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Politique sociale

Quand les généraux endossent l'uniforme de DRH

Politique sociale | ZOOM | publié le : 01.05.2004 | Anne Fairise

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Quand les généraux endossent l'uniforme de DRH

Crédit photo Anne Fairise

Entre la crise des vocations et la fin du service national, la grande muette, devenue armée professionnelle, doit apprendre à se vendre auprès des jeunes et améliorer sa GRH. Communication, formation, primes, évolution du commandement, voici comment elle s'efforce de séduire et fidéliser ses recrues.

Le prestige de l'uniforme n'est plus ce qu'il était. Pour attirer des spécialistes, à l'instar des électrotechniciens, ou convaincre de jeunes recrues de devenir fusiliers commandos ou maîtres-chiens, des filières boudées par les candidats, l'armée en est réduite à leur faire miroiter un golden hello, comme un vulgaire employeur du privé. Sous la forme d'une prime d'engagement modulable, doublée, voire triplée jusqu'à 3 000 euros. Une véritable révolution culturelle, à la mesure des tensions que rencontre le premier recruteur de l'Hexagone. En 2004, la défense a prévu d'embaucher 26 600 jeunes de 17 à 29 ans, et presque autant de militaires quitteront ses rangs. Depuis la fin de la conscription, en 1996, l'armée professionnelle vit un flux permanent d'entrées et de départs. À la fois parce qu'un militaire sur deux est désormais en CDD et parce qu'une politique de départs aidés permet à la grande muette de maintenir sa pyramide des âges en l'état (33 ans en moyenne).

Sur le front du recrutement, de sacrées batailles se préparent. Pour maintenir un recrutement de qualité (trois candidats pour un poste), l'armée doit en effet attirer « 23,7 % d'une classe d'âge de garçons et 12 % d'une classe d'âge complète », estime la Cour des comptes dans son dernier rapport. On en est loin. Les sages de la Rue Cambon s'alarment du taux de sélection déjà « très faible » pour les militaires du rang (les simples soldats) : 1,5 candidat, en moyenne, pour un poste. Et ils jugent que les 850 millions d'euros prévus par la loi de programmation militaire 2003-2008 pour consolider la professionnalisation, via des incitations financières et l'amélioration des conditions de travail, sont nettement insuffisants. Si elle a appris à se vendre, l'armée n'est pas au bout de ses peines. Passage en revue de la nouvelle politique RH, où les maîtres mots sont attractivité et fidélisation.

Vendre « plus qu'un métier »

« Se faire connaître ». Avec la perte du vivier des 200 000 appelés, c'est devenu le nerf de la guerre pour les quatre armées. « Le service national constituait un canal privilégié de recrutement, qui n'existe plus. Les armées et leurs métiers restent mal connus », note le général de brigade Christian Huberdeau, de la Direction de la fonction militaire et du personnel civil, au ministère de la Défense. Mais quel ton adopter ? Avec quatre campagnes à son actif depuis 1996, l'armée de terre, plus gros recruteur avec 17 000 engagements en 2004, a tout essayé. Depuis le tout-professionnel, vantant « 400 métiers », jusqu'aux combats high-tech de militaires futuristes sur le ton « vous faites quoi ces trois prochaines années ? ». Diffusé en 1999, ce spot Matrix a déçu les jeunes, qui ont découvert une réalité moins « SF », tandis que les militaires de carrière ne s'y reconnaissaient pas. « Cette campagne a repositionné l'armée dans un contexte technologique moderne. Mais elle a perdu de vue la singularité du métier de soldat », reconnaît le service d'information de l'armée de terre.

Revirement en 2004, « sur les valeurs, le sens de l'engagement et du travail en équipe ». Fini le virtuel, place aux images de terrain réelles. « Les militaires ont rejoué des situations vécues, comme une opération d'assistance à des civils. Grâce aux plans serrés, on a l'impression d'être dans leur peau », explique Stéphane Billard, de l'agence J. Walter Thompson. «Bien plus qu'un métier » : la signature est claire, comme le sous-titre «rares sont les entreprises qui en proposent autant ». De quoi contourner l'écueil de la banalisation. La Marine (5 500 recrutements) aussi revient aux racines de la motivation. « Oubliez vos films d'action », proclame la campagne de TBWA. Sous-entendu vivez-les ! Seule la campagne de l'armée de l'air (3 700 embauches), dernière à se positionner en 2003 en tant que recruteur national, reste généraliste. « Il faut continuer à occuper le terrain. Même si les difficultés de recrutement rencontrées en 2003 dans certaines spécialités ont été résorbées », assure le lieutenant-colonel Bompard, de la direction du recrutement.

Affichage, spots télé, radios jeunes, Internet ou même SMS, les campagnes font mouche. Comme la Journée d'appel à la préparation de la défense, décriée pour son coût de 150 millions d'euros. 788 000 jeunes y ont assisté en 2003. « Dans le Rhône, un quart viennent nous voir sur le chemin du retour », assure le Centre d'information et de recrutement de l'armée de terre (Cirat), à Lyon. Pour le reste, les armées quadrillent le territoire. Depuis les visites en lycées jusqu'aux opérations communes en centre commercial, avec déploiement de chars… Au contraire des campagnes nationales, savamment échelonnées entre janvier et mars, pour éviter les guerres fratricides entre les armées, qui ciblent la même population des 17-25 ans.

Miser sur la formation

Ils sont venus au Cirat de Lyon « pour voir ». « Je ramais », raconte Adrien, 18 ans, qui a interrompu son année de math sup. Comme Olivier, même âge, qui a stoppé sa première année de génie mécanique en IUT et vit de petits boulots. Autre ton dans la pièce d'à côté : trois jeunes, bac + 3 à bac + 5, s'apprêtent à devenir officiers, en CDD d'un an. Amaury, informaticien contractuel dans un hôpital, signe pour le « style de vie ». Frédéric, pour se « former ». Michaël, ex-animateur prévention chez un fabricant de munitions, attend des « responsabilités » : « Les évolutions de carrière, ça prend trop de temps dans le civil. » Un seul d'entre eux veut devenir militaire de carrière.

« Notre principal argument est d'offrir une expérience professionnelle. Et une palette de métiers. Qu'ils repartent de zéro ou se perfectionnent, on les accompagne par des formations », souligne le chef de bataillon Christian Demange. L'ascenseur social est un autre point d'accroche pour les moins qualifiés. Leitmotiv : « 20 % des militaires du rang deviennent sous-officiers ; et la moitié, officiers. » Quant à la durée du CDD (un à dix ans selon les armées), renouvelable, elle est quasiment adaptée à la motivation du candidat. Pour accueillir des contractuels dans tous les métiers, et donc à tous les niveaux de qualification, l'armée a multiplié les cadres statutaires, faisant coexister carrière courte ou de longue durée. Afin d'attirer les compétences pointues, elle a créé un CDD « officier sous contrat » de cinq ans, dès bac + 3, pour 10 spécialités (dont l'informatique). Elle a aussi élargi son recrutement. Dans l'armée de terre, 20 % des postes de militaires du rang sont réservés aux jeunes sans qualification. La Marine en recrute 500 dans les missions locales, sous contrat de deux ans. À tous niveaux, les formations ont été adaptées : l'école de Saint-Cyr, hier accessible sur concours, accepte une sélection sur titre pour les bac + 5 entrant directement en dernière année.

Plus que jamais avec les premières pénuries de candidats, la formation – payée – devient un argument. Le service de santé des armées, amputé de 38 % de ses officiers depuis le départ des appelés, a doublé, à 150, le nombre d'étudiants en médecine recrutés depuis 2002. Idem pour les infirmiers, désormais embauchés en région parisienne dès la troisième année, sous contrat de cinq ans. Et l'armée de terre, « qui souffre d'un déficit d'image comme employeur technique », innove en lançant, en amont de l'engagement, des contrats d'apprentissage école-armée (200 en 2003).

Contrepartie aux carrières courtes : l'aide à la reconversion, après un contrat de quatre ans. « C'est un excellent argument de vente. Notre capacité à recruter est améliorée par l'existence d'un outil efficace de reconversion », estime le commandant Gérard Étienne, de Marine Mobilité, cellule bâtie sur « le modèle des cabinets d'outplacement ». Au menu : des entretiens, des bilans de compétences et l'assurance d'accéder à un vivier de 5 000 entreprises. Bien qu'elle n'y soit pas obligée, la structure suit les jeunes recrutés dans les missions locales, les reclassant à 86 % en emploi ou formation. Pendant un an maximum, les autres bénéficient d'une remise à niveau, d'une formation professionnelle lourde avec l'Afpa, ou d'un stage en entreprise, tout en touchant leur solde. La Marine et l'armée de terre, où 40 % des métiers sont spécifiques, travaillent aussi sur la validation des acquis.

Mais, de plus en plus, l'accent est mis sur la fidélisation. Depuis l'été 2003, la reconversion n'occupe plus la cinquième et dernière année du premier contrat, mais la sixième. « Et plus l'engagé aura servi dans la durée, plus il aura de moyens pour se reconvertir », note le lieutenant-colonel Proust, du 13e bataillon de chasseurs alpins. Dans l'armée de terre, « le but est que les militaires du rang signent un second contrat et restent sept à huit ans en moyenne. Cela permettrait de diminuer le nombre de leurs recrutements de 14 500 à 10 000 », calcule le général Cambournac, sous-directeur du recrutement. Bonne surprise à l'armée de l'air, qui bénéficie d'une bonne cote : « Après huit ans, nous avons plus de militaires du rang que prévu qui souhaitent renouveler leur contrat », indique le lieutenant-colonel Bompard.

User de la carotte financière

En modulant la prime d'engagement, l'armée française adopte une recette étrangère. Mais celle-ci passe mal chez les militaires de carrière. Relevant du statut de la fonction publique, ils ont vu – avec la professionnalisation – le format des armées réduit de moitié, tout en étant contraints de se serrer la ceinture. « Les chasseurs de prime ont un esprit contraire à notre culture de l'engagement », s'insurge un officier. « Si l'on veut être vraiment attractif, il faut mettre sur la table l'équivalent d'une jolie moto : 7 000 euros », rétorque le général Cambournac. « L'argent n'est jamais une motivation des jeunes », reprend le Cirat de Lyon, plutôt sceptique.

L'usage, récent, de la prime d'engagement reste limité. Reste que l'armée sait manier l'argument financier pour attirer les candidats. Depuis 2002, elle propose aux jeunes s'apprêtant à rejoindre une formation en maintenance, informatique ou restauration un contrat de « volontaire », initialement créé pour les jeunes en très grande difficulté. « 650 euros, logé, nourri », précise le Cirat de Lyon. Contraint d'attendre huit mois pour intégrer une école de logistique, Olivier, qui a abandonné son BTS action commerciale, en bénéficie : « C'est mieux que des petits boulots. »

Mieux perçue encore : la prime de technicité créée en 2004, qui vise à empêcher les départs de militaires ayant une grande expertise technique. Comme les atomiciens des sous-marins recrutés par EDF, les pilotes ou contrôleurs aériens débauchés par Air France, ou encore le personnel médical. Du jamais-vu : le service de santé des armées connaît des départs anticipés, « avant même les vingt-cinq ans autorisant une retraite à jouissance immédiate », dans toutes les spécialités, de l'ophtalmologiste au radiologue. Pour réduire l'écart avec la fonction publique hospitalière, on y a mis les moyens, à commencer par une accélération du déroulement de carrière. « Pour devenir médecin principal, le jeune diplômé met sept ans en moyenne contre onze ans et demi avant. » Et, à vingt-cinq ans de carrière, tous reçoivent la fameuse prime de technicité (700 euros par mois). Urgence oblige, elle a été ici généralisée !

Adapter le commandement

Changement d'ambiance dans les régiments. L'état-major de l'armée de terre a enjoint à l'encadrement de pratiquer « un meilleur exercice de l'autorité ». Trop d'engagés faisaient rapidement leur paquetage. « Il y a de multiples raisons, relativise le général Cambournac, entre les candidats qui se sont trompés sur leurs motivations, ceux finalement rétifs à la vie en communauté, qui sont incapables à 20 ans de passer de la chambre individuelle à la chambrée, sans compter les jeunes désocialisés. Pour eux, la rupture avec la vie civile est trop grande. » Dans les Cirat, le changement d'univers est abordé avec les candidats. Même les plus motivés sont mis en garde, comme ces futurs officiers, à deux jours d'intégrer l'école de Coëtquidan : « Les premiers temps, ça pique les yeux ! Vous allez passer d'un monde matérialiste, individualiste au tout-collectif », avertit l'agent recruteur au moment des adieux.

Au sein des unités, l'encadrement a un rôle essentiel à jouer dans la fidélisation des personnels. « Comme il n'est plus contraint par la brièveté du service militaire, il doit conduire un entraînement plus progressif », renchérit le général Huberdeau, à la DFP. L'armée de terre a fixé le cap : 15 % au maximum d'abandons pendant la période probatoire, qui dure de six à douze mois selon les contrats. Un taux inférieur de moitié à celui des armées britanniques et américaines. Mais l'objectif n'est pas encore tenu : en moyenne, 14 % des engagés démissionnent dans les six mois, « avec des variations de 10 à 20 % selon les régiments ».

Pour inverser la tendance, des postes transversaux de DRH ont été créés, depuis 2000, dans les unités d'au moins 1 000 hommes. « Notre but ? Que chacun soit, et se sente, à la bonne place au bon moment. Nous gérons toutes les étapes, de l'intégration à la reconversion », indique le lieutenant-colonel Proust, DRH au 13e bataillon de chasseurs alpins. Comme ses 160 collègues, il veille à l'accueil et à la progressivité, nouvellement décrétée, de la formation. À Chambéry, les engagés passent la première quinzaine « dans un poste de montagne, avec leur encadrement », afin de créer une cohésion de groupe. La durée des classes a été doublée, à six mois. Pendant ce temps : « Ni montée-descente abrupte de la montagne ni départ en opération extérieure. » Mieux, pour harmoniser la gestion, les DRH reçoivent, depuis janvier 2003, une formation spécifique au sein de la nouvelle École militaire supérieure d'administration et de management, à Montpellier. Les chefs d'unité qui affichent un faible taux d'abandons vont témoigner dans les écoles d'officiers, lors de formations à « l'exercice de l'autorité ». Des sessions où les cadres sont « sensibilisés à la réalité des jeunes et rassurés sur l'acceptabilité de l'autorité », explique le général Cambournac.

La Marine est allée plus loin. Depuis 2003, un module « méthodes de travail et management » a été créé dans le cadre de la refonte de la formation des officiers mariniers. Une évolution rendue nécessaire par la professionnalisation des armées, selon la contre-amirale Chantal Desbordes, sous-directrice chargée du développement des compétences. « Nous avons souhaité différencier le commandement du management. Entre les militaires de carrière, les contractuels de courte ou de longue durée et les civils, les officiers dirigeront des équipes hétérogènes. Ils doivent susciter l'adhésion, motiver, gérer les conflits, bref, assurer la cohésion. »

Accompagner la mobilité

Soucieuse de l'usure qui apparaît chez certains militaires autour de la quarantaine, ou dans les unités extrêmement sollicitées en opérations extérieures, la défense cherche à panser les plaies, à coups de primes, via le nouveau plan d'amélioration de la condition militaire. Dans le même esprit, pour rendre plus aisée, sur le plan familial, la mobilité des officiers de carrière (réaffectés tous les cinq ans en moyenne), le ministère a repris en main, en 2003, l'aide à la recherche d'emploi de leurs conjoints, hier assumée par les associations familiales. Grâce à une convention signée avec l'ANPE, un millier d'entre eux ont été reçus en 2003. En interne, la démarche ne fait pas l'unanimité. « Ma femme ne cherche pas un emploi mais à poursuivre sa carrière », maugrée un officier. « Pour les agences locales de l'emploi, les conjoints de la défense ne sont pas prioritaires », renchérit un autre.

Quant aux militaires du rang, pour lesquels la mobilité n'est pas obligatoire, on leur vend un « emploi de proximité ». Depuis la professionnalisation, la moitié sont affectés sur le territoire du recrutement. S'ils le souhaitent, ils peuvent effectuer leurs vingt-deux ans de carrière dans le même régiment. Autant de mesures qui semblent dessiner une nouvelle vision du militaire : avant tout un civil en uniforme.

Un nouveau statut en 2004

Depuis sa création, en 1972, le statut des militaires est resté quasiment en l'état. C'est pourquoi Michèle Alliot-Marie, la ministre de la Défense, entend soumettre au Parlement, avant l'été, un projet de loi pour le réformer. La commission chargée, en 2003, sous la présidence de Renaud Denoix de Saint Marc, vice-président du Conseil d'État, de réfléchir à sa modernisation a ratissé large. Sans toutefois bouleverser le chapitre des droits civils et politiques. Pas d'adhésion possible à un parti politique ou à un groupement professionnel, pas de syndicalisation non plus. Le rapport propose, en lieu et place, d'aménager les structures de concertation. « Pourtant, ce système a montré ses limites. Il n'a pas empêché, fin 2001, la manifestation des gendarmes. L'attente va grandissant sur la syndicalisation. Car les militaires français sont plus souvent au contact d'armées étrangères autorisant la syndicalisation », tempête le général en retraite Henri Paris, président de la Fédération des officiers de réserve républicains, qui dénonce « un rapport sans ambitions ». Partisan de la syndicalisation, il a initié, avec les cinq confédérations, une plate-forme en définissant cadre et limites. Côté gestion, par contre, le rapport pose les jalons d'une RH modernisée. Rémunération au mérite, généralisation du dédit-formation, institution d'un préavis en cas de démission des militaires ayant acquis le droit à la retraite à jouissance immédiate, création de contrats spécifiques pour embaucher des étrangers dans les métiers en manque de bras… La marque du service de santé se devine derrière la proposition d'un «congé d'éducation», sous la forme d'un crédit de jours non travaillés. Une véritable révolution dans les armées, soumises au principe d'une disponibilité totale ! Mais il n'est plus question de fermer les yeux sur la féminisation des troupes (13 % des effectifs totaux et 20 % des recrutements). La loi marquera le début d'un vaste chantier. « Après son adoption, il faudra se poser la question de l'adaptation des statuts particuliers (plusieurs dizaines). Cela peut être l'occasion de réfléchir à la gestion des hauts potentiels et au lien entre grade, fonction et niveau indiciaire », note le général Huberdeau, de la DFP.

Auteur

  • Anne Fairise