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Vie des entreprises

Menu social plus garni chez Chèque Déjeuner qu'à Ticket Restaurant

Vie des entreprises | MATCH | publié le : 01.04.2004 | David Garcia

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Menu social plus garni chez Chèque Déjeuner qu'à Ticket Restaurant

Crédit photo David Garcia

Chez les deux leaders du titre de restauration, prospérité rime avec avantages sociaux. Mais Chèque Déjeuner va plus loin dans l'équité et la démocratie sociales que la filiale d'Accor Services. échelle salariale réduite, participation égalitaire, élection des administrateurs… la scop reste fidèle à ses principes fondateurs.

Cap sur l'international ! Le 1er janvier 2004, Chèque Déjeuner a débarqué en Bulgarie, huit mois après s'être lancé à l'assaut du marché roumain. Déjà installé en Espagne et en Italie, cet émetteur de titres de restauration essaime depuis près de quinze ans en Europe de l'Est : République tchèque, Slovaquie, Pologne, Hongrie. En attendant de poser le pied en Russie et dans les pays baltes à l'horizon 2005-2006… Son principal concurrent, Ticket Restaurant, présent dans 32 pays, n'est pas en reste. Solidement implanté en Amérique latine, où il réalise 40 % de son chiffre d'affaires, il a ouvert deux nouveaux établissements en 2003, au Panama et au Pérou. Tout en continuant à miser sur l'Asie. Fort d'un chiffre d'affaires de 471 millions d'euros, Accor Services, dont Ticket Restaurant représente 85 % du chiffre d'affaires, est numéro un mondial du secteur des titres de services. Mais, en France, Ticket Restaurant et Chèque Déjeuner font presque jeu égal, avec respectivement 38 % et 35,5 % de parts de marché, loin devant Chèque Restaurant (Sodexho Alliance) et Chèque de table (Intertitres Banques populaires). Parallèlement à leur stratégie d'internationalisation, les deux rivaux ont élargi leur palette de services bien au-delà de la restauration. Emploi à domicile, pressing, conciergerie, lecture et culture… « Accor Services a progressivement diversifié l'offre de produits dans les ressources humaines et autour du bien-être des salariés », explique Arnaud Erulin, directeur du marketing international. De son côté, Chèque Déjeuner s'est positionné comme le principal opérateur auprès des comités d'entreprise pour les chèques-cadeaux avec Cadhoc.

Au pays du sociétaire roi
TICKET RESTAURANT Groupe Accor Services, Chiffre d'affaires 2003 (en France) : 63 millions d'euros, 204 salaréis en France.NICOLAS

Plusieurs décennies de croissance quasi ininterrompue, jamais de grève, pas un seul licenciement économique, un turnover inférieur à 5 % : le bilan de ces deux PME créées au début des années 60 a de quoi faire des envieux. « En termes de rémunération et de conditions de travail, les salariés d'Accor Services sont mieux lotis que ceux qui travaillent dans l'hôtellerie », assure Cecilio Garcia, délégué central Force ouvrière du groupe Accor. Il faut dire que la « petite » filiale dégage à elle seule un quart des profits du groupe. Quant à Chèque Déjeuner, sa direction des ressources humaines rechigne à entrer dans le détail des avantages sociaux offerts par l'entreprise… de peur d'attirer un afflux de candidatures spontanées. Une bonne image à laquelle son statut de scop (société coopérative ouvrière de production) n'est pas étranger.

Bienvenue au pays du sociétaire roi. Fondé en 1964 par des syndicalistes de FO, de la CGT et de la CFDT, Chèque Déjeuner est un laboratoire social permanent. La coopérative appartient en effet à ses salariés, qui perçoivent la moitié des bénéfices sous forme de participation. « Chaque salarié peut devenir sociétaire au bout d'un an », explique Mireille Dargent, la DRH du groupe. Pour accéder à ce statut, il suffit d'acquérir une part de capital d'une valeur de 16 euros, chaque sociétaire ne pouvant détenir que 975 parts au maximum de façon à empêcher que quiconque ne s'approprie le capital de l'entreprise. Chaque année au mois de juin les comptes sont soumis à l'approbation des sociétaires, réunis en assemblée générale, en vertu du principe « une personne, une voix ». « Tout le monde ne comprend pas tout et tous n'ont pas le même niveau d'intérêt, mais chacun a à cœur d'être là », témoigne Mireille Dargent. Autre moment fort de l'AG, l'élection des administrateurs, qui élisent à leur tour le P-DG une fois tous les quatre ans. Respectant le principe d'égalité érigé en valeur suprême dans la scop, la participation, identique pour tous, a rapporté en moyenne 8 000 euros par an aux salariés à temps plein au cours des cinq dernières années. Un montant élevé qui compense largement l'absence d'intéressement.

Chez Ticket Restaurant, le fonctionnement est beaucoup plus traditionnel. Pas de sociétaires, pas de patron élu, mais, à en croire son site Internet, Accor Services a fait de la satisfaction des salariés son credo, ce qui passe par « la justice sociale à l'intérieur de l'entreprise ». Effectivement, l'intéressement a été versé en 2003 de façon totalement égalitaire, à raison de 2000 euros par salarié. En revanche, la participation n'est, comme le souligne Gérald Ferrier, directeur de la politique sociale d'Accor, que « semi-égalitaire », puisque répartie au prorata du salaire dans la limite de deux fois le plafond de la Sécurité sociale. En 2002, elle s'est échelonnée de 300 à 1 270 euros.

En revanche, la couverture sociale n'est pas la même pour tous. « Les cadres et agents de maîtrise en arrêt de travail peuvent bénéficier d'une prise en charge de la mutuelle à partir du troisième jour, alors que les employés doivent attendre le dixième jour », dénonce Éliane Vallois, déléguée CFDT d'Accor Services. « Le taux d'absentéisme plus élevé chez les employés que chez les cadres, de l'ordre de 6,5 % contre 5 %, justifie ce traitement différencié », rétorque Robert Lugo, directeur général d'Accor Services France pour l'Europe du Sud et le Benelux. Mais Éliane Vallois enfonce le clou en critiquant le régime de mutuelle, facturée au même tarif pour tous, sans distinction de revenu. « Pour un employé qui gagne 1 200 euros brut mensuels avec une famille à charge, cela revient à 74,28 euros par mois, ce qui fait beaucoup. »

Le paquet sur le variable

Côté salaires, conformément aux principes de la scop, les écarts sont faibles à Chèque Déjeuner entre les opérateurs de production, chargés de fabriquer les titres, les commerciaux, et les employés préposés au remboursement des restaurateurs et aux prises de commandes, les trois familles de métiers qui coexistent dans les deux groupes. Ils varient de 1 à 4,5, contre 1 à 6, hors stock-options, chez Ticket Restaurant. Pas d'option sur action à Chèque Déjeuner, où un employé est embauché à 1 345 euros brut, soit 23 % de plus que le smic. Et nettement plus que chez Accor Services, qui recrute à un poste équivalent au smic plus 8,25 %. Dans l'une ou l'autre des entreprises, un opérateur peut espérer gagner environ 2 300 euros net en fin de carrière.

Chez Ticket Restaurant, en revanche, on met le paquet sur la rémunération variable. Même si certains excès ont été corrigés. « À mon arrivée en 1992 à la tête d'Accor Services France, le variable pouvait atteindre 55 % de la rémunération totale. J'ai, depuis, sensiblement rééquilibré les proportions », assure Robert Lugo, qui a été directeur général d'Accor Services France jusqu'en 2000. En moyenne, la part variable de la rémunération d'un chef de service s'échelonne de 5 à 30 %, celle d'un commercial de 25 à 40 % (sauf s'il explose les compteurs). Un membre de la direction peut empocher un bonus égal ou supérieur à 30 %. « Notre commerciale la plus performante a doublé son salaire en 2003 », ajoute Robert Lugo. La tendance a beau être à la baisse, la part variable des rémunérations reste trop élevée pour Doudou Konaté, délégué central CFDT du groupe Accor, qui dénonce l'« individualisation outrancière au détriment des augmentations générales, limitées au rattrapage du coût de la vie ».

Chèque Déjeuner motive également ses commerciaux avec des primes. Mais à plus faible dose. « La prime de résultat des commerciaux correspond à 20 % de leur salaire si 100 % des objectifs sont atteints », précise la direction générale de la coopérative. L'encadrement commercial ne bénéficie en revanche d'aucune prime. Ce qui ne facilite pas le recrutement des cadres au sein de la coopérative ouvrière. « Nos cadres sont sans doute payés un peu au-dessous du prix du marché, en particulier les commerciaux », reconnaît Jean-Michel Gabilly, délégué CGT de Chèque Déjeuner. Probablement 10 à 15 % de moins que la moyenne du marché. Mais la DRH comme les syndicats ont tendance à éluder le sujet.

Autre originalité de Chèque Déjeuner en matière de rémunération : à l'image de la fonction publique, le salaire est calculé à partir de la valeur d'un point, actuellement de 13,45 euros, qui évolue en fonction du coût de la vie et qui est multiplié par un coefficient affecté à chaque salarié. Sauf qu'à la différence des salaires des fonctionnaires, les changements de coefficient se font au mérite et non à l'ancienneté. Un système original qui est destiné à permettre au plus grand nombre d'accéder automatiquement au statut cadre, indépendamment des responsabilités. « D'après notre classification, quelqu'un peut être amené à encadrer une équipe à partir du coefficient 170 », explique la DRH, Mireille Dargent. Soit une rémunération mensuelle de 2 286,50 euros. Près de la moitié des 247 salariés français sont cadres. Et, parmi eux, on trouve des salariés expérimentés qui occupent des postes d'employés ou d'opérateurs.

Le salaire du P-DG est public

Qu'ils soient ou non cadres, les salariés de Chèque Déjeuner touchent un treizième mois, auquel s'ajoute une prime de vacances qui fait office de quatorzième mois. Ceux d'Accor Services doivent se contenter du seul treizième mois. Chèque Déjeuner a aussi une longueur d'avance en matière de transparence des revenus, statut coopératif oblige. « Les salaires de tous, chefs de service et P-DG compris, sont librement accessibles, il suffit de demander aux délégués du personnel la liste des coefficients », explique Jean-Michel Gabilly. Alors qu'Accor Services se contente d'appliquer la loi, qui oblige les entreprises cotées à communiquer la moyenne des dix plus hauts salaires.

Il existe tout de même un domaine où Accor Services fait mieux que son concurrent. Passé aux 35 heures en 1999, Ticket Restaurant a profité de la loi Aubry I pour annualiser le temps de travail et pour supprimer le travail de nuit. « Le recours à la modulation des horaires a été gagnant-gagnant. Pour l'entreprise, qui a amélioré sa productivité en adaptant les horaires aux contraintes propres à notre activité. Pour les salariés aussi, dans la mesure où nous sommes passés d'une organisation en 3 x 8 à un 2 x 8, moins éprouvant pour la santé des opérateurs », explique Robert Lugo. La fabrication des titres-restaurants connaît en effet des surcroîts temporaires d'activité, à chaque fin de mois ainsi qu'à certaines périodes de l'année, notamment en juin et en décembre. L'accord signé en 1999 permet de faire face aux besoins de l'entreprise en ajustant la durée du travail de 32 à 39 heures hebdomadaires.

Le travail de nuit maintenu

Côté Chèque Déjeuner, en revanche, le travail de nuit perdure, même si le passage, dès 1986, aux 35 heures a réduit le 3 x 8 à un 3 x 7. Concrètement, les opérateurs d'équipe le matin, l'après-midi ou la nuit travaillent sept heures par jour au lieu de huit auparavant. Le personnel administratif de Chèque Déjeuner est nettement mieux loti puisqu'il a la possibilité de choisir ses heures d'arrivée et de départ. « Chacun peut, en accord avec son responsable de service, choisir un horaire d'arrivée entre 8 h 30 et 9 h 30, sa pause-déjeuner à partir de 13 heures 13 h 30 et son horaire de départ entre 16 h 30 et 18 heures », souligne Mireille Dargent.

Ticket Restaurant et Chèque déjeuner se rejoignent au moins sur un point : la nécessité d'avoir des échanges constructifs avec les organisations syndicales. Rien de plus logique chez Chèque Déjeuner, dont l'actuel P-DG, Jacques Landriot, qui a été délégué du personnel encarté à Force ouvrière avant d'accéder à la tête de l'entreprise, a succédé, en 1991, au fondateur Georges Rino, lui-même ancien militant FO.

La charte fondatrice de Chèque Déjeuner n'affirme-t-elle pas qu'« il est du devoir de chaque salarié de se syndiquer » ? Résultat : 60 % des salariés de l'entreprise sont aujourd'hui syndiqués à la CFDT, à la CGT ou à FO, trois organisations représentées au conseil d'administration.

Sans aller aussi loin, les dirigeants d'Accor Services proclament leur attachement au dialogue social. « En 2003, nous avons accepté de retirer un projet de sous-traitance d'une partie de la production à la suite de l'opposition des syndicats », avance Robert Lugo. « L'entente est quasi parfaite », lâche Pierrette Forger, déléguée FO et secrétaire du comité d'entreprise. Au point que Doudou Konaté, de la CFDT, évoque une « connivence suspecte » entre Force ouvrière et la direction, laquelle nuirait à une prise en compte réelle des intérêts des salariés. Et d'ironiser sur le fait que la directrice actuelle des ressources humaines d'Accor Services France a été secrétaire du comité d'entreprise du groupe Accor, avec le soutien de FO.

Si Chèque Déjeuner peut légitimement se targuer d'avoir une bonne longueur d'avance dans le social sur son concurrent Ticket Restaurant, chez l'un comme chez l'autre, la prospérité économique va de pair avec des relations et un dialogue social de qualité. Ce n'est pas si courant que cela.

La puce fait peur

Tout le landerneau du secteur des titres de services en parle, mais nul ne sait quand elle arrivera. « Elle », c'est la carte à puce, qui pourrait remplacer bientôt le bon vieux titre-restaurant en papier. Avec, à la clé, d'inévitables conséquences sur l'emploi du personnel affecté à la fabrication des chèques et autres titres-restaurants. « D'un strict point de vue technologique, tout est au point, nos filiales brésilienne et turque commercialisent déjà la carte restaurant », note Robert Lugo, directeur général d'Accor Services chargé de l'Europe du Sud et du Benelux. Tout en dédramatisant les enjeux. « Quand je suis arrivé en 1992 on disait déjà que cette évolution était inéluctable », rappelle-t-il en estimant que le reclassement, le moment venu, des 24 salariés affectés à la production devrait se faire sans difficulté. Éliane Vallois, déléguée CFDT d'Accor Services, ne partage pas cet optimisme : « À ce jour, les élus du personnel n'ont été informés officiellement de rien. Je crains que les salariés ne soient mis devant le fait accompli le jour où la décision d'adopter la carte à puce sera prise. »

Tout autre son de cloche chez le concurrent Chèque Déjeuner. « Les salariés sont régulièrement tenus au courant de l'évolution de ce dossier, assure la DRH, Mireille Dargent. Nous avons anticipé les conséquences sociales de cette éventuelle mutation technologique en préparant des plans de reconversion et de formation pour les salariés dont le poste pourrait être touché. » Entretiens d'évaluation et bilans de compétences individualisés sont censés aider les quelque 80 salariés de la production, bien plus nombreux que leurs homologues d'Accor Services, à s'adapter à la nouvelle donne. « Nous y réfléchissons depuis longtemps parce que nous sommes une coopérative ouvrière dont la finalité première est la pérennité de l'activité et la sauvegarde de l'emploi », conclut Jean-François Cochet, le Monsieur Carte à puce de Chèque Déjeuner.

Auteur

  • David Garcia