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Six mois pour boucler les négociations

Dossier | publié le : 01.04.2004 | A.-C.G.

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Six mois pour boucler les négociations

Crédit photo A.-C.G.

La loi sur la formation professionnelle octroie aux branches un rôle décisif dans l'élaboration du nouveau système. Des prérogatives auxquelles elles sont plus ou moins bien préparées. Reste à savoir comment elles vont réussir à mettre en musique un dispositif complexe et comment entreprises et salariés vont s'en emparer.

Branle-bas de combat dans les fédérations professionnelles ! Car l'accord national interprofessionnel sur la formation signé le 20 septembre 2003 par le patronat et l'ensemble des organisations syndicales, largement repris dans la loi prochainement adoptée par le Parlement, leur assigne un calendrier de négociations plutôt serré. Officiellement ouvertes depuis le 31 mars, les négociations destinées à mettre en musique les nouvelles dispositions devront s'achever au plus tard à l'automne. « Le Medef et les partenaires sociaux ont mis deux ans pour tomber d'accord, et ils nous donnent tout juste six mois pour boucler nos négociations », maugrée Laurence Berthonneau, secrétaire générale de l'Unetel-RST, la branche des télécoms. « Sans compter que nous sommes déjà en discussion sur d'autres sujets aussi importants, comme les classifications, les retraites ou l'organisation du travail », renchérit Dominique Dumont, délégué aux affaires juridiques et sociales de la FG3E (Fédération des entreprises gestionnaires de services aux équipements, à l'énergie et à l'environnement).

Au chapitre de la formation professionnelle, le menu est copieux. La loi renforce considérablement le rôle des branches dans ce domaine : mise en œuvre du droit individuel à la formation, contrat et période de professionnalisation, définition des publics concernés, liste précise des qualifications et des diplômes prioritaires, observatoires paritaires prospectifs des métiers et des qualifications, dispositif financier, validation des acquis de l'expérience, entretiens professionnels… tous ces sujets sont dévolus à la négociation de branche. Plus précisément à celle qui se déroule au sein des commissions paritaires nationales de l'emploi (CPNE) et à leurs relais régionaux, les commissions paritaires interprofessionnelles régionales de l'emploi (Copire), qui voient leur rôle revalorisé.

Cinq vraies révolutions

« La formation professionnelle avait besoin d'un pilote, justifie Annie Thomas, négociatrice de l'accord de septembre pour la CFDT. Dorénavant, ce sont les branches qui joueront ce rôle avec obligation de se revoir non plus tous les cinq ans, mais tous les trois ans, pour tirer un bilan de leurs actions. C'était d'autant plus nécessaire que les besoins de formation sont différents d'une branche à l'autre. » Au sein des fédérations, ces nouvelles prérogatives sont plutôt bien accueillies. « Nous avions déjà renforcé le rôle de notre commission paritaire depuis un an en lui réattribuant clairement les compétences sur la formation et l'emploi. La loi est venue conforter notre choix », se réjouit Florence Bonnet, responsable emploi et formation de la Fédération de la plasturgie. D'autant que la formation s'avère un outil incontournable avec le choc démographique annoncé de 2006, la gestion d'une population active vieillissante, la nécessaire mobilité des salariés sur le marché de l'emploi… « C'est dans ce contexte que l'accord de septembre a introduit cinq vraies révolutions : la codécision en matière de formation, le coïnvestissement, la personnalisation de la formation, la nécessité de professionnaliser les salariés plutôt que de les diplômer et le droit individuel à la formation pour permettre aux salariés de rebondir », énumère Dominique de Calan, délégué général adjoint de l'UIMM.

Pas de rupture entre ancien et nouveau système

En dépit de l'opportunité qui leur est donnée de refonder le système de formation professionnelle, rares sont les branches qui ont pris les devants en s'engageant dans la négociation. La majorité d'entre elles préférant attendre la promulgation de la loi pour commencer leurs consultations dans la foulée. Dans le secteur de la pharmacie, les premiers tours de table ont pourtant été organisés dès le début de cette année. « Nous n'avons pas trop de six mois pour avancer sur l'accord et parvenir à une signature, estime Pascal Le Guyader, directeur des affaires sociales, de l'emploi et de la formation professionnelle au Leem (Les Entreprises du médicament). Même si nous ne signons pas cet été, nous aurons débroussaillé le terrain et donné de la visibilité aux entreprises qui vont construire leur plan de formation 2005 sur la base de la réforme, dès septembre prochain. Nous ne souhaitons pas de rupture entre l'ancien et le nouveau système. »

Les secteurs les plus en pointe sur le terrain de la formation, comme l'assurance, le médicament ou l'automobile, n'auront sans doute aucun mal à tenir les délais. Dans ces branches, les négociations qui s'ouvrent sont davantage d'ordre technique que politique. L'objectif est de trouver un « dénominateur commun » à l'ensemble des entreprises et des salariés qu'elles représentent. « Sur le chapitre de l'observatoire prospectif ou encore du tutorat, nous avons déjà mis des dispositifs en place depuis de nombreuses années, souligne Yves Terral, délégué général de l'Association nationale pour la formation automobile (Anfa), « bras séculier » de la branche de la réparation et de l'entretien automobiles. Nous allons surtout nous concentrer sur le droit individuel à la formation, ainsi que sur les contrats et les périodes de professionnalisation pour fixer nos priorités. »

Même sérénité du côté du textile. Directeur de la formation de l'Union des industries textiles (UIT) et directeur de l'Opca Forthac qui réunit le textile, l'habillement, le cuir, la chaussure et la couture, Xavier Royer n'entrevoit pas de confrontation majeure avec les partenaires sociaux. Dès septembre 2004, il va d'ailleurs lancer officiellement l'observatoire des métiers que ses services concoctent depuis plus d'un an. En revanche, pour les autres branches plus frileuses sur le dossier de la formation ou d'histoire plus récente, le chantier s'annonce titanesque. « Notre branche a été créée en 2000, rappelle Laurence Berthonneau, de l'Unetel-RST. En dehors de la cartographie des métiers que nous commençons à établir, nous ne disposons actuellement d'aucun outil de formation, pas de certificats de qualification professionnelle ni d'autres titres. Tout est à construire. »

Si les partenaires sociaux ont accueilli favorablement la réforme de la formation, sa mise en musique s'annonce délicate. Première pierre d'achoppement, le DIF, qui donne aux salariés vingt heures de formation par an et dont fédérations professionnelles et syndicats ne font pas toujours la même lecture. Alors que le patronat place ce nouveau dispositif sous le régime de la codécision, les organisations de salariés l'entendent comme un « droit individuel ». « Les textes sont clairs, affirme Régis Régnault, à la CGT. Le DIF est la propriété du salarié et sa mise en œuvre relève de son initiative. Il ne s'agit pas d'une codécision et ce n'est sûrement pas au cours de l'entretien professionnel que devra être décidé si le salarié prend ou non ses vingt heures de formation. » Pour les branches, les effets de la mise en œuvre du DIF sont encore difficiles à mesurer. Toute la question est de savoir si les salariés vont s'emparer tout de suite de ce nouveau droit qui leur accorde vingt heures de formation par an cumulables sur six ans. Quant aux entreprises, comment vont-elles le gérer, le financer et l'articuler avec les autres dispositifs de formation ?

Difficile d'évaluer le coût du DIF

Côté patronal, on s'inquiète de la juxtaposition du DIF et du congé individuel de formation (CIF), car les deux dispositifs pourraient devenir rivaux. Par ailleurs, le coût du DIF est difficile à évaluer. « Beaucoup de nos adhérents, surtout les PME et TPE, craignent que ce nouveau droit ne se traduise par une augmentation de leurs charges au-delà des obligations légales », souligne Yves Terral, à l'Anfa. Selon le texte de l'accord, si les actions de formation réalisées dans le cadre du DIF interviennent en dehors du temps de travail, l'entreprise verse au salarié une allocation égale à la moitié de son salaire net. Du coup, certaines branches se demandent s'il ne serait pas plus judicieux que l'accord inscrive automatiquement les actions liées au DIF dans le temps de travail. Objectif avoué : faire glisser des dépenses prévues au plan de formation sur le DIF, et réduire ainsi leur charge.

Autre sujet de préoccupation, le capital de temps de formation (CTF), un dispositif qui permet actuellement au salarié de suivre, à son initiative, et sur son temps de travail, des actions inscrites au plan de formation de l'entreprise, ancêtre du DIF, est purement et simplement supprimé à la date de la promulgation de la loi. « Notre problème principal n'est pas la suppression du dispositif, mais l'utilisation de la collecte que nous venons de réaliser au titre du CTF, explique Xavier Royer au Forthac. Ce que nous espérons, c'est que la Rue de Grenelle nous autorisera à utiliser ces crédits dans le cadre du CTF jusqu'à l'entrée en vigueur du système de la période de professionnalisation (voir lexique ci-dessous), début octobre 2004. Sinon, nous allons nous retrouver avec des fonds non utilisés qui nous échapperont et ne profiteront pas aux salariés ni aux entreprises de la branche. » Même réaction à l'Anfa : « Nous attendons une réponse claire sur l'articulation juridique et financière entre le CTF et la période de professionnalisation », ajoute Yves Terral. Les adhérents du Leem ont, quant à eux, été vivement incités à déposer des demandes de CTF avant le début du mois de mars.

Mieux vaut cibler large

L'autre gros chantier concerne le contrat de professionnalisation qui remplace les trois contrats en alternance existants (contrat de qualification, contrat d'adaptation et contrat d'orientation). Pour les branches, cette simplification du système va dans le bon sens. D'autant plus que la loi se veut moins restrictive que l'accord national interprofessionnel et leur permet de porter la durée du contrat à vingt-quatre mois (et non plus seulement douze) pour certains publics, formations et certifications qu'elles auront pointés. Reste que la définition des publics et des formations ciblés pourra s'avérer délicate pour les fédérations qui n'ont pas suffisamment de visibilité sur les besoins des entreprises adhérentes. Pour certaines, l'exercice consistera avant tout à « cibler large » afin de ne pas se priver de qualifications ou de publics qui pourraient, à l'avenir, être réclamés par leurs adhérents. Il leur faudra également déterminer la place qu'elles donneront à ces contrats de professionnalisation par rapport à l'apprentissage, qui relève de la formation initiale.

La suppression des contrats en alternance, destinée à mieux délimiter la frontière entre formation initiale et formation continue et à laisser aux branches le soin de fixer leurs priorités en matière de professionnalisation de leurs salariés, a fait monter au créneau les organismes de formation privés. « Le contrat de professionnalisation, parce qu'il est limité dans le temps, ne permettra plus aux jeunes de préparer un BTS en alternance, prévient Pierre Courbebaisse, vice-président de la Fédération de la formation professionnelle (FFP). Cette décision met fin à un système qui fonctionnait depuis vingt ans et qui avait fait ses preuves en matière d'insertion professionnelle des jeunes. Par ailleurs, elle met en péril nos organismes de formation. Nous estimons que notre activité va chuter de 20 à 30 %. »

L'efficacité des accords de branche qui vont être conclus dépendra de leur poids face aux accords d'entreprise, au cœur du second volet de la loi. Les branches ont, sur ce terrain, tout intérêt à déterminer des positions de principe auxquelles les entreprises devront se tenir pour ne pas introduire des critères concurrentiels qui pourraient se retourner contre elles. À l'Anfa, Yves Terral a déjà prévu que l'accord conclu par la branche « ne pourra en aucun cas être infirmé par un accord d'entreprise. » À bon entendeur…

Les nouveautés de la loi

Le DIF : tout salarié en CDI (avec une ancienneté d'au moins un an) bénéficie de vingt heures de formation par an cumulables sur six ans (cent vingt heures maximum). Les actions de formation peuvent se dérouler en dehors du temps de travail. L'entreprise verse alors une allocation de formation équivalente à 50 % de la rémunération nette du salarié.

Le CIF : le dispositif est maintenu et son financement renforcé (0,2 % de la masse salariale).

Le contrat de professionnalisation : il remplace les contrats en alternance actuels. Il s'adresse aux jeunes de moins de 26 ans et aux demandeurs d'emploi.

La période de professionnalisation : période de formation en alternance destinée aux salariés prioritaires désignés par un accord de branche.

Contributions minimales : pour les entreprises de 10 salariés et plus, 1,6 % de la masse salariale (0,2 % pour le CIF, 0,5 % pour les actions de formation prioritaires, le solde pour le financement des dépenses de formation de l'entreprise). Pour les entreprises de moins de 10 salariés : 0,4 % de la masse salariale en 2005, puis 0,55 % en 2006.

Auteur

  • A.-C.G.