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L'égalité des chances ne suffit pas

Repères | publié le : 01.04.2004 | Denis Boissard

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L'égalité des chances ne suffit pas

Crédit photo Denis Boissard

Retour sur une controverse qui continue de faire des remous au sein du gouvernement et dans le microcosme politique, celle relative à la discrimination positive. Ouvrant le 11 mars dernier les premières Assises de l'intégration, le ministre des Affaires sociales, François Fillon, s'est une fois de plus insurgé contre cette approche défendue par son collègue de l'Intérieur, Nicolas Sarkozy, en lui opposant la notion d'égalité des chances. Depuis qu'en pleine tempête sur le foulard le locataire de la Place Beauvau a lancé ce pavé dans la mare – « Je crois en la discrimination positive : il est des territoires qui ont tellement plus de handicaps que, si on ne leur donne pas plus qu'aux autres, ils ne pourront pas s'en sortir » –, il se fait régulièrement tacler par ses « amis » et une bonne partie de la classe politique. Du leader du PS au patron de l'UMP, en passant par le Premier ministre et le président de la République lui-même, tous ou presque l'ont désavoué au nom du principe de l'égalité républicaine. Sous-entendu : il y aurait, d'un côté, les défenseurs de la République et, de l'autre, un apprenti sorcier du communautarisme.

Et si Nicolas Sarkozy avait raison ?

Inutile de se voiler la face. Pour les jeunes diplômés provenant de l'immigration africaine et maghrébine, l'intégration à la française est, sauf rares exceptions, un échec. Il suffit de regarder autour de soi : absents des postes à responsabilité des grandes entreprises, des administrations, des universités, de la politique, des médias, bref au sein des élites hexagonales, ils figurent également en rangs très clairsemés dans le monde du travail, hormis dans les emplois les plus subalternes.

À qualification égale, les Martin ou Durand

ont beaucoup plus de chances de décrocher un job que les jeunes ayant un nom à consonance maghrébine ou africaine. Les quelques rares coups de sonde réalisés en prenant en compte l'origine ethnique des intéressés sont édifiants : à niveau de diplôme équivalent, les jeunes issus du continent africain sont deux fois plus souvent au chômage que les Français « de souche »… si ce n'est plus. Cette exclusion insidieuse est bien sûr inacceptable mais elle est surtout extrêmement dangereuse pour la cohésion de notre société : en suscitant des frustrations légitimes, elle alimente la montée de la violence, du communautarisme et des extrémismes.

Comment, dès lors, combattre les préjugés des employeurs ? En appeler à la volonté et à la mobilisation, comme les contradicteurs de Nicolas Sarkozy, ne suffit évidemment pas. À quoi sert de proclamer de façon incantatoire l'égalité des chances si celle-ci reste ineffective dans les faits ? Il est donc nécessaire aujourd'hui de se doter de mécanismes correcteurs permettant de combler l'écart entre égalité formelle et égalité réelle. Renvoyant aux différents programmes d'« actions préférentielles » (affirmative actions) expérimentés à partir de la fin des années 60 aux États-Unis pour favoriser l'accès à l'emploi et l'entrée à l'université des femmes et de certaines minorités ethniques, la discrimination positive a pour objectif de restaurer l'égalité, en accordant des droits dérogatoires au droit commun à certaines personnes dont les handicaps de départ sont jugés trop importants pour être comblés par une réponse égalitaire traditionnelle.

Affirmer qu'un tel traitement préférentiel

serait incompatible avec nos principes républicains, c'est ignorer que la France fait depuis longtemps, comme monsieur Jourdain, de la discrimination positive sans le savoir… ou sans le dire. Sans même parler des exemples les plus flagrants – l'obligation d'employer un quota de personnes handicapées ou les moyens supplémentaires accordés aux zones d'éducation prioritaire –, tout un pan de notre politique publique de l'emploi vise en effet à donner un coup de pouce supplémentaire aux plus défavorisés sur le marché du travail. Que sont les aides ciblées à l'emploi réservées aux jeunes peu qualifiés, aux chômeurs de longue durée et aux RMIstes, ou encore la cotisation Delalande dont l'objectif est de protéger les quinquagénaires contre le licenciement, sinon des instruments de discrimination positive ?

Reste la question du comment faire

Comment faire en sorte que les jeunes Beurs et les jeunes Blacks franchissent victorieusement la barrière du recrutement sans passer, comme outre-Atlantique, par une politique de quotas aux effets pernicieux ? Impossible, on le voit bien, de se contenter du seul respect passif par l'entreprise du principe de non-discrimination à l'embauche, une règle dont la violation est quasiment impossible à prouver et donc très rarement sanctionnée. Pourquoi, en revanche, ne pas contraindre les entreprises à apporter la preuve qu'elles font tous les efforts nécessaires pour lever les obstacles à l'intégration de ces jeunes en leur sein ? Pourquoi ne pas les inciter à engager des actions positives pour favoriser la diversité ethnique et culturelle de leur personnel ?

Auteur

  • Denis Boissard