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Politique sociale

Au Medef, l'UIMM fait à nouveau la pluie et le beau temps

Politique sociale | ANALYSE | publié le : 01.04.2004 | Sandrine Foulon

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Au Medef, l'UIMM fait à nouveau la pluie et le beau temps

Crédit photo Sandrine Foulon

Sa puissance financière, ses réseaux et son ancrage historique assurent à la métallurgie une place prépondérante au sein du monde patronal, où elle a toujours eu la haute main sur les dossiers sociaux. Mais, désormais concurrencée par les services, l'UIMM va devoir s'adapter pour continuer à régner.

F luctuat nec mergitur. Si la devise n'était pas déjà prise, l'UIMM (Union des industries et des métiers de la métallurgie) aurait pu la faire sienne. La « puissante » fédération patronale de la métallurgie, « une tautologie », plaisante son vice-président délégué général, Denis Gautier-Sauvagnac, occupe une place à part dans le paysage patronal français. Avec le CNPF puis son successeur le Medef, l'Union, comme l'appellent les familiers du siège de l'avenue de Wagram, a toujours connu des hauts et des bas. Pour l'heure, les relations sont au beau fixe. Et pour cause : depuis le départ de Denis Kessler, le tumultueux numéro deux du Medef, et la fin de la rivalité des deux Denis, l'UIMM reprend sa place au soleil. « Celui qui a vraiment agi, qui a essayé de contrer l'UIMM en tentant d'asseoir la primauté des services, c'était Kessler, patron de la FFSA », rappelle Michel Huc, secrétaire général de FO Métaux. Pourtant très proche de son ex-bras droit, le président du Medef a dû arbitrer entre « DK », le brillant économiste visionnaire mais aux méthodes de négociation brutales, et « DGS », l'ancien inspecteur des finances, diplomate, tacticien, fin négociateur au réalisme plus conservateur.

L'issue du bras de fer s'est jouée lorsque Ernest-Antoine Seillière s'est mis en tête de déménager. Un saut de puce entre l'avenue Pierre-Ier-de-Serbie, QG historique de l'organisation patronale, et l'avenue Bosquet, qui a coûté la bagatelle de 52 ou 54 millions d'euros. Une facture bien au-dessus des moyens du Medef. « Il a fallu trouver l'argent là où il était, explique un cadre patronal. Une fois encore, c'est l'UIMM qui a mis la main au porte-monnaie. Ça aide si on veut être écouté… » Car « les Métaux », qui comptent parmi les premiers bailleurs de fonds du Medef, avec 25 % des cotisations, dixit DGS, pèsent lourd dans la balance. Les critiques visant Denis Kessler, à qui l'on a reproché de s'être trop impliqué dans la refondation sociale, le retour de la droite au pouvoir, qui a réduit l'utilité d'un bretteur contre le gouvernement, et la proposition de la Scor, dont Denis Kessler est devenu le P-DG en novembre 2002, ont fait le reste. Choisi ou contraint, le départ de Kessler signe la victoire des fédérations contre une vision centralisée de l'appareil patronal. Au 56, avenue de Wagram, la parenthèse est refermée. Et laisse désormais aux dirigeants de l'Union toute latitude pour occuper le terrain.

« Chaque fois qu'un patron a pris la tête du CNPF il avait dans la tête de diminuer le pouvoir de l'UIMM. À des degrés divers et dans des styles différents, cela a été le cas pour les quatre derniers présidents, de Gattaz à Seillière. Et ça recommencera avec le prochain, confie un observateur du microcosme patronal. Mais personne n'y est jamais parvenu. Le Medef sait qu'il ne peut rien sans l'UIMM. » Le nouvel arrivant aux commandes de l'organisation patronale a beau tenter de la réformer, le magistère d'influence exercé par l'UIMM reste inoxydable. L'une des tentatives de casser les baronnies, vendue par Denis Kessler à Ernest-Antoine Seillière, en supprimant la commission sociale, historiquement dévolue à l'UIMM, et la commission économique pour les remplacer par des groupements de propositions d'actions (GPA), n'y a rien changé. Certes, le chantier des retraites a échu à Guillaume Sarkozy, patron de la Fédération textile, et celui de la formation professionnelle à Alain Sionneau, numéro un de la Fédération du bâtiment, mais DGS a – lui – hérité du dossier crucial des relations sociales. Et dire que Dominique de Calan, délégué général adjoint de l'UIMM et grand manitou dans le monde de la formation, fait de l'ombre à Alain Sionneau, est un doux euphémisme.

La fédération plus plus…

L'une des raisons de la capacité d'influence de l'UIMM, qui a fêté ses 100 ans en 2001, réside dans sa longévité. « Alors que le CNPF naissait après-guerre, l'Union traînait déjà derrière elle une longue expertise sociale. C'est la fédération la plus structurée, la plus compétente, la fédé plus plus », souligne un connaisseur. Mais, pour ses détracteurs, « l'UIMM est surtout devenue une affaire de permanents, d'apparatchiks qui défendent d'abord leurs intérêts ». Autre singularité, ce n'est pas le président, Daniel Dewavrin, qui tient les rênes, mais le vice-président délégué général. Gage de stabilité, la maison n'en a connu que cinq depuis la Libération. « Avec l'UIMM, au moins, on sait où l'on va, souligne Robert Buguet, ancien président de l'UPA. Entre le conservatisme et la folie furieuse d'un Kessler, on préfère encore la première solution. » Pas de surprise, donc. « L'UIMM possède un aspect Janus, souligne Denis Gautier-Sauvagnac. Issue du Comité des forges, elle peut être perçue comme étant conservatrice. Mais son autre facette est progressiste, avec une politique contractuelle forte. Nous avons été de toutes les avancées sociales. » Effectivement, les Métaux ont su créer un tissu conventionnel dense. Outre les accords nationaux et d'entreprise, la branche compte 83 conventions collectives territoriales. En 1975, elle était la première à négocier un nouveau système de classifications, sous la houlette de Pierre Guillen, alors directeur de l'emploi et de la formation. Un accord très innovant qui a ensuite été copié par nombre de branches.

Un ministère du Travail bis

Sur les 35 heures, la métallurgie a pris de vitesse Martine Aubry. « En 1998, on s'est fait fusiller, se souvient Michel Huc, signataire du texte comme d'ailleurs de la totalité des accords de branche depuis trente ans, mais nous avons rendu les 35 heures applicables dans l'industrie. Avec la seconde loi Aubry, en 2000, nous avons obtenu l'extension de l'accord en ne le modifiant qu'à la marge. C'est ça, l'innovation. On recherche la paix sociale et cela a un coût. Où est le drame ? » Idem pour les préretraites. Alors que la réforme Fillon allonge la durée de cotisation et que les entreprises négociant des départs anticipés sont vilipendées, la branche a réussi, par un accord de décembre 2003, à prolonger ses propres dispositifs (Cats, Casa) jusqu'en 2006.

Outre son maillage territorial – quelque 130 syndicats professionnels, 93 chambres syndicales territoriales –, l'UIMM peut s'appuyer sur une force de frappe de plus de 160 permanents dont 80 cadres, véritables experts du droit social : Catherine Thibier pour la retraite et la prévoyance, Christiane Charbonnier pour la durée du temps de travail, Gisèle Battu pour l'emploi, Marie-Christine Fauchois pour la Sécurité sociale… L'UIMM est « un ministère du Travail bis, une chambre sociale de la Cour de cassation bis », explique un cadre patronal. Non seulement ses experts sont capables de proposer des amendements et d'infléchir une loi, mais, sur le terrain, ils sauvent souvent la mise de leurs adhérents. « La force de l'UIMM est de rendre des services personnalisés aux entreprises. Quand un patron de PME a l'inspecteur du travail dans la pièce à côté, il peut appeler à la rescousse un juriste qui le renseignera illico », souligne Pierre Chasseguet, directeur général du Groupement des industries métallurgiques, chambre francilienne de la métallurgie.

Mais si l'UIMM a conquis le monopole de l'élaboration de la doctrine sociale du patronat, sa logique de branche convient-elle à l'ensemble des fédérations ? Et Pierre Chasseguet de reprendre à son compte le slogan américain : « Ce qui est bon pour General Motors est bon pour les États-Unis, ce qui est bon pour l'UIMM est bon pour la France. Les divergences ne sont pas si énormes. Et les fédérations moins outillées que la métallurgie apprécient de la voir monter au créneau. » Mais toutes ne partagent pas cet avis. S'agissant des 35 heures, un négociateur ne lâche pas de la même façon sur les augmentations selon que les salaires représentent 13 à 15 % des coûts, comme dans l'industrie, ou 70 %, pour les services.

Fermeté des positions

Quant aux interlocuteurs syndicaux, ils ont beau reconnaître que l'UIMM respecte les partenaires sociaux, ils savent aussi à quoi s'en tenir sur la fermeté de ses positions. « Depuis dix ans, l'UIMM mène la danse avec des positions raides, constate Christian Larose, ancien patron CGT de la Fédération textile et président de la section travail au Conseil économique et social. Les négociations sur les restructurations n'avancent pas et je doute qu'elles aboutissent. Denis Gautier-Sauvagnac, qui mène la délégation patronale, refuse d'aborder les questions essentielles de la sous-traitance, de l'externalisation, de la responsabilité financière des entreprises qui laissent une filiale s'assécher et qui ne veulent pas payer le plan social. »

Restent les parlementaires, dont certains sont lassés de voir passer toujours les mêmes amendements estampillés métallurgie. « Alors qu'au Medef personne ne pense raisonnablement voir les 35 heures abolies, l'UIMM en demande encore le retrait. Et Dominique de Calan prône toujours la suppression du contrat de travail », souligne un ancien permanent patronal. Et les interrogations de se poser sur la capacité de la fédération à contribuer à l'innovation managériale. « Un accord comme Acap 2000, puis Cap 2010, signé par Usinor, prend en compte les impératifs juridiques et managériaux de la logique de compétences, explique Éric Pezet, maître de conférences à l'université d'Évry et auteur d'une thèse sur la négociation de la classification des emplois. Il a été désapprouvé par l'UIMM qui le jugeait juridiquement trop aventureux. Tout comme elle s'est montrée défavorable à la négociation d'un accord sur la gestion des compétences initiée par le Medef à la fin des années 90. »

La raison d'être de l'Union est de se rendre utile à ses adhérents, notamment les PME, de les préserver de l'insécurité juridique. Si les entreprises se responsabilisent et se passent de la branche, elle se trouve fragilisée. La possibilité désormais laissée aux entreprises de conclure des accords dérogatoires aux accords de branche pourrait à première vue faire vaciller son pouvoir. Mais DGS se montre confiant : « Les accords d'entreprise et de branche se sont toujours nourris les uns des autres. » Et si l'on regarde de plus près la récente loi, une branche peut prévoir expressément que son accord ne sera pas « dérogeable ». Verrou supplémentaire, un accord de branche reste valable avec la signature de syndicats minoritaires en nombre de voix.

Le joli coup des Métaux

Encore une fois, l'UIMM a su limiter les dégâts et activer ses réseaux auprès de Matignon et de l'Élysée pour que la triplette CFTC-CFE-CGC et FO avec laquelle elle a toujours contracté ne sorte pas marginalisée de la loi Fillon sur le dialogue social. Si elle ne possède pas, comme le Medef, une dizaine de lobbystes, DGS dispose d'un solide réseau personnel. Quant à Dominique de Calan, il est d'une efficacité redoutable lorsqu'il s'agit de défendre son pré carré : la formation. Dans ce domaine, les Métaux ont réussi un joli coup. Alors que chacun salue l'accord historique sur la formation professionnelle signé par l'ensemble des syndicats à l'automne 2003, on omet de mentionner l'éclatante victoire des branches. « Dominique de Calan était prêt à lâcher sur beaucoup de points à condition qu'il obtienne la fin du contrat de qualification transformé en contrat de professionnalisation, soit, concrètement, le transfert des fonds des contrats de qualification vers l'apprentissage. Cela confère aux branches un pouvoir énorme », confie un proche de la négociation.

Quand on gère, comme l'UIMM, 59 centres de formation d'apprentis, 60 associations de formation professionnelle de l'industrie, 22 instituts des techniques d'ingénieurs de l'industrie ou 24 centres d'évaluation des potentiels, il faut s'assurer une manne financière. Tant pis pour les petits organismes de formation spécialisés dans le contrat de qualification, dont beaucoup sont voués à disparaître. Seule la Fédération de la formation professionnelle a haussé le ton et dénoncé le lobbying de l'UIMM auprès des parlementaires pour ne pas voir retardée la mise en application fixée au 1er octobre 2004. Ce qui aurait permis à ces établissements de se retourner.

Mais, aux Métaux, on ne badine pas avec la formation. En 2002, le montant collecté par l'Opca de branche, l'Opcaim, s'élevait à près de 10 millions d'euros. En 1995, Jean Gandois a commis un crime de lèse-majesté en signant avec les syndicats un accord permettant la refonte des circuits de financement de la formation continue, privant l'UIMM d'une partie de ses fonds. Un amendement surprise, déposé par Roselyne Bachelot, a remis les choses en ordre. Deuxième coup de semonce en 2001, lorsque Francis Mer, qui menait la délégation sur la réforme de la formation professionnelle, met au point avec Alain Dumont, alors patron de la formation au Medef, le compte épargne formation. Un projet qui reposait sur une forte responsabilisation des salariés et des entreprises et menaçait le système de collecte par les Opca. Abondé par tous les acteurs (entreprises, salariés, État, régions…), le compte aurait été confié à un organisme du type Urssaf. Trop dangereux pour l'UIMM. Les négociations ont capoté et Alain Dumont a dû quitter le Medef en 2003.

Le contrepoids des services

Voilà comment cette fédération qui compte la bagatelle de 200 mandats dans le paritarisme (Unedic, Cnam, Afpa, Arrco…) continue de s'assurer une place prépondérante au sein du patronat. Mais son poids démographique s'effritant – les entreprises qu'elle représente emploient désormais moins de 2 millions de salariés –, l'UIMM sait qu'elle doit évoluer. « L'avenir de la métallurgie est de produire de plus en plus avec de moins en moins d'effectifs. Par intérêt, l'UIMM doit aujourd'hui ratisser plus large », estime Jacques Dermagne, le président du Conseil économique et social.

D'autant que les services prennent de l'embonpoint. La création en décembre 2003, encouragée par Ernest-Antoine Seillière, d'un groupement des services, même si les banques et les assurances ont quelque réticence à le rejoindre, apparaît clairement comme un contrepoids à l'UIMM. Certes, il faudra du temps à ce groupement recouvrant 5 millions de salariés et piloté par Georges Drouin pour atteindre l'influence de la sœur aînée. Laquelle saura rebondir, assure Michel Huc. « L'UIMM a laissé tomber l'appellation Union des industries des mines et de la métallurgie. En mettant en avant UI dans son logo, elle ouvre la porte à d'autres fédérations pour former une grande union des industries. » Avec la chimie, le textile ? L'UIMM, qui a déjà suscité, voici quelques années, la naissance du Groupement des fédérations industrielles (GFI) présidé par… Daniel Dewavrin, n'a assurément pas dit son dernier mot.

Un « UIMM » après Seillière ?

Le patron du Medef n'est pas encore parti mais la question de sa succession agite déjà les couloirs du Medef. Et d'aucuns murmurent que le baron, qui n'a plus guère l'occasion de battre le fer avec la majorité, pourrait partir avant l'échéance prévue à l'été 2005. Au petit jeu du dauphin potentiel, les noms circulent. Un UIMM pour occuper le fauteuil présidentiel ? L'entourage de Denis Gautier-Sauvagnac, 60 ans, affirme qu'il « s'y verrait bien ». L'intéressé reste discret sur la question. Mais il pourrait pâtir d'être trop étiqueté métallurgie. Énarque, inspecteur des finances, son expérience en entreprise, comme DG de l'Union laitière normande, peut aussi paraître un peu trop limitée. Autre candidat potentiel issu du sérail : Guillaume Sarkozy, 52 ans, le patron de la Fédération textile. Sur le dossier à haut risque des retraites, il a prouvé qu'il s'en sortait bien. Son seul défaut est d'avoir un frère encombrant, que son accession à la tête du Medef pourrait gêner dans ses prétentions présidentielles. « Deux Sarkozy, ça ferait beaucoup. Et en plus il n'est pas de l'UIMM. Ça fait deux handicaps lourds », souligne un observateur syndical.

Reste la possibilité d'un grand patron. Et, comme toujours au Medef, il va falloir trouver le mouton à cinq pattes : de préférence un capitaine d'industrie, qui accepte en outre de lâcher ses fonctions. Bertrand Collomb, président de Lafarge ? On le dit partagé entre les États-Unis et la France. Daniel Bouton, P-DG de la Société générale et président du GPA sur la croissance, ou encore Michel Pébereau, P-DG de BNP Paribas ? « Trop banquiers », rétorque un cadre patronal.

Quoi qu'il en soit, la succession de Seillière ne se passera pas du blanc-seing de la métallurgie, qui a toujours adoubé le nouveau président, qu'il soit issu ou non de ses rangs. Mais là n'est pas l'important. À l'apparence du pouvoir, l'UIMM privilégie le vrai pouvoir. Interrogé sur ses velléités d'occuper la place de numéro un du patronat, un ancien haut responsable de l'Union répond : « Je ne suis pas de ceux qui manient l'ombrelle. Je préfère le parapluie. »

Auteur

  • Sandrine Foulon