. Dans la grande majorité des cas, la direction nous suit », assure Armand Berneman, de l'AIP. À la CFDT, en revanche, on se montre sceptique. « Les rigidités de fonctionnement garantissaient une certaine équité. Désormais, c'est le poids de la hiérarchie auprès de la direction qui fait la différence », explique François Traincard, ingénieur et délégué cédétiste. « Ces changements n'ont fait que créer des animosités entre les gens. Le climat social s'est vraiment détérioré », complète la CGT.

Les scientifiques ne diront pas le contraire. Attachés à leur commission de classement, composée à 100 % de Pasteuriens élus par eux-mêmes, ceux-ci ont opposé une forte résistance à Philippe Kourilsky, qui voulait ouvrir l'instance à d'autres scientifiques. « Nous tenons à l'évaluation par les pairs, pour peu qu'elle ne soit pas endogamique, justifie Alain Gouyette. Nous sommes dans un système élitaire, qui doit promouvoir les meilleurs, pas forcément en fonction de l'âge. » La direction a pourtant dû composer, comme le prouvent les tractations sans fin sur la composition et les attributions du Comesp, la nouvelle structure d'évaluation des scientifiques. Présidée par un professeur de l'Institut Pasteur, elle rassemble des chercheurs pour partie élus par leurs pairs et pour partie désignés par la direction, qui devront se prononcer sur les recrutements et les promotions. Quant au conseil scientifique, il aura son mot à dire sur les nominations des professeurs. Un circuit de décision complexe qui devrait valoir à Philippe Kourilsky quelques bras de fer avec ses « vieux grognards ».

Entretien avec Philippe Kourilsky :
« Dans beaucoup d'organismes de recherche, la gestion des ressources humaines, c'est l'Antiquité ! »

Chez les Kourilsky, la science est une affaire de famille : Raoul, le père, fut un éminent chirurgien ; François, le frère, dirigea le CNRS. Philippe Kourilsky perpétue donc la tradition familiale lorsqu'il prend, au début de l'an 2000, la direction générale de l'Institut Pasteur. Rue du Docteur-Roux, ce polytechnicien d'alors 57 ans est tout sauf un inconnu : voilà vingt ans qu'il y dirige l'unité de biologie moléculaire du gène. Parmi ses autres titres de gloire, ceux de directeur de recherche au CNRS (1983-1998), professeur au Collège de France et membre de l'Institut. Une carrière scientifique marquée, aussi, par des expériences industrielles. Directeur de recherche du laboratoire pharmaceutique Pasteur Mérieux Connaught (1993-1995), Philippe Kourilsky est, depuis l'an dernier, administrateur de Veolia Environnement.

Quel a été votre diagnostic à votre arrivée à la tête de l'Institut Pasteur ?

On manquait de sang neuf. Les chefs d'unité étaient pratiquement nommés à vie. Résultat, les jeunes étouffaient dans des structures qui n'offraient pas assez de capacités de rotation. À 40 ou 50 ans, certains étaient toujours sous la houlette du même chef d'unité, qui les avait embauchés quinze ans auparavant. Quelques-uns trouvaient cela sans doute très confortable. Mais d'autres aspiraient à prendre des responsabilités. Il fallait donc diminuer le poids de la « séniorité »

L'Institut Pasteur a pourtant toujours été une fondation de droit privé…

Oui, mais la souplesse que lui offrait son statut n'avait jamais été vraiment utilisée. L'Institut Pasteur s'était calqué par commodité sur le fonctionnement du CNRS qui, il y a quarante ans, était un organisme fantastique. Quand la puissance publique décidait d'une augmentation des salaires de 1,72 %, on faisait aussi 1,72 %. Pendant longtemps, le système a semblé légitime. Mais il est devenu complètement ingérable dans un contexte de compétition internationale. Calquer l'avenir de l'Institut Pasteur sur les organismes publics de recherche, c'était bloquer son évolution.

Quel remède avez-vous appliqué à l'organisme ?

On a instauré la règle des douze ans. Au bout de douze années d'existence, toute unité de recherche doit être recréée si elle veut continuer ses travaux. Mais, auparavant, elle est mise en compétition avec les autres projets. Ça évite les rentes de situation. Comme ça n'avait jamais été fait, il a fallu passer plus du tiers des unités au crible. Un exercice qui n'a pas fait plaisir à tout le monde.

Avez-vous pu donner des responsabilités à de jeunes chercheurs ?

Oui, par l'intermédiaire des « groupes à cinq ans », pour lesquels on a dégagé des moyens financiers très importants. La formule est la suivante : un jeune leader post-post-doc, cinq personnes à disposition et des moyens financiers pour faire fonctionner un labo pendant deux ans, sans nécessité de trouver immédiatement des contrats. On essaie de se caler sur un rythme de création de six groupes par an.

Comme ceux-ci ont tous l'ambition, au bout de cinq ans, de postuler comme unités de recherche, ils entreront en compétition avec les structures déjà en place. De quoi mettre une certaine pression dans le dispositif, créer de l'émulation interne.

Avez-vous des difficultés pour attirer les meilleurs jeunes chercheurs ?

Quand on fait un appel d'offres dans Nature ou Science, on reçoit à chaque fois une centaine de candidatures.

Reste, pour ceux qui passent avec succès toutes nos étapes de sélection, à négocier les conditions et le salaire. Lors de ces négociations finales, notre taux de succès est d'environ deux tiers. Le tiers d'échec ? Dans la plupart des cas, c'est parce que nos salaires sont insuffisants. On sait expérimentalement qu'on est à la limite des salaires internationaux.

En Suisse, en Grande-Bretagne, en Irlande ou aux États-Unis, les rémunérations peuvent être deux à trois fois supérieures.

D'où votre volonté de déplafonner les grilles de salaires des chercheurs…

Avant la renégociation de l'accord d'entreprise, nos salaires étaient, en moyenne, de 10 % supérieurs à ceux du CNRS, sans compter les primes données à la plupart des chefs d'unité. Mais il était évident que c'était totalement insuffisant pour être compétitif à l'international. En déplafonnant les grilles, nous allons pouvoir étirer progressivement l'échelle des salaires, aujourd'hui beaucoup trop resserrée.

Autre cheval de bataille, la refonte du système de promotion des chercheurs…

L'évaluation des scientifiques au niveau du recrutement et des promotions reposait sur une commission dite de classement de 24 membres, tous Pasteuriens et tous élus par leurs pairs. Une merveille de consanguinité ! Nous avons revu le mode de désignation, afin d'externaliser pour moitié le nombre des personnes qui siègent dans les nouvelles instances. Celles-ci sont nommées, et non élues. Ce qui nous a valu les critiques de certains syndicats, jugeant le nouveau système antidémocratique.

Mais la recherche n'a pas à être démocratique. C'est un système élitaire, voire élitiste, qui repose sur l'excellence.

Dans le manifeste « Du Nerf ! » que vous avez cosigné avec trois confrères, cette évaluation par les pairs figure en bonne place parmi les dérives de la recherche française que vous identifiez.

Des élections ne garantissent en rien que ce sont les plus qualifiés qui sont amenés à juger leurs pairs. Au niveau mondial, ce système électif est plutôt rare. Le risque, c'est la consanguinité. Il faut qu'on arrive à mettre de la vérité dans les systèmes d'évaluation. En revanche, il me paraît normal que des représentants du personnel siègent dans les commissions chargées de contrôler la transparence des décisions.

Le fonctionnariat est-il un handicap pour la compétitivité de la recherche française ?

Dans tous les pays du monde, il arrive un moment où la carrière des chercheurs est stabilisée. C'est juste et normal. Pourquoi seraient-ils les seuls à ne pas pouvoir bénéficier, au bout d'un certain temps, d'une sécurité de l'emploi ? Outre sa rigidité, le vrai problème du statut de fonctionnaire, c'est l'échelle des salaires. Un défaut qu'on peut corriger avec des mesures dérogatoires.

Pour pouvoir augmenter les salaires, faut-il envisager de recruter moins de chercheurs ?

Dans l'absolu, il faudrait faire les deux. Car il n'est pas pensable que la génération actuelle de jeunes chercheurs, en particulier dans les sciences de la vie, se retrouve sans le moindre débouché faute de recrutement. Mais, à budgets constants, mieux vaut limiter le nombre de chercheurs permanents pour pouvoir les payer davantage.

La recherche française souffre-t-elle seulement d'un manque de crédits ?

Non, ce n'est pas la seule raison des dérives de notre système. Il faut aussi repenser complètement l'architecture d'ensemble, hypercentralisée. En la matière, pas la peine de réinventer la poudre. Il faudrait créer, comme aux États-Unis, aux Pays-Bas ou en Allemagne, des campus de recherche avec des axes thématiques ou transversaux de recherche. Des unités de base à dimension humaine, qui permettent de multiplier les échanges entre professionnels, enseignants, étudiants, et de gérer les personnels de façon beaucoup plus simple.

Car, franchement, la gestion des ressources humaines dans beaucoup d'organismes de recherche, c'est l'Antiquité. Nos chercheurs, ingénieurs, techniciens et l'ensemble de notre personnel méritent mieux. En particulier les jeunes.

Propos recueillis par Stéphane Béchaux, Denis Boissard et Jean-Paul Coulange

Auteur

  • Stéphane Béchaux