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Vie des entreprises

Les anciens chouchous de la nouvelle économie font grise mine

Vie des entreprises | ANALYSE | publié le : 01.05.2004 | Valérie Devillechabrolle

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Les anciens chouchous de la nouvelle économie font grise mine

Crédit photo Valérie Devillechabrolle

Après l'euphorie de l'an 2000, le retour de bâton est rude pour les salariés de l'informatique. Chômage en hausse, salaires en berne, formation réduite, les informaticiens redoutent la pression des donneurs d'ordres qui poussent à une standardisation du travail et à une plus grande flexibilité. D'où la levée de boucliers suscitée par la proposition du Syntec de créer un contrat de mission.

Jamais les dirigeants des société de services informatiques n'auront guetté le printemps avec autant d'impatience. Après trois hivers déprimés qui ont fait dégringoler leur chiffre d'affaires de 21,3 milliards d'euros en 2001 à 19,7 milliards en 2003, ces abonnés aux taux de croissance à deux chiffres voudraient se montrer optimistes. « Le point bas a été dépassé », répète-t-on au Syntec Informatique, la chambre patronale. En ligne avec les prévisions de l'Apec, Yves Buisson, directeur du recrutement d'Unilog, anticipe un retournement : « Nous prévoyons 800 recrutements cette année, soit 200 de plus qu'en 2003. » Mais très loin des 1 500 réalisés en 2001.

Il en faudrait beaucoup plus pour rasséréner les 280 000 salariés des SSII, à 80 % des cadres et des ingénieurs. Car, avec un nombre de demandeurs d'emploi qui a explosé depuis près de trois ans, ils ont payé un lourd tribut à la cure d'amaigrissement du secteur. Une hémorragie en partie liée à l'effondrement conjoncturel brutal du marché, « temporairement gonflé jusqu'en 2001, rappelle Sylvain Breuzard, le P-DG de Norsys, par l'adaptation des systèmes informatiques à l'irruption d'Internet et au passage à l'an 2000, puis à l'euro ».

Les salariés redoutent aujourd'hui de faire les frais d'une mutation structurelle des SSII, sous la pression de leurs donneurs d'ordres. « Avec l'irruption des directeurs d'achats dans la négociation des contrats, les SSII sont soumises à des politiques de référencement et d'appels d'offres qui les obligent à réduire considérablement leurs prix», explique Régis Granolo, fondateur du Munci, le mouvement des informaticiens indépendants, fondé à l'été 2003. Par rapport à 2001, la baisse tarifaire est comprise entre 15 et 25 %, selon Benoît Genuini, président d'Accenture France, qui en a tiré les conséquences en sacrifiant son siège de l'avenue George-V pour emménager sur la ZAC de Tolbiac, à Paris.

Avec une masse salariale représentant de 60 à 80 % de leurs coûts fixes, les SSII ont dû s'attaquer aux frais de personnel. En commençant par optimiser le « taux d'intercontrats », comme on dit pudiquement dans la profession pour désigner les périodes non facturées aux clients, lequel avait atteint des sommets au premier trimestre 2002 : « Du jour au lendemain, nous nous sommes retrouvés avec plus de 50 % de salariés inoccupés dans nos locaux », se souvient René Taxit, délégué syndical CFDT de Transiciel.

En réaction, les SSII ont accéléré les départs. Via des démissions, comme chez Unilog où l'on en a enregistré 900 en deux ans grâce à des licenciements individuels – Hocine Chemlal, délégué syndical CGT de Steria, en a dénombré plus de 200 dans la période –, ou en échafaudant des plans de sauvegarde de l'emploi ciblés, à l'instar de celui conclu à l'été 2003 par Cap Gemini Ernst & Young concernant 250 emplois de consultants et d'assistants techniques en Ile-de-France. « Nous avons mal vécu cette période d'intercontrats massifs », reconnaît Alain Donzeaud, président de la commission des affaires sociales du Syntec.

Des salaires gelés ou à la baisse

Principales victimes de ces coupes claires : les « babycobols », ces jeunes diplômés bac + 4 reconvertis en informaticiens en quelques semaines dont les SSII avaient fait leurs choux gras lors des pénuries d'emploi de l'an 2000. « Faute de marché porteur, mais aussi de compétences suffisantes, ils n'ont pas eu les moyens de rebondir après la rupture des contrats commerciaux auxquels ils étaient affectés », se désole Noël Lechat, responsable de la Fédération CGT des sociétés d'études. Autre catégorie fortement malmenée, les surpayés. Exemple chez Transiciel où la majorité des salariés de la filiale Ariane ont, selon la CFDT, dû faire leurs bagages en raison de niveaux de salaires supérieurs de 20 % à la moyenne de la maison mère. Entre gel des salaires, sélectivité accrue des augmentations individuelles en interne et diminution de 10 à 20 % des salaires à l'embauche, « la fidélité se paye en perte de pouvoir d'achat », note Ali Ould-Yerou, délégué syndical CGT de Cap Gemini.

La reprise tant attendue ne devrait pas réduire la vigilance des SSII en matière de taux d'intercontrats. « Alors que nous n'avons jamais cessé de créer des emplois ces dernières années, nous sommes parvenus à accroître de deux à trois points le taux de remise en occupation de nos collaborateurs, se félicite Laurent Delcroix, DRH d'Euriware, une filiale d'Areva, grâce à une meilleure gestion de leurs compétences, qui nous permet de mieux identifier ceux dont l'écart en termes de formation par rapport au besoin des clients sera le moins important. » Avec, à la clé, de sérieuses économies sur le budget de la formation. Alors que les SSII n'hésitent pas à y consacrer 8 % de leur masse salariale, Euriware n'y injecte que 4 à 6 %.

Rupture du pacte social
Comme Unilog, qui vient d'ouvrir un centre à Amiens, les SSII développent des plates-formes en province pour réduire les coûts.ERIC FLOGNY/ALEPH

En dépit des beaux discours, « la formation n'a jamais constitué un axe prioritaire de développement individuel des SSII », estime Emmanuelle Papiernik, responsable des études de métiers à l'Apec. « Les SSII ont cette fois rompu le pacte social, à la différence de la crise de 1993 », avance Ivan Béraud, responsable du Betor Pub CFDT. « Elles attendent la signature d'hypothétiques contrats commerciaux pour former les personnes cantonnées dans des technologies obsolètes au lieu de profiter des périodes d'intercontrats pour les reconvertir », explique Hocine Chemlal, de Steria. Résultat, « les formations sont attribuées aux meilleurs, au compte-gouttes et moyennant la signature systématique d'une clause de dédit-formation », renchérit Ali Ould-Yerou. Réponse de Jean-Michel Rale, le DRH de Cap Gemini France : « Priorité absolue au staffing. » La branche va toutefois chercher à profiter des nouvelles opportunités de la loi sur la formation, et notamment du DIF, avec l'ouverture, ce printemps, d'une négociation avec les partenaires sociaux. Dans ce contexte tendu, la présentation, en décembre 2003, d'un « document de position » du Syntec a fait l'effet d'un coup de tonnerre. Certes, ce document prévoyait le renforcement de l'Observatoire des métiers, le développement de la gestion prévisionnelle des emplois de la branche ou encore la consolidation des filières de formation initiale et continue. Mais c'est la proposition de création d'un « contrat de mission » qui a suscité la colère des salariés des SSII.

Avec 23 000 signatures recueillies en deux mois, le succès de la pétition contre ce contrat lancée sur le Net par la CGT et la CFDT témoigne de l'ampleur dumé contentement. « L'adoption de ce contrat de mission conduirait les SSII dans une impasse », estime Jean-Philippe Pillemand, responsable du secteur informatique chez Secafi Alpha. « En transférant sur les salariés la gestion de leur formation, ce contrat entrerait non seulement en contradiction avec la nécessité de gérer la fidélisation du capital humain, mais il alimenterait aussi à plus long terme une spirale de déqualification préjudiciable aux intérêts des SSII. »

Un vif débat au Syntec

Devant ce tollé, les dirigeants des grandes SSII ont fait profil bas. « Bordé en durée et en volume, ce contrat de mission n'avait vocation qu'à gérer les périodes transitoires de reprise d'activité », précise Alain Donzeaud, du Syntec, en rappelant que, sauf à être repris par le nouveau gouvernement, « il n'a pour l'heure aucune existence légale ». « Il aurait été assorti d'un accompagnement social particulier en termes de garantie d'emploi, d'accès à la formation professionnelle et de modalités de sortie », note Sylvain Breuzard qui, en tant que président du CJD, avait également défendu la création d'un « contrat de projet » au sein de la commission de Virville. A contrario, d'autres sont plus critiques : « Ce contrat constitue une aberration par rapport à notre stratégie commerciale et de ressources humaines », affirme de son côté Yves Buisson, d'Unilog, admettant l'existence d'un vrai « débat de fond » au Syntec.

Cette recherche d'une plus grande flexibilité n'est pas le seul sujet qui plombe actuellement le climat social au sein des SSII. Même si les transferts d'activité dans un pays à bas coûts concernent moins de 1 % de l'activité des SSII, selon le Syntec, les délocalisations constituent un autre thème de conflit. En entretenant une pression sur les prix, cette menace a constitué un puissant aiguillon auprès des SSII pour tenter, selon Jean-Philippe Pillemand, de Secafi Alpha, de « rationaliser leurs process de production à moindre coût ». Notamment en développant de nouvelles unités en province. « Cela nous permet de bénéficier de locaux moins chers et de réaliser des économies d'échelle, de l'ordre de 20 %, grâce à la mise en commun de projets », se félicite Yves Buisson, d'Unilog, qui vient d'inaugurer un nouveau centre de services à Amiens, avec l'objectif d'y accueillir une centaine d'informaticiens d'ici à la fin de l'année. « Ces plates-formes reposent sur une standardisation des process de programmation et une organisation plus industrielle de notre activité », renchérit Jean-Michel Rale, de Cap Gemini, qui estime : «À terme, cette activité devrait représenter 20 à 25 % de notre activité. »

Mobilité exigée

Les salariés sont moins enthousiastes que leurs dirigeants. Sachant que 60 % des informaticiens sont encore aujourd'hui concentrés sur Paris et les Hauts-de-Seine, la création de ces plates-formes devrait accroître la pression à la mobilité géographique. En proposant d'ériger celle-ci en « impératif professionnel » inscrit dans la convention collective, le Syntec ne laisse d'ailleurs planer aucune ambiguïté. Cette industrialisation devrait aussi s'accompagner de contraintes accrues en matière de temps de travail, comme en témoignent les accords de branche en cours de négociation en matière de travail de nuit et du dimanche. Enfin, si ces plates-formes sont censées offrir aux informaticiens l'avantage « de se concentrer sur la réalisation de prestations à haute valeur ajoutée tout en étant dégagés de l'essentiel des contacts avec les clients », comme l'explique Yves Buisson, les organisations syndicales se montrent plus circonspectes. « Elles introduisent une parcellisation des tâches qui débouche sur une dévalorisation du travail d'ingénieur informaticien », estime Ali Ould-Yerou, délégué CGT de Cap Gemini, en poste au centre de Toulouse. Un risque que Jean-Michel Rale entend limiter par « des recrutements plutôt de techniciens en mal de promotion que d'ingénieurs ».

Les anciens chouchous de la bulle Internet ne sont désormais plus à la fête. À la veille d'une reprise tant attendue, certains dirigeants commencent même à tirer la sonnette d'alarme : « À force de donner l'image d'une profession désincarnée et adepte d'une vision mécaniste et financière de ses ressources humaines, nous courons le risque de décourager les étudiants de venir chez nous », s'inquiète Benoît Genuini, d'Accenture. Un avertissement d'autant plus justifié qu'une pénurie d'étudiants scientifiques se profile à l'horizon 2006…

Un guide de bonnes pratiques

« Nous sommes condamnés à travailler ensemble. » Après deux ans de crise qui ont sérieusement mis à mal les relations entre grands donneurs d'ordres et SSII, les deux parties, respectivement représentées par le Cigref et le Syntec Informatique, ont choisi de prendre le taureau par les cornes en définissant de « nouvelles règles communes ». Un an après avoir posé les principes de cette collaboration dans une charte de déontologie, en 10 points, donneurs d'ordres et SSII viennent de faire un pas de plus en rendant publics quatre « guides de bonnes pratiques » pour chacun des quatre grands champs d'intervention des SSII : progiciels, intégration de systèmes, infogérance et conseil en organisation.

Dans chacun de ces domaines, les deux parties se sont efforcées de définir les exigences des clients, en matière notamment de transparence et de lisibilité de la tarification des prestations, de durée de vie des progiciels, de meilleur suivi des projets, mais aussi de « niveau de qualification » des équipes mises à disposition : « L'entretien des compétences informatiques constitue un vrai problème dans les SSII », constate par exemple Francis Aaron, le vice-président du Cigref, directeur des systèmes d'information chez Bolloré, qui a planché sur l'élaboration de ces guides. De leur côté, les prestataires ont également insisté sur leurs besoins en matière de « réalisme » du cahier des charges : « Les clients ont parfois tendance à nous demander de leur proposer un contrat de maintenance offshore, sans bouger de la Défense », a ainsi ironisé François Dufaux, qui présidait la délégation du Syntec. Tout comme a été abordée la question, « pas toujours réglée », de l'accompagnement des personnels repris dans le cadre de contrats d'infogérance, alors que « c'est la première cause d'échec de ces contrats », a précisé le vice-président À charge maintenant pour les initiateurs de ces guides de poursuivre la démarche en bâtissant des « indicateurs de qualité mesurables ». Rendez-vous dans un an.

Auteur

  • Valérie Devillechabrolle