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Politique sociale

Ces inspecteurs du travail et de l'Urssaf qui chassent avec la police

Politique sociale | REPORTAGE | publié le : 01.05.2004 | Isabelle Moreau

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Ces inspecteurs du travail et de l'Urssaf qui chassent avec la police

Crédit photo Isabelle Moreau

Création de Nicolas Sarkozy, les groupements d'intervention régionaux traquent filières de main-d'œuvre illégale, réseaux de contrefaçon, circuits de blanchiment… Outre policiers et gendarmes, le GIR de Paris intègre des inspecteurs du travail, de l'Urssaf et de la répression des fraudes. Une collaboration qui permet de remonter les méandres de l'économie souterraine.

Il est un peu plus de 8 heures du matin, ce mardi de mars, quand le commissaire Vincent Terrenoir, 42 ans, patron du GIR de Paris, donne le coup d'envoi à l'opération menée avec l'Inspection des douanes. Pour la trentaine d'hommes mobilisés ce jour-là, il s'agit de démanteler un réseau de contrefaçon de grandes marques de prêt-à-porter italiennes opérant dans le XIIe arrondissement. Au programme : interpellation de revendeurs à la sauvette, saisie de la marchandise, descente dans un bar servant de lieu de rendez-vous à la bande.

Mais l'objectif de ce groupement d'intervention régional – une création de Nicolas Sarkozy, l'ex-ministre de l'Intérieur, qui avait souhaité regrouper policiers, gendarmes, agents des impôts et des douanes au sein d'unités spécialisées dans la lutte contre les réseaux économiques illégaux – est de confondre le responsable du réseau : un quadragénaire d'origine napolitaine dont l'une des boutiques, rue de Charenton, s'avérera regorger de blousons en cuir et autres manteaux griffés… Près de 7 000 articles au total. Un expert dépêché sur place est formel : c'est de la contrefaçon de belle facture. Et un bel exemple de travail dissimulé. Un coup de filet qui a nécessité près de trois mois de surveillance et de filatures.

Joli succès pour le jeune GIR parisien mis en place par Jean-Paul Proust, le préfet de police de Paris, en octobre 2003 et dédié à la lutte contre l'économie souterraine : blanchiment d'argent par le biais d'investissements immobiliers, réseaux d'exploitation de mineurs ou filières clandestines de main-d'œuvre étrangère. Rattaché à la sous-direction des affaires économiques et financières de la direction de la PJ, le GIR parisien compte une vingtaine de fonctionnaires volontaires appartenant à huit administrations, dont douze officiers de police judiciaire. « Tous étaient partants pour avoir une autre approche de la police », explique le commissaire Terrenoir. À la différence des 28 autres GIR, essentiellement composés de policiers, gendarmes, douaniers et agents du fisc, celui de Paris comprend des inspecteurs vétérinaire, du travail, de l'Urssaf, et de la répression des fraudes.

« C'est une bonne chose que l'administration du travail soit partie prenante. Cela permet d'optimiser notre pouvoir coercitif dans des affaires de grande ampleur, souligne Mauricette Barthélémi, inspectrice du travail du GIR. Notre but est de trouver les têtes de réseau de l'économie souterraine, pas de débusquer des personnes en situation irrégulière de travail. Avec le GIR, on peut attaquer l'employeur qu'on ne pourrait pas verbaliser en tant qu'inspecteur du travail, seul dans sa section et ne disposant ni des moyens d'investigation nécessaires pour remonter les filières ni du temps. » Une réponse à ceux qui, invoquant l'article 6 de la convention de l'Organisation internationale du travail, qui énonce le sacro-saint principe d'indépendance du corps par rapport au pouvoir en place et à toute intervention extérieure indue, estiment que l'Inspection du travail n'a pas sa place dans cette structure.

Chacun sa bible et sa méthode

Dans cette auberge espagnole, chacun possède sa façon de faire, ses procédures et sa bible. Code du travail pour l'un, Code pénal, Code de l'environnement, Code rural ou Code administratif pour les autres. Parfois, les réglementations se contredisent. Par exemple, « lorsqu'une personne au travail est en situation irrégulière au regard du séjour, elle doit, conformément aux dispositions de l'ordonnance du 2 novembre 1945, être reconduite à la frontière. Mais, en vertu de l'article L 324-11-1 du Code du travail, elle peut prétendre à une indemnisation équivalente à six mois de salaire, car c'est l'employeur qui doit être condamné, pas le salarié. Or, aujourd'hui, les gens sont expulsés sans avoir, au préalable, touché leurs indemnités. », explique Mauricette Barthélémi, qui a informé ses collègues de l'existence de cette disposition du Code.

Pour Patrick David, inspecteur de l'Urssaf, ancien de la Délégation interministérielle à la lutte contre le travail illégal (Dilti), faire partie du GIR « est un prolongement naturel, car on entre dans la phase opérationnelle. Lorsqu'on découvre du travail dissimulé, l'Urssaf concernée chiffre les cotisations dues et les met en recouvrement ». Cette logique interministérielle permet de choisir l'angle d'attaque juridique le plus efficace. Dans l'affaire Melda, du nom d'une supérette chinoise du XIe arrondissement, premier dossier confié au GIR parisien, la piste vétérinaire a été privilégiée. À la suite de plaintes répétées du voisinage et de contrôles effectués par les services vétérinaires de la Ville de Paris, les hommes du GIR ont saisi sur place 6 tonnes de produits avariés et en ont découvert 6 autres dans le même état dans un entrepôt de Bagnolet, sans compter quelque 130 tonnes de marchandises bloquées en attente de traçabilité. Depuis, le GIR continue de dérouler la pelote, pour travail clandestin, dissimulation d'activité et importation illicite de denrées alimentaires…

Dans un dossier en cours concernant le BTP, le groupement a été cosaisi, avec les Renseignements généraux, par un juge d'instruction parisien. Point de départ ? Des mouvements de fonds importants sur des comptes bancaires qui ne correspondaient ni à la réalité des chantiers ni au nombre de salariés déclarés par les entreprises. Une vingtaine de personnes ont été interpellées, six incarcérées sous des chefs d'inculpation allant de l'abus de biens sociaux au travail dissimulé, en passant par le blanchiment d'argent. Les ouvriers du bâtiment, aujourd'hui envolés comme des moineaux, étaient issus d'un pays d'Europe de l'Est non soumis à visa. « Lors de l'audition des donneurs d'ordres, il s'agissait de savoir quel était leur degré de négligence ou de complicité vis-à-vis des entreprises sous-traitantes qui, via des convoyeurs, faisaient venir par minibus ces travailleurs », précise un inspecteur de la 12e section des RG à l'origine de l'enquête. En épluchant les documents comptables, le GIR a permis d'élargir la palette des infractions. « Sans cette collaboration, nous n'aurions pas bouclé les principaux donneurs d'ordres », poursuit l'homme des RG. Car le GIR ne travaille jamais seul. Il intervient soit à la demande et en appui des services répressifs de l'État, soit de sa propre initiative ; il sollicite alors un service spécialisé et lui apporte son soutien logistique.

Filatures et gilets pare-balles
Le GIR n'a rien à voir avec le Raid. Les trois quarts de son travail, c'est de la recherche d'informations, le reste, c'est du terrain.D. R.

Si les hommes du GIR se livrent à des filatures, voire à des interventions avec gilets pare-balles, l'unité n'a aucune ressemblance avec le Raid. « Ce n'est pas un rouleau compresseur, explique Vincent Terrenoir, ancien patron du GIR du Val-de-Marne. Nous procédons d'abord à une étude en profondeur des dossiers, ce qui suppose une vérification des comptes des sociétés. Il faut en général deux à trois mois avant d'intervenir. » Selon son adjoint, Jean-Philippe Pelé, 54 ans, un lieutenant-colonel de gendarmerie auparavant détaché à la Dilti, « les trois quarts du travail, c'est de la recherche d'informations et de la vérification. Le reste, c'est du terrain ». Règle de base, chaque membre du GIR est informé des affaires en cours (une quinzaine). « Quand j'ai des informations, via mon administration, qui peuvent intéresser le GIR, je les soumets au patron, qui les diffuse sur le réseau », explique Emmanuel Bizeray, inspecteur des douanes. Pour le patron du GIR de Paris, « la mayonnaise a bien pris ». Mais le meilleur juge en la matière reste le ministère de l'Intérieur à qui, chaque mois, le groupement doit rendre des comptes.

Auteur

  • Isabelle Moreau